Cinquième réalisation pour ce "jeunot" qui aurait bien pu naître quelques années, voire quelques décennies même plus tôt. Car l'univers musical de mister Eli Husock s'arrête dans les années 60. Et point de psychédélisme, de British-blues ou de proto-Hard-rock ; lui, son truc, c'est la Soul, le Gospel et le Rhythmn'n'Blues.
Ce petit gars a suffisamment de personnalité et de confiance en lui pour ne pas s'en laisser conter et faire fi de tous ce qu'il entend sur les médias. Il préfère remonter à la source, au point où, après avoir fini ses années de lycée, à 18 ans, il part un an s'installer à Clarksdale pour rayonner et s'immerger dans la vie et l'ambiance des juke joint du Deep-South.
L'année suivante, lorsqu'il entame ses études supérieures (de sociologie) à Chicago, il organise une émission de radio. Le nom de l'émission, "We got more Soul", ne laisse aucun doute sur le sujet. Et parallèlement, il joue de l'orgue dans une église du South side. Ce qui ne doit pas trop lui laisser de temps pour étudier suffisamment. D'ailleurs, après une année, il retourne chez lui, dans la ville qui l'a vu naître et grandir (jusqu'au lycée de Brookline), à Boston, pour se consacrer pleinement à la musique. Il ne perd pas de temps et enregistre avec l'aide de quelques potes, à 21-22 ans, un premier album, à l'ancienne, en mono. "Sings... Walkin' and Talkin' ... and other Smash Hits !". Aujourd'hui introuvable.
Il acquière rapidement une bonne réputation grâce à ses prestations scéniques et l'album a du succès, mais localement uniquement. Qu'importe, il persévère, il retourne à Boston, et deux ans plus tard, en 2007, un petit label indépendant de l'état (Massachusetts), Division Q, lui donne sa chance. En 2008, parait "Roll with You" qui marque un bon en avant considérable. Les quelques trébuchements et l'aspect artisanal du précédent ont disparu. Ainsi que, malheureusement, en grande partie le Blues. On y décèle les influences de Solomon Burke, Tyrone Davis, Sam Cooke, Clarence Carter, James Carr, Bobby "Blue" Bland. Cette fois-ci, le succès déborde des frontières. Non seulement du Massachusetts, mais franchit carrément l'Atlantique pour séduire la vieille Europe.
Il écrit une pièce Pop, légère, pour la B.O. de "Cet été là" ("Wy way way back") sur laquelle on retrouve Ben Kweller, UFO, Robert Palmer, INXS. Une mauvaise carte de visite car sans aucun rapport avec le contenu de l'album, ni même du suivant à venir.
Eli "Paperboy" Reed est un chanteur fort convaincant ; bien qu'il n'ait pas la texture sombre, râpeuse et profonde de ses maîtres, il chante juste et avec suffisamment d'entrain et d'engouement pour être crédible et que l'on puisse croire, les yeux fermés, à sa sincérité. S'il y a bien un p'tit blanc qui peut se targuer d'être un digne représentant de la Soul et du Rhythm','Blues actuellement, c'est bien lui. Et on parle bien de Rhythm'n'Blues et non de r'n'b (appellation purement commerciale), ni de néo-soul (ou nü-soul trucmuche).
De plus, c'est un bon guitariste doublé d'un plus qu'honnête claviériste (piano et orgue). Mais surtout, il est doté d'un sens aigu de la composition et ses chansons sonnent souvent comme des classiques oubliés des 60's. Ses chansons appellent autant la danse que le chant. Ses ballades et autres slows savent aussi émouvoir.
Ce qui ne passe pas inaperçu auprès des cadres de Capitol Records qui le signent avec un nouveau disque à la clef en 2010 : "Come On and Get it !". Pourtant toujours d'un très bon niveau, le disque semble moins marquer les esprits. Moins roots, plus policé, plus cuivré, il ne convainc pas totalement une frange de son public. Pourtant, bien qu'un petit cran en dessous, c'est toujours chaudement recommandable. Une aubaine : Nike récupère "Explosion" pour une énergique publicité. Cela doit faire du bien au porte-monnaie, cependant pas certain qu'en matière de promotion cela soit porteur.
Nouveau changement de label, nouveau disque. En 2012, il passe chez Warner. Là, on prend peur. S'est-il laissé embobiner par les requins de Warner ? A-t'il vendu son âme au diable ? (mais pas le démon du crossroad). Cherche-t'il un moyen rapide de se remplir rapidement les poches, convoitant des créneaux radios et dancefloor ? Tout ça à la fois ? Car le 45 tours ("Woohoo"), sorti spécifiquement pour le Record Store Day de 2013, ne laisse rien présager de bon. De la soupe Electro-R'n'B-Soul assommante, chargée de samples. Une purge.
Si l'album rassure quelque peu, il révèle malheureusement une descente vers une Soul aseptisée, ternie par une orchestration guimauve et un chant qui se tourne vers une Pop mielleuse et consensuelle.
La chanson-titre, "Nights like this", pourrait même être considérée comme la rencontre des One Direction (sic) avec Marroon 5 et Vintage Trouble. D'ailleurs, le public s'est considérablement rajeuni (pratiquement le même que celui d'Adam Levine). Heureusement que les concerts gardent leur fraîcheur.
Nouvelle aubaine venue du monde publicitaire : Cette fois-ci, c'est Toyota qui utilise un de ses titres, "Nights like this", pour la publicité de son Rav4. Ceux qui, suite à ce titre, voudront écouter ses albums, et plus particulièrement les deux premiers et le petit dernier, risquent d'avoir une belle surprise ...
Mais enfin, après un énième changement de label (une tradition ? Plutôt une nécessité), Eli "Paperboy" Reed renoue avec une Soul et un Rhythm'n'Blues, vintages certes, mais authentiques, sans faux-cols, plutôt crus.
Est-ce un hasard si ce retour aux sources est concomitant à son incorporation à Yep Roc Records (1) un label indépendant ? Probablement pas. Le choix n'est pas un hasard sachant que la devise de ce dernier est "le label pour les artistes refusant d'être étiquetés" ("the artist-driven label that refuses to be labeled ")
Ce nouvel opus marque un tournant. Certes,la Soul et le Rhythm'n'Blues restent bien naturellement de mise, car n'oublions pas : c'est son sacerdoce. Cependant, les cuivres ont disparu pour laisser place à une musique nettement plus crue. Limite "garage". Une mutation que traduit la pochette. Fini les costumes et les cravates, place au style décontracté, aux baskets et au tee-shirt. Pas besoin de s'accoutrer en fonction de la musique interprétée pour paraître crédible. Eli est sur un ring, dans une salle de boxe aux murs écaillés et décorés de photos élimées de fiers combattants blacks (entre la salle de Frankie Dunn et celle où Appolo Creed fit ses débuts). On revendique - et cultive - désormais une facette prolétaire. Pas de strass, ou de paillettes. Ce serait mal perçu. Des gants de boxe antiques sont suspendus aux cordes, près de lui, prêts à être enfilés pour en découdre, ou tout simplement pour se défendre. Défendre sa passion, son oeuvre. Il paraît déterminé. Fini les sourires, l'innocence et le faciès poupon ; les soucis et les déceptions lui ont imprimé un air soucieux.
Après le succès fulgurant de "Roll with You", en entrant chez des grandes compagnies aux importants moyens et au rayonnement international, il a légitimement dû croire avoir accompli le plus dur, et qu'il était désormais sur un escalator qui allait le mener, sans trop d'efforts, vers les sommets d'une reconnaissance et d'une notoriété mondiale. Tout laisse croire qu'il s'est laissé berner par le staff des deux précédents labels, et plus particulièrement celui de Warner, au risque de se diluer, de perdre une partie de sa personnalité et de ses convictions.
Et puisque l'on parle de conviction et de sacerdoce, sans rien demander en échange (ni même de la publicité), Eli a fondé une association ("Gospel for teen programs") pour promouvoir le Gospel et la Soul auprès des jeunes de Harlem. Tant par son histoire, ses acteurs que par la musique. C'est un peu le monde à l'envers, mais c'est l'honnêteté d'un passionné qui souhaite probablement que cette musique revienne à la communauté qui l'a enfantée. Et peut-être afin que ce formidable patrimoine reprenne vie dans un des célèbres quartiers où la Soul connut ses heures de gloire.
Gibson ES-225T |
Retour aux sources donc pour "My Way Home". Retour à l'authenticité, à la fraîcheur, à une musique absolument vivante, organique et boisée. Ça respire, c'est vivifiant et spontané. Trépidant parfois. Aux dires d'Eli, les compositions ont été faîtes naturellement, comme un besoin naturel, et non dans le but d'en faire un disque.
Il y aurait même une patine propre aux vieux 33 tours. Il y a du souffle et une certaine profondeur. Le disque aurait été enregistré en seulement quatre jours, chez lui, dans son appartement. C'est donc à des années lumières de la production synthétisée et stérilisée en studio, mixée et retravaillée pendant des semaines, parfois des mois. Une hérésie pour l'industrie du disque.
Sa voix sature parfois lorsqu'il hausse le ton ; à croire qu'il utilise un antique micro au seuil de tolérance limité, ou bien qu'il a effectué ses enregistrements bandes (l'un n'empêche pas l'autre). Cela peut heurter les oreilles de certains, cependant d'un autre côté, cela confère une dynamique live. Il retrouve les intonations de "Roll With You", avec plus de mordant encore, le rapprochant plus que jamais de Wilson Pickett et d'Otis Redding, avec une pointe de Mavis Staples. Avec évidemment moins de graves.... et d'intensité ?
Les cuivres au placard, c'est désormais nettement axé guitare. Certes, la section rythme, basse - batterie, est logiquement plus mise en avant (et ça swingue), cependant jamais auparavant sa guitare n'avait eu autant de place, d'importance (sinon sur son 1er essai, mais elle était encore boiteuse, branlante). Auparavant, elle avait tendance à se reposer sur les cuivres. Aujourd'hui, on redécouvre un guitariste habile, capable de donner du mouvement, une pulsation entraînante. Et cela sans aucun artifice ; ses six-cordes sont brutes, ne s'embarrassant d'effets complémentaires. De ce fait, on retrouve un peu la patte de Steve Cropper et de Clarence Carter, et un chouia de Fogerty (sans le tremolo). C'est sec, franc, imparable, et légèrement plus rugueux que chez ces derniers. Cela procure également quelques saveurs bluesy bienvenues. On se croirait parfois sur des vieux enregistrements du West-side de Chicago, bien que cela n'a rien à voir avec l'aspect Blues du 1er opus, "Sings... Walkin' and Talkin' ... and other Smash Hits !".
Seul concession, un orgue Farfisa qui colore l'ensemble de ses notes tremblantes et millésimées (apparemment, en concert, c'est un orgue Hammond, du genre XK-1, pourtant il ne sonne pas comme tel).
La réduction des effectifs a, paradoxalement, eu pour conséquence un recentrage sur l'essentiel, sur les fondamentaux même, procurant alors plus de force à la Soul du Paperboy.
Est-ce qu'Eli ne se contente que de se réapproprier un patrimoine ? Déjà faut-il avoir les capacités pour le faire sans risquer les railleries et les sarcasmes...
Son album est trop court ? 34 minutes seulement. Effectivement, mais mieux vaut ça que de rajouter un titre bâclé, ou des improvisations ridicules et prétentieuses, juste pour donner l'impression d'en avoir plus dans l'assiette. Et puis, il convient de préciser que mister Reed affectionne le format court des chansons, tournant généralement autour des 3mn. On ne s'égare à aucun moment.
Le son manquerait'il d'un peu plus de définition ? Oui, c'est possible, mais alors c'est que l'on a jamais écouté ceux de Wilson Pickett, d'Otis Redding et consorts. Ou que l'on les a honnis...
Bref, c'est d'la balle. Son meilleur opus. 😃
- Hold Out - 2:30
- Your Sins Will Find You Out - 3:31
- Cut Ya Down - 2:30
- Movin' - 4:07
- Tomorrow's Not Promised - 2:34
- My Way Home - 3:58
- Eyes on You - 3:29
- The Strangest Thing - 2:56
- I'd Rather Be Alone - 2:40
- A Few More Days - 3:14
- What Have We Done - 2:46
On croirait écouter un disque Atlantic ou Stax de l'année 1965.
RépondreSupprimer4e paragraphe: James Carr, non?
- Oui : c'est tout à fait ça. Dans l'mille.
Supprimer- Oui : c'est encore ça. Merci (j'corrige illico)