- Trois sonates en une seule chronique M'sieur Claude… Ce n'est guère
dans vos habitudes ! Un article fleuve ?
- Au contraire Sonia, les sonates de Brahms forment un groupe de trois
œuvrettes composées en tout début de sa carrière par un jeune compositeur de 20
ans… Un petit billet
suffit pour commenter
ces sonates qui préfigurent le Brahms en
devenir…
- Oui, je vois, donc sans doute des partitions encore imparfaites mais
posant les bases
d'un Brahms
prometteur…
- Absolument, et détailler chaque œuvre serait intello. C'est la parution
de cette intégrale (ce qui est rare) qui me suggère ce billet… (Vu à la
Télé)
- Vous n'avez jamais parlé de ce pianiste François-Frédéric Guy il me semble ?
- En effet, et je profite donc de cette nouveauté discographique pour
présenter un grand artiste discret, amoureux de Beethoven…
Les sonates de
Brahms
sont peu enregistrées. On peut imaginer en voyant les numéros d'opus : 1, 2
et 5 que le matériau sonore est maigre, la forme académique ou Dieu sait
quoi encore de péjoratif pour ces œuvres dites "de jeunesse". Le terme
d'œuvres de jeunesse est souvent employé poliment pour ne pas critiquer
ouvertement les maladresses de la production de compositeurs inexpérimentés.
Pourtant ici, rien de tout cela. Nous écoutons des sonates qui échappent
joyeusement à toute structure scolaire. Si on considère d'emblée que la
sonate n°3
comporte 5 mouvements et non quatre, il faut reconnaître que la forme quasi
symphonique du second concerto écrit 30 ans plus tard porte les gênes de la
liberté musicale de ces premiers essais pianistiques. Opus choisis par
Brahms
pour initialiser son catalogue. Le fougueux jeune musicien n'a peur de rien,
veut s'affirmer, et va y parvenir…
Pourquoi les virtuoses dédaignent-ils
ces partitions ? Mystère ! Certes
Brahms
débute en composant trois sonates aux proportions pour le moins
inhabituelles (35-40 minutes), durée que seul
Schubert
avait maîtrisé au crépuscule de sa vie. (Voir
sonate N° 20
par
Serkin
–
Clic.) Peu de sonates de
Beethoven
que
Brahms
idolâtrait atteignent ou dépassent les 20 minutes. Oui, c'est foutraque par
moment, abusivement virtuose, mais b**l, quelle vitalité, quel élan, ça
décoiffe !!
On raconte que
Samson François
dit un jour avec humour en parlant de
Brahms
: "Rien que d’y penser, j’en ai mal aux doigts". Et c'est vrai que l'énergie percutante de
ces sonates demande une
belle endurance. On peut comprendre la boutade du pianiste français qui
jouait avec tant de subtilité les
Nocturnes
de
Chopin…
J'ai souvent évoqué l'amitié qui lia
Brahms
et
Schumann
jusqu'à la disparition tragique de ce dernier. Lorsque Johannes présenta à
Schumann le manuscrit de sa
troisième sonate, ce dernier lui fit un commentaire soulignant l'ampleur symphonique de la
pièce.
Brahms
poursuivra à ses débuts cette recherche de la démesure avant de se tourner
vers la brièveté et l'épure dans les œuvres de sa fin de carrière. La
remarque avait déjà été formulée à propos de son
Trio n° 1 opus 8, très développé dans sa première mouture, puis condensé lors de l'édition
définitive trente ans plus tard.
(Clic)
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François-Frédéric Guy - (photo : BALTEL / SIPA) |
C'est en regardant le JT de l'A2 que j'ai découvert
François-Frédéric Guy
venu présenter cet album
Brahms
paru mi-avril. Un faux air de
Moustaki, une légère timidité*
et l'exécution toute en finesse de quelques mesures d'une sonate m'ont
convaincu d'écrire ce billet dans la foulée. Ne connaissant pas cet artiste
qui n'est pas au service du
marketing de Dgg ou Decca ou invité chez Drucker (Plutôt
Jean-François Zygel sur FR3, c'est un +), je suis parti à la
rencontre de ce monsieur sur le Web…
*
J'ai souvent remarqué que les artistes les plus talentueux sont ceux
qui font un minimum d'esbroufe sur les plateaux.
François-Frédéric Guy
est né à Vernon dans l'Eure en
1969. Il commence ses études
avec le pianiste et pédagogue de renom :
Dominique Merlet. Début dès l'âge de 20 ans de sa carrière de concertiste : soliste
accompagné par l'Orchestre de Paris dirigé par
Wolfgang
Sawallisch. Le jeune virtuose ne fait pas dans la demi-mesure pour son baptême du
feu.
Même période, premier CD : le gigantesque
2ème concerto
de
Brahms (déjà) en complicité avec le chef finlandais
Paavo Berglund (Clic)
et la
Philharmonie de Londres.
Début d'une carrière avec les meilleurs orchestres et les chefs de premier
plan :
Tilsson
Thomas,
Daniel Harding
et même
Bernard Haitink
au
festival de Lucerne
(La cours des très grands). Récital, musique de chambre et créations
contemporaines complètent cette liste…
François-Frédéric Guy
semble vivre en osmose avec
Beethoven
dont il a donné plusieurs fois l'intégrale des
32 sonates
lors de cycles de concerts répartis sur une semaine.
François-Frédéric Guy
n'étant pas un stakhanoviste de l'enregistrement, réservant son talent pour
des petits labels et des gravures très affinées, cela peut expliquer ma
méconnaissance impardonnable de ce pianiste.
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Albert Hermann Dietrich |
1
- La
première sonate opus 1
voit le jour en l'année 1853 à
Düsseldorf.
Robert Schumann
prodigue ses conseils au jeune compositeur qui dédie sa partition à
Joseph Joachim… Bon c'est un violoniste mais les amis, c'est les amis. Soyons clair,
Brahms
n'a écrit réellement que le scherzo de cette sonate de forme hyper classique
en quatre mouvements :
allegro,
andante, scherzo et final.
Schumann et le pianiste
Albert Hermann Dietrich
ami de
Brahms
ont participé grandement à l'élaboration de la sonate. De style de fait
impersonnel, on y trouve des accents schubertiens. (Les trois grandes
sonates de Franz avaient été publiées vers
1838.) Mais on sent déjà dans
cette ébauche à plusieurs mains le contraste entre thèmes fougueux, frappe
généreuse du clavier et climat tempétueux qui seront la signature musicale
de
Brahms.
Robert Schumann |
Le jeu de
François-Frédéric Guy
déploie virtuosité (dans le
sens belle articulation et souplesse) et, après les mesures introductives
allègres, le pianiste magnifie cette poésie aérienne que l'on nomme :
le sens élégiaque
chez
Brahms. C'est parfait de clarté et d'inspiration. L'andante adopte un ton rêveur
sans mièvrerie grâce à un legato facétieux et détaché.
François-Frédéric Guy
fait preuve de magie en allégeant le langage encore emporté et pesant de
Brahms
qui mettra plus de temps que d'autres compositeurs, comme
Mozart
ou
Schubert, à affiner son style. Malgré les faiblesses de l'œuvre, le pianiste nous
restitue une musique bien vivante (rondo final).
2 –
la
seconde sonate opus 2
est en fait la première, antérieure d'un an à sa sœur (1852).
François-Frédéric Guy
parvient à nous intéresser à une œuvre manquant singulièrement
d'imagination, aux thèmes assez banals. Et de là vient tout l'intérêt de ce
disque : nous faire découvrir un
Brahms
qui se cherche, voulant percuter le piano, mais sans le génie épique d'un
Beethoven. Le pianiste passionne car là encore, il allège le trait, fluidifie le
discours. Sans doute une version de référence pour ces sonates de la main
d'un débutant.
3 –
La
3ème sonate opus 5
de 1853 montre que l'habileté
commence à poindre. Certes toujours désireux d'en faire trop,
Brahms
croit bon d'écrire 5 mouvements et de faire rugir le piano dès
l'introduction. Pourtant la forme symétrique et ses deux andantes ne
prolongent pas inutilement cet ouvrage. (Allegro maestoso ; Andante. Andante espressivo - Andante molto ;
Scherzo. Allegro energico avec trio ; Intermezzo Andante molto ; Finale.
Allegro moderato ma rubato.)
On trouve trace d'une inspiration nourrie de poésie et de ses quelques vers
de Sternau : "Le soir tombe, la lune
brille / Ici, deux cœurs amoureux sont unis / et s'enlacent,
bienheureux.". Brahms
est bien un romantique… Toutes les qualités interprétatives déjà mentionnées
de la part de François-Frédéric Guy
se retrouvent dans le phrasé empreint d'alacrité et de contemplation en
constante opposition dès l'allegro initial.
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Pari risqué et réussi de
François-Frédéric Guy
qui propose cette intégrale captivante et de toute façon sans grande
concurrence (hormis celles de
Jean Frédéric Neuburger assez confidentielle et de
Julius Katchen un peu rude et présente
uniquement dans un coffret
de 6 CD réunissant
l’œuvre complète pour piano de
Brahms)… Et oui ! On ne trouve que des gravures majeures isolées, deux CD se
détachent du lot : les
sonates 1 & 2
par
Sviatoslav Richter
(Decca) et la
3ème
par
Bruno Leonardo Gelber
(un CD Denon qui a été réédité
à bon escient). François-Frédéric Guy
vient de changer la donne.
Les trois sonates enchaînées dans cette playlist :
La discographie des oeuvres pour piano semblait un peu figée dans l'intégrale dite de référence de Julius Katchen, effectivement très belle. Mais cela fait plaisir de constater que la relève est bel et bien assurée. L'intégrale de Geoffroy Couteau fait la une en ce moment. J'en ai écouté quelques extraits, c'est effectivement très réussi.
RépondreSupprimerJ'ai eu la chance d'écouter François Frédéric Guy il y a quelques années, et c'était inoubliable. Un lien quasiment héréditaire le relie à Beethoven. En effet, il a été l'élève de Leon Fleisher, lui même ayant été l'élève d'Artur Schnabel. Et quand on sait que Schnabel a été l'élève du pianiste Leschetizky, qui avait été l'élève de Czerny, qui, comme on le sait, était lui même celui de Beethoven....
Excellent week-end
Jef
Merci Jef
RépondreSupprimerAmusant cette généalogie par clavier interposé...
François Frédéric Guy interprétera le 15 octobre les trios bien connus de Beethoven ("des esprits" et "archiduc"). 14H30 à la philharmonie de Paris et 25 € la place. Qui a dit que le classique était une musique pour les "riches" ?
Bon WE
Claude
Bon, je suis un inculte total en classique, on le savait. J'observe juste que ce coup-ci (couça...), ce n'est pas une blonde éthérée qui a les honneurs de la pochette. Il y aurait donc du classique à la télé? C'est bien la preuve que la télé va mal.
RépondreSupprimerTss Tss… Sacré Shuffle, tu m'inquiètes ! Oui car tu commences à radoter. Mince… si jeune…
SupprimerTu écrivais le 23/1/2012 à 13H25 ceci : -----------------------------------------------------------
"Je ne connais rien au classique, qui reste pour moi une musique très marquée socialement et culturellement (raisonnement regrettable, je sais, mais je ne vais pas me refaire à mon âge). Je suis toutefois impressionné par l'érudition du commentaire. Juste une question : pourquoi les interprètes sont-elles toujours (ou presque) de frêles jeunes filles blondes, diaphanes et évanescentes ? Serait-il possible de mettre leurs numéros de téléphone ?" ---------------------------------------------
Donc il y a plus de quatre ans la même chose qu'aujourd'hui à quelques mots près :o)
Lise de La Salle est toujours aussi blonde, bien entendu, mais avec son 1,75 m et sa force de frappe dans Liszt ou Chopin, mieux vaut ne pas… la "harceler" comme on dit de nos jours. Pas vraiment diaphane cette jeune artiste… D'ailleurs son jeu dynamique n'est pas vraiment celui d'une préado… Sur le millier de pochettes de CD classique dans mes coms, (en comptant les discographies alternatives), Lise doit être la seule blonde hypnotisante :o) Les vieux papis octogénaires vivants ou morts sont légions…
Quant au " très marquée socialement et culturellement", je suis (et j'en suis fier) fils d'ouvriers et le "classique" n'existait pas chez moi avant que j'en écoute dans les années 60. Juste une radio à lampes pour Salut les copains (ça me gonflait déjà) et dimanche accordéon (ce n'est pas une blague). Achat d'un électrophone avec mes petits sous. J'ai d'ailleurs contaminé ma sœur et mes parents qui, fin des années 70, avaient des abonnements annuels aux concerts de radio France !!!!
Alors, le "classique", musique de "classe" ou d"'élite" *… mon c**l !!!!!!
Bien amicalement cela dit à l'un de nos plus fidèles lecteurs ;o)
(*) "Les élites n'existent pas, il n'y a que des minorités" (Serge Gainsbourg)
Je vois que tu tiens tes fiches à jour...Ça fout les jetons....Sur le fond, on peut considérer que je radote, mais aussi que j'ai une ligne de pensée (n'ayons pas peur des mots) parfaitement cohérente et que je ne donne pas dans la palinodie, à l'instar de beaucoup. Je peux me regarder le matin dans la glace avec satisfaction, moi, monsieur.
SupprimerJ'ai découvert F-F Guy il y a quelques années déjà par le biais des concertos et sonates de Beethoven, et je dois dire que je suis assez rapidement passé à autre chose : c'est très bien, mais pas aussi majeur à mes oreilles que d'autres versions de ce répertoire. Quant au Brahms, je l'ai découvert il y a une quinzaine de jours : c'est vraiment très bien construit et articulé, mais pas très bien timbré. Cela dit, je préfère des versions plus personnelles, qui apportent un peu de substance à des oeuvres qui en manquent : Katchen et, surtout, Ugorski, totalement bizarre et étrange, mais qui creuse le son de fort belle manière -et il est mieux enregistré que F.F Guy-.
RépondreSupprimerJe propose par ailleurs à SHUFFLE d'écouter le beau CD consacré à Philipp Glass par Valentina Lisitsa :-D !
JAMAIS. Plutôt écouter Gov't Mule. Je ne donne pas dans la collaboration de classe.
SupprimerDes fiches ? Moi ? M'enfin, chuis pas la NSA !
RépondreSupprimerMot clé : "blonde" -> défilement mental -> Lise de la salle -> Index -> article Chopin-Ballades -> commentaire de Shuffle -> réponse :o) Pas vraiment un exploit intellectuel…
Ah oui Diablotin (merci pour ton intervention) Valentina Lisitsa sera un jour l'invité du blog. Peut-être pas dans Glass déjà commenté dans ses œuvres pianistiques jouées par lui-même, mais dans les sonates de Ives avec Hilary Hahn… J'ai vu les deux copines en concert, la géante blonde et la petite brune… Belle soirée musicale en dehors des considérations "masculines" …
P'ti cadeau pour Shuffle qui ne fait pas dans la palinodie (merci, j'ai appris ce mot…) :
http://www.cbc.ca/news/canada/calgary/calgary-philharmonic-orchestra-won-t-cancel-june-concerts-with-valentina-lisitsa-1.3024803