lundi 31 octobre 2016

FAURÉ – Élégie pour violoncelle et piano – Jacqueline du PRÉ (1969) – par Claude TOON



- Un petit morceau de 7 minutes du grand Fauré M'sieur Claude ? Je pense que c'est surtout de la violoncelliste Jacqueline du Pré dont vous voulez nous parlez. Une française ?
- Son prénom était trompeur. Cette virtuose était anglaise et ses disques sont hélas rares car elle a connu une carrière de moins dix ans !
- Ah ? Un accident, je ne situe pas cette instrumentiste dans le temps…
- Non pire, la sclérose en plaques (une maladie qui fout la trouille) l'a privée de son agilité vers 27 ans, un âge maudit pour d'autres artistes dans d'autres genres…
- Oui le drame absolu pour un musicien, comme la surdité de Beethoven qui a pourtant continué de composer, mais là, pas d'issue… Sinon, sympa cette élégie ?
- Oui, une pièce dans le ton nocturne et nostalgique dont le compositeur français avait le secret.

Jacqueline du Pré et Daniel Barenboïm
Nous avions déjà évoqué le souvenir de Jacqueline du Pré dans une chronique consacrée au quintette "la Truite" de Schubert. Une vidéo légendaire de ce quintette dans laquelle la violoncelliste était entourée de quatre amis de sa génération dont son mari Daniel Barenboïm au piano (Clic). Saut dans le temps en 1945.
La fillette voit le jour à Oxford en 1945 dans une famille qui a quitté Jersey pour s'installer en Grande Bretagne. C'est en écoutant la BBC, que la gamine de quatre ans tombe sous le charme du son velouté et viril du violoncelle. Premières leçons avec sa mère puis la voie royale des conservatoires de Londres. Premier concours radiodiffusé sur la BBC pour ses douze ans. Arrivent les années de perfectionnement avec les plus grands de son temps : Mstislav Rostropovitch, Paul Tortelier, et Pablo Casals déjà âgé et vivant en Suisse.
En 1965, à seulement vingt ans, Jacqueline du Pré est propulsée au-devant de la scène en interprétant le difficile concerto d'Edward Elgar accompagnée par l'orchestre symphonique de Londres dirigé par Sir John Barbirolli (Clic). Lors de ce concert, elle joue pour la première fois sur Son violoncelle offert par un mécène : le stradivarius Davidov. Cet instrument est utilisé actuellement par le violoncelliste américain d'origine chinoise Yo-Yo Ma.
Sa carrière démarre en flèche sur les plus grandes scènes de la planète. L'industrie du disque, notamment EMI, lui ouvre les portes des studios. En 1966, elle rencontre le pianiste Daniel Barenboïm (qui deviendra aussi un chef d'orchestre renommé). Les deux jeunes artistes se marient, et l'on peut dire que la clé de voute du couple sera musicale puisque l'on les rencontrera souvent ensemble dans le répertoire des sonates pour piano violoncelle comme celles de BeethovenJacqueline se convertit au judaïsme et fait ainsi partie de ce groupe surnommé avec ironie par les intéressés "la mafia juive", en compagnie de Itzhak Perlman, Pinchas Zukerman et Zubin Mehta (qui n'est d'ailleurs pas juif mais dirige avec succès en Israël).
Tardivement, les torchons de tabloïds ont lancé des rumeurs et polémiques sur le goût prononcé de l'artiste pour la bagatelle, y compris avec son beau-frère. Je préfère m’intéresser au jeu fluide et legato de la belle anglaise.
1972 : Jacqueline du Pré a 27 ans et son jeu semble moins élégant, ses doigts comme engourdis ?! Le diagnostic est implacable, et sa carrière à peine commencée est terminée avec la certitude d'une descente aux enfers : la sclérose en plaques. 15 ans de dépression, de paralysie évolutive et d'agonie l'attendent. En 1987, la violoncelliste meurt auprès de son mari qui ne l'a jamais abandonnée.
Les enregistrements sont assez rares du fait d'une carrière de moins de dix ans, mais restent très attachants. On préférera les gravures d'avant 1970, l'explication est évidente…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Marie et Gabriel Fauré
Gabriel Fauré, à mon sens l'un des compositeurs majeurs français, a déjà été bien présent dans le blog, pour son célèbre Requiem, mais aussi pour ses quintettes pour piano, des modèles du genre.
L'élégie est une courte pièce pour violoncelle et piano composée en 1880. Elle sera orchestrée plus tard (en passant je recommande l'interprétation de Seiji Ozawa – ça fera plaisir à Pat Slade qui aime ce chef )
Commenter dans le détail cette œuvre poétique et mélancolique n'a pas grand intérêt. Un simple morceau pour toucher l'âme et le cœur. Le piano entonne une marche très rythmée et douce. Le violoncelle énonce une longue phrase un peu triste dans un clair-obscur qu'affectionnait le compositeur contemporain de Debussy et admirateur des mouvements impressionnistes.
Le piano va conserver ce rythme obsédant dans diverses tonalités puis amorcer un chant plus lyrique tandis que le violoncelle semble vouloir s'échapper du discours douloureux qui était le sien.
Pour cette gravure, Jacqueline du Pré est en complicité avec Gerald Moore, un pianiste très connu des amateurs de lieder car il fut l'accompagnateur pendant des décennies des chanteurs les plus en vue, comme Dietrich Fischer-Dieskau.
Le phrasé de Jacqueline du Pré touche au sublime. Absence de vibrato hors sujet dans cette intime mélopée, une technique destinée à enjoliver de manière chichiteuse le jeu (le plus souvent chez certains pour masquer le manque de justesse). Et puis cette œuvre n'a rien de mortifère, et là on retrouve le jeu limpide, très legato, émouvant et puissant, qui caractérisait l'art de cette artiste d'exception.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

1 commentaire:

  1. Quel pièce magnifique ! Gérald Moore au piano que je ne connais que pour un album de lieder avec Dietrich Fischer-Dieskau
    Une orchestration par Osawa ? Il vas falloir que je cherche çà !

    RépondreSupprimer