samedi 5 novembre 2016

Albéric MAGNARD – Symphonie N°4 – Michel PLASSON (1983) – par Claude TOON



- Pas super connu Albéric Magnard M'sieur Claude ! Mais je crois que ce n'est pas pourtant un nouveau venu dans le blog…
- Oui Sonia, une chronique a déjà été écrite il y a quelques années à propos de sa 3ème symphonie dirigée par le grand Ernest Ansermet, en juillet 2014 pour être précis…
- Par contre, pour Michel Plasson et son orchestre de Toulouse qu'il a dirigé plusieurs décennies, c'est une première…
- Je n'avais pas encore eu l'occasion de parler de cette excellente phalange française et, comme vous le dites, de son chef permanent pendant 34 ans… Il y aura une autre chronique d'ailleurs consacrée à cet artiste…
- Ah et vous pouvez me confier un secret sur ce projet ?
- Ô oui, ce sera pour parler du Requiem de Maurice Duruflé, un ouvrage proche par certains aspects du Requiem de Fauré… Ils sont souvent gravés ensemble.
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- M'sieur Pat, je peux vous confier un secret, mais vous ne le répétez à personne…

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Dans les années 70, les symphonies de Magnard apparaissaient aux programmes de Radio France. Depuis… silence radio, rien à Pleyel ou à la Philharmonie de Paris. Si encore ces ouvrages étaient ardus à écouter, je ne dis pas… Bizarre car la facture mi classique mi romantique, d'un modernisme moins radical que le style Debussy, n'explique vraiment pas l'absence des programmes de concert de ces magnifiques symphonies qui dominent nettement le genre à la française au tournant du XIXème et du XXème siècles. Pardon ? Qui a dit "c'est pas difficile" ?
En premier lieu, la biographie détaillée de Magnard est à lire dans l'article mentionné par Sonia à propos de sa 3ème symphonie sous la baguette avisée de Ernest Ansermet, une gravure culte. (Clic)
Il est vrai que s'imposer comme maître à part entière de la musique française avec un catalogue de seulement 21 opus est difficile. Tempérament exigeant, soucieux de perfection, manquant de confiance en son talent (génie ?) Magnard travaillait sur ces partitions jusqu'à la certitude qu'aucune note ou idée ne servait à rien ou à bachoter. Son caractère fougueux le conduira à faire le coup de feu en solo contre les allemands vindicatifs et bruyants qui envahissent sa terre de l'Oise en septembre 1914. Les teutons incendient sa maison. les flammes engloutiront le compositeur, son manoir et disperseront des dizaines de partitions en cours de rédaction. Il a 49 ans.
Pourtant le disque n'a pas oublié son corpus de quatre symphonies, une intégrale parfaite dirigée par Michel Plasson avec l'Orchestre du Capitole de Toulouse. Une autre, passionnante, signée Jean-Yves Ossonce avec l'orchestre de la BBC. (Si les anglo-saxons n'étaient pas là pour servir le patrimoine français !) Ah, n'oublions pas l'intégrale de Thomas Sanderling pour Bis.
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Michel Plasson (né en 1933)
Michel Plasson reste à mon sens l'un des rares héritiers de la grande tradition de la direction d'orchestre française, le successeur des Munch, Martinon ou Monteux
Le maestro né en 1933 (et oui 83 ans, mais bon pied bon œil) fréquentera le conservatoire de Paris. Il sera même lauréat du difficile concours de direction de Besançon en 1962. Au conservatoire, il suit les cours de Lazare Lévy (1882-1964). Du solide.
Voie académique pour le jeune musicien ? Pas vraiment car on le voit la nuit à la batterie dans divers clubs, et même participer à des enregistrements avec la môme Piaf. Charles Munch sent en lui une graine de grand chef et le persuade de partir outre-Atlantique confirmer ses talents auprès d'Erich Leinsdorf, Pierre Monteux et Leopold Stokowski. On a fait pire…
Bref passage à Metz avant de s'établir en 1968 à Toulouse. Souvent, les contrats des chefs sont de quelques années. Même à la Philharmonie de Berlin, on n'est plus chef à vie comme à l'époque Karajan. Pourtant Michel Plasson va hisser pendant 34 ans l'orchestre du Capitole de Toulouse à un niveau superlatif et international. En 1974, il découvre l'ancienne halle aux grains qui, transformée, va devenir la salle officielle de l'orchestre. Les travaux seront longs et les ingénieurs du son s'arracheront les cheveux dans les premières années. La centaine de gravures pour EMI, exceptionnelle, porte les stigmates de l'acoustique un peu terne des débuts. C'est le cas avec cette intégrale Magnard à l'aube du numérique, mais avec un casque ou un bon matos audiophile…
Le répertoire du chef est immense : classique, romantique, moderne, et surtout témoin de l'attachement du chef à la musique française : Maurice Ravel, Albéric Magnard, Vincent d'Indy, Joseph-Guy Ropartz, César Franck, Henri Dutilleux, Albert Roussel, Ernest Chausson, Hector Berlioz…).
De 1994 à 2001, Michel Plasson a été directeur de l'orchestre Philharmonique de Dresde, où toujours soucieux d'originalité, il a enregistré une large sélection des meilleurs poèmes symphoniques de Liszt. Désormais sans poste officiel, il poursuit sa carrière en sillonnant la planète.
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La maison de Magnard en ruine, incendiée par les allemands en 1914 (Source)
Non et non, Albéric Magnard n'est pas un disciple inconditionnel de Wagner, de Franck et encore moins le Bruckner français comme on le lit souvent. Magnard est Magnard, point. Le compositeur admirait ses aînés, certes, mais son style s'écarte sans polémique possible des modes de compositions calqués sur les talents d'organistes de Bruckner ou de Franck. Deux créateurs qui orchestraient un contrepoint rigoureux à la manière de la registration de l'orgue : une répartition des pupitres de l'orchestre où chaque timbre (bois, cuivres, cordes aiguës ou graves) correspond à celui d'un jeu d'orgue. C'est un peu réducteur, mais l'idée est là.
Par ailleurs à cette époque, Albéric Magnard ne participe pas au mouvement moderniste d'un Debussy avec l'usage des gammes tonales, le rejet de la forme sonate et son goût pour les polyphonies de timbres comme dans le ballet Jeux et les Nocturnes (Clic) et (Clic).
En France postromantique, la symphonie ne sera pas un genre très développé contrairement à l'Allemagne et l'Autriche (Bruckner, Mahler, Brahms) ou même la Scandinavie (Sibelius, Atterberg). La France de la IIIème république raffole de mélodies et de la musique de chambre (Fauré) ou d'opéras (plutôt opérettes) un peu simplets (Massenet, Message, Auber). En résumé, Albéric Magnard comme Ernest Chausson est un compositeur inclassable, d'où la tentation de l'intégrer dans le courant franckiste, par défaut. Seul l'effectif de ses symphonies le rapproche d'un Franck, et encore…
Ceux qui connaissent la très belle mais austère et granitique symphonie en ré mineur de Franck partageront sans doute mon avis à l'écoute de cette dionysiaque 4ème symphonie. Le style de Magnard n'a rien de germanique.

Rhené Bâton
Environ 17 ans vont passer entre la création de la 3ème symphonie opus 11 et la 4ème Opus 21. Soit la moitié de la carrière du compositeur. Seulement dix œuvres acceptées dans le catalogue dans cette période, cela démontre une fois de plus le souci de perfection qu'exige Magnard de lui-même… En 1902, ardent défenseur de Dreyfus au côté de Zola et d'autres intellectuels humanistes, Magnard compose un Hymne à la justice (qui sera joué le jour de la Libération). Il risque la prison en renvoyant avec quelques mots "inconvenants" son livret militaire au ministre.
C'est un peu hors musique, mais parlons de cette affaire, car des hommes au caractère si bien trempé sont rares. Voilà un extrait de la lettre envoyé par Magnard à Zola le jour de la publication de "J'accuse" dans l'Aurore : "Bravo Monsieur, vous êtes un crâne ! En vous, l'homme vaut l'artiste. Votre courage est une consolation pour les esprits indépendants. Il y a donc encore des Français qui préfèrent la justice à leur tranquillité, qui ne tremblent pas à l'idée d'une guerre étrangère, qui ne se sont pas aplatis devant ce sinistre hibou de Drumont* et ce vieux polichinelle de Rochefort*. Marchez, vous n'êtes pas seul. On se fera tuer au besoin."
* Henri Rochefort : Polémiste et journaliste antisémite, nationaliste et d'extrême droite (pourtant ancien communard, allez comprendre !) Édouard Drumont : même CV, sans la commune, un nazi avant l'heure…

Revenons en 1911-1913, années pendant laquelle Magnard couche sur le papier son ultime symphonie directement en partition orchestrale (c'est assez rare, il y a souvent une ébauche pianistique). Comme souvent, Magnard rencontre de réelles difficultés et crises de confiance en lui pendant la composition. L'œuvre est dédiée à l'UFPCM : l'Union des Femmes Professeurs et Compositeurs de Musique. Pourtant compétentes, ces dames offrent une première audition désastreuse de l'œuvre. Il faut attendre le 16 mai 1914 pour qu'un chef de talent, Rhené Bâton, avec l'orchestre de le Société Nationale de Musique fasse triompher ce que je classe dans la catégorie "chef-d'œuvre". Mes lecteurs savent que je suis avare de ces qualificatifs subjectifs et lapidaires, mais là, j'insiste… Une société créée par la crème des compositeurs du temps pour promouvoir la musique symphonique défavorisée face aux succès des mélodies et autres œuvres lyriques d'un intérêt parfois discutable (voir avant).

Van Gogh : champ de blé aux corbeaux (1890)
Comme préciser plus haut, l'orchestration est proche de celle de la symphonie de Franck avec un nombre de bois étendu par rapport à l'effectif romantique habituel. Par contre, aucune percussion hormis les timbales, contrairement à Debussy, Ravel ou Stravinsky (les trois complices des ballets russes). Donc :
1 piccolo, 2 hautbois + cors anglais, 2 clarinettes + clarinette basse, 2 bassons, 4 cors en fa, 3 trompettes en ut, 3 trombones dont un ténor et un basse, tuba, une harpe, les cordes et des timbales. Pardon ? Oui Sonia, exact : grande similitude avec l'orchestration quelque peu wagnérienne de de Dante symphonie de Liszt écoutée il y a une quinzaine.

1 – Modéré : Le choix du tableau de Van Gogh "champ de blé aux corbeaux", peint à Auvers sur Oise quelques jours avant le suicide du peintre, nous rapproche du climat venteux de l'introduction du mouvement initial. Magnard voyait-il les mêmes champs aux épis ondulants autour de son manoir ? Un arpège échevelé sur sept pupitres des flûtes et des bois souffle furieusement (sur un accompagnement léger des altos). Une série de doubles croches noires de chromatisme. La métaphore picturale ne concerne peut-être que moi, mais la fougue propre au tempérament de Magnard prend son élan avec force et évidence. Le doute des esprits tourmentés semble une obsession commune aux deux artistes.
Van Gogh : Rue Callé à Auvers sur Oise (1890)
Bien que noté Ut dièse mineur à la clé, ces mesures présentent une forêt d'altérations chromatiques qui exclut tout déterminisme gai ou mélancolique. Par l'ambiguïté tonale obtenue et la nuance ff, Magnard attise la bourrasque. Le compositeur semble délaisser le sentimentalisme pour renforcer la portée descriptive de ce souffle sauvage. Symbolisme : oui ; romantisme : suivant la sensibilité de chacun… les cordes et les cors rejoignent les bois pour un effet crescendo toujours plus échevelé. Autre interprétation : Magnard pressent-il un autre ouragan à venir, celui de la folie de la Grande Guerre nourrie de haine nationaliste, et dont il sera l'une des premières victimes. Élucubrations de ma part ? Possible, mais tout le premier mouvement va reposer sur cette dualité entre exaltation et anxiété.  
[0:25] Magnard innove en énonçant un premier thème par le piccolo. Je ne connais pas d'autres symphonies s'ouvrant sur cette fantaisie d'orchestration ; le hautbois, la clarinette, les cordes, oui, mais le piccolo… L'architecture mélodique et la construction échappent à la norme de la forme sonate. Un bouillonnement de phrases colorées tourbillonne. Une franche réjouissance cohabite avec quelques effets plus élégiaques, et surtout la musique brille de mille feux grâce à une orchestration rutilante et imaginative. On pourrait parler de "concerto pour orchestre" tant le compositeur cherche à distribuer à part égale les rôles à tous les pupitres. Magnard découvre ainsi intuitivement une forme concertante qui n'apparaîtra officiellement qu'avec Bartók (Clic) et Lutoslawski. La lecture de la partition est ardue pour un orchestre inexpérimenté. On constate des subdivisions des violons et des altos en 2 à 4 groupes. Malgré une prise de son ayant hélas un faible relief, Michel Plasson souligne avec gourmandise tous ces détails qui, par leur richesse, justifient les trois années de travail intense du compositeur. Le mouvement s'achève sur un decrescendo lascif et lumineux

2 – Vif : [10:31] Le scherzo affirme sa parenté avec celui de la 3ème symphonie. Mais, Magnard le souhaite moins rustique. Certes on retrouve le rythme dansant et pastoral de la symphonie précédente, mais le solo de violon aux sonorités orientales est encore une innovation dans le langage orchestral. De nouveau des chassés croisés entre les bois (bassons) et les cordes, une vivacité du flot instrumental aux accents humoristiques. Un régal. Le trio avec son fantasque solo de violon s'intègre au mouvement sans changement notable de tempo, lui donnant ainsi une belle unicité.


Les deux premières mesures avec 7 vents
(Pas cool Albéric Magnard pour les musicos...)
Surtout qu'il faut jouer tout cela en quatre secondes !
3 – Sans lenteur et nuancé : [15:38] Nouvelle étrangeté inédite : le mouvement lent s'enchaîne directement au scherzo. Une longue et sereine méditation aux cordes ponctuée de solos de bois. Pas de thème très distinct, plutôt une continuité dans un écoulement diaphane qui contraste avec les transitions agrestes des deux premiers mouvements. [18:37] Quelques traits plus fougueux voire dramatiques surgissent avec leurs trilles de flûtes. De nouveau un effet impétueux et venteux en écho à l'introduction de la symphonie. Le mouvement se poursuit par une douce et frémissante péroraison toujours très concertante. De la très grande musique (au sens littéral). Magnard nous conduit dans un dédale poétique. Un grand mouvement de musique fantasque et lyrique. La conclusion aboutit à une grandiose coda totalement dépourvu de pathos qui s'éteint doucement.

4 – Animé : [28:14] Le final adopte un style rugueux. Encore beaucoup de joyeuse fantaisie : la harpe batifole, les trompettes et les timbales se pourchassent, Les cors entonnent un air sarcastique digne d'un Roussel… La liste des réjouissances serait longue. Michel Plasson assure un sans-faute jusqu'en dans le frénétique développement central. Mesure après mesure, la musique retrouve le ton élégiaque initial pour s'achever en apothéose par le retour serein du thème énoncé au début par le piccolo et joué ici par tout l'orchestre (nuance p léger). Si ça ce n'est pas une construction parfaite !
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Les enregistrements des symphonies de Magnard sont rares. Une autre très belle version est disponible avec l'orchestre symphonique écossais de la BBC dirigée par le chef français Jean-Yves Ossonce. D'une grande qualité interprétative tendue et énergique, mais avec un soupçon de rigidité par rapport à la fluidité de Michel Plasson, le disque bénéficie d'une prise de son plus aérée que celle de Toulouse et du couplage avec la 3ème symphonie. (Hypérion - 5,5/6)
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2 commentaires:

  1. Je suis repartie sur ta chronique de la 3 éme symphonie pour me remettre dans le bain du bonhomme Magnard. Après écoute des deux oeuvres, je préfère la symphonie n°4, peut être moins sombre a l'écoute ? Mais comme tu le dis toi même, la symphonie en Ré mineur de César Frank n'est pas loin, même si le sieur Albéric a son style propre.

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  2. Je partage votre avis sur la fluidité et surtout le lyrisme idéaux pour la 4me symphonie de Magnard par Plasson/Toulouse.

    Par contre, l'interprétation des 1ere et 3me par Ossonce/BBC Scottish Orchestra, plus "rigide" comme vous la qualifiez, sied mieux à ces symphonie. Notamment le 1er mouvement de la 1ere qui est d'un martialisme proche d'un prokofiev, et avec des contrastes dans les transitions qui font penser à Malher. Ce parti-pris plus contrasté et dynamique est plus approprié pour ces œuvres je trouve.

    Par ex., le "sherzo" (Danses) de la 3me dont la dynamique et l'entrain sont quasiment parfaits par Osssonce, comme son finale avec une reprise royale et triomphale du thème modal de la symphonie par les cuivres. C'est grandiose.
    Je regrette seulement les 2 accords finaux qui sont assez plan-plan et qui aurait mérités pour le coup des accents bien plus victorieux.
    En tous cas, les prises de son des versions Ossonce sont de loin meilleures que celle de Plasson/ Toulouse.
    Et c'est dommage, car leur fluidité dans leurs interprétations aurait mieux gagné pour les mélomanes à être plus finement détaillées.
    Merci encore pour entretenir la mémoire de ce génial compositeur français assez injustement méconnu.

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