samedi 12 novembre 2016

Gabriel FAURÉ – Quatuor pour piano n°1 – Trio WANDERER & A. TAMESTIT – par Claude TOON



- Ô ça fait un moment que vous n'avez pas parlé de Gabriel Fauré M'sieur Claude ! Il a peu composé paraît-il…
- En tant qu'organiste et directeur du Conservatoire de Paris, il manquait de temps. Mais pour la musique de chambre, à défaut de la quantité, on a toujours la qualité !
- Vous aviez déjà parlé des deux quintettes. Ici un quatuor non pas à cordes mais avec un piano, c'est bizarre…
- Oui et non Sonia, Brahms en a écrit trois et Beethoven quatre dans ses jeunes années. Mais en tant que pianiste, Fauré aimait construire ses œuvres autour du piano. Il composera un quatuor classique à la fin de sa vie…
- À propos de Brahms, le Trio Wanderer a déjà été invité dans le blog pour un trio du compositeur allemand. Bel enregistrement ici aussi ?
- Oui et bienvenu, dans le sens où ces œuvres, les quatuors et quintettes de Fauré, ne bénéficient pas à mon avis d'une discographie pléthorique de haut niveau.

Comme le souligne Sonia, Gabriel Fauré est déjà présent dans ces pages web. Pour le célébrissime Requiem (Clic), et pour les deux quintettes avec piano, des œuvres ambitieuses de la maturité. (Clic) Sa biographie est bien détaillée dans ces chroniques. On représente souvent Fauré comme le robuste vieillard aux bacchantes conquérantes et à la crinière de vieux lion parvenu au faîte de la gloire au début du XXème siècle. Il est vrai qui si l'un des plus importants compositeurs français a vécu jusqu'à l'âge canonique de 84 ans, il a bien entendu été jeune et même séduisant à voir cette photo. Ce quatuor date des années des liaisons aventureuses que Flaubert appelait "l'éducation sentimentale". Si l'écrivain dépeint une descente aux enfers d'apprentis parvenus, Fauré est lui, un homme sensible, un amateur de femmes. Ce n'est pas parce qu'il jouait de l'orgue à la Madeleine que… Oui Luc, Je m'égare.
Au début des années 1870, le jeune musicien fait une cour assidue à Marianne Viardot (fille de la cantatrice et pianiste Pauline Viardot) et obtient enfin mi 1877 qu'ils se fiancent. La demoiselle le largue au bout de quelques mois. C'est donc avant une période un chouia dépressive (pas tant que ça) que Fauré va rédiger la composition de ce quatuor opus 15 qui n'a rien de morose. L'art d'exorciser le "spleen" par le travail…
- M'sieur Claude, ce n'est plus le Deblocnot, c'est France Dimanche !!!!!
- Ahhh… Les peines de cœur inspirent les meilleurs œuvres, ma petite Sonia…
Pour revenir à l'aspect purement musical de l'histoire de ce quatuor, il faut nous replonger en l'année 1876 et faire un saut à Sainte-Adresse, ville balnéaire normande située près du Havre et fréquentée assidument par les peintres et les artistes de l'époque impressionniste. Fauré réside alors chez M. et Mme Camille Clerc (un ingénieur et son épouse agissant en mécènes). La partition est bien avancée en novembre pour envisager l'édition et la création en 1877 à Paris. Les déboires sentimentaux vont retarder de deux ans le travail, et c'est l'hyperactive Mme Clerc qui le persuadera de l'achever en 1879.
La création aura lieu en 1880 avec le compositeur au piano. Fauré, insatisfait du final après cette première, le retouchera en 1883. Entre temps, pour changer d'air et chasser sa morosité, Fauré a fait le pèlerinage à Weimar, a découvert et a aimé les opéras de Wagner, mais ne sera jamais influencé par l'art de ce dernier, contrairement à César Franck et à ses disciples…
L'ouvrage est dédié au violoniste et pédagogue belge Hubert Léonard (1819-1890). Une dédicace pour remercier ce musicien peu connu de l'aide qu'il avait apportée à Fauré lors de l'écriture de la première sonate pour violon opus 13 écrite en 1875.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Trio Wanderer
Pour tout savoir sur l'un des Trios les plus brillants de l'Hexagone, je vous renvoie à l'article consacré à l'interprétation par le trio Wanderer du premier trio de Brahms extrait d'une intégrale. (Clic) À noter que le double album comportait également une interprétation du quatuor avec piano Opus 25 de ce même Brahms. L'altiste Christophe Gaugué avait participé à cet enregistrement.
Ici, place à Antoine Tamestit, altiste et chef d'orchestre. Né en 1979, Antoine Tamestit a suivi une formation haut de gamme à Paris puis auprès de grands solistes internationaux dont Tabea Zimmermann, soliste d'un enregistrement de Harold en Italie de Berlioz plébiscité dans ce blog (Colin Davis à la baguette - Clic). Depuis le début de sa carrière, l'artiste cumule les récompenses dont : Révélation soliste instrumental de l'année aux Victoires de la musique classique 2007. Et puisque l'on parle de la symphonie avec alto soliste de Berlioz, je signale que Antoine Tamestit a signé ses propres gravures, l'une accompagné par Marc Minkowski rencontré il y a peu de temps dans la 4ème symphonie de Schubert, l'autre par Valery Gergiev avec le symphonique de Londres.
Antoine Tamestit joue sur un alto moderne du début du XXème siècle du luthier Étienne Vatelot et également sur un "top" : le premier alto créé par Stradivarius surnommé "Le Mahler" (je ne sais pas pourquoi…)
De Schubert à Ligeti, la discographie de Antoine Tamestit est importante pour un soliste de sa génération.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Antoine Tamestit
1 - Allegro molto moderato : Le mouvement initial se lance avec vivacité sur un thème scandé à contretemps par le piano (un accord complexe de croches noté f sur chaque second demi temps). Des accords plaqués et vigoureux sur le clavier qui démentent l'opinion de Mme Clerc qui voyait en Fauré un jeune créateur un tantinet flegmatique. Les cordes s'opposent vigoureusement au piano mais de manière très legato. Nous écoutons ainsi moins un groupe de quatre instruments faisant jeu égal qu'un petit concerto pour piano et cordes. Le thème est repris immédiatement avec un piano assagi et plus mélodique. Cette introduction se termine sur un long arpège descendant au piano. Par la suite, on remarquera immédiatement la fantaisie dans la réexposition des motifs de base, un principe alchimique typique de Fauré et donnant l'impression que les thèmes principaux s'insinuent en se métamorphosant sans cesse sur toute la durée d'un mouvement. La forme sonate est encore présente, mais le rejet de pratiquement toute reprise da capo (sauf pour introduire la conclusion) étire le temps musical et enchante le discours d'une poésie où se diluent gaité et élégie. Et si Fauré fuyait l'académisme ? Pour moi, cela ne fait aucun doute.
Écouter Fauré exige de se laisser entraîner dans une promenade où chaque son s'apparenterait à une touche de couleur sur un tableau impressionniste. Notre mémoire reste fortement sollicitée pour embrasser l'émotion globale d'une mélodie étonnamment mouvante, de la même manière que contempler un Monet ou un Sisley exige du recul pour discerner espace et lumière, et non un nuage de points incohérent. Et c'est en cela que Fauré appartient déjà à l'époque moderne et aux expériences d'un Debussy.
Aidés par une prise de son aérée, notamment un piano présent et équilibré, les artistes du Trio Wanderer (Vincent Coq au piano) et Antoine Tamestit illuminent avec une intensité juvénile cette farandole de mesures qui ne reflète à mon sens aucune réflexion métaphysique. Non ! Juste l'expression jubilatoire d'un bonheur simple.

Monet : plage de Sainte-Adresse (1867)
XXXXX
2 - Scherzo : Allegro vivo : [9:30] Le scherzo, l'incontournable petit (ou grand) intermède hérité du menuet mozartien, revêt en général un caractère dansant et guilleret. Là, Fauré l'a voulu carrément poilant ! Le piano cavale en tête sur un fond de pizzicati avant que les cordes énoncent un bref et galant thème qui va connaître des variations humoristiques. Est-ce là une illustration du bon vivre des artistes adeptes des plages normandes en cette fin du XIXème siècle, de cette vie insouciante mais créative qui inspirera un certain Proust ? [12:05] Le compositeur semble terminer sa page brutalement sur un point d'orgue. Erreur, il poursuit par un trio ironique "clopin-clopant" en si bémol majeur. Une procession drolatique et rythmée dans laquelle le piano égrène ses croches, avec une facétie volubile, soutenu par des sonorités mystérieuses des cordes. On pense à une sérénade ou encore à l'une des pièces aux titres cocasses pour clavecin d'un Rameau. L'une des pages les plus immédiatement séduisantes de Fauré. Les instrumentistes vivent ces quelques minutes de fantaisie avec intensité. Ils demeurent étrangers à toute couleur diaphane dans leur jeu, voire à l'esprit de salon, deux traits interprétatifs erronés trop souvent attribués à la musique du robuste ariégeois qu'était Fauré. Pour conclure par une drôle de métaphore sur ce scherzo : j'y vois un film des frères lumières tourné quelques années plus tard sur la plage de Sainte-Adresse et projeté en 24 images/secondes

3 - Adagio : [14:55] Curieusement, après cette amusante pantomime, les premières mesures de l'adagio sonnent d'une manière quasi mystique. Apparait d'entrée au piano solo un groupe d'accords recueillis dans la tonalité nocturne de ut mineur. Un thème sur quatre mesures qui se répète de p à mf et va être rejoint, vague après vague, par un motif au violoncelle, motif repris en superposition par l'alto puis enfin le violon pour compléter la réunion des quatre instruments. De la gravité, mais pas de tristesse, une méditation au couchant ou lors d'un jour brumeux ? [17:00] Le violon expose une seconde idée plus allante et teintée d'une lumière mordorée. Le soleil perce facilement les ombres de l'introduction de l'adagio.
Monet : Terrasse à Sainte-Adresse
Fauré développe dans une grande pureté la ligne mélodique à partir de ces deux thèmes d'esprit opposé, jouant sur les tonalités majeure-mineure pour faire chanter les clairs obscures dont il raffole. Les quatre interprètes offrent un ton de rêverie à cette page qui marque une évolution sans retour dans l'art de Fauré, celle du génie. Fauré reviendra dix ans plus tard, en 1886, à cette formation pour le quatuor n° 2 Opus 45. Une œuvre curieusement légèrement moins connue qui montre bien qu'en ces années 1870, le compositeur a atteint la maîtrise de l'esthétique et de la concision dans ses compositions.

4 - Finale : Allegro molto : [22:08] Retour à la fantaisie et à la joie de vivre dans le final très animé. Les cordes et le piano s'entrecroisent dans une danse un peu folle mais sans excès (molto). On peut prendre en défaut la structure du final de facture plus répétitive que les mouvements précédents. Ce serait faire la fine bouche. Fauré insère ici et là quelques motifs plus intimistes. La rythmique ardente et l'énergie peuvent faire penser aux trios de jeunesse de Brahms. Un rapprochement qui pourra surprendre si l'on ne considère pas que dans les deux cas, les compositeurs recherchaient à distiller des émotions sans support romantique au sens programmatique du terme. Pour reprendre une interjection à la mode : "que du bonheur".
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Le nombre d'enregistrements n'est pas pléthorique mais cette œuvre est bien servie au disque notamment par les musiciens français. Les artistes entourant Jean Hubeau dans le coffret chroniqué à propos des quintettes sont restés assez longtemps la référence dans le répertoire. Les enregistrements plus récents ont apporté le même souci de clarté et d'équilibre, mais avec plus de peps. Un double album incontournable (Erato/Apex – 5/6 – le coffret avec le quatuor à cordes et le trio n'est plus édité). Dans un coffret réunissant de grands pages de la musique de chambre avec piano de Fauré, l'interprétation de Éric Le Sage, Daishin Kashimoto, Lise Berthaud et François Salque concurrence la gravure de ce jour par sa vitalité (Alpha – 5/6). Les deux quatuors sont disponibles en album isolé.
Dernière anecdote piquante : Fauré rencontrera les pires difficultés pour faire éditer ce quatuor, l'une de ses œuvres les plus jouées de nos jours. Le célèbre éditeur Durand le dédaigna et son concurrent Choudens y alla de ses sarcasmes. En définitive la maison d'édition Hamelle accepta si Fauré renonçait à ses droits d'auteurs ! Les héritiers ont du faire la g**e !! Sur le site actuel des éditions Leduc (ex Hamelle), on s'enorgueillit que Julien Hamelle ait édité les ouvrages de Fauré, Saint-Saëns, Franck, et tant d'autres… Au XIXème siècle, l'éditeur a quand même eu du nez et Fauré lui restera fidèle, c'est bien, mais cette fois-là, il avait aussi des oursins dans les poches. Je crois que peu de choses ont changé hélas !

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire