samedi 30 janvier 2016

BRUCKNER – Symphonie N° 8 – Philharmonie de Vienne – KARAJAN (1987) – par Claude Toon



- Suite de la saga Bruckner M'sieur Claude... Mais, il a composé combien de symphonies ce compositeur au juste… Toutes auront leur chronique ?
- 11, Sonia, mais numérotées de 1 à 9 car le musicien, très exigeant avec lui-même, a laissé de côté deux œuvres de jeunesse portant les n° 0 & 00…
- Ah, c'est curieux, elles ne sont pas passionnantes ces deux ébauches d'une longue carrière ?
- La 0 n'a pas à rougir des symphonies romantiques de l'époque, même si Schumann ou Brahms dominent un peu plus le sujet, la 00, mouais vite fait…
- Vous avez choisi le célèbre Herbert von Karajan cette fois-ci, pourtant, il me semblait que vous ne l'appréciez guère dans le répertoire de Bruckner ?
- Ô oui et non. À mon sens, l'intégrale au pas de charge des années 70-80 ne reflète pas son talent véritable. Par contre cette gravure tardive le conduit au sommet…

Buste de Bruckner par Victor Tilgner
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Précisons cet échange avec Sonia. Oui, hormis la symphonie d'étude n°00, toutes les œuvres de Bruckner méritent que l'on s'y attarde, surtout si l'on aime la musique puissante et mystique, et la polyphonie pour le moins inventive du compositeur autrichien proche de l'esthétique de Wagner.
La petite symphonie en fa mineur N°00 ne possède pas des éléments mélodiques marquants et émouvants qui se mémorisent immédiatement, comme ceux rencontrés à l'écoute de ses sœurs. Une simple curiosité à évoquer dans un bref billet estival.
Quatre symphonies ont déjà été commentées dans le blog depuis quatre ans (un bon rythme). Les N° 2, 4, 5 et 9, successivement par de grands interprètes (parfois inattendus) d'une discographie enfin foisonnante. Dans l'ordre de la série ci-dessus : Simone Young, SergiuCelibidache, Günther Wand et Leonard Benstein pour la 9ème restée inachevée. (Chacun de ces noms est un lien vers les chroniques respectives.)
Toujours très attaché à parcourir la confrérie des grands interprètes brucknérien, je me dois de parler des ultimes enregistrements, deux ans avant sa mort, du maestro autrichien. Non pas avec son orchestre officiel : la Philharmonie de Berlin, mais ici avec celle de Vienne. En effet, l'intégrale des années 70-80, à quelques exceptions près, m'avait déçu, notamment par une brusquerie du discours et une prise de son brumeuse et acide. Herbert von Karajan, au crépuscule de sa vie, n'ayant plus rien à prouver en termes de beau son spectaculaire, offrait en 1988 cet enregistrement puis, quelques semaines avant sa mort, en 1989, une gravure d'anthologie de la 7ème symphonie également à Vienne.
"Enfin foisonnante" écrivais-je plus haut… Heuu… pas encore en France où 120 ans après sa mort, le symphoniste n'inspire guère le public et les chefs français (sauf Boulez à Vienne dans une belle 8ème). Les programmes de concert se concentrent quasi exclusivement sur, justement, les 7ème et 8ème symphonies. J'ai pu les entendre plusieurs fois en salle. 2 fois pour la 8ème, notamment par Karl Böhm qui avait su galvaniser un Orchestre de Paris habituellement en petite forme dans les années 70. Le chef âgé de 84 ans commença l'interprétation assis (1H20 et de mémoire), un genou dans le plâtre, et termina debout… Il y a des artistes vraiment bâtis à chaux et à sable !! En 47 ans de concert, seul l'orchestre de Radio France, moins frileux dans sa programmation, a pu me permettre d'écouter la 4ème et la 6ème. Ah, quand même une 9ème apocalyptique avec le Concertgebouw d'Amsterdam dirigé par Haitink en 1983 salle Pleyel. Vous voyez, c'est maigre… Cette semaine, l'orchestre de Paris et Paavo Järvi ont donné la 5ème à la Philharmonie de Paris. Ça vient... En 2016, est également prévue en concert la 8ème symphonie écoutée ce jour par l'orchestre symphonique de Londres et Simon Rattle...
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Herbert von Karajan en 1938
Je ne présente plus Herbert von Karajan, ce nom étant quasiment synonyme de "maestro célébrissime". Une biographie détaillée est à lire dans un article de 2012 consacré au Requiem Allemand de Brahms (Clic).
Le chef autrichien a beaucoup dirigé Bruckner dès le début de sa carrière. Il dirige pour la première fois la 8ème symphonie en 1941 à seulement 33 ans, avec la Staastkapelle de Berlin. Dès les débuts, il utilise une édition non altérée par les révisions douteuses, rarement de la main du compositeur, éditions qui sont en vigueur à l'époque. Herbert von Karajan joue la version Haas publiée en 1939. Malgré son jeune âge, sa maîtrise pour contrôler l'immense architecture symphonique est déjà reconnue et appréciée. Détesté par Hitler, viré de l'opéra, ses prestations dans cette œuvre vont se faire rares. Pourtant, en 1944, il parvient à enregistrer l'une des premières gravures (ça devait en faire des 78 tours !!!) Pour Karajan, diriger cette symphonie "extraterrestre" permet de s'évader de l'horreur des temps, de retrouver un univers spirituel dans une Allemagne asservie par des butors assassins et qui court à sa ruine… L'ouvrage ne quittera jamais son répertoire jusqu'à son dernier souffle. Il existe des enregistrements anciens introuvables ou presque. Des deux disques officiels chez Dgg, le premier de 1975 propose une interprétation granitique et un peu raide, par ailleurs trahie par la maigreur du son d'ingénieurs peu inspirés. Le second de 1987, sujet du jour, est miraculeux…
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De 1881 à mars 1885, Bruckner a enfin rendez-vous avec le succès et la reconnaissance de ses pairs. Les cabales conduites par Brahms pour nuire au disciple du wagnérisme ne marchent plus. La 4ème symphonie "Romantique", puis la grandiose 7ème créée par Arthur Nikish en 1884 à Leipzig puis Hermann Levi à Munich, en 1885, ont été bien acceptées par le public. Rasséréné malgré la maladie, Bruckner met en chantier en 1884 une nouvelle symphonie encore plus élaborée. À l'automne 1887, la partition est achevée. Bruckner a tapé fort en exploitant des innovations contrapuntiques encore plus avancées que dans les œuvres précédentes. Bien entendu, il transmet en vue de la création le manuscrit à Hermann Levi en qui il met toute sa confiance depuis 1885. Le chef est désarçonné, ne "sent" pas l'esprit de ce nouvel ouvrage et, un peu lâchement, charge Josef Schalk, un élève de Bruckner, d'annoncer au compositeur qu'il renonce à créer la symphonie !
L'histoire se répète encore et encore. Bruckner plonge dans une nouvelle dépression et évoque son suicide. Sa profonde foi chrétienne (qui l'aide à éviter le pire) et le soutien de Schalk vont le conduire à commencer courageusement à réviser sa partition, une fois de plus. Bruckner acceptait facilement les suggestions, parfois trop. Ici elles sont judicieuses : remplacement de la tonitruante et conventionnelle coda du premier mouvement par un decrescendo poignant. Ajout de harpes dans le trio pour colorer un orchestre massif, réécriture moins âpre de certains développements, élargissement des bois à 3 instruments par pupitre… La sévère édition initiale de 1887 (Nowak 1970) s'éclaircit et donne naissance à l'édition de 1890 (Haas 1939), la plus jouée de nos jours. Enfin Schalk et Lienau préparent une édition "exécutable" en 1892 que l'on ne joue pratiquement plus car trop trafiquée.
Pourtant cette initiative en permet la création en décembre 1892 par la Philharmonie de Vienne dirigée par Hans Richter. C'est un triomphe public et critique. On parle de LA symphonie ultime du romantisme. 8 ans pour en arriver là. Une soirée où le vieux maître, fatigué mais présent, est salué par une foule en délire. Il embrasse Richter et reçoit des lauriers… Finies les humiliations. Bruckner a 68 ans. Seul Berlioz aura autant souffert pour être reconnu. La presse éditera une petite BD en forme de sympathique caricature (j'en propose les trois derniers dessins ci-après).
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Karajan interprète ici la version Haas de 1890 avec un orchestre élargi : 3/3/3/3 (dont 1 contrebasson), 8 cors et 4 Wagner‑tuben, 3 trompettes, 3 trombones + tuba basse ; 6 timbales (2 percussionnistes), cymbales, triangles, 3 harpes et cordes. Un orchestre d'une puissance inconnue à cette date. Mahler, élève de Bruckner, et Richard Strauss sauront retenir l'idée et iront même beaucoup plus loin, jusqu'à la démesure.

1 – (Allegro Moderato) : Les symphonies de Bruckner débutaient toujours sur des trémolos prolongés, dans la douceur, comme pour nous inviter à faire ce vide mental indispensable pour accueillir le premier thème, un thème souvent riche de dix à vingt mesures. Dans les symphonies de la dernière période, la forme sonate ne repose plus sur deux seuls thèmes A & B mais trois A, B & C et plusieurs variantes de ceux-ci. Cette extension de la palette de motifs mélodiques permet un travail contrapuntique d'une imagination infinie. Cela explique que, même avec des durées de mouvements de 20 à 30 minutes, on ne s'ennuie jamais lors de l'écoute en l'absence de répétitions ennuyeuses à n'en plus finir.
Dans cette 8ème, Bruckner innove en précipitant le discours. Dès la fin de la seconde mesure de trémolos aux violons soulignés d'une mystérieuse tenue sur sol de 2 cors, un motif sombre et inquiétant aux contrebasses plonge vers un abîme de tragédie. Ce motif sera le leitmotiv structurant de cet allegro étonnamment court (17 minutes) du fait de la densité dramatique extrême du morceau. Une clarinette, suivie par les cordes, expose une seconde idée d'apparence sereine qui évolue en fait vers un choral de cuivres typique de l'écriture granitique du Bruckner organiste. En moins de trois minutes, Bruckner a déjà exposé une belle variété de matériaux sonores qu'il va développer avec une grande concision mais avec une totale fantaisie. Détailler cette page ne servirait à rien sans la partition sous les yeux et même avec (Clic). Psychologiquement, où nous entraîne le compositeur ? On peut discerner ce conflit permanent entre son fort désir créatif innovant et la tristesse apportée par les critiques acerbes des soi-disant experts de la profession. Oui, Bruckner demandait l'impossible aux musiciens d'orchestre de cette époque, ne ménageait aucun temps de repos aux artistes et au public. Ce n'est plus vrai, les orchestres modernes comme celui de la Philharmonie de Vienne se jouent des difficultés techniques. Et le public, surtout anglo-saxon, sait désormais tenir la distance. Tout le mouvement oscille avec vivacité entre l'élégie et la méditation [11:08]. Herbert von Karajan et son orchestre virtuose cisèle chaque transition et intermède avec adresse. En faisant appel à une conception dépouillée et vigoureuse, il révèle avec énergie et élégance toutes les subtilités de cette architecture sonore complexe, mais si profondément humaine dans ses intentions harmoniques. Après un ultime déchaînement, la coda s'éteint par la répétition douloureuse du premier thème inversé sur une gamme descendante rythmée par les discrètes timbales notées pp. Un changement radical dans cette seconde mouture, tellement plus intime. Un effet de résignation diablement émouvant.

Caricature de la remise de lauriers à la fin de la création...
2 – (Scherzo - Allegro Moderato) : [17:05] Comme Beethoven dans sa 9ème symphonie ou Mendelssohn dans la 3ème "Écossaise", Bruckner, pour la première fois, place son scherzo en seconde position. La raison est toujours la même : détendre l'atmosphère après un premier mouvement particulièrement emporté et déstabilisant.
Le guilleret la bémol majeur tranche nettement avec le âpre ut mineur de l'allegro. L'introduction annonce une musique quasi champêtre, un esprit de ländler, soit de danse paysanne. Un thème à la fois gracieux, ondulant et bien scandé, serpente dans tout le scherzo, une pièce très animée et colorée par les interventions agrestes des cuivres. La rythmique appuyée fait penser au futur Stravinsky. À noter que le galop fringuant du discours musical sonne de manière beaucoup moins abrupte que celui des scherzos des 5ème et 7ème symphonies. Le mouvement est d'ailleurs plus développé par sa durée sensiblement égale à celle de l'allegro initial. Un développement central nous plonge sous les ramures avec un lointain appel des cors, le romantisme est toujours de mise.
[23:10] Le trio se présente comme une oasis de fraîcheur dans ce mouvement étonnant. Une élégante mélodie s'écoule tel un ruisseau, une romance enluminée par des pizzicati et un fugace dialogue des cuivres et des bois qui va donner la parole à des arpèges charmeurs des harpes (flûtes à l'origine). Plusieurs idées secondaires agrémentent ce trio de sonorités bucoliques. [27:10] Un tendre solo de flûte prépare la reprise da capo du Scherzo. Le maestro Karajan trouve le tempo et le ton juste, aère chaque phrase dans ce mouvement très lyrique.

Page finale du manuscrit
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3 – (Adagio – Lent mais sans traîner) : [33:30] Dans cet immense adagio long de 25 minutes (35 chez Celibidache, bien que Bruckner précise de ne pas traîner), les expressions métaphoriques pour tenter de discerner un climat particulier sont légions : promenade, prière, méditation, grand espace (terrestre ou céleste)… Les premières mesures sont formées de 2 groupes de 4 notes, 3 croches et une noire, mais à jouer comme un triolet sur une mesure à 4/4 !!! Et Bruckner s'étonnait que les chefs râlaient. Donc, l'intro disais-je, menée aux cordes seules, hésite, cherche sa rythmique, un fil conducteur dans cette suite de syncopes mystérieuses. Le flux sonore tente d'établir une pensée cohérente puisée dans la liste des possibilités expressives citées avant. Un premier thème élégiaque s'étire avec solennité et spiritualité. La méditation l'emporte-t-elle ? Apparemment oui. Bruckner réexpose une variante se terminant par des arpèges de harpes séraphiques. La tonalité nostalgique de ré bémol mineur sera fort malmenée pour varier la couleur de cette exposition à l'infini. Une idée plus dramatique permettra l'entrée des cors, des flûtes et bois, quasiment absents au début. Bruckner construit par vagues successives l'image du temps qui passe, de la contemplation. Le compositeur nous bluffe à se permettre une telle limpidité dans ce travail contrapuntique d'une complexité inouïe. Une musique d'une beauté et sérénité sidérales ; de nos jours on dirait "planante" voire hypnotique… On pourrait commenter des pages et des pages. À quoi bon ? Divers passages vont se succéder en prenant une assurance de plus en marquée voire martiale pour exprimer la foi en l'homme et en l'Esprit. Herbert von Karajan ne traîne pas et pourtant ne précipite rien de cette déploraison. Ce diable d'homme sait quand accélérer ou retenir son orchestre pour agripper l'auditeur, intensifier l'émotion, varier les plaisirs (désolé pour cette trivialité). Bruckner nous conduit à travers les méandres de ce chemin musical en constante transmutation sonore vers le climax minéral d'un choral des cuivres et d'un double coup de cymbale. La descente de ce jaillissement tellurique se fait brutalement sur des arpèges des trois harpes. Le contraste le plus risqué pour un orchestre, mais Karajan le négocie avec une facilité que je n'ai entendue qu'ici ! La coda s'écoule comme un songe paisible, une péroraison d'une légèreté cosmique, avec ce leitmotiv de quatre notes qui réapparait encore et encore jusqu'à une tenue ultime et astrale des violons et Wagner-tuben ppp. À propos de cette coda, Celibidache, adepte du zen, disait en substance : "Bruckner nous donne une image de l'éternité"…

Alexandre Calame : Orage à la Handeck (1839)
4 – (Solennel – pas rapide) : [58:45] Rien de surprenant au fait que Bruckner ait passé tant de temps à composer cette symphonie, synthèse de décennies de travail et de recherche. Son grand œuvre au sens alchimique du terme. 24 minutes de musique qui vont réunir, en dehors de leurs propres matériaux, des citations des trois mouvements précédents. Impossible, sans bousculer les souhaits de concision de Rockin' et Luc, de rentrer dans les détails de cette profusion délirante d'un kaléidoscope symphonique que l'on a rencontré déjà, en moins fou, dans la 5ème symphonie. Ici, Bruckner se rapproche de la musique à venir au XXème siècle.
Ce tableau du peintre suisse romantique Alexandre Calame illustre assez bien l'ambiance de ce final. À mes yeux, ça va sans dire. Une forêt sauvage au pied de montagnes farouches. Un orage gronde dans le lointain, laissant diffuser des lumières métalliques et plombées. Le torrent démonté semble nous menacer…
Ce climat d'apocalypse nous assaille dès l'introduction. Tonalité incertaine… flippant do mineur à la 30ème mesure (École de Vienne à venir ?). Une chevauchée épique, scandée au cordes avec une appogiature avant chaque note staccato et cinglante des violons (un peu barré le Bruckner, merci pour les violonistes). Motif crescendo et héroïque qui conduit à une fanfare à l'unisson culminant par un trait fff des trompettes. Si ce n'est pas de la musique virile ça ? Cette thématique indomptable se répète deux fois pour enchaîner un contresujet aux timbales et cuivres frôlant la dissonance. Musique trépidante et intimidante qui préfigure des finals tout aussi provocants de ses successeurs, tel celui de la 6ème de son élève Mahler.
Un soudain apaisement dû à une longue phrase des cordes démontre que le style définitif du compositeur s'est radicalement personnalisé. On retrouvera dans tout ce final ces affrontements entre mélodies poétiques et blocs erratiques et fracassants, ce collage des uns et des autres de manière abrupte, et encore plus dans l'ultime 9ème symphonie inachevée. [1:04:40] L'exemple le plus frappant : un long développement bucolique et dansant bascule dans une marche quasi militaire d'une rudesse inouïe, marche interrompue à son tour par un passage de douceur illuminée par un tendre solo de violon…
Sautons directement à l'incroyable coda. Aucun compositeur, même Wagner, n'a imaginé conclure avec une énergie aussi volcanique une de ses œuvres, sans parler de l'aspect innovant et moderne du concept. [1:18:50] Une fausse coda utilisant le thème initial de l'allegro semble conduire l'ouvrage à sa conclusion. [1:20:16] La vraie coda s'insinue par le silence à peine troublé par quelques notes de timbales ppp. Surgissant d'une glaise sonore primitive, la musique rejoue la Création. Un chaos apparent se déploie péniblement. Le thème initial ressurgit, se structure mesure après mesure. Les motifs se superposent, s'organisent jusqu'à un déchainement conclusif halluciné. La musique romantique vient de basculer dans un l'univers des prémices de la musique moderne par cette fureur apparemment déstructurée. Et c'est le timide, humble, critiquée et modeste Bruckner qui a révolutionné le langage symphonique en cette fin du XIXème siècle, comme un point final au romantisme !! Comme quoi...
Dès la création, beaucoup de musicologue ou d'autres compositeurs on dit, ou écrit, que cette symphonie était l'aboutissement ultime de la polyphonie occidentale, que rien de semblable ne pourrait voir le jour. Bruckner, dans les deux grands mouvements achevés de la 9ème symphonie , montrera que l'on peut poursuivre, mais sans innover à ce point. Mahler, avec un langage et des architectures plus hardies montrera que la symphonie postromantique peut encore avoir sa place…
Par son interprétation contrastée, Herbert von Karajan apporte une stupéfiante lisibilité à ce cataclysme orchestral ! Sans aucun doute l'un de ses meilleurs disques tous répertoires confondus. L'une des références pour cette œuvre.
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La discographie de qualité de cette immense fresque orchestrale est pléthorique. Voici une petite sélection de valeurs sûres.
Par les grands anciens, nous disposons des gravures de Furtwängler en mono et de Jochum en stéréo dans son intégrale des années 50-60. (Dgg – 6/6)
Plus proche de nous, Karl Böhm avec l'Orchestre philharmonique de Vienne en 1976, en même temps que la 7ème, apporte son style dépouillé et élégant (Dgg – 5/6). Celibidache à Munich, avec des tempos allongés jusqu'à la rupture, joue la carte de l'éternité (je le cite à nouveau) et de la métaphasique (1H40 !!). On plonge dans la médiation transcendantale ou on craque et on fiche le CD par la fenêtre. (Perso, j'adore. EMI – 6/6)
Bien sûr, le spécialiste brucknérien Günther Wand (Clic) a enregistré quatre fois l'ouvrage, la dernière mouture avec la Philharmonie de Berlin en live et sur trois soirées dont on a extrait le must pour le CD de 2001. Prise de son fabuleuse pour une interprétation au cordeau et d'une transparence exceptionnelle pour cette musique vigoureuse. (RCA – 5,5/6)
En 1982, le chef israélien Eliahu Inbal a enregistré à Francfort l'édition de 1887 refusée par Hermann Levi. (Au sein d'une intégrale des versions primitives saluée par la critique). Si Hermann Levi n'a pas mis des gants pour rejeter la partition, il faut reconnaître que son intuition était fondée et sans les révisions de fait imposées à Bruckner, l'œuvre, telle que nous la connaissons révisée perdrait en poésie. Dans le trio, les flûtes assurent sans relief le rôle des harpes dans la version définitive. Oui, la coda rugueuse et grandiloquente de l'allegro a bien fait de disparaître. Mais que sont belles lesdites harpes plus en valeur dans l'adagio. Bon, c'est une affaire de goût et il est passionnant de voir comment une partition évolue jusqu'à la maturation. On pourra par curiosité écouter cette genèse primordiale et erratique de la 8ème symphonie. D'ailleurs d'autres chefs se sont adonnés à l'exercice comme Simone Young qui ne dirige que les versions originales (Clic) (Teldec – 5/6 pour Inbal).





5 commentaires:

  1. Belle version, j'étais arrêté à celle de 1975 et comme tu dis, c'est un virage a 180°

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  2. Il existe trois versions officielles de cette symphonie par le chef autrichien :
    • la première, déjà avec le Philharmonique de berlin, mais pour EMI, enregistrée en mai 1957. Très ample !
    • puis les deux que tu as citées. Dans la version de 1976, les deux derniers mouvements restent malgré tout très impressionnants, et la prise de son n'est pas si maigre que ça, et les cuivres sont encore pus fabuleux que dans la version de 1987 -la coda du finale !!!-.
    A noter que Furtwängler ne joue pas l'édition Haas et le son est assez médiocre, malheureusement.
    • la version de 1944, avec la Preussische Staatskapelle n'est pas complète -il manque le 1er mouvement-. Elle fut enregistrée de manière expérimentale sur bande magnétique et le dernier mouvement est même en stéréo !

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  3. Merci Pat et Diablotin pour vos remarques.

    Je possédais la 8ème de 1976 en LP. Sans doute un pressage moyen, car je viens de la réécouter sur Deezer, la numérisation éclaircit bien les choses, mais je continue de trouver l'ensemble et la coda finale un peu trop majestueuse à mon goût (Subjectivité quand tu nous tiens).

    Pour faire écho à l'autre commentaire sur le Requiem Allemand, je me demande si ce chef hédoniste et vilipendé par certains par snobisme (ou jalousie) à gravé dans sa discographie infinie un disque vraiment à écarter. Dans la fin des années 60, je luis dois trop de découvertes (premier Bruckner : 9ème de 1966, les Brahms, les Beethoven, Bartók et Stravinski et le ring de Wagner en studio, etc.) La découverte de la musique classique au disque par le grand public de l'époque (les fameuses souscriptions de noël) lui doit beaucoup, même si l'avion privé était payé par les royalties… Un grand bonhomme…

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  4. Parmi ses disques de moindre importance, on peut citer, notamment :
    • sa deuxième symphonie fantastique de Berlioz, 1965 -la première, avec le Philharmonie est excellente, vraiment, et la troisième, avec Berlin, se défend très bien dans son optique-;
    • ses premiers concertos brandebourgeois de Bach avec Berlin, 1964. Les seconds sont un peu plus vivants, mais ça reste assez lourd. le baroque italien, curieusement, lui convient mieux et les Anglais appréciaient ses Handel à leur sortie;
    • personnellement, je n'aima pas outre mesure son Beethoven et son Brahms avec l'OP Vienne pour Decca : ça tourne un peu à vide à mes oreilles. Par contre, je place très haut ses premiers Beethoven de la fin des années 40 avec l'OP Vienne pour EMI : la plus belle 9ème de toute la discographie -le mouvement lent est d'une tendresse inégalée par quiconque, et le premier est fulgurant eu égard aux usages de l'époque-, à mon avis et une fort belle 5ème !
    Comme c'est un chef avec une approche assez idiosyncrasique quand même, on peut parfaitement ne pas adhérer à ses interprétations. Pour ma part, j'aime beaucoup, et dans Richard Strauss, les dernières symphonies de Bruckner, Wagner -ses Meistersinger ou son Tristan de Bayreuth !- ou dans les symphonies de Beethoven -Berlin, première intégrale DGG-, je le trouve unique.
    Généralement, on trouve quand même, partout, un réel niveau de qualité, et quand il se plante, c'est avec assez de conviction pour que ça passe quand même :-) !

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  5. je suis d’accord avec tout cela...
    Oui, son Bach n'est pas ce que l’on entend de nos jours, mais quels chanteurs il savait choisir !!!
    A cette liste (Strauss superbes), j'ajoute 4 dernières symphonies de Sibelius, une 10ème de Chostakovitch inattendue (la seule qu'il est abordée à ma connaissance) et la célèbre 5ème de Prokofiev commenté dans ce blog d'ailleurs.
    J'ai également un coffret Tchaïkovski de 8 CD très bon (malgré Mravinsky dans les symphonie 4-6 insurpassables à mon sens) et comportant le concerto avec Christian Ferras avec lequel il signa des gravures des concertos pourtant rabâchés par la discographie qui vieillissent pas...
    Bref, on a du mal à trouver le disque épouvantable. Comme tu le dis, ça passe toujours...

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