vendredi 30 décembre 2016

CHARLES AZNAVOUR Palais des Sports - 21/12/2016 - par Luc B. comme Bohème.


Allez savoir pourquoi, y’a deux chanteurs que j’ai toujours rêvés de voir sur scène, Yves Montand et Charles Aznavour. Pour Montand, c’est raté. Pour Aznavour, c’est fait !

Charles Aznavour, 92 ans aux prunes, fait donc son retour sur une scène parisienne, le Palais de Sports. La scène est baignée de lumières bleue, à 20h40 les musiciens s’installent. Un batteur, un percussionniste (au kit impressionnant, y’a même des timbales), bassiste, guitariste, pianiste. Un second clavier/accordéon, et un troisième clavier (on y reviendra…). Et deux choristes.

Charles Aznavour entre sur scène, la démarche mal assurée, mais déterminé, prend le micro, fait signe à l’orchestre, et lance « Les émigrants ». Il salue ensuite le public, dit quelques mots, comme il le fera entre chaque chanson. Il nous dit : « sur scène, c’est comme chez moi, faut que je parle… ». Donc il cause, sur son sujet de prédilection : lui-même ! Avec l’âge, et on ne lui en tiendra pas rigueur, Aznavour se fait parfois donneur de leçons, et règle quelques comptes. 

Comme rappeler qu’à ses débuts on ne donnait pas cher de lui, à cause de sa voix. Et de conclure à propos de ses détracteurs : « m’en fout maintenant, ils sont tous morts, et moi je suis encore là ! ». Ou redire que « non, je n'ai jamais dit que je faisais mes adieux, mais que j'arrêtais les tournées, nuance ». Ah ces journalistes qui n'entendent bien que ce qu'ils veulent...

Il nous avoue aimer chanter dans diverses langues, arménien bien sûr, russe, et avec « T’espero » (un truc des Gypsy King) il chante en espagnol. Il y aura plus tard « Devi sapere » en italien, et « She » (1974) en anglais. Avec un tel accent, pas sûr que ce soit une bonne idée… Il envoie un classique « Paris au mois d’août » (1966) puis lance une intro qu’il stoppe : « Non, pas celle-là, j’ai pas envie de la chanter ce soir ! Donnez-moi un accord de fa majeur… ». Et ce sera « Plus bleu que tes yeux », écrite pour Edith Piaf en 1951. 

On a un peu peur au début, Aznavour s’appuie à l’accoudoir de son fauteuil, s’y assoie parfois, mais davantage pour se rassurer, car plus le concert passe, et plus il semble en forme, marche, danse. Par contre, on craint pour le son. Il apostrophe la régie : « Je ne m’entends pas, et quand je ne m’entends pas, j’ai l’impression que le public non plus ». Et c’est vrai que la voix est noyée sous l’orchestration. Il ne me semble pas que la batterie soit sonorisée (juste un micro au-dessus ? car le son vient bien de la scène et non des enceintes), mais le batteur pourtant cerné par des cloisons de plexiglas, envoie le bois. Le guitariste ? On le voit, mais on ne l’entend pas. Le piano c’est mieux, mais pas assez, pas toujours. Parce qu’il y a ces deux claviers, orgue, mais surtout synthé. Les orchestrations studios d’Aznavour étaient riches, violons, cuivres, qu’en reste-il sur scène ? Des trompettes synthétiques, des violons sans nuance, à mon avis, des couches superflues. Piano / accordéon seuls auraient très bien pu faire l’affaire, comme avec « Avec un brin de nostalgie ».

Aznavour balance un scud à Polnareff, lorsqu’il annonce avoir un début de grippe, mais sans pour autant annuler le concert au prétexte que les assurances paieront. Il envoie « Mourir d’aimer », (1971, qui devait être dans le film éponyme d'André Cayatte) avec ce conseil aux jeunes auteurs : « Vous avez un dictionnaire de rimes ? Eh bien jetez-le, et prenez un dictionnaire des synonymes, ça vous évitera d’utiliser les trois mêmes mots pour s’exprimer »  Il nous explique chanter avec un prompteur, parce que sa mémoire n’est plus très bonne. « Une pratique répandue dans le métier, mais moi, je le dis...».      

Katia Aznavour
« Sa jeunesse » d’abord chantée a capela, puis reprise avec le pianiste, rappelle parfois le « Ne me quittes pas » de Brel. A capela car Aznavour nous dit : « Vous êtes venus entendre des textes, la musique est secondaire, jazz, classique, bossa, peu importe ». Une connerie, Monsieur Charles, si je peux me permettre. On vient entendre des chansons, pas de la poésie. Il y aura aussi « Mon ami, mon Judas », excellente, et « Désormais ». Celle-là, je l’adore, en studio il y avait une orchestration du tonnerre, dont les couches de synthés peinent à reproduire la grâce. Le percussionniste se déchaine. Autre moment un peu gênant musicalement, « Ave Maria », gros succès à l’applaudimètre, mais tellement ampoulé. Je lui préfère « La Mama », qu’il n’a pas chanté. Comme il ne fera pas « Je m’voyais déjà », ou «Tu te laisses aller », mais des classiques, il en pleuvra à la fin. 
Car vont suivre « Mes emmerdes », excellente, aux cuivres synthétiques, « Hier encore j’avais 20 ans », et « Les plaisirs démodés » (1972). A l’origine, c’est deux chansons en une, la première partie tonitruante, quasi rock psychédélique Dans le bruit familier de la boîte à  la mode / aux lueurs psychédéliques, au curieux décorum… ») suivi de la partie calme Dansons, joue contre joue… Il ne fera que cette partie de la chanson, chantant en valsant, les mains sur ses épaules mimant une partenaire imaginaire.

Autre tube, « Comme ils disent » (1972) j’habite seul avec maman, dans un très vieil appartement, rue Sarasate après laquelle il part vers les coulisses, titubant, chancelant. Je me dis : oh merde, le vieux va nous claquer dans les mains, sur scène ! Et puis non, c’était un jeu, un personnage, car il repart au centre, enchainant les petits pas rapides de danse. Chanson magnifique.

Puis la plus belle, pour moi en tous cas, qui me ferait presque chialer, et oui, « La Bohème », (1965, paroles de Jacques Plante) la chanson que j’attendais, et ben il nous l'a foirée le vieux ! Dans la salle, un mouvement de foule. Comme dans un concert de rock, v’là t’y pas tout le monde qui se rue vers la scène, téléphone en main, comme si Elvis lui-même ressuscitait ! Au moment du plus beau passage : Souvent il m'arrivait / Devant mon chevalet / De passer des nuits blanches /Retouchant le dessin / De la ligne d'un sein / Du galbe d'une hanche… Et bien (malgré le prompteur) il oublie le « retouchant le dessin ». Donc ça décale tout, d’autant qu’il accélère le tempo, se retrouve en avance sur les musiciens, qui rattrapent le coup, mais bon… Ce sont les joies du direct, comme dirait Drucker ! Au tout cas, la salle est conquise, on sent Aznavour presque ému (alors qu’on le dit souvent blasé).

Il finit avec « Emmenez-moi », autre tour de force, le texte est long, le tempo des couplets hyper rapide, Aznavour a toujours chanté rapidement, travaillant sur les césures (comme Sinatra), mais là, ça tient de la gymnastique ! La chanson se termine sur une valse, le public debout, en liesse, lance des bouquets de fleurs, qu’Aznavour prend et emmène en coulisse, il revient saluer plusieurs fois.

Donc, c’est fait, j’ai vu Aznavour ! Et j’suis bien content ! C’est tout de même impressionnant, parce que le bonhomme connait évidement son métier, depuis le temps, il est rôdé à la scène, le répertoire est de première classe, chansons nouvelles, moins connues ou classiques, tout y passe (27 au total pour 1h55 de concert), c’est rythmé, l’homme cabotine un peu (un peu ?), mais  sait communiquer, charmer. On regrettera, et lui aussi je pense, une acoustique pas parfaite, loin de là, sans doute des problèmes de retour de scène. Je reste persuadé qu’une orchestration minimale siérait davantage, moins de musiciens, mais qu’on les entende, quitte à récrire des arrangements, plutôt que de les reproduire avec des claviers sans saveur.

Dans « Je m’voyais déjà » (1961), il chantait : « mes traits ont vieilli bien sûr sous le maquillage, mais la voix est là, le geste est précis, et j'ai du ressort, mon cœur s'est aigri en prenant de l'âge, mais j'y crois encore »... C'est pas faux.

Pas de vidéo de ce concert, mais deux extraits de la même année, même configuration. "La Bohème" et "Emmenez-moi". 






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7 commentaires:

  1. J'ai bien aimé ton compte-rendu, l'analyse de ce concert qui retranscrit bien la prestance certes quelquefois un peu pathétique d'une véritable légende encore vivante

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  2. N'ayons pas peur des mots: Un Immense parolier !

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  3. veinard, une belle soirée on dirait; Montand moi aussi j'aurai aimé le voir, mes parents l'ont vu, ils le connaissaient même un peu à ses débuts, ils m'en parlaient souvent, j'aurai aussi aimé voir Brel et Reggiani, Jim Morrison, Janis Joplin et les Allman Brotehrs avec Duane Allman ! A quand la machine à remonter le temps?
    non Guy justement je ne pense pas qu'il soit pathétique le Charles (par exemple Johnny Winter l'était sur la fin), qu'en penses tu Luc, toi qui l'a vu?

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    1. Pathétique ? Oh non ! Il tient la scène, y prend beaucoup de plaisir (ça se voit) il cabotine un peu, certes, on sent le mec qui ne sait faire que ça, et le fait jusqu'au moment où il n'en sera plus capable. Et pour l'instant, il en est encore capable. Ca ne fait pas récital de maison de retraite...

      Je vois le parallèle avec Johnny Winter ou autres.... qui font presque pitié. Là, je vous assure, ce n'est pas le cas. Ca reste un très beau moment de chansons, même si on sent le tour de chant rôdé, quand on le voit pour la première fois, ça le fait !!!

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  4. J'aime énormément votre article qui nous fait vivre ce concert avec une grande sensibilité. Un beau texte que Monsieur Aznavour apprécierait, je pense.
    Quant à la machine à remonter le temps... je suis partante... oh Brel, oui Brel !!!
    Meilleurs à vous et encore merci.

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    1. Meilleurs voeux...je n'ai pas de prompteur !!!

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    2. Merci beaucoup Anne (Onyme), de votre visite, et je vous retourne les voeux de l'équipe.
      Le dernier Olympia de Brel (en 66 ?) ça devait être quelque chose ! Dans un autre genre, celui que je regrette vraiment de n'avoir jamais vu, c'est Raymond Devos.

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