- Ô ça fait un moment que vous n'avez pas parlé de Gabriel Fauré M'sieur
Claude ! Il a peu composé paraît-il…
- En tant qu'organiste et directeur du Conservatoire de Paris, il
manquait de temps. Mais pour la musique de chambre, à défaut de la
quantité, on a toujours la qualité !
- Vous aviez déjà parlé des deux quintettes. Ici un quatuor non pas à
cordes mais avec un piano, c'est bizarre…
- Oui et non Sonia, Brahms en a écrit trois et Beethoven quatre dans ses
jeunes années. Mais en tant que pianiste, Fauré aimait construire ses
œuvres autour du piano. Il composera un quatuor classique à la fin de sa
vie…
- À propos de Brahms, le Trio Wanderer a déjà été invité dans le blog
pour un trio du compositeur allemand. Bel enregistrement ici aussi ?
- Oui et bienvenu, dans le sens où ces œuvres, les quatuors et quintettes
de Fauré, ne bénéficient pas à mon
avis d'une discographie
pléthorique de haut
niveau.
Comme le souligne Sonia,
Gabriel Fauré
est déjà présent dans ces pages web. Pour le célébrissime
Requiem
(Clic), et pour les deux
quintettes
avec piano, des œuvres ambitieuses de la maturité.
(Clic)
Sa biographie est bien détaillée dans ces chroniques. On représente souvent
Fauré
comme le robuste vieillard aux bacchantes conquérantes et à la crinière de
vieux lion parvenu au faîte de la gloire au début du XXème
siècle. Il est vrai qui si l'un des plus importants compositeurs français a
vécu jusqu'à l'âge canonique de 84 ans, il a bien entendu été jeune et même
séduisant à voir cette photo. Ce quatuor date des années
des liaisons aventureuses
que Flaubert appelait "l'éducation sentimentale". Si l'écrivain dépeint une descente aux enfers d'apprentis parvenus,
Fauré
est lui, un homme sensible, un amateur de femmes. Ce n'est pas parce qu'il
jouait de l'orgue à la Madeleine que… Oui Luc, Je m'égare.
Au début des années 1870, le
jeune musicien fait une cour assidue à
Marianne Viardot (fille de la
cantatrice et pianiste
Pauline Viardot) et obtient enfin mi 1877 qu'ils se fiancent. La demoiselle le
largue au bout de quelques mois.
C'est
donc avant
une période un chouia dépressive
(pas tant que ça) que
Fauré
va rédiger la composition de
ce
quatuor opus 15
qui n'a rien de morose. L'art d'exorciser le "spleen" par le travail…
- M'sieur Claude, ce n'est plus le Deblocnot, c'est France Dimanche
!!!!!
- Ahhh… Les peines de cœur inspirent les meilleurs œuvres, ma petite
Sonia…
Pour revenir à l'aspect purement musical de l'histoire de ce quatuor, il
faut nous replonger en
l'année 1876 et faire un saut à
Sainte-Adresse, ville balnéaire
normande située près du Havre et fréquentée assidument par les peintres et
les artistes de l'époque impressionniste.
Fauré
réside alors chez M. et
Mme Camille
Clerc (un ingénieur et son
épouse agissant en mécènes). La partition est bien avancée en novembre pour
envisager l'édition et la création en
1877 à Paris. Les déboires
sentimentaux vont retarder de deux ans le travail, et c'est l'hyperactive
Mme Clerc qui le persuadera de
l'achever en 1879.
La création aura lieu en
1880 avec le compositeur au
piano.
Fauré, insatisfait du final après cette première, le retouchera en
1883. Entre temps, pour changer
d'air et chasser sa morosité,
Fauré
a fait le pèlerinage à Weimar,
a découvert et a aimé les opéras de
Wagner, mais ne sera jamais influencé par l'art de ce dernier, contrairement à
César Franck
et à ses disciples…
L'ouvrage est dédié au violoniste et pédagogue belge
Hubert Léonard
(1819-1890). Une dédicace pour remercier ce musicien peu connu de l'aide
qu'il avait apportée à
Fauré
lors de l'écriture de la
première sonate pour violon
opus 13 écrite en 1875.
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Trio Wanderer |
Pour tout savoir sur l'un des Trios les plus brillants de l'Hexagone, je
vous renvoie à l'article consacré à l'interprétation par le
trio Wanderer
du premier trio de
Brahms
extrait d'une intégrale.
(Clic)
À noter que le double album comportait également une interprétation du
quatuor avec piano Opus 25 de ce même Brahms. L'altiste
Christophe
Gaugué
avait participé à cet enregistrement.
Ici, place à
Antoine Tamestit, altiste et chef d'orchestre. Né en 1979,
Antoine Tamestit
a suivi une formation haut de gamme à Paris puis auprès de grands solistes
internationaux dont
Tabea Zimmermann, soliste d'un enregistrement de
Harold en Italie
de
Berlioz
plébiscité dans ce blog (Colin Davis
à la baguette -
Clic). Depuis le début de sa carrière, l'artiste cumule les récompenses dont :
Révélation soliste instrumental
de l'année aux Victoires de la musique classique 2007. Et
puisque l'on parle de la symphonie avec alto soliste de
Berlioz, je signale que
Antoine Tamestit
a signé ses propres gravures, l'une accompagné par
Marc
Minkowski
rencontré il y a peu de temps dans la
4ème symphonie
de
Schubert, l'autre par
Valery Gergiev
avec le
symphonique de Londres.
Antoine Tamestit
joue sur un alto moderne du début du XXème siècle du luthier
Étienne
Vatelot et également
sur un "top" : le premier
alto créé par Stradivarius surnommé "Le Mahler" (je ne sais pas pourquoi…)
De
Schubert
à
Ligeti, la discographie de
Antoine Tamestit
est importante pour un soliste de sa génération.
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Antoine Tamestit |
1 - Allegro molto moderato
: Le mouvement initial se lance avec vivacité sur un thème scandé à
contretemps par le piano (un accord complexe de croches noté
f sur chaque second demi temps).
Des accords plaqués et vigoureux sur le clavier qui démentent l'opinion de
Mme Clerc qui voyait en
Fauré
un jeune créateur un tantinet flegmatique. Les cordes s'opposent
vigoureusement au piano mais de manière très legato. Nous écoutons ainsi
moins un groupe de quatre instruments faisant jeu égal qu'un petit concerto
pour piano et cordes. Le thème est repris immédiatement avec un piano assagi
et plus mélodique. Cette introduction se termine sur un long arpège
descendant au piano. Par la suite, on remarquera immédiatement la fantaisie
dans la réexposition des motifs de base, un principe alchimique typique de
Fauré
et donnant l'impression que les thèmes principaux s'insinuent en se
métamorphosant sans cesse sur toute la durée d'un mouvement. La forme sonate
est encore présente, mais le rejet de pratiquement toute reprise da capo
(sauf pour introduire la conclusion) étire le temps musical et enchante le
discours d'une poésie où se
diluent gaité et élégie. Et si
Fauré
fuyait l'académisme ? Pour moi, cela ne fait aucun doute.
Écouter
Fauré
exige de se laisser entraîner dans une promenade où
chaque son s'apparenterait à une touche de couleur sur un tableau
impressionniste. Notre mémoire reste fortement sollicitée pour embrasser
l'émotion globale
d'une mélodie
étonnamment mouvante, de la même manière que contempler un
Monet ou un
Sisley exige du recul pour
discerner espace et lumière, et non un nuage de points incohérent. Et c'est
en cela que
Fauré
appartient déjà à l'époque moderne et aux expériences d'un
Debussy.
Aidés par une prise de son aérée, notamment un piano présent et équilibré,
les artistes du
Trio
Wanderer
(Vincent Coq
au piano) et
Antoine Tamestit
illuminent avec une intensité juvénile cette farandole de mesures qui ne
reflète à mon sens aucune réflexion métaphysique. Non ! Juste l'expression
jubilatoire d'un bonheur simple.
Monet : plage de Sainte-Adresse (1867) XXXXX |
2 - Scherzo : Allegro vivo
: [9:30] Le scherzo, l'incontournable petit (ou grand) intermède hérité du
menuet mozartien, revêt en général un caractère dansant et guilleret. Là,
Fauré
l'a voulu carrément poilant ! Le piano cavale en tête sur un fond de
pizzicati avant que les cordes énoncent un bref et galant thème qui va
connaître des variations humoristiques. Est-ce là une illustration du bon
vivre des artistes adeptes des plages normandes en cette fin du XIXème
siècle, de cette vie insouciante mais créative qui inspirera un certain
Proust ? [12:05] Le compositeur
semble terminer sa page brutalement sur un point d'orgue. Erreur, il poursuit par un trio ironique "clopin-clopant" en si bémol majeur. Une procession drolatique et rythmée dans laquelle le piano égrène ses croches, avec une facétie volubile,
soutenu par des sonorités
mystérieuses des cordes. On
pense à une sérénade ou encore à l'une des pièces aux titres cocasses pour
clavecin d'un
Rameau. L'une des pages les plus immédiatement séduisantes de
Fauré. Les instrumentistes vivent ces quelques minutes de fantaisie avec
intensité. Ils demeurent étrangers à toute couleur
diaphane dans leur jeu, voire à l'esprit de salon, deux
traits interprétatifs
erronés trop souvent attribués à la musique
du robuste ariégeois
qu'était
Fauré. Pour conclure par une drôle de métaphore sur ce scherzo
: j'y vois un film des frères lumières tourné quelques années plus tard
sur la plage de Sainte-Adresse et projeté en 24 images/secondes…
3 - Adagio
: [14:55] Curieusement, après cette amusante pantomime, les premières
mesures de l'adagio sonnent d'une manière quasi mystique. Apparait d'entrée
au piano solo un groupe d'accords recueillis dans la tonalité nocturne de ut
mineur. Un thème sur quatre mesures qui se répète de
p à
mf et va être rejoint, vague
après vague, par un motif au violoncelle, motif repris en superposition par
l'alto puis enfin le violon pour compléter la réunion des quatre
instruments. De la gravité, mais pas de tristesse, une méditation au
couchant ou lors d'un jour brumeux ? [17:00] Le violon expose une seconde
idée plus allante et teintée d'une lumière mordorée. Le soleil perce
facilement les ombres de l'introduction de l'adagio.
Monet : Terrasse à Sainte-Adresse |
4 - Finale : Allegro molto
: [22:08] Retour à la fantaisie et à la joie de vivre dans le final très
animé. Les cordes et le piano s'entrecroisent dans une danse un peu folle
mais sans excès (molto). On peut prendre en défaut la structure du final de
facture plus répétitive que les mouvements précédents. Ce serait faire la
fine bouche.
Fauré
insère ici et là quelques motifs plus intimistes. La rythmique ardente et l'énergie peuvent faire penser aux
trios de jeunesse de
Brahms. Un rapprochement qui pourra surprendre si l'on ne considère pas que dans
les deux cas, les compositeurs recherchaient à distiller des émotions sans
support romantique au sens programmatique du terme. Pour reprendre une
interjection à la mode : "que du bonheur".
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Le nombre d'enregistrements n'est pas pléthorique mais cette œuvre est bien
servie au disque notamment par les
musiciens français. Les
artistes entourant
Jean Hubeau
dans le coffret chroniqué à propos des quintettes sont restés assez
longtemps la référence dans le répertoire. Les enregistrements plus récents
ont apporté le même souci de clarté et d'équilibre, mais avec plus de peps.
Un double album incontournable (Erato/Apex – 5/6 – le coffret avec le
quatuor à cordes et le trio n'est plus édité). Dans un coffret réunissant de
grands pages de la musique de chambre avec piano de
Fauré, l'interprétation de
Éric Le Sage,
Daishin Kashimoto,
Lise Berthaud
et
François Salque
concurrence la gravure de ce jour par sa vitalité (Alpha – 5/6). Les
deux quatuors sont disponibles en album isolé.
Dernière anecdote piquante :
Fauré
rencontrera les pires difficultés pour faire éditer ce quatuor, l'une de
ses œuvres les plus jouées
de nos jours. Le célèbre éditeur
Durand
le dédaigna et son
concurrent Choudens y alla de
ses sarcasmes. En définitive la maison d'édition
Hamelle accepta si
Fauré
renonçait à ses droits d'auteurs ! Les héritiers ont du faire la
g**e !! Sur le site actuel des éditions
Leduc (ex Hamelle), on
s'enorgueillit que
Julien Hamelle ait édité les
ouvrages de
Fauré,
Saint-Saëns,
Franck, et tant d'autres… Au XIXème siècle, l'éditeur a quand même eu
du nez et
Fauré
lui restera fidèle, c'est bien, mais cette fois-là, il avait aussi des
oursins dans les poches. Je crois que peu de choses ont changé hélas !
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