Ralph Vaughan Williams et Leopold Stokowsky (à droite) en 1957 (Comme tous les anglais, Vaughan Williams ne savait pas nouer une cravate ☺) |
En
cette période estivale, voici une chronique sur une courte et poétique œuvre pour cordes
(il y a des fans pour cette formation) et aussi sur une amitié de plus de cinquante
ans : celle entre le compositeur anglais Ralph Vaughan
Williams et le célébrissime chef d'orchestre américain Leopold Stokowski. Stokowski,
un personnage hors du commun et pittoresque, un chef revendiquant son
originalité haut et fort et ses options interprétatives très libres, voire
iconoclastes. Mais si, vous le connaissez peut-être sans le savoir, c'est à lui
que Mickey sert la main dans le
dessin animé Fantasia de 1940.
Un
article a été dédié en mai 2016 au compositeur anglais de premier plan Vaughan Williams, un musicien qui repose
auprès de Purcell à Wesminster. Ce
grand maître doublé d'un humaniste était notre invité pour un commentaire de sa
magnifique 3ème
symphonie dirigée par Bernard Haitink
avec la Philharmonie de Londres. Un
orchestre anglais, évidement, puisque la musique de ce monsieur a du mal à
pénétrer les frontières de l'hexagone. Allez savoir pourquoi ? C'est aussi agréable
et facile d'écoute qu'un Debussy
ou un Ravel qui d'ailleurs était
son ami… Aux USA, Vaughan Williams a depuis
les années 20 conquis le public yankee, et cela grâce au chef Leopold Stokowski qui joua les œuvres de
son ami pendant sa longue carrière (70 ans !), notamment cette Fantaisie sur
un thème de Thomas Tallis qu'il créa en 1920… Je ne reviens pas sur la personnalité du compositeur ; pour
les curieux, l'essentiel est raconté dans deux chroniques, celle déjà
mentionnée à propos de sa symphonie "Pastorale" et
celle consacrée à The
Lark ascending, un petit bijou de poésie pour violon et cordes
écouté sous les doigts de la jolie et talentueuse Julia
Ficher (Clic) & (Clic).
Bon,
vous l'aurez compris, ce billet se veut un portrait souvenir de Leopold Stokowski, l'un des chefs les plus
mythiques de l'histoire de la direction d'orchestre du XXème siècle…
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XX XX |
Le
choix de cette seconde photo n'est pas le fruit du hasard. Ce cliché me fait
penser à une image tirée d'un film expressionniste de Fritz Lang ou Murnau. Stokowski ? Un prestidigitateur ? Un
savant fou ? Un maestro qui sait soigner son marketing comme Karajan ? Un peu tout à la fois chez ce
magicien des podiums…
Leopold Stokowski voit le jour à Londres en 1882 d'un père d'origine polonaise
(d'où ce nom peu anglo-saxon) et d'une mère irlandaise. Jusqu'en 1903, il va suivre une formation
musicale solide, comme organiste notamment (son premier métier). C'est en ce
début de siècle et pendant ses études que le futur maestro va rencontrer le
compositeur et également chef d'orchestre Ralph Vaughan Williams. Une amitié de
plus de cinquante ans unira les deux hommes jusqu'à la disparition de ce
dernier en 1958.
1905 : Stokowski part pour les
USA. Il va exercer son talent d'organiste dans un premier temps puis de chef
d'orchestre jusqu'en 1972, date à
laquelle il retourne dans son pays natal pour une fin de carrière stupéfiante
de la part d'un homme âgé de 90 ans ! En 1976,
il signera un ultime contrat pour diriger jusqu'à cent ans pour CBS Records. Il
meurt en 1977 sur sa terre natale. Pendant
sept décennies, il aura dirigé les meilleures phalanges américaines, notamment
l'orchestre de Philadelphie de 1912 à 1938 (Eugène Ormandy lui succédera
jusqu'en 1980… L'un des meilleurs
ensembles de la planète qui aura connu seulement deux directeurs en… un peu
moins de 70 ans ! - Clic)
Pour son rival Arturo
Toscanini (qui détestait Leopold
jusqu'à l'insulte), une triple croche dans une partition devait rester une
triple croche à la nanoseconde près. Tout l'inverse dans le style de Stokowski qui prenait
d'infinies libertés avec le texte des partitions, heureusement pour
l'enchantement du public. Ainsi, il écrivit une version courte de la symphonie
fleuve de Glière (1 H vs 1 H 40) pour faire découvrir et aimer cette œuvre gigantesque
(Clic).
Il n'hésitait pas à modifier les orchestrations des grands classiques ou
romantiques qui constituaient son répertoire de prédilection. De quoi faire
hurler les puristes…
Son rôle dans Fantasia
tourné par Disney en 1940 achèvera de construire sa légende.
Toutes les œuvres, hormis l'apprenti sorcier, sont réorganisées
par le chef pour coller à l'animation (celles de Beethoven
et de Stravinsky notamment). Pour l'introduction
il orchestre une transcription du prélude et fugue en ré mineur de Bach qui, malgré sa lourdeur et des
contrebasses sépulcrales, séduit et bouleverse d'emblée le spectateur… À noter
que le maestro transcrira un grand nombre de pièces pour orgue de Bach pour l'orchestre et restera célèbre
pour ce travail insolite parfois vu comme iconoclaste. (Cela dit : organiste +
chef d'orchestre + Bach, rien de surprenant.)
Le chef a gravé à de nombreuses reprises ces pièces (préférer EMI en 1972) et les générations suivantes ont repris ce répertoire dans un
style plus léger (Seiji Ozawa). Webern,
Schoenberg et Stravinsky
ont également transcrit des œuvres du Cantor…
Excentrique au
pupitre, excentrique dans la vie, Leopold Stokowski divorcera de sa première épouse et
pianiste Olga Samaroff pour tomber dans les bras de Greta Garbo. Juste un temps, car le lit de la Divine semble avoir été fréquemment visité par d'autres hommes,
d'autres femmes…
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Je ne m'étendrai
pas à analyser cette fantaisie sous toute ses coutures. Certes, la forme de cette
page d'un quart d'heure mérite d'être expliquée, mais, c'est les vacances, et
le cheminement élégiaque de la musique assure lui-même la fonction de guide
d'écoute.
Vaughan Williams s'est toujours passionné pour la
musique de la Renaissance donc de l'époque élisabéthaine. Pour sa fantaisie,
il a puisé son leitmotiv (thème) dans un psautier de Thomas
Tallis (vers 1505-1585),
le psaume 2 et les versets 1–2 pour être précis, une pièce chorale écrite en 1567. On va retrouver un climat
religieux mais absolument pas sulpicien dans le déroulement de la mélodie. Pour
pimenter la couleur d'un orchestre à cordes, Vaughan
Williams organise l'effectif en trois groupes : des solistes, un
quatuor et les autres instruments de l'orchestre. Ce dispositif, comme on
l'entend, évite toute monotonie, et au contraire distille une succession de passages
déclamatoires ou intimistes. L'intimisme d'une prière ? Allez savoir. Une
grande mélopée diaphane et épique dont Vaughan Williams
avait le secret. Dans la partie centrale, un émouvant solo-duo du violon et de l'alto.
En
1952, avec un orchestre
de studio, Stokowski
septuagénaire gravait une vision tendue extraordinairement articulée. En 1974, plus que nonagénaire, le vieux
chef, en complicité avec le New Philarmonia,
adoucit le trait pour une lumière mordorée digne d'un Turner. C'est cet ultime enregistrement techniquement plus fouillé
et équilibré que nous écouterons. Une interprétation en live d'un concert
retransmis par la BBC et réédité dans sa collection BBC legends. "Legend"
: un terme ici aucunement usurpé…
Dans l'ordre : une vidéo sans image du concert de 1974. En regard, une photo d'une qualité rare de 1934 avec Shirley Temple intimidée par Stokowski déjà adulé comme une star aux USA. Puis une seconde vidéo : en 1954, Leopold Stokowski dirige sa transcription de la toccata et fugue en ré mineur de Bach ; une curiosité !
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerPour moi la meilleure version est celle de Sir John Barbirolli.
RépondreSupprimerA connaître aussi la 4ème symphonie qui est l'antithèse de la 3ème, toute en fureur et contraste.
Bonjour nuldu59
RépondreSupprimerCe petit billet estival était plutôt dédié à Stokowski l'excentrique.
Cette fantaisie a été enregistrée un nombre incalculable de fois, d'autant qu'elle sert assez (trop ?) souvent de complément pour les disques de RVW.
Les symphonies marquantes du compositeur sont à mon sens les 3 à 6. Il y a un article consacré à la 3ème. La 4ème aura le sien bien entendu (mais il faut une bonne interprétation et donc une vidéo ad-hoc, peut-être Mitropoulos dont je n'ai jamais parlé).