Deux
années séparent INHERENT VICE de THE MASTER, précédent film de Paul Thomas
Anderson, et c’est tant mieux. D’ordinaire, il fallait attendre quatre ou cinq
ans entre deux films. On avait déjà évoqué ce scénariste réalisateur producteur
californien [The Master et Punch Drunk Love ] donc allons directement à ce qui nous occupe.
INHERENT
VICE est l’adaptation d’un roman de Thomas Pynchon « Vice caché »
2009, écrivain mystérieux, réputé, discret,
peu prolixe (9 romans depuis 1963). Le livre est un hommage direct aux romans
noirs, le film s’inscrit donc dans le cinéma de genre, le polar Noir à la
Chandler, avec voix off oblige (féminine, pas celle du privé) manière de guider le spectateur dans ce dédale d'aventures... Si on pouvait trouver des parrains au film, ils
seraient tout désignés : LE GRAND SOMMEIL (Howard Hawks), LE PRIVE (Robert
Altman), THE BIG LEBOWSI (Ethan et Joël Coen). L’influence de Kubrick reste sous-jacente, comme celle (un peu) de Scorsese,
ici, pour l’utilisation de la musique.
L’histoire…
Aie, ça ne va pas être facile… On est à Los Angeles, en 1970. Larry Sportello,
dit « Doc » est détective privé. Et hippie. Un look à la Serpico, rouflaquettes
et sandales, chapeau de paille en lieu de Borsalino (le modèle avoué est Neil Young), lunette de soleil pour
cacher un regard rougi, éclaté à la marijuana, dont il fait une grande
consommation. Son ex petite amie, Shasta Fay, lui demande de retrouver son
amant, volatilisé : Mickey Wolfmann, qui a fait fortune dans l’immobilier.
Et que sa femme, qui s’envoie son prof de gym, aryen bodybuildé, aimerait bien déposséder de
quelques millions.
En
parallèle, Sportello reçoit un client ex des Black Panthers, pour mettre la
main sur Glen Charlock, qui lui doit beaucoup de fric. Charlock fait partie d’une
bande de néo-nazis, accessoirement garde du corps de Mickey Wolfmann. Tiens
tiens… Et puis y’a aussi le Golden Fang, triade chinoise dealeuse d’héroïne, en
cheville avec Adrian Prussia, ancien acteur reconverti en baron de la drogue. Ainsi qu'un consortium d’investisseurs véreux, représenté par Crocker Fenway dont la fille
Japonica, ado fugueuse et nymphomane, a été récupérée plusieurs fois par Sportello...
J’arrête
là ? Parce qu’il y a aussi, le lieutenant Bigfoot, du LAPD, Ray Ban, cheveux
en brosse, bon chrétien et bouffeur de hippie. Mais bon flic. Et y’a encore Coy
Harligen, pote de Sportello, figure locale, adepte de l’overdose, et qui fait l’indic
pour les Stups dans l’affaire Golden Fang… Et le lubrique docteur Rudy (un look de Phil Spector) dentiste qui
refait le râtelier des junkies, qui accourt pantalon sur les
chevilles dès que sa secrétaire le siffle dans son bureau…
Vous
avez compris à quel type de film on a affaire, l’enquête tortueuse d’un privé
insolent, qui va tenter de démêler une série d’intrigues enchevêtrées.
Honnêtement, il faudrait le voir quatre fois pour tout piger, mais ce n’est pas
grave. Ça fait partie du charme. LE GRAND SOMMEIL, qui a compris la première
fois ? Et la dixième ? Et comme ses modèles, l’important n’est pas
tant l’intrigue, que les péripéties, la galerie de personnages barges,
malsains, corrompus. Et de se balader dans Los Angeles, ville de prédilection
de Paul Thomas Anderson, dont il explore les décors.
Et
suivre les basques de Doc Sportello (tout le monde lui lance du « what’s
up Doc ?! »), tête de mule trop cool, fin limier, allergique à toutes
formes d’autorité. Le film est long, 2h30, mais pour une fois je ne vais pas râler,
sauf pour demander un peu de rab ! Il faut accepter de se laisser
entrainer, accepter de ne pas tout saisir tout de suite (et après), se laisser
porter par les rencontres, les lieux. On passe le film dans un immense nuage de
fumée verdâtre, mais Paul T. Anderson n’a pas recours aux trucs habituels (solarisation, déformation...) pour en
traduire les effets.
C’est
le film entier qui prend la forme d’un trip, par le comportement hypnotique de
Sportello, à fouiller, creuser, emmerder tout le monde. Les scènes s’enchainent
merveilleusement, on passe d’un personnage à un autre, mais sans jamais les perdre
de vue. Le tout filmer avec un soin maniaque des cadres, et une science du plan séquence.
Pas des plans alambiqués, virtuose ou m'as-tu-vu. Mais des plans longs, où les acteurs peuvent vraiment jouer. Très
souvent, Paul T. Anderson filme en cadre large, pas de champ/contrechamps, et
ressert sur ses personnages très lentement. C’est imperceptible, car on suit le
dialogue, on regarde les acteurs, sans se rendre compte qu'on s'en rapproche. Exemple avec l’échange dans un bouge du
quartier chinois entre Sportello et Coy Harlingen, ou leur première rencontre,
sur le port, dans la brume. La caméra ne coupe pas, ce sont les acteurs qui
bougent, sortent et rentrent dans le champ.
Plein
de scènes drôles, cocasses, surréalistes, comme dans le club de massage
érotique, chez le docteur Rudy, où le dentiste et Sportello s’envoient frénétiquement
un plateau de coke, l’interrogatoire au FBI où tous les agents se curent le nez
(!), où sur la fin, Bigfoot s’envoyant un saladier de marijuana, pas en
pétard, directement en crudité ! Et la (seule) scène dite d’action, avec
Sportello qui s’arme d’un dessus de chasse d’eau en céramique, pour se sortir d’un
sale guêpier. Scène à l’issue de laquelle il se retrouve avec 20 kilos d’héroïne
dans son coffre, qu’il va devoir rentre à ses propriétaires. Deal réalisé avec
une bande de gros durs ? Non, une femme et une gamine !! Dans
INHERENT VICE, vous n’entendrez pas des « fuck » tout le temps, mais
verrez une belle collection de beaux doigts d’honneur !
La
musique est somptueuse, composée par Jonny Greenwood, de chez Radiohaed, et
collaborateur de Anderson depuis THERE WILL BE BLOOD. Agrémentée d’une bande
son 70’s aux petits oignons. Les dialogues sont inspirés, et surtout, dits par
une troupe de comédiens au mieux de leur forme. Joaquim Phoenix est prodigieux,
cet acteur est fascinant à observer (regardez la dernière image de la bande annonce, quand il se fait assommer : sa manière de tomber en tentant de se retourner, se rattraper, burlesque, ridicule, génial !!). Et il y a Josh Brolin en flic buté presque réglo qui suce bizarrement des bananes glacées,
Owen Wilson en saxophoniste-messie de l'overdose, Benicio Del Toro, Reese Whitherspoon, et une galerie de
seconds rôles dont on connait les trognes.
C’est
un film d’atmosphère, qui peut déstabiliser.
Ça peut ne pas plaire. En d’autres termes, certains peuvent trouver ça chiant,
à force d’être chamboulés. Mais ce n’est pas du David Lynch ! C’est complexe mais
ludique, la
mise en scène sert le récit, inspirée, élégante, visuellement très riche. Ce n’est
pas prétentieux, c’est criblé de détails cocasses, sexy, irrévérencieux, jamais
moralisateur, bref, c’est un régal. Et la confirmation du talent de Paul Thomas
Anderson, qui avec Tarantino et David Fincher, représente la veine des grands
auteurs/filmeurs, apparus depuis 20 ans, exigeants mais populaires. Fincher
reste un peu froid, Tarantino parfois bordélique, PT Anderson est juste…
parfait !
INHERENT VICE (2015)
couleur - 2h30 - format 1.1:85
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Je crois que j'ai vu tous ses films, et celui-là sur BolLoré+ cette semaine ...
RépondreSupprimerJe sais pas trop quoi en penser, de ce trip fumeux de plus de deux heures. Y'a une PTA touch, c'est sûr, ce mec sait tenir une caméra et mettre en scène, c'est un cador. Y'a un Joaquim Phoenix extraordinaire (mais ce type bonifie systématiquement tous les films où il apparaît, un peu Comme D Day Lewis, qui comme par hasard était dans "There will be blood" que j'avais beaucoup plus apprécié d'entrée), y'a une obsession cohérente du vintage 60's psyché dans les décors, les fringues, la zique. Dans le script ou dans la tête d'Anderson aussi, j'ai trouvé le film pénible à suivre...
Je le reverrai dans quelques temps, c'est sûr, mais là, pour le moment, je suis assez mitigé ...
Je crois qu'il faut le voir plusieurs fois, pour apprécier... ou détester ! Mais quel talent il a ce mec, même Fincher a côté passe pour un débutant !
RépondreSupprimerEuh, "même Fincher a côté passe pour un débutant"...faudrait se calmer quand même!
RépondreSupprimerVu à la TV comme Lester ces jours-ci, j'sais pas si j'étais crevé mais c'est une des rares fois où je ne vais pas au bout et j'éteins l'écran! Alors si il faut le voir plusieurs fois!...
Tu étais fatigué, c'est pour ça. Fincher, il est très talentueux, mais froid. Il n'aime pas ses personnages, il n'aime pas les histoires qu'il raconte. Ca ne vit pas. En gros, il a un manche à balai dans le fion. Anderson, il a su se le retirer, au fil des années. Ce mec va faire des malheurs, d'autant qu'on ne sait jamais où on va l'attendre. Et puis, il aime les acteurs, donc les rôles. Fincher, je ne suis pas sûr...
RépondreSupprimerPaul Thomas Anderson est effectivement un sacré réalisateur. Au moins lui ne se contente pas de faire des films en ne les construisant qu'a grands coups de références cinématographiques, en nous les recrachant a tout va a chaque fois. Oui ! oui ! je parle bien du Quentin.
RépondreSupprimerCet "Inherent Vice" m'a l'air quand même bien foutraque. Pas sûr que j'y adhère du coup.
Du Réalisateur, j'ai gardé en mémoire son excellent "Boogie Night". Depuis le temps que je veux vous en parler d'ailleurs...
Il semble en tout cas que l'univers 70' lui colle a la peau a cet homme là.