Pourquoi ce film-là plutôt qu’un
autre ? Parce que je viens de le revoir pour la dix-huitième fois, parce
que c’est un de mes préférés, qu’il résume tout le savoir-faire et l’esprit de
Woody Allen, parce que l’histoire est géniale, la mise en scène d’une liberté
nouvelle.
A l’origine, cette histoire
devait faire partie de ANNIE HALL (1977), co-écrit avec l’écrivain dialoguiste
Marshall Brickman, qui a travaillé avec Woody Allen à ses débuts, jusqu’à
MANHATTAN. Finalement, l’idée n’est pas retenue, Allen l’offre à Brickman si d’aventure
il souhaite la développer plus tard. Brickman n’en fera rien, et en 1993, Woody
Allen reprend le scénario.
L’histoire est celle du couple
Carol et Larry Lipton, les derniers à avoir vu vivante leur voisine d’appartement,
madame House. Qui claque d’une crise cardiaque. Paul House, le veuf, ne semble
pas spécialement accablé de douleur. Ca et d’autres indices, petits mensonges,
persuadent Carol Lipton que Paul House a assassiné sa femme. Elle décide de mener
l’enquête, aidé d’un ami, Ted, et au grand dam de Larry. La théorie du meurtre
se confirme, reste à coincer le coupable…
MEURTRE MYSTERIEUX A MANHATTAN
tient de la comédie policière, de l’étude de caractère. Les deux se mêlent
joyeusement, avec un équilibre quasi parfait. L’intrigue policière est
particulièrement bien foutue, il y a de réels enjeux, le spectateur est
immédiatement happé, convaincu par Carol que cette histoire n’est pas claire,
et elle nous entraine avec elle à la recherche d’indices. L’enquête est prétexte
à de belles scènes de comédie. La fouille de l’appartement, les filatures,
toute la séquence dans un hôtel miteux où Larry se fait passer pour un flic
hard-boiled, alors qu’il panique dans un ascenseur !
Le spectateur va de surprises
en révélations (je n’en dirais donc pas trop…), et on note un plan en commun avec LE SILENCE DES AGNEAUX. Si si, dans l'ascenseur... C’est un des films préférés de son auteur. La mise en
scène est très ludique, et surtout d’une grande liberté. C’est l’époque où
Woody Allen filme caméra à l’épaule. Il fait ce que beaucoup ne s’autoriserait
pas. Comme faire parler ses acteurs hors champ. Plutôt que d’avoir une caméra
en mouvement dans un appartement, ce sont les personnages qui bougent, vont à
droite, à gauche, disparaissent, réapparaissent, sans que la continuité du
dialogue soit rompue (merci à Jean Renoir et à LA REGLE DU JEU, dont Woody
Allen s’est toujours déclaré fan absolu).
Autre figure de style propre à
Woody Allen, la manière de filmer un dialogue dans la rue. Le cadre commence vide,
mais on entend les personnages parler, qui apparaissent ensuite à un coin de
rue, et viennent vers nous. Pas de perche-son, donc des micros HF, permettant
une grande liberté de mouvement. Tout cela profite au film, à ce ton léger,
badin, au rythme échevelé, et colle au côté amateur de ces apprentis détectives.
Comme toujours, le film est
aussi un regard porté sur le couple, le vivre ensemble, ici, le vieillir ensemble.
Ted est amoureux de Carol, ça saute aux yeux, raison pour laquelle Larry essaie
de le caser avec une de ses auteures (il est éditeur) célibataire et croqueuse
d’hommes. Les seconds rôles sont comme toujours soignés, Ted, joué par Alan
Alda, et Marcie Fox, jouée par Angelina Huston. Grande, toute vêtue de noir,
sûr d’elle, sa morphologie détonne avec celle de Woody Allen, est créé du
comique. La scène où elle lui apprend à jouer au poker…
Et celle, géniale, où les
quatre discutent dans un restau du problème que suscite l'absence de cadavre pour juger un crime, à haute
voix. Plus Marcie dit des horreurs macabres, plus les deux mecs fondent d'amour pour elle ! Ils mettent au point une stratégie, pour piéger Paul House au téléphone,
en lui faisant croire à un dialogue avec sa maîtresse, alors que les phrases
sont issues d’enregistrements passés sur cassette, déclenchés au bon moment…
La fin du film culmine avec la
scène dans le vieux cinéma qui passe LA DAME DE SHANGHAI d’Orson Welles. La
fameuse tuerie dans la galerie de miroirs. Scène reproduite par les
protagonistes, et qui se superpose au film projeté. Un tour de force assumé par
Woody Allen, qui d’ordinaire y rechigne, mais qui ici souhaitait vraiment se
faire plaisir. Il pousse jusqu’à faire boiter la secrétaire et complice de Paul
House, comme l’avocat dans le film de Welles. Il y voit aussi des extraits de
ASSURANCE SUR LA MORT de Billy Wilder, citation toute indiquée.
Une autre référence avait été
saluée. Dans une scène de rue, on voit à l’arrière-plan un bus passer, avec sur
son flanc l’affiche de VERTIGO d’Hitchcock. Et tout le monde d’applaudir cette
trouvaille, sauf que… Woody Allen a expliqué depuis que c’était un pur hasard, c’est
une fois le film sorti qu’on lui a fait remarquer cette coïncidence !
Les acteurs sont fabuleux,
Diane Keaton, Alan Alda, Angelica Huston, les dialogues toujours aussi fins et
drôles. C’est dans ce film, alors qu’ils ressortent de l’opéra avant la fin du
spectacle, qu’on entend Woody Allen dire à Keaton : « Si j’écoute
trop de Wagner, ça me donne envie d’envahir la Pologne ! ». On y entend aussi cette mise en garde de Larry à sa femme : « Je t'interdis d'y aller, je t'interdis ! tu entends, je t'interdis... si jamais tu y vas, plus jamais je t'interdirai quelque chose ! ». La
dernière réplique est fabuleuse, d’abord écartée car jugée moyenne, puis
finalement réintégrée (il a fallu retourner juste ce plan alors que le film
était fini) : En parlant de Ted, au physique plus avantageux que le sien, Larry questionne sa femme : « Retire-lui ses semelles
compensées, son faux bronzage et ses couronnes, il reste quoi ? ». Et
sa femme répond : « Toi ! ».
C’est drôle, pétillant,
ingénieux, intelligent, prenant (l’enquête n’est pas un prétexte, mais guide
tout le film), c’est un régal de chaque minute. Bon sang, mais pourquoi ça
parait si simple… sauf que, si ça l’était, on aurait des comédies de ce calibre
plus souvent, ce qui est loin d’être le cas.
couleurs - 1h50 - format 1:1.85
bande annonce sans sous-titre...
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Voir 18 fois un Woody Allen, écouter les éructations springsteeniennes pendant près de 4 heures. J'ai enfin trouvé la raison de ces comportements aberrants: tu es un mystique, l'héritier des pénitents des siècles passés qui cherchaient la mortification après une vie de péché. La musique et le cinéma ont juste remplacé la haire et le cilice, voilà tout. Quant à savoir ce que tu as à expier, vu les tourments que tu t'infliges....
RépondreSupprimerShuffle, dans la liste des tourments tu as oublié les Deepurpleries...Luc ne répondra peut être pas rapidement, étant est en vacances (pénitence? Saint Jacques de Compostelle?), sans smartphone, sans portable, sans connexion internet ..
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