- Ah M'sieur Claude, un bon mois après une 1ère symphonie
d'anthologie par Abbado, toujours Brahms mais dans l'univers de la musique
de chambre. C'est quoi un sextuor ?
- Six musiciens Sonia, mais pour être plus précis, ici, nous avons un
quatuor plus un second alto et un second violoncelle, une sonorité
légèrement orchestrale…
- Oui, je vois, le quatuor Amadeus… Ça me dit quelque chose, une
chronique fleuve assez ancienne, à vos débuts me semble-t-il ?
- Exact et consacrée à Schubert et au quatuor "La jeune fille et la mort"
et au quintette si célèbre dit "La Truite", j'aurais dû
couper cet article sur
deux semaines en effet…
- Heuu, nous n'avons à mon goût pas de chance avec les jaquettes par
rapport aux copains rockeurs… Pourquoi un escalier
?
- J'espérais que vous le saviez Sonia, car je n'ai pas la réponse. C'est
moche, indubitablement moche et sans imagination… Mais il s'agit d'une
collection de merveilles. Alors…
Brahms en 1857 |
L'article de la semaine passée à propos de la
Dante symphonie
de
Liszt
était un morceau de bravoure pour moi et mes lecteurs. Cette semaine nous
nous reposons avec deux œuvres légères qui ne justifient pas une analyse
pointue…
Passons rapidement sur la biographie du compositeur allemand, tout ayant
été déjà dit dans les articles écrits depuis plus de quatre ans. Pour les
grandes lignes, voire la chronique dédiée aux quintettes pour alto et pour
clarinette avec le
quatuor Melos
(Clic).
Brahms, l'homme épicurien et pourtant refusant toute vie conjugale, un fan
des formes classiques
mozartiennes et
beethovéniennes opposé au
romantisme moderniste de
Liszt
et
Wagner, le chantre d'une poésie très romanesque à sa manière.
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Les deux sextuors de
Brahms
datent de sa première période créatrice, celle qui précède l'écriture de sa
première symphonie, un exercice tant redouté par le compositeur admiratif du grand
Beethoven
mais
persuadé d'être
dans l'incapacité de
l'égaler dans
des compositions symphoniques.
Le
premier sextuor
a été écrit pendant l'année
1858,
Brahms
n'a que 25 ans et on ne peut
plus parler d'œuvres de jeunesse comme c'était le cas pour les
trois sonates pour piano, un peu longues, un soupçon déséquilibrées mais très fougueuses
(Clic). Comme pour son hésitation à aborder l'écriture d'une symphonie,
Brahms
attendra la maturité pour
affronter le difficile travail sur le quatuor
à cordes traditionnel malgré
les encouragements de son ami
Robert Schumann. Il faudra attendre 1865 pour
les esquisses d'un projet
et
1873 pour
entendre son premier quatuor achevé.
Spohr
(un compositeur que je connais mal) avait produit vers
1850 un élégant
sextuor
qui avait rencontré un franc succès, et on peut supposer que
Brahms
fut influencé par cette forme peu usuelle.
Même si
Schubert
avait réussi un coup de maître
total
avec son
quintette à deux violoncelles, la présence d'un second alto et d'un second violoncelle risque d'alourdir
la sonorité globale vers le grave dans une œuvre de chambre pour cordes.
Prudence !
Joseph Joachim |
Le
second sextuor
bien qu'achevé et créé six ans plus tard en
1866 trouve les racines de son
inspiration en
1858. L'été de la même année
Brahms
avait entretenu une liaison
avec Agathe von Siebold, la
fille d'un professeur de Göttingen. Comme toujours, confronté au désir de la
jeune femme de franchir le pas du mariage,
Brahms
préférera sa liberté de célibataire et lui écrira "Je vous aime, mais ne puis supporter d'être enchaîné". Dans les années qui suivent, le compositeur tentera-t-il d'exorciser cet
échec affectif et son indécision ? Possible… La longue genèse de l'ouvrage
fut discrète et seule
Clara Schumann, sans doute la seule grande passion amoureuse de sa vie (platonique ?),
sera dans la confidence de l'élaboration de cette partition dont les
ébauches sont à coup sûr contemporaines de la composition du
premier sextuor.
Le prénom Agathe porté par la
jeune fille délaissée apparaitra codé dans le premier mouvement. La création
n'aura pas lieu en Allemagne mais à Boston en octobre
1866, puis à Vienne en
1867. Étrangement,
Brahms
aura plus de mal à le faire publier que son
premier sextuor
malgré le soutien de la puissante dynastie
Simrock, éditeurs de pères en
fils de 1793 à
1910 (quatre
générations).
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Parlons des interprètes. Il n'existe pas de sextuor constitué car le
répertoire est réduit. Nous retrouvons donc au centre de
ces interprétations le
quatuor anglais
Amadeus
pour cette gravure. L'un des quatuors les plus marquant de la seconde moitié
du XXème siècle et qui
a gravé une discographie considérable de très haut niveau (voir l'article Schubert –
Clic). Pour compléter l'effectif, le quatuor Amadeus a fait appel à deux
comparses également anglais.
Cecil Aronowitz
(1916-1978), altiste et pédagogue, sera fréquemment sollicité par les
Amadeus
comme partenaire pour jouer dans des formations atypiques. On le retrouve
par exemple dans un enregistrement culte des 6 quintettes pour deux altos de
Mozart. Et cela va sans dire dans les
deux quintettes
opus 88 et 111 de
Brahms
inclus dans ce coffret.
Cecil Aronowitz avait participé également, en
1964 à un enregistrement
EMI de ces deux sextuors autour
de
Yehudi Menuhin. C'est avec cette gravure que j'ai découvert ces sextuors.
Moins connu, le violoncelliste
William Pleeth
a
suivi un parcours
mixte de soliste et de pédagogue réputé en Angleterre. Il a préféré une
carrière essentiellement british. Petit détail, il légua ses biens aux
associations de recherche contre la sclérose en plaque par amitié envers la
violoncelliste virtuose
Jacqueline du Pré
qui fut victime à 27 ans de cette terrible maladie. Une carrière ruinée, une
longue agonie de 15 ans. Un article lui sera bientôt consacré. La
discographie de William Pleeth est inexistante hormis ces sextuors. Cela ne l'aide pas à rester dans les
mémoires…
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Cecil Aronowitz & William Pleeth |
Sextuor N°1 en Si bémol majeur
1 – allegro ma non troppo
: Le 1er alto et les deux violoncelles entonnent une introduction
d'une dizaine de mesures. Une ligne mélodique sinueuse, une aubade sensuelle
aux timbres graves et virils comme
Brahms
les affectionne. Les deux violons les rejoignent pour développer ce thème et
souligner la tendresse et la lascivité du propos. [1:33] Une seconde idée
plus fantasque est énoncée par le violon solo qui fait son entrée. L'esprit
langoureux du premier mouvement est en place.
Brahms
enchevêtre ces matériaux avec sa science affirmée de la polyphonie et des
surprises : une variation par-ci, des pizzicati par-là, pas de reprises da
capo lassantes. L'interprétation des
Amadeus
et de leurs
potes
met l'accent sur la bonhomie et la tendresse empreintes de fantaisie dans la
construction. Et dire que
Brahms
pensait ne pas maîtriser l'orchestration symphonique ! Car, surtout dans le
style adopté par les artistes, le chant
des différents pupitres et
un large espace sonore font immanquablement penser à une petite symphonie
pour cordes… Un souci de perfection, qu'il atteint sans difficulté ! La
vigueur concertante du jeu musical peut faire songer à l'entrain de l'octuor
de
Mendelssohn.
(Clic)
2 – Andante, ma moderato
: [11:34] le mouvement lent prouve encore l'inventivité d'un
Brahms
qui, bien que fidèle à la tradition classique excluant la musique à
programme ou le symbolisme d'un
Liszt
ou d'un
Wagner, pousse l'exploration des conflits émotionnels très au-delà des limites
permises par la forme sonate. L'andante propose une introduction en ré
mineur, une tonalité nostalgique, introduction qui sera suivie de six
variations dans des tonalités diverses y compris majeur. Le style est
martial dès les premières mesures jouées aux altos et aux violoncelles. Une
marche ou plutôt une ballade à grand pas. Dans les variations, les
atmosphères s'affrontent entre la tempête et la romance.
Brahms
a toujours aimé le principe des variations dans tous les genres abordés. Un
principe a priori très classique qui ici permet de s'échapper des formes
usuelles, ce qui n'est justement pas "classique". Pour suivre les
transitions entre variations : 1- [13:00], 2-[14:09], 3-[15:21], 4-[16:23],
5-[17:35] et 6-[19:01] qui reprend le thème de l'introduction. Un
kaléidoscope de sentiments qui fait de cet andante l'un des morceaux les
plus passionnants de l'œuvre.
3 – Scherzo et Trio - Allegro non troppo - animato
[20:35] :
Brahms
jette toutes les forces de son sextuor dans un bref et vigoureux scherzo un
peu fou et fébrile. Brahms commençait à ressentir un besoin de concision dans ces
intermèdes
imposés par la forme,
détendre mais ne pas ennuyer. La coda est impétueuse pour casser la symétrie
un peu académique de la forme scherzo.
4 – Rondo
[23:40] : Noté Poco Allegretto e grazioso, le rondo final, relativement
développé, se veut joyeux. Sans débordement dans la première partie, puis de
plus en plus impétueux, le mouvement connaît en son centre des réminiscences
nostalgiques déjà présentes dans l'andante… La coda revêt une allure
frénétique.
Nota :
Brahms
aimait composer ses œuvres par paires. Ses sérénades, ses deux premiers
quatuors avec pianos, ses deux premiers quatuors à cordes… Ce n'est qu'à la
fin de sa vie qu'il composera des
œuvres isolées
Sextuor N°2 en Sol majeur
xxx |
Agathe von Siebold XXXX |
2 – Scherzo et Trio (allegro non troppo – Presto giocoso)
: [14:12]
Brahms
place un scherzo a priori serein dans son exposition après le long et
lyrique allegro. Cet intermède est plus développé que celui du premier
sextuor mais fait preuve d'un travail polyphonique plus dense. Le trio
surgit comme on ne l'attend pas : une fougueuse danse populaire, scandée,
animée d'une verve nourrie de syncope. Inattendu, mais témoin de la volonté
de
Brahms
de jouir de la vie malgré ses affres sentimentales. Là encore une courte et
trépidante coda évite le sempiternel da capo des scherzos usuels.
3 – Poco Adagio
: [21:23] On retrouve de nouveau le principe d'un thème tendre et nonchalant
marquant une introduction suivie de cinq variations.
Brahms
refuse néanmoins le discours mélancolique que suggère la dominante de mi
mineur. C'est (sans jeu de mots), une série de variations très variées voire
versatiles, un hymne : 1-[22:13], 2-[23:04], 3-[23:59], 4-[24:47], et pour
la 5-[25:46] plus longue et dans le tempo adagio réel, sans reprise et,
toujours dans l'originalité, évoluant vers une coda…
4 – Poco Allegro :
[29:53] Mouvement brillant et joyeux, mais le tempo tempéré permet de
poursuivre le discours poétique qui domine depuis les premières mesures de
l'adagio. On retrouve les caractéristiques de la forme sonate traditionnelle
grâce notamment à la reprise des mesures initiales avant le passage central.
Brahms
semble se réconcilier avec lui-même. Une œuvre à l'écoute
difficilement immédiate,
mais d'une imagination sans borne.
L'interprétation du
quatuor Amadeus, de
Cecil Aronowitz
et de
William Pleeth
est palpitante. La sonorité d'un sextuor apparaît toujours empreinte de
gravité (au sens timbre),
timbre qui rejaillit parfois
sur le
phrasé qui peut
sonner sombrement. Rien de
tout cela ici. Le jeu est allant, coloré et clair, les tempos ne se
répandent pas dans un romantisme sucré hors de propos.
Brahms
est et reste le chantre de la musique pure aux émotions directes et
sincères…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Les gravures de ces
sextuors sont hélas moins nombreuses que celles pour les quatuors, les
quintettes ou les trios. Sans doute par la difficulté de réunir six
instrumentistes jouant en osmose. Si cette interprétation autour du
Quatuor Amadeus
reste incontournable, il est dommage que l'on ne puisse en bénéficier dans
un CD isolé hors de ce coffret de 5 CD. Deux albums au moins sont
recommandables : celui du
Quatuor Prazak
en compagnie du
Quatuor Zemlinsky
(Praga Digitals -
5/6),
et celui plus ancien réunissant :
Yehudi
Menuhin
et
Roberts Masters
(Violons),
Cecil Aronowitz
et
Ernst Wallfish
(altos),
Maurice Gendron
et
Derek Simpson
(Violoncelles) (EMI –
6/6)
Madre de dios encore loupé !!! Quand j'ai vu Brahms et des sextets, je me suis dis, "Chouette ! une des parties de Brahms que j'aime", mais j'ai confondus avec ses quatuors. J'aime son quatuor pour piano et cordes n°1 en sol mineur opus 25 en autre, celui la même qui servira de fond sonore au film "Monsieur Hire" magistralement interprété par Michel Blanc. Mais cela n'empèche pas que les sextets sont magnifiques
RépondreSupprimerOui Pat le quatuor opus 25 est encore un monument à présenter...
SupprimerMais Brahms à déjà été bien servi à ce jour !
Tu dois savoir que Schoenberg à orchestré ce quatuor en 1937 pour proposer un ballet à New York. C'est Klemperer qui assura la première.
C'est dire l'estime que portait l'inventeur du sérialisme au compositeur post-classique Brahms...
À suivre dans quelques mois ;0)