jeudi 14 janvier 2016

MICHEL GALABRU (1922-2016)


Il est mort dans son lit, de chagrin dit-on, après le décès de sa (deuxième) femme, six mois plus tôt. Et de son frère avant. Et puis le poids de l’âge, 93 ans, dont il commençait à avoir marre.

"Les Rustres"
Michel Galabru a traversé plus d’un demi-siècle de théâtre et de cinéma, il est ce qu’on nomme un peu rapidement un monstre sacré, dont on dit mais quel acteur c’était ! alors que son CV est truffé de prestations faciles, parfois même pathétiques. Galabru était de la famille des stakhanovistes du jeu, un type qui ne pouvait s’arrêter, parce qu’il ne savait faire que ça. S’il était sur scène il y a encore quelques mois, c’est pour les même raisons qu’il y a 60 ans : il n’avait pas d’autres ressources pour boucler les fins de mois.

C’est l’explication qu’il a toujours donnée, honnêtement, lucide, pour justifier tous les rôles médiocres qu’il a dû s’enfiler. Alors qu’il jouait au festival d’Avignon, avec une clause d’exclusivité, il a quand même accepté un tournage, en douce, pour ramener un peu de fric. Et bien sûr, un soir, il est arrivé un retard à une représentation, le public était presque barré, mais surtout, déjà remboursé… Il disait que sa première femme menait grand train, fallait fournir l'oseille, et quand elle s'est lassée, est venu le temps des pensions alimentaires…

Dans les années 80, il achète un théâtre (le Montmartre), puis un second (Théâtre de 10 heures), mais ça ne marche pas, il créé un festival, qui est aussi un gouffre. Donc retour à l’alimentaire. Et puis complexé, il racontait volontiers qu'avec son physique, il fallait payer pour coucher avec des femmes, ce qui peut revenir cher...

Il a couru derrière le chèque presque toute sa carrière, dès qu’il pouvait tourner trois jours ici, quatre là-bas. Il n’était pas le seul, et cela faisait aussi parti du plaisir, de retrouver les mêmes, les Jean Carmet, Préboist, Francis Blanche, Michel Serrault, Pierre Mondy, Darry Cowl… Ils se marraient bien, c’était bonus ! Il a trainé toute sa vie cette étiquette d’acteur de nanars, il ne le reniait pas. Comme beaucoup, il finançait sa passion de théâtre par des rôles faciles au cinéma, sans être trop regardant sur la qualité, seul le passage dans le bureau du comptable importait.

Michal Galabru avait pourtant débuté avec les grands textes, premier prix de conservatoire, entrée à la Comédie Française en 1950 où il joue Shakespeare, Molière, Beaumarchais, Courteline, Feydeau. Le texte est toujours su, c’est le minimum. Par contre, il n’est pas fortiche en répétition, préfère être lâché en scène, jouer à l’instinct, quitte à déstabiliser les partenaires, et irriter les metteurs en scène.

Dans les années 60, son grand tube, c’est Les Rustres, de Carlo Goldoni, créé en Avignon par Jean Vilar. Une pièce qu’il va interpréter souvent, partout, qu’il mettra en scène aussi. Il interprète aussi Neil Simon, Giraudoux, mais ce qui lui colle à la peau, c’est Molière, Pagnol avec La femme du Boulanger, une pièce qui, comme Les Rustres, sera régulièrement jouée jusqu’en 2013.

Donc pas tant de vaudevilles que ça. L’année dernière, il crée Le Cancre, seul en scène, où il raconte ses souvenirs, pièce qu’il n’a plus eu envie de jouer après le décès de sa femme, en août.

"Le Choix des armes"
Au cinéma, c’est une autre histoire. Il n’a pas su, ou voulu, comme Michel Serrault, Bernard Blier par exemple, ou même Poiret, se mettre au service de bons réalisateurs. Bourvil n’a pas eu le temps, De Funès n’en avait pas envie. Galabru aurait bien voulu, mais on ne monte pas un film sur son nom, comme on pouvait le faire sur un De Funès, un Fernandel. Il y a pourtant eu André Cayatte, Mocky, Pascal Thomas, Lautner, Bertrand Blier (plusieurs fois) et même Jean Luc Godard dans SOIGNE TA DROITE (mais dans les 60's il est passé à côté de la Nouvelle Vague, au contraire de Belmondo, dommage) mais plus souvent Jean Girault (avec la série des GENDARMES), Bernard Borderie, André Hunnebelle, Christian Gion, Philippe Clair, ou Claude Zidi.

Mais il y a eu Alain Corneau, pour LE CHOIX DES ARMES, où il est génial en commissaire, dans SUBWAY de Besson aussi, c’est presque même le seul intérêt du film, L’ETE MEURTRIER de Becker, LE VIAGER de Tchernia, il est fameux dans JE HAIS LES ACTEURS, et bien sûr, LE JUGE ET L’ASSASSIN de Tavernier, qui lui colle à la peau. Il y est prodigieux. Il obtient le César, et puis quoi ? Rien. Ca aurait pu donner envie à Sautet, Truffaut, Téchiné, Girod, Pialat, Chabrol (il aurait été impeccable chez Chabrol), mais non. La même année que LE JUGE ET L'ASSASSIN il tourne 7 films ! Dont LES BIDASSES EN CAVALE et LE TROUBLE FESSE... Contrairement à son partenaire Noiret (qui a un parcours au départ similaire) il n'a pas joué dans des films italiens (une fois avec Comencini), il aurait pu y être truculent.

Pourtant lorsqu’il le veut, il est fascinant. Il me rappelle des acteurs comme Ernest Borgnine, du mastoc, bourru, gueulard, mais l’œil malicieux, et cette légèreté dans le mouvement, le geste fluide (comme Depardieu), la maitrise du tempo, cette manière de jouer comme en apesanteur, en équilibre. Et les sauts d’humeur, les changements de ton. Sa spécialité, marmonner, l’œil bas, la moue tombante, et soudain une colère tonitruante !

"Le Cancre"

Alors ce sont des effets, oui. C’était sa patte. Contrairement à un Serrault (je pense) Galabru n’avait pas trente-six registres, et c’est sans doute ce qui l’a empêché de vraiment obtenir plus de grands rôles au cinéma (plus une réputation de dilettante coureur de cachets ?). On le choisissait pour ce qu’il était, ce n’était pas un acteur de composition. On avait toujours plaisir à le voir, même en apparition, chez Bertrand Blier, ou récemment dans les CH’TIS où il parodiait Brando, dans LE PETIT NICOLAS. On allait chercher Galabru, pour une scène, parce qu’on ne voyait que lui, et évidemment, il vous torchait ça en deux prises, et hop.

On n’a pas parlé de la télé, mais là aussi, Galabru était partout, depuis les pièces du répertoire montées par l’ORTF, les téléfilms, jusqu’aux pastilles comiques très à la mode ces derniers temps. Tout ceci est loin d’être exhaustif (les pièces radiophoniques…) avec Michel Galabru on frise les 250 films et presque autant de pièces, raison pour laquelle il a traversé les générations (utilisé par le Splendid dans PAPY FAIT DE LA RESISTANCE avec la grande Jacqueline Maillan).
Dire qu'il a été un acteur sous employé semble être une évidence. Persuadé d'être un médiocre face à ses idoles Raimu, Guitry ou Michel Simon, il n'a pas suivi les conseils de Jean Carmet, qui lui disait d'écrire une lettre de félicitations un peu lèche-cul aux réalisateurs qui faisaient des succès, pour attirer l'attention ! Trop timide, trop réservé, pas sûr de lui. Dommage...  

La bande annonce du film de Tavernier LE JUGE ET L'ASSASSIN      




(court) extrait de son dernier spectacle, seul en scène LE CANCRE



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