- Ah, de nouveau une symphonie de Beethoven M'sieur Claude… Pour
prolonger une série de neuf chroniques déjà bien engagée ? Une œuvrette de
jeunesse ?
- Pas vraiment Sonia. Contrairement à d'autres compositeurs célèbres qui
se voulurent symphonistes à l'adolescence, Beethoven avait 30 ans et c'est
une œuvre de grande passion…
- J'ai fait le point dans l'index, les symphonies 3, 5, 6, 7 et 9 ont
déjà été commentées
dirigées par
différents maestros. Une raison particulière dans le choix de J.E.
Gardiner ?
- Oui, ce chef
choisit
toujours
un orchestre aux couleurs
sonores propres à
l'époque des
œuvres. Une
prouesse déjà mise en avant dans le Requiem de Mozart et la symphonie
Fantastique…
- J'écoute depuis le début de notre échange M'sieur Claude, et je pense
certes à Haydn, au Mozart de la "Jupiter", mais il y a un "je ne sais
quoi" d'énergisant en plus…
- Et oui ma belle, les prémices du romantisme, des hardiesses
harmoniques, peu de temps avant l'écriture de la symphonie "Héroïque" de
1803…
John Eliot Gardiner en 2014 |
Je ne reviens plus sur la biographie du grand
Beethoven
après vous avoir
consacré 13
articles à celui dont le nom résonne comme synonyme de "compositeur classique". Dans les programmes passés : les
symphonies
citées par Sonia, un
quatuor, des
concertos, des
sonates, un
trio
et dire que l'aventure continuera est une évidence. Beethoven excellait dans tous les domaines hormis l'opéra qui ne l'a pas réellement
séduit.
1799-1800
:
Beethoven
partage assidument la vie musicale hyperactive viennoise depuis une dizaine
d'années. Il est reconnu comme un pianiste virtuose et un improvisateur
d'exception. Ses premières
partitions de chambre, ses
sonates
pour piano et son
premier concerto
ont marqué les esprits. Une ombre au tableau, depuis
1796,
Beethoven
entend moins bien. Ô c'est encore léger, la surdité quasi définitive de
1820 est à venir. C'est dans la
première décennie du XIXème que l'agacement dû à cette infirmité
évolutive deviendra désespoir pour le compositeur.
En
compositeur confirmé que
Beethoven
aborde l'univers symphonique difficile à maîtriser. L'élève indiscipliné de
Joseph Haydn
a acquis les règles fondamentales pour écrire une œuvre orchestrale qui
sache tenir en haleine le public. Mais bien entendu, le jeune
Ludwig
va apporter à son
opus 21
des innovations qui, pour certaines, vont s'élever aux rangs de normes
applicables au genre durant tout le XIXème siècle et l'époque
romantique, et même jusqu'à la
symphonie "classique"
de
Prokofiev
que nous écouterons cet été.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Beethoven vers 1800 |
Même si les deux hommes ne s'entendaient guère,
Beethoven
a retenu les leçons de rigueur de
Haydn
et admire les symphonies de
Mozart, les deux aînés ayant donné leurs lettres de noblesse
à la
symphonie classique en cette fin du siècle des lumières…
Ludwig van
reste intrigué par l'harmonie (vents et cuivres) à géométrie variable
utilisée par
Mozart. La semaine passée, on a pu constater que la
symphonie n°29
ne comportait que deux hautbois et deux cors, tandis que la
n°31
écrite 4 ans plus tard proposait une harmonie plus éclatante. La
symphonie N°25
comporte dans son orchestration 4 cors, 2 hautbois et
2 bassons.
Mozart, pour parler de manière triviale, improvise avec les moyens du bord, à savoir
avec les musiciens mis à sa disposition par ses protecteurs plus ou moins
fortunés ou plus ou moins motivés par la musique…
Beethoven
ne veut plus dépendre des caprices des nobles et autres notables et des
coupures de budgets, il sera novateur en ce domaine, son caractère farouche
s'accommodant difficilement des dictats de ses commanditaires. Il met en
place une orchestration de base qui répond
au
dispositif
instrumental ci-dessous,
le
modèle
de
disposition sur scène
étant
:
|
2 Cors
|
Timbales
|
2 Trompettes
|
(3 trombones)
|
|
|
2 Clarinettes
|
2
Bassons
|
|
||
|
2
Flûtes
|
2
Hautbois
|
|
||
Violons I
|
Violons II
|
Altos
|
Violoncelles
|
Contrebasses
|
C'est le cas pour la
1ère symphonie. La plupart des
symphonies
ou des
concertos
romantiques vont proposer à partir de
1800 une orchestration calquée
sur ce modèle qui apporte une couleur riche et inédite aux œuvres. Le nombre
de cordes prévu par les chefs d'orchestre va augmenter (parfois trop à la
fin du XIXème siècle) pour jouer
Schubert,
Mendelssohn,
Schumann,
Brahms,
Bruckner
à ses débuts, etc. Une exception :
Berlioz
qui ajoutera des percussions, des harpes, des cymbales, des tubas, etc.,
inventant par
là-même
l'orchestre moderne, celui de
Richard Strauss et de
Mahler.
John Eliot Gardiner
a déjà participé à cinq chroniques dans le blog. L'éclectisme du chef
anglais et son talent expliquent cette présence fréquente
(Index). Sa biographie la plus détaillée se trouve dans l'article consacré à
Purcell (Clic). Gardiner
se fait un devoir de diriger des ensembles les plus adaptés possibles à la
musique qu'il interprète, allant, si nécessaire, jusqu'à créer lesdits
orchestres. Pour l'époque baroque :
Monteverdi Choir and Orchestra
en 1964. En
1990,
L'Orchestre Révolutionnaire et Romantique
voit le jour au bénéfice de la musique du
répertoire
classique et romantique. Et pour les œuvres de l'époque postromantique et
moderne, comme ses camarades maestros,
il devient chef invité
des phalanges les plus brillantes
de Vienne ou
de Londres
comme le Philharmonia ! Les Planètes
de Gustav Holst avec
un orchestre baroque, "ça ne le fait pas" !
Et c'est naturellement qu'il enregistre en
1993 en live avec l'Orchestre Révolutionnaire et Romantique
une intégrale des symphonies de
Beethoven, avec des cordes en boyaux, des trompettes et des cors naturels sans
pistons (photo ci-contre) et des timbales bien sèches en peau… Au départ
notre oreille est un peu déroutée mais quelles belles couleurs dans ce
Beethoven
rajeuni dont l'innovation en termes d'orchestration contrastée prend ici
toute sa signification !
La
symphonie
fut créée en 1800 avec succès
au Burgtheater de Vienne. Bien
entendu, quelques critiques trouvèrent à redire sur les hardiesses tonales
et la place nouvelle donnée à l'harmonie enrichie, notamment aux
cuivres…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Burgtheater de Vienne en 1888 |
1 - Adagio molto - Allegro con brio
: Trois audacieux accords syncopés
fp nous prennent à bras le corps
: orchestre à l'unisson (sauf trompettes et timbales), cordes en pizzicati.
Beethoven
aime et aimera ces motifs, brefs et simples, qui assaillent d'emblée le
mélomane, qui captent son attention. L'exemple le plus célébrissime de ce
principe sera le
motif de
quatre notes introduisant la
5ème symphonie. Un noble adagio se développe sur une mélodie des cordes sur laquelle se
superposent des accords des vents. Une grandeur en adéquation avec la
volonté de
Beethoven
de frapper fort pour justifier l'extension de l'orchestration. Bien qu'en Ut
majeur, l'adagio hésite entre le fa majeur et le ré mineur et crée ainsi un
climat de sérénité mystérieuse. Encore une initiative qui fera grincer
des dents
les
conservateurs.
Haydn
avait déjà expérimenté ces adagios introductifs dans les dernières
londoniennes, notamment en 1795 dans la
103ème symphonie. (Même orchestration.)
À la treizième mesure l'allegro prend son envol, opposant un thème vigoureux plutôt réservé aux cordes
et un chant plus léger et concertant où les bois virevoltent. Dans le
développement, Beethoven
se voudrait plus grave, légèrement dramatique, mais la bonhomie reprend vite
le dessus jusqu'à la coda.
Beethoven
pour ce premier essai respecte quasiment à la lettre la construction de
forme sonate. Ce sont les couleurs chamarrées des bois et les traits altiers
des cors et des trompettes qui marquent le désir évident d'innovation. Et, à
propos de couleurs
et
de
timbres
agrestes, l'Orchestre Révolutionnaire et Romantique
est tout à son affaire. Des sonorités cinglantes et très claires que
John Eliot Gardiner
exalte par sa direction musclée, une mise en place bien définie, un tempo
vif. On pourra ne pas aimer la rusticité du propos, mais le chef anglais
mise sur un
Beethoven
opiniâtre qui
deviendra bientôt l'homme de la
symphonie
"héroïque".
Première page de la partition originale |
3 - Menuetto (Allegro molto e vivace)
: [14:50] Menuet ? C'est vite dit pour ce mouvement noté allegro et qui
n'évoque en rien les menuets galants de
Mozart. (Je reste dubitatif quant aux musicologues qui pensent qu'un menuet
mozartien doit désormais être joué avec précipitation. Un menuet n'est pas
un galop ou un fox-trot). Donc allegro et vivace de surcroît ! Très
simplement, pour la première fois
Beethoven
substitue au menuet un vrai scherzo et sa forme ternaire si reconnaissable.
Un thème allant introduit le menuetto en opposition avec un motif plus
nonchalant. La timbale martèle les reprises du thème 1. Encore une
nouveauté. Comme l'écrivait Luc en son temps, dans les œuvres mozartiennes,
le timbalier ne risque pas le burnout, ici c'est l'inverse. Trivialement,
dans ce morceau traditionnellement de repos, et bien "ça déménage" ! Le trio est chanté par les hautbois soutenus par des traits facétieux
de violons. Le retour du scherzo se fait sans reprise.
4 - Finale : Adagio - Allegro molto e vivace
: [18:58] C'est justement la timbale qui appuie le premier accord du finale.
Après quelques mesures hésitantes, Beethoven lance ses troupes dans une course folle de facture plus traditionnelle.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Il faudrait un aplomb démesuré pour établir en mon nom une discographie de
référence pour cette symphonie. Je me demande s'il n'existe pas des
rééditions d'enregistrements sur rouleaux de cire. Pour les grands noms des
chefs beethovéniens historiques, la liste semble immuable :
Furtwängler,
Herbert von Karajan
(4 fois en studio),
Klemperer,
George Szell, et pour se rapprocher de notre époque :
Riccardo Chailly,
Marris Jansons,
Simon Rattle,
etc.
Sur instruments d'époque, on trouvera un bonheur égal
en
écoutant la gravure de
Gardiner
et celles de
Charles Mackerras
ou de
Roger Norrington.
Cela dit, pour ma part, j'émets une petite réserve sur la plasticité et la sonorité
plus banale de leurs orchestres en regard de l'Orchestre Révolutionnaire et Romantique.
Héritier du style de
Furtwängler
- comprendre la grande tradition du romantisme allemand - le quinquagénaire
Christian Thielemann, souverain dans
Richard Strauss, propose en DVD ou en CD une conception
traditionnelle avec la
Philharmonie de Vienne, une interprétation très lisible mais d'une lenteur à la limite de la
pesanteur pour cette œuvre ardente (28' vs 22' pour
Karajan
en 1977). Les avis sont partagés : emphatique ou magistral ? Je vous laisse
juger en ajoutant la vidéo du live à Vienne… J'avoue ne pas être insensible
à la ductilité du fabuleux orchestre viennois, mais sans plus…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Gardiner ne verse dans aucun des excès des baroqueux (sonorités acres à la limite du faux, part excessive des vents sur les cordes, tempos échevelés, etc.) et son orchestre révolutionnaire et romantique reste chaud, avec de superbes couleurs. L'intégrale est très réussie, bien plus accomplie me semble-t-il que celle d'Harnoncourt qui vieillit mal et, en tout cas en ce qui me concerne, n'a pas résisté à la première écoute.
RépondreSupprimerJ'ai une tendresse particulière pour Josef Krips et, dans les versions plus récentes, Chailly avec le Gewandhaus.
Excellent week-end
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerC'est marrant, parce que pour ma part, je trouve qu'hors intégrale, les deux premières symphonies de Beethoven sont assez sous-représentées dans la discographie, surtout si on compare aux 3,5,6,7 et 9. Cela dit, j'aime beaucoup Gardiner, dont l'intégrale est en effet assez passionnante, en effet : articulations soignées, belle lisibilité, équilibre des pupitres très bien réalisé dans l'optique retenue -allègement des pupitres de cordes-, vivacité sans précipitation... Tout cela fonctionne à merveille.
RépondreSupprimerLe magazine Gramophone l'avait retenue parmi les cinq intégrales incontournables de la discographie des symphonies de Beethoven, avec Toscanini, Karajan-Berlin 62, Klemperer et Norrington -je n'ai jamais compris le choix de ce dernier autrement que par une volonté de retenir un autre chef anglais...-.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerWaouh ! Merci à tous pour les lecteurs qui chercheraient le couplage qui leur convient… De mon côté j'ai un single Karajan 1977 avec la 1, la 4 et Egmont (Dgg Galleria). J'assiste de semaine en semaine à votre participation active à la vie de notre blog. Merci au nom de tous les rédacteurs.
RépondreSupprimerIl y a aura des articles "classique" plus concis tous les samedis pendant mes congés, fin juillet, début août. Je répondrai sans faute aux remarques à mon retour de vacances, retour aux sources sans moyens informatiques :o)…
Samedi prochain : Jeux de Claude Debussy par…
Très amicalement.
Claude