samedi 29 octobre 2016

BRAHMS – Les 2 sextuors à cordes – AMADEUS QUARTET / ARONOWITZ / PLEETH – par Claude TOON



- Ah M'sieur Claude, un bon mois après une 1ère symphonie d'anthologie par Abbado, toujours Brahms mais dans l'univers de la musique de chambre. C'est quoi un sextuor ?
- Six musiciens Sonia, mais pour être plus précis, ici, nous avons un quatuor plus un second alto et un second violoncelle, une sonorité légèrement orchestrale…
- Oui, je vois, le quatuor Amadeus… Ça me dit quelque chose, une chronique fleuve assez ancienne, à vos débuts me semble-t-il ?
- Exact et consacrée à Schubert et au quatuor "La jeune fille et la mort" et au quintette si célèbre dit "La Truite", j'aurais dû couper cet article sur deux semaines en effet…
- Heuu, nous n'avons à mon goût pas de chance avec les jaquettes par rapport aux copains rockeurs… Pourquoi un escalier ?
- J'espérais que vous le saviez Sonia, car je n'ai pas la réponse. C'est moche, indubitablement moche et sans imagination… Mais il s'agit d'une collection de merveilles. Alors…

Brahms en 1857
Cette semi-intégrale de l'œuvre chambriste de Brahms autour du quatuor Amadeus ne quitte pas le catalogue depuis des décennies. Elle a été numérisée dès l'invention du CD, vendue hors de prix au départ puis à prix très doux dans cette édition. Ok, cette illustration du coffret est grotesque. Je préfère encore une photo du père Brahms, de sa maison natale à Hambourg ou la gravure d'une forêt. Bof, on s'en moque un peu, car ce coffret de 5 CD est génial de bout en bout… Il manque les 5 trios disponibles dans une anthologie telle  celle du Beaux-arts trio, les quatuors avec piano avec Isaac Stern par exemple exemple et enfin les sonates autour de Julius Katchen pour posséder presque tout le patrimoine chambriste de Brahms. Ok, je commence un peu par la fin ce billet…
L'article de la semaine passée à propos de la Dante symphonie de Liszt était un morceau de bravoure pour moi et mes lecteurs. Cette semaine nous nous reposons avec deux œuvres légères qui ne justifient pas une analyse pointue…
Passons rapidement sur la biographie du compositeur allemand, tout ayant été déjà dit dans les articles écrits depuis plus de quatre ans. Pour les grandes lignes, voire la chronique dédiée aux quintettes pour alto et pour clarinette avec le quatuor Melos (Clic). Brahms, l'homme épicurien et pourtant refusant toute vie conjugale, un fan des formes classiques mozartiennes et beethovéniennes opposé au romantisme moderniste de Liszt et Wagner, le chantre d'une poésie très romanesque à sa manière.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Les deux sextuors de Brahms datent de sa première période créatrice, celle qui précède l'écriture de sa première symphonie, un exercice tant redouté par le compositeur admiratif du grand Beethoven mais persuadé d'être dans l'incapacité de l'égaler dans des compositions symphoniques.
Le premier sextuor a été écrit pendant l'année 1858, Brahms n'a que 25 ans et on ne peut plus parler d'œuvres de jeunesse comme c'était le cas pour les trois sonates pour piano, un peu longues, un soupçon déséquilibrées mais très fougueuses (Clic). Comme pour son hésitation à aborder l'écriture d'une symphonie, Brahms attendra la maturité pour affronter le difficile travail sur le quatuor à cordes traditionnel malgré les encouragements de son ami Robert Schumann. Il faudra attendre 1865 pour les esquisses d'un projet et 1873 pour entendre son premier quatuor achevé. Spohr (un compositeur que je connais mal) avait produit vers 1850 un élégant sextuor qui avait rencontré un franc succès, et on peut supposer que Brahms fut influencé par cette forme peu usuelle. Même si Schubert avait réussi un coup de maître total avec son quintette à deux violoncelles, la présence d'un second alto et d'un second violoncelle risque d'alourdir la sonorité globale vers le grave dans une œuvre de chambre pour cordes. Prudence !
Joseph Joachim
En 1860, Brahms entretient une correspondance avec le violoniste virtuose Joseph Joachim. Celui-ci, attiré par la poésie de la partition la jouera deux fois dans l'intimité avec quelques amis puis la créera officiellement à Hanovre le 20 octobre 1860 devant Clara Schumann qui sera émerveillée… Un franc succès qui permet à l'ouvrage d'être édité en moins de deux ans !

Le second sextuor bien qu'achevé et créé six ans plus tard en 1866 trouve les racines de son inspiration en 1858. L'été de la même année Brahms avait entretenu une liaison avec Agathe von Siebold, la fille d'un professeur de Göttingen. Comme toujours, confronté au désir de la jeune femme de franchir le pas du mariage, Brahms préférera sa liberté de célibataire et lui écrira "Je vous aime, mais ne puis supporter d'être enchaîné". Dans les années qui suivent, le compositeur tentera-t-il d'exorciser cet échec affectif et son indécision ? Possible… La longue genèse de l'ouvrage fut discrète et seule Clara Schumann, sans doute la seule grande passion amoureuse de sa vie (platonique ?), sera dans la confidence de l'élaboration de cette partition dont les ébauches sont à coup sûr contemporaines de la composition du premier sextuor.
Le prénom Agathe porté par la jeune fille délaissée apparaitra codé dans le premier mouvement. La création n'aura pas lieu en Allemagne mais à Boston en octobre 1866, puis à Vienne en 1867. Étrangement, Brahms aura plus de mal à le faire publier que son premier sextuor malgré le soutien de la puissante dynastie Simrock, éditeurs de pères en fils de 1793 à 1910 (quatre générations).
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Parlons des interprètes. Il n'existe pas de sextuor constitué car le répertoire est réduit. Nous retrouvons donc au centre de ces interprétations le quatuor anglais Amadeus pour cette gravure. L'un des quatuors les plus marquant de la seconde moitié du XXème siècle et qui a gravé une discographie considérable de très haut niveau (voir l'article Schubert Clic). Pour compléter l'effectif, le quatuor Amadeus a fait appel à deux comparses également anglais.
Cecil Aronowitz (1916-1978), altiste et pédagogue, sera fréquemment sollicité par les Amadeus comme partenaire pour jouer dans des formations atypiques. On le retrouve par exemple dans un enregistrement culte des 6 quintettes pour deux altos de Mozart. Et cela va sans dire dans les deux quintettes opus 88 et 111 de Brahms inclus dans ce coffret. Cecil Aronowitz avait participé également, en 1964 à un enregistrement EMI de ces deux sextuors autour de Yehudi Menuhin. C'est avec cette gravure que j'ai découvert ces sextuors.
Moins connu, le violoncelliste William Pleeth a suivi un parcours mixte de soliste et de pédagogue réputé en Angleterre. Il a préféré une carrière essentiellement british. Petit détail, il légua ses biens aux associations de recherche contre la sclérose en plaque par amitié envers la violoncelliste virtuose Jacqueline du Pré qui fut victime à 27 ans de cette terrible maladie. Une carrière ruinée, une longue agonie de 15 ans. Un article lui sera bientôt consacré. La discographie de William Pleeth est inexistante hormis ces sextuors. Cela ne l'aide pas à rester dans les mémoires…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Cecil Aronowitz & William Pleeth
Sextuor N°1 en Si bémol majeur
1 – allegro ma non troppo : Le 1er alto et les deux violoncelles entonnent une introduction d'une dizaine de mesures. Une ligne mélodique sinueuse, une aubade sensuelle aux timbres graves et virils comme Brahms les affectionne. Les deux violons les rejoignent pour développer ce thème et souligner la tendresse et la lascivité du propos. [1:33] Une seconde idée plus fantasque est énoncée par le violon solo qui fait son entrée. L'esprit langoureux du premier mouvement est en place. Brahms enchevêtre ces matériaux avec sa science affirmée de la polyphonie et des surprises : une variation par-ci, des pizzicati par-là, pas de reprises da capo lassantes. L'interprétation des Amadeus et de leurs potes met l'accent sur la bonhomie et la tendresse empreintes de fantaisie dans la construction. Et dire que Brahms pensait ne pas maîtriser l'orchestration symphonique ! Car, surtout dans le style adopté par les artistes, le chant des différents pupitres et un large espace sonore font immanquablement penser à une petite symphonie pour cordes… Un souci de perfection, qu'il atteint sans difficulté ! La vigueur concertante du jeu musical peut faire songer à l'entrain de l'octuor de Mendelssohn. (Clic)
2 – Andante, ma moderato : [11:34] le mouvement lent prouve encore l'inventivité d'un Brahms qui, bien que fidèle à la tradition classique excluant la musique à programme ou le symbolisme d'un Liszt ou d'un Wagner, pousse l'exploration des conflits émotionnels très au-delà des limites permises par la forme sonate. L'andante propose une introduction en ré mineur, une tonalité nostalgique, introduction qui sera suivie de six variations dans des tonalités diverses y compris majeur. Le style est martial dès les premières mesures jouées aux altos et aux violoncelles. Une marche ou plutôt une ballade à grand pas. Dans les variations, les atmosphères s'affrontent entre la tempête et la romance. Brahms a toujours aimé le principe des variations dans tous les genres abordés. Un principe a priori très classique qui ici permet de s'échapper des formes usuelles, ce qui n'est justement pas "classique". Pour suivre les transitions entre variations : 1- [13:00], 2-[14:09], 3-[15:21], 4-[16:23], 5-[17:35] et 6-[19:01] qui reprend le thème de l'introduction. Un kaléidoscope de sentiments qui fait de cet andante l'un des morceaux les plus passionnants de l'œuvre.
3 – Scherzo et Trio - Allegro non troppo - animato [20:35] : Brahms jette toutes les forces de son sextuor dans un bref et vigoureux scherzo un peu fou et fébrile. Brahms commençait à ressentir un besoin de concision dans ces intermèdes imposés par la forme, détendre mais ne pas ennuyer. La coda est impétueuse pour casser la symétrie un peu académique de la forme scherzo.
4 – Rondo [23:40] : Noté Poco Allegretto e grazioso, le rondo final, relativement développé, se veut joyeux. Sans débordement dans la première partie, puis de plus en plus impétueux, le mouvement connaît en son centre des réminiscences nostalgiques déjà présentes dans l'andante… La coda revêt une allure frénétique.

Nota : Brahms aimait composer ses œuvres par paires. Ses sérénades, ses deux premiers quatuors avec pianos, ses deux premiers quatuors à cordes… Ce n'est qu'à la fin de sa vie qu'il composera des œuvres isolées

Sextuor N°2 en Sol majeur
xxx
1 – Allegro non troppo : Le long premier mouvement débute par un obsédant staccato de l'alto. Un air mystérieux qui ouvre la voie à une très longue phrase mélodique, élégiaque et ondulante : l'esthétique brahmsienne dans sa quintessence. Il faut attendre la résolution de cette étrange introduction pour entendre se développer un premier groupe thématique plus énergique. Sans entrer trop dans les détails d'écriture, on imagine une lettre d'adieu musical à Agathe, la bienaimée d'un été. Preuve en est l'insertion du motif A G A (T) H E dans un second thème, motif qui en solfège anglo-saxon se traduit par la, sol, la, (ré), mi, si.
Agathe von Siebold
XXXX
L'originalité de ce mouvement vient de l'omniprésence du motif en trille de l'alto qui semble s'insinuer dans les différentes variations et phrases, surgissant encore et encore comme un leitmotive solfégique.
2 – Scherzo et Trio (allegro non troppo – Presto giocoso) : [14:12] Brahms place un scherzo a priori serein dans son exposition après le long et lyrique allegro. Cet intermède est plus développé que celui du premier sextuor mais fait preuve d'un travail polyphonique plus dense. Le trio surgit comme on ne l'attend pas : une fougueuse danse populaire, scandée, animée d'une verve nourrie de syncope. Inattendu, mais témoin de la volonté de Brahms de jouir de la vie malgré ses affres sentimentales. Là encore une courte et trépidante coda évite le sempiternel da capo des scherzos usuels.
3 – Poco Adagio : [21:23] On retrouve de nouveau le principe d'un thème tendre et nonchalant marquant une introduction suivie de cinq variations. Brahms refuse néanmoins le discours mélancolique que suggère la dominante de mi mineur. C'est (sans jeu de mots), une série de variations très variées voire versatiles, un hymne : 1-[22:13], 2-[23:04], 3-[23:59], 4-[24:47], et pour la 5-[25:46] plus longue et dans le tempo adagio réel, sans reprise et, toujours dans l'originalité, évoluant vers une coda…
4 – Poco Allegro : [29:53] Mouvement brillant et joyeux, mais le tempo tempéré permet de poursuivre le discours poétique qui domine depuis les premières mesures de l'adagio. On retrouve les caractéristiques de la forme sonate traditionnelle grâce notamment à la reprise des mesures initiales avant le passage central.  Brahms semble se réconcilier avec lui-même. Une œuvre à l'écoute difficilement immédiate, mais d'une imagination sans borne.

L'interprétation du quatuor Amadeus, de Cecil Aronowitz et de William Pleeth est palpitante. La sonorité d'un sextuor apparaît toujours empreinte de gravité (au sens timbre), timbre qui rejaillit parfois sur le phrasé qui peut sonner sombrement. Rien de tout cela ici. Le jeu est allant, coloré et clair, les tempos ne se répandent pas dans un romantisme sucré hors de propos. Brahms est et reste le chantre de la musique pure aux émotions directes et sincères…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Les gravures de ces sextuors sont hélas moins nombreuses que celles pour les quatuors, les quintettes ou les trios. Sans doute par la difficulté de réunir six instrumentistes jouant en osmose. Si cette interprétation autour du Quatuor Amadeus reste incontournable, il est dommage que l'on ne puisse en bénéficier dans un CD isolé hors de ce coffret de 5 CD. Deux albums au moins sont recommandables : celui du Quatuor Prazak en compagnie du Quatuor Zemlinsky (Praga Digitals - 5/6), et celui plus ancien réunissant : Yehudi Menuhin et Roberts Masters (Violons), Cecil Aronowitz et Ernst Wallfish (altos), Maurice Gendron et Derek Simpson (Violoncelles) (EMI6/6)



2 commentaires:

  1. Madre de dios encore loupé !!! Quand j'ai vu Brahms et des sextets, je me suis dis, "Chouette ! une des parties de Brahms que j'aime", mais j'ai confondus avec ses quatuors. J'aime son quatuor pour piano et cordes n°1 en sol mineur opus 25 en autre, celui la même qui servira de fond sonore au film "Monsieur Hire" magistralement interprété par Michel Blanc. Mais cela n'empèche pas que les sextets sont magnifiques

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui Pat le quatuor opus 25 est encore un monument à présenter...
      Mais Brahms à déjà été bien servi à ce jour !
      Tu dois savoir que Schoenberg à orchestré ce quatuor en 1937 pour proposer un ballet à New York. C'est Klemperer qui assura la première.
      C'est dire l'estime que portait l'inventeur du sérialisme au compositeur post-classique Brahms...
      À suivre dans quelques mois ;0)

      Supprimer