- Chouette M'sieur Claude ! Une œuvre pour cordes. Il y a des amateurs du
blog pour ces formations. Je ne connais pas cet octuor. Joyeux ? Grave ?
Métaphysique ?
- Une œuvre enthousiaste et
tonique composée par un
adolescent surdoué et plein de vie de seulement 16 ans.
- Ah oui… Vous disiez il y a quinze jours, dans l'article consacré au
14ème quatuor de Dvořák, que Mendelssohn était un compositeur
très précoce…
- Oui, et si l'on considère que vers 12-13 ans il a déjà écrit une
douzaine de symphonies très enlevées pour cordes, on peut dire
trivialement "les cordes, ça le connaît".
- Ce n'est pas un ensemble constitué qui l'interprète me semble-t-il…
- Non, car souvent cette œuvre réjouissante est interprétée par la
réunion de deux quatuors, mais plus souvent par un groupe de huit amis ou
des membres d'un orchestre…
Felix Mendelssohn adolescent |
À la fin de sa courte vie (38 ans),
Mendelssohn confiera que cet
octuor
était son œuvre préférée et qu'il n'avait jamais éprouvé autant de joie que
lors de sa composition. En 1825, le jeune homme n'a
que 16 ans et va produire un chef d'œuvre de son catalogue et, sans
exagérer, un jalon essentiel de la musique de chambre de la
période romantique. Cet
ouvrage qui fleure bon les sérénades et divertimentos de Mozart n'a pas vieilli et sa verve lui permet de conserver une grande popularité.
À noter que la rigueur et la simplicité de son écriture (mots aucunement
péjoratifs) explique son éternel succès et le nombre impressionnant de
concerts et de gravures qui lui sont consacré.
Les octuors pour huit cordes ne sont pas légions, d'ailleurs je ne connais
que celui-ci (Spohr a composé des équivalents
pour doubles quatuors).
Donc, comme je l'expliquais à Sonia, son interprétation est toujours assurée
par un groupe de musiciens qui décident de "s'éclater" avec cette partition
juvénile et survoltée, mais aucunement infantile. On trouve souvent des
associations de deux quatuors puisque l'œuvre met en jeu 4 violons, 2 altos
et 2 violoncelles. Je
proposerai quelques associations qui ont brillé par leurs prestations dans
la discographie alternative. D'autant que le CD de ce jour est une perle
rare.
L'excellent
quatuor Emerson
(Clic)
a entrepris un enregistrement insolite en jouant deux fois, donc en
playback les deux parties à
lui seul. La technique de mixage faisant la somme des deux… Rigolo, mais on
ressent à mon humble avis un manque de complicité dans un disque qui malgré
tout ne fait pas tâche.
Puisque je parle de complicité, c'est aujourd'hui le cas avec le disque
proposé qui réunit huit piliers des concerts donnés chaque année dans le
Vermont, à
Marlboro, dans la région de
Boston. Créé en
1951 par le violoniste
Adolf Busch
et le pianiste
Rudolf Serkin
(Clic)
qui avaient fui le nazisme, l'un parce que israélite et l'autre par
idéologie, ce festival de sept semaines voyait défiler la crème des
musiciens virtuoses et humanistes de la planète, à commencer par
Pablo
Casals
dont une interprétation de la
symphonie
"Italienne" de
Mendelssohn
d'une grande spontanéité (grâce à un effectif réduit) complète ce
disque.
Je vous avoue que j'attendais depuis des lustres de pouvoir vous proposer
cette exécution volcanique. Même si la vidéo Youtube ne précise pas le nom
des interprètes (juste "Musicians from Marlboro"), la vitalité et le son de
ce concert enregistré en live sont immédiatement reconnaissables…
Participent à cette session :
Jaime Laredo,
Alexander Schneider,
Arnold Steinhardt,
John Dalley
(violons),
Michael Tree
et
Samuel Rhodes
(altos),
Leslie Parnas
et
David Soyer
(violoncelles). Pour les mélomanes assidus, ces noms, pour la plupart, ne
seront pas inconnus, loin de là, même si 50 ans ont passé…
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Jaime Laredo lors d'une Master Class |
Présenter tous ces artistes serait fastidieux. Je m'attarde juste sur
Jaime Laredo, premier violon lors de cet enregistrement et qui n'avait que 24
ans.
Joufflu et toujours souriant, le jeune homme d'origine bolivienne étudiera
brillamment le violon, l'alto et la direction d'orchestre à la
Julliard School qu'il intègre
en 1953. Sa carrière débute
réellement lors d'un concert à Carnegie
Hall en
1960. En 1959, il est
lauréat du très difficile concours musical international
Reine-Élisabeth-de-Belgique.
Comme je l'ai écrit plus haut, il sera très présent au festival de
Marlboro. Parallèlement, il deviendra un pédagogue réputé et professeur au
célèbre
Curtis Institute de Philadelphie. À partir de 1999, pour faire travailler la technique du violon à
une élève surdouée, il prendra sous son aile une petite brune nommée
Hilary Hahn…
Jaime Laredo
est un artiste rare au disque. Les exceptions sont des références : les
sonates pour violon et clavier
de
Bach
avec
Glenn Gould, les trois
quatuors avec piano
de
Brahms
en compagnie de
Isaac Stern,
Yo-Yo Ma et
Emmanuel Ax (Laredo
tient la partie d'alto), et enfin un
triple concerto
de
Beethoven
avec deux autres habitués de Marlboro :
Rudolf Serkin
et
Leslie Parnas.
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Parenthèse
: en me documentant pour cet article, je découvre un
Mendelssohn
qui brillait aussi comme aquarelliste, en plus d'un emploi du temps dément
dédié tant à ses compositions qu'à la redécouverte et à la promotion des
musiques des époques baroque et classique (les passions de
Bach) !! Et ma foi, un graphisme plutôt habile. Une aubaine pour l'iconographie
de ce billet.
L'ouvrage composé en 1825 sera
créé à Leipzig en
1826.
Mendelssohn
ne souhaitait pas écrire une œuvre pouvant faire croire à une compétition
fantasque entre deux quatuors. Non, l'idée est plutôt de faire sonner les 8
instruments à cordes en symbiose, et dans l'esprit symphonique plutôt que
chambriste. Il existe d'ailleurs une transcription pour grand orchestre de
cordes.
Lucerne : Aquarelle de Mendelssohn de 1847 |
1 – Allegro moderato ma con fuoco
: dès les premières mesures, le
Mendelssohn
des symphonies pour cordes d'un enfant de douze ans laisse place au jeune
compositeur romantique. Trois arpèges vigoureux en crescendo du premier
violon se lancent comme
des vagues et parcourent
trois octaves. Tonalité : l'enjoué mi bémol majeur. Un thème qui marque
l'esprit, un effet de vagues et donc d'élan qu'affectionnera
Mendelssohn
dans nombre de ses compositions futures. Un thème simple et efficace qui
capte immédiatement l'attention de l'auditeur. Lors de l'exposé par le
second violon, les autres cordes marquent une douce rythmique qui accentue
le style chaloupé du propos.
Beethoven
qui vit en ces temps ses deux dernières années, maîtrisait lui aussi l'art
du thème qui frappe d'emblée. Et peu importe qu'il soit d'une grande perfection en terme de solfège…
A-t-il influencé le jeune
Felix
?
La seconde idée principale sera plus poétique et mystérieuse. Du grand art
dans cette opposition typiquement romantique entre la fougue et la réflexion
intime. Je ne pense pas qu'il faille chercher des préoccupations
littéraires, spirituelles, ou encore une traduction des philosophies de
Goethe ou de
Schiller très en vogue à
l'époque. Non : une musique pure, juvénile et malicieuse, qui en impose.
Mendelssohn
nous entraîne dans une danse radieuse et aimable d'une sophistication
mélodique très accomplie mais aussi très aisée à suivre. Là est la signature
du grand compositeur en devenir, même à seulement 16 ans. Côté écriture,
comme
Schubert,
Mendelssohn
fait preuve d'une incroyable capacité à utiliser tous les artifices de la
polyphonie et des règles harmoniques : appogiatures, complexification
évolutive du discours, dissonances chromatiques
inattendues. Jamais
l'intérêt ne se
relâche, jusqu'à la coda en apothéose.
Dans l'interprétation conduite par
Jaime Laredo, le feu ne s'éteint jamais et les inévitables imperfections du live et de
la prise de son de l'époque ne s'entendent plus en regard de ces
débordements lyriques et fougueux. La richesse et le refus de tout
académisme apportent un souffle dionysiaque à cet allegro.
Leipzig sous le pinceau de Mendelssohn |
2 – Andante
: [14:52] Après un imposant allegro initial représentant à lui seul près de la moitié de la partition, on
pouvait s'attendre à un scherzo de détente.
Mendelssohn
reste fidèle au mode classique du mouvement lent placé en second. Changement
de tonalité avec le plus secret et mélancolique Ut mineur. On est surpris
par le ton élégiaque et méditatif adopté par un aussi jeune compositeur. Si
Mozart
à un âge identique se régalait de divertissements,
Felix
prend place avec audace et certitude dans le mouvement romantique débutant.
Le mouvement aux accents nocturnes inspire le spleen avec notamment le jeu
grave et presque tragique des violoncelles. Dans la partie centrale, le
compositeur développe un passage plus vaillant aux sonorités abruptes. On
pensera encore à
Beethoven. Et je pense que les symphonistes comme
Brahms
et
Bruckner
ne seront pas insensibles à ce climax clé de voute
pour imaginer leurs adagios
et autres andante. L'interprétation évite la langueur et la noirceur par un
jeu très articulé des huit protagonistes.
3 – Scherzo : allegro leggierissimo
: [21:27] Bref, enlevé et allègre, ce petit scherzo assure un retour à un
climat festif. Le staccato crépite, les cordes se poursuivent. Une
bacchanale réjouissante d'alacrité et de simplicité. Une exceptionnelle
habilité dans le traitement léger du discours entre cordes.
4 – Presto
: [26:09] De nouveau des plans sonores se chevauchent en partant des cordes
graves. Une course poursuite facétieuse et plutôt diabolique à jouer à mon
sens. Des passages plus legato interrompent ce mouvement volubile. Comme
dans le scherzo, le staccato très sollicité soutient la vivacité de la
mélodie frénétique jusqu'au maelström final.
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Pour cette œuvre à la formation atypique, en un mot : unique en son genre
par sa qualité et sa popularité, on trouve de nombreux
enregistrements.
En 1972, l'Octuor de Vienne, un ensemble créé à l'origine pour jouer l'octuor
pour 5 cordes et 3 vents de
Schubert, signe avec trois autres instrumentistes une version très élégante, à la
sonorité riche, au phrasé très romantique. Un peu moins fou que les
complices du concert de Marlboro, mais quelle classe et la
grande stéréo de ces
années-là (DECCA
– 5/6). En complément : le
septuor de Beethoven.
Pour l'association de deux quatuors, la réunion du
Quatuor Janacek
et du
Quatuor Smetana
est un cru exceptionnel datant de
1966. On retrouve avec bonheur
l'absence de compétition entre les deux formations. Le style est nerveux et
endiablé, deux qualités indispensables pour réussir ce pari. (Supraphon
– 6/6). En complément le premier trio.
Enfin, la tentative insolite du
Quatuor Emerson
de jouer en deux sessions synchronisées est plutôt une bonne surprise même
si la spontanéité n'est pas au rendez-vous à chaque instant. (Dgg –
5/6) Nota : version disponible en complément d'une intégrale des quatuors de
haute volée.
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L'interprétation des musiciens du
festival de Marlboro, puis un petit reportage sur la réalisation en doublon et avec l'aide
de l'électronique des
Emerson.
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