Un dimanche de 1977, un passager comme les autres
débarque à Roissy. Jacques Brel vient de sortir de sa retraite. Le
grand Jacques vient enregistrer un disque, le
premier en six ans. Selon la rumeur, il ferait ça pour Eddy Barclay qui serait aux portes de la faillite.
Les deux hommes étaient «liés» depuis le 7 mars 1972 quand Brel lui signa un contrat à vie de
trente-trois ans renouvelables sans clause, ni restriction. Barclay et Brel étaient toujours en contact et un
jour, l’homme au cigare recevra une lettre venant des Marquises : «Bloque des dates de studio pour
septembre ou octobre, je serai là».
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«Je ne suis pas malade» clame-t-il. Il
travaille à un rythme indispensable pour mener à bien cette dernière œuvre. Il
se couche épuisé.
Marcel Azzola l’accordéoniste et ami de
longue date du chanteur raconte que, lors des premiers jours en studio, l’atmosphère
était glaciale et que personne ne savait quoi dire à Jacques. Ce dernier percevra
cette gêne. Pour détendre tout le monde, il posera sa canne et son chapeau, se
dirigera vers le piano, regardera les musiciens et dira d’une voix gouailleuse :
«Vous n’avez pas vu un poumon ?»
Puis aussitôt «Bon, on l’a dit, alors on en parle
plus.» Le lendemain pour l’enregistrement d’«Orly», comme la première prise n’est
pas bonne, Brel demande à recommencer «Mais une fois
seulement. Parce que les gars, excusez-moi, je
n’ai plus qu’un seul soufflet». Azzola
répliquera : «Si tu veux, je
peux te prêter celui de mon accordéon».
Pour la première fois, les musiciens, l’ingénieur du son et même Brel
lui-même éclatent de rire.
Un
enregistrement sans tricherie, comme le chanteur l’a fait tout au long de sa
carrière. Il a refusé l’électronique, pas de playback, tout en prise directe.
En un temps record, il va enregistrer les dix-huit chansons qu’il a composées.
Il n’est satisfait que pour douze d’entre elles. De «Jaurès» jusqu’au «Les Marquises»
: que des perles que seul Jacques Brel pouvait écrire, malgré «Les F.»
une chanson violente contre les Flamingants qui se termine par la position du
chanteur : «Je
persiste et signe, je m’appelle Jacques Brel». «Knokke-le-Zoute tango» une
chanson, sensuelle et limite misogyne. «Les remparts de Varsovie» un titre que je n’ai
jamais aimée, dérangé par le portrait décalé de cette femme volage et à la cuisse légère.
Mais que dire des autres titres comme l’hommage vibrant à «Jaurès», et la mort toujours
omniprésente et qui sera le fil rouge de l’album. «La Ville S’Endormait» inspirée
par «Le
Désert des Tartares» de Dino Buzzati.
«Vieillir»
une chanson sur la mort et la vieillesse ou Brel parle du trépas avec une
conclusion réaliste et logique : «Mourir cela n’est rien, mourir la belle affaire, mais
vieillir… ô
vieillir». «Le bon Dieu», le magnifique «Orly»
mettant en scène la séparation d’un jeune couple sous les yeux du narrateur. L’émouvant «Voir Un Ami Pleurer».
Et arrive «Jojo»,
une des plus belles chansons de l’album, uniquement en voix guitare, où Brel rend
un hommage à son ami Georges Pasquier qui fut
son secrétaire et homme à tout faire. Brel baptisera son avion «Jojo».
Une chanson qui n’est pas sans rappeler «Fernand» en 1965. «Le Lion» ne sera pas le titre le plus réussi
de l’album. Fin avec le titre éponyme «Les Marquises», une carte postale de Brel
qui nous fait partager la quiétude de l’endroit où il vit. Ce n’est pas un chef-d’œuvre, comme
beaucoup l’ont écrit, mais un disque qui complète bien sa discographie, même si
ce sera son testament musical.
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Avant
de repartir, Il répondra à une invitation de l’adjoint au maire de la ville de Coudekerque-Branche
prêt de Dunkerque qui lui avait demandé l’autorisation de donner son nom à une
école publique. Il acceptera avec joie et remerciera en espérant un jour
pouvoir passer la saluer. Il s’arrête à Bruxelles pour embrasser la famille et
le voila reparti sur son île du bout du monde.
L’année
1978 est bien entamée, même si son
voyage sur Paris l’a terriblement fatigué, rien que de revoir Les Marquises et
le petit monde de son entourage lui donne l’impression d’aller mieux… l’impression
seulement !
La maladie a fait des progrès
foudroyant et avec sa compagne Madly il reprend
l’avion pour Paris. Il débarque le 28 juillet, tout habillé de blanc en s’appuyant
sur une canne et des lunettes noires pour cacher des yeux bouffis par l’abus des
médicaments. Il reste dans sa chambre d’hôtel, mais il est
toujours actif, il contacte François Rauber son
arrangeur et chef d’orchestre : «Tâche de réunir
nos musiciens, j’ai envie de faire quelque chose».
Il contacte aussi Bruno Coquatrix, le directeur
de l’Olympia à qui il fait part de son idée de monter un groupe folklorique une fois de
retour aux Marquises. Tout les mardis, il sort par une porte dérobée pour se
rendre à l’hôpital Franco-Musulman de Bobigny où le célèbre professeur cancérologue
Lucien Israël l’attend. Le traitement de radiothérapie
au cobalt semble améliorer son état.
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Le
cercueil ne sera qu'une simple caisse de bois, avec écrit dessus au
pochoir : «Brel, Tahiti, Iles Marquises». Quatre mots
qui remplaceront toutes les couronnes.
Le vieux
lion dort au cimetière d’Atuona : une île pour tombeau et Gauguin pour pote d’éternité.
Wouah !
RépondreSupprimerGreat !
RépondreSupprimerChapeau, très sincèrement. Un texte qui ne ment pas. Pas d'artifice, de pose. Comme ses chansons.
RépondreSupprimerlà, on s'incline et on salue l'artiste et la chronique
RépondreSupprimerJ'avais à ma disposition une bonne documentation pour rédiger ma bafouille ! En piochant à droite à gauche, on arrive toujours à sortir quelque chose de concret.
RépondreSupprimerBonjour Excellent article merci beaucoup. Juste un petit rectificatif. Philips est cité comme étant la Maison de disques qui va enregistrer les pré commandes. Or il s'agit bien d'un disque sorti chez Barclay,comme l'indique la pochette. Patrick
RépondreSupprimerMerci Patrick pour votre visite chez nous, et votre rectificatif.
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