- Suite de la saga Bruckner M'sieur Claude...
Mais, il a
composé combien de symphonies ce compositeur au juste… Toutes auront leur
chronique ?
- 11, Sonia, mais numérotées de 1 à 9 car le musicien, très exigeant avec
lui-même, a laissé de côté deux œuvres de jeunesse
portant les n°
0 & 00…
- Ah, c'est curieux, elles ne sont pas passionnantes ces deux ébauches
d'une longue carrière ?
- La 0 n'a pas à rougir des symphonies romantiques de l'époque, même si
Schumann ou Brahms dominent un peu plus le sujet, la 00, mouais vite
fait…
- Vous avez choisi le célèbre Herbert von Karajan cette fois-ci,
pourtant, il me semblait que vous ne l'appréciez guère dans le répertoire
de Bruckner ?
- Ô oui et non. À mon sens, l'intégrale au pas de charge des années 70-80
ne reflète pas son talent véritable. Par contre cette gravure tardive
le conduit
au sommet…
Buste de Bruckner par Victor Tilgner XXXX |
La petite
symphonie en fa mineur N°00
ne possède pas des éléments mélodiques marquants et émouvants qui se
mémorisent immédiatement, comme ceux rencontrés à l'écoute de ses sœurs. Une
simple curiosité à évoquer dans un bref billet estival.
Quatre symphonies ont déjà été commentées dans le blog depuis quatre ans
(un bon rythme). Les N° 2, 4, 5 et 9, successivement par de grands
interprètes (parfois inattendus) d'une discographie enfin foisonnante. Dans
l'ordre
de la série
ci-dessus :
Simone Young,
SergiuCelibidache,
Günther Wand
et
Leonard
Benstein
pour la
9ème
restée inachevée. (Chacun de ces noms est un lien vers les chroniques
respectives.)
Toujours très attaché à parcourir la confrérie des grands interprètes
brucknérien, je me dois de parler des ultimes enregistrements, deux ans
avant sa mort, du maestro autrichien.
Non pas avec
son orchestre officiel : la
Philharmonie de Berlin, mais ici avec celle de
Vienne. En effet, l'intégrale des années 70-80, à quelques exceptions près,
m'avait déçu, notamment par une brusquerie du discours et une prise de son
brumeuse et acide.
Herbert von Karajan, au crépuscule de sa vie, n'ayant plus rien à prouver en termes de beau
son spectaculaire, offrait en
1988 cet enregistrement puis,
quelques semaines avant sa mort, en
1989, une gravure d'anthologie
de la
7ème symphonie
également à
Vienne.
"Enfin foisonnante" écrivais-je plus haut… Heuu… pas encore en France où
120 ans après sa mort, le symphoniste n'inspire
guère le
public et les chefs français (sauf
Boulez
à
Vienne
dans
une belle 8ème). Les programmes de concert se concentrent quasi exclusivement sur,
justement, les
7ème et
8ème symphonies. J'ai pu les entendre plusieurs fois en salle. 2 fois pour la
8ème, notamment par
Karl Böhm
qui avait su galvaniser
un
Orchestre de Paris
habituellement en petite forme dans les années 70. Le chef âgé de 84 ans
commença l'interprétation
assis (1H20
et
de mémoire), un genou dans le plâtre, et
termina debout… Il y a des artistes vraiment bâtis à chaux et à sable !! En 47 ans
de concert, seul l'orchestre de Radio France, moins frileux dans sa programmation, a pu me permettre d'écouter la
4ème
et la
6ème.
Ah, quand même une
9ème
apocalyptique avec le
Concertgebouw d'Amsterdam
dirigé par
Haitink
en 1983 salle Pleyel. Vous
voyez, c'est maigre…
Cette semaine, l'orchestre de Paris
et
Paavo Järvi ont donné la
5ème
à la Philharmonie de Paris.
Ça
vient... En 2016, est également prévue
en concert la
8ème
symphonie écoutée ce jour
par
l'orchestre symphonique de Londres
et
Simon Rattle...
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Herbert von Karajan en 1938 |
Je ne présente plus
Herbert von Karajan, ce nom étant quasiment synonyme de "maestro célébrissime". Une biographie
détaillée est à lire dans un article de 2012 consacré au
Requiem Allemand
de
Brahms
(Clic).
Le chef autrichien a beaucoup dirigé
Bruckner
dès le début de sa carrière. Il dirige pour la première fois la
8ème symphonie
en 1941 à seulement 33 ans,
avec la
Staastkapelle de Berlin. Dès les débuts, il utilise une édition non altérée par les révisions
douteuses, rarement de la main du compositeur, éditions qui sont en vigueur
à l'époque.
Herbert von Karajan
joue la version Haas publiée en
1939. Malgré son jeune âge, sa
maîtrise pour contrôler l'immense architecture symphonique est déjà reconnue
et appréciée. Détesté par Hitler, viré de l'opéra, ses prestations dans
cette œuvre vont se faire rares. Pourtant, en
1944, il parvient
à
enregistrer
l'une des premières gravures (ça devait en faire des 78 tours !!!) Pour
Karajan, diriger cette symphonie "extraterrestre" permet de s'évader de l'horreur
des temps, de retrouver un univers spirituel dans une Allemagne
asservie par des butors assassins et qui court à sa ruine… L'ouvrage ne
quittera jamais son répertoire jusqu'à son dernier souffle. Il existe des
enregistrements anciens introuvables ou presque. Des deux disques officiels
chez Dgg, le premier de
1975 propose une interprétation
granitique et un peu raide, par ailleurs trahie par la maigreur du son
d'ingénieurs peu inspirés. Le second de
1987, sujet du jour, est
miraculeux…
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De 1881 à
mars
1885,
Bruckner
a enfin rendez-vous avec le succès et la reconnaissance de ses pairs. Les
cabales conduites par
Brahms
pour nuire au disciple du wagnérisme ne marchent plus. La
4ème symphonie "Romantique", puis la grandiose
7ème
créée par
Arthur Nikish
en 1884 à Leipzig puis
Hermann Levi
à Munich, en 1885, ont été bien
acceptées par le public. Rasséréné malgré la maladie,
Bruckner
met en chantier
en
1884 une nouvelle symphonie encore plus élaborée. À l'automne
1887, la partition est achevée.
Bruckner
a tapé fort en exploitant des innovations contrapuntiques encore plus
avancées que dans les œuvres précédentes. Bien entendu, il transmet en vue
de la création le manuscrit à
Hermann Levi
en qui il met toute sa confiance depuis
1885. Le chef est désarçonné,
ne "sent" pas l'esprit de ce nouvel ouvrage et, un peu lâchement, charge
Josef Schalk, un élève de
Bruckner, d'annoncer au compositeur qu'il renonce à créer la symphonie !
L'histoire se répète encore et encore.
Bruckner
plonge dans une nouvelle dépression et évoque son suicide. Sa profonde foi
chrétienne (qui l'aide à éviter le pire) et le soutien de
Schalk
vont le conduire à commencer courageusement à réviser sa partition, une fois
de plus.
Bruckner
acceptait facilement les suggestions, parfois trop. Ici elles sont
judicieuses :
remplacement
de la tonitruante et conventionnelle coda du premier mouvement par un
decrescendo poignant. Ajout de harpes dans le trio pour colorer un orchestre
massif, réécriture moins âpre de certains développements, élargissement des
bois à 3 instruments par pupitre… La sévère édition initiale de
1887 (Nowak
1970) s'éclaircit et donne naissance à l'édition de
1890 (Haas
1939), la plus jouée de nos jours. Enfin
Schalk
et
Lienau
préparent une édition "exécutable" en
1892 que l'on ne joue
pratiquement plus car trop trafiquée.
Pourtant cette initiative en permet la création en décembre
1892 par la
Philharmonie de Vienne
dirigée par
Hans Richter. C'est un triomphe public et critique. On parle de LA symphonie ultime du
romantisme. 8 ans pour en arriver là. Une soirée où le vieux maître, fatigué
mais présent, est salué par une foule en délire. Il embrasse
Richter
et reçoit des lauriers… Finies les humiliations.
Bruckner
a 68 ans. Seul
Berlioz
aura autant souffert pour être reconnu. La presse éditera une petite BD en
forme de sympathique caricature (j'en propose les trois derniers dessins
ci-après).
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Karajan
interprète ici la version
Haas
de 1890 avec un orchestre élargi : 3/3/3/3 (dont 1 contrebasson), 8
cors et 4 Wagner‑tuben, 3 trompettes, 3 trombones + tuba basse ; 6
timbales (2 percussionnistes), cymbales, triangles, 3 harpes et cordes. Un
orchestre d'une puissance inconnue à cette date.
Mahler, élève de
Bruckner, et
Richard Strauss
sauront retenir l'idée et iront même beaucoup plus loin, jusqu'à la
démesure.
1 – (Allegro Moderato)
: Les symphonies de
Bruckner
débutaient
toujours sur des trémolos prolongés, dans la douceur, comme pour nous
inviter à faire ce vide mental indispensable pour accueillir le premier
thème, un thème souvent riche de dix à vingt mesures. Dans les symphonies de
la dernière période, la forme sonate ne repose plus sur deux seuls thèmes A
& B mais trois A, B & C et plusieurs variantes de ceux-ci. Cette
extension de la palette de motifs mélodiques permet un travail
contrapuntique d'une imagination infinie. Cela explique que, même avec des
durées de mouvements de 20 à 30 minutes, on ne s'ennuie jamais
lors de l'écoute en
l'absence de
répétitions ennuyeuses à n'en plus finir.
Dans cette
8ème,
Bruckner
innove en précipitant le discours. Dès la fin de la seconde mesure de
trémolos aux violons soulignés d'une mystérieuse tenue sur sol de 2 cors, un
motif sombre et inquiétant aux contrebasses plonge vers
un abîme de
tragédie. Ce motif sera
le leitmotiv
structurant de cet allegro étonnamment court (17 minutes) du fait de la
densité dramatique extrême du morceau. Une clarinette, suivie par les
cordes, expose une seconde idée d'apparence sereine qui évolue en fait vers
un choral de cuivres typique de l'écriture
granitique du
Bruckner organiste. En moins de trois minutes,
Bruckner a déjà exposé une
belle variété
de matériaux sonores qu'il va développer
avec une grande concision mais avec une totale fantaisie. Détailler cette page ne
servirait à rien sans la partition sous les yeux et même avec
(Clic). Psychologiquement, où nous entraîne le compositeur ? On peut discerner ce
conflit permanent entre
son fort
désir créatif innovant et la tristesse apportée par les critiques acerbes
des soi-disant experts de la profession. Oui,
Bruckner demandait
l'impossible aux musiciens d'orchestre de cette époque, ne
ménageait
aucun temps de repos aux artistes et au public. Ce
n'est plus vrai, les orchestres modernes comme celui de la
Philharmonie de Vienne
se jouent des difficultés techniques.
Et le public,
surtout anglo-saxon, sait désormais tenir la distance. Tout le mouvement
oscille avec vivacité entre l'élégie et la méditation [11:08].
Herbert von Karajan
et son orchestre virtuose
cisèle
chaque transition et intermède avec
adresse.
En
faisant appel à une conception dépouillée et vigoureuse,
il révèle
avec énergie et élégance toutes les subtilités de cette architecture sonore
complexe, mais si profondément humaine
dans ses
intentions harmoniques. Après un ultime déchaînement, la coda s'éteint par
la répétition douloureuse du premier thème inversé sur une gamme descendante
rythmée par les discrètes timbales
notées pp.
Un changement radical dans cette seconde mouture, tellement
plus intime.
Un effet de résignation diablement émouvant.
Caricature de la remise de lauriers à la fin de la création... |
2 – (Scherzo - Allegro Moderato)
: [17:05] Comme
Beethoven
dans sa
9ème symphonie
ou
Mendelssohn
dans la
3ème
"Écossaise",
Bruckner, pour la première fois, place son
scherzo en
seconde position. La raison est toujours la même
:
détendre l'atmosphère après un premier mouvement particulièrement emporté et
déstabilisant.
Le guilleret la bémol majeur tranche nettement avec le âpre ut mineur de
l'allegro. L'introduction annonce une musique quasi champêtre, un esprit de
ländler, soit de danse paysanne. Un thème à la fois gracieux, ondulant et
bien scandé, serpente dans tout le scherzo, une pièce très animée et colorée
par les interventions agrestes des cuivres. La rythmique appuyée fait penser
au futur
Stravinsky. À noter que le galop fringuant du discours musical sonne de manière
beaucoup moins abrupte que celui des scherzos des
5ème et 7ème symphonies. Le mouvement est d'ailleurs plus développé par sa durée sensiblement
égale à celle de l'allegro initial. Un développement central nous plonge
sous les ramures avec un lointain appel des cors, le romantisme est toujours
de mise.
[23:10] Le trio se présente comme une oasis de fraîcheur dans ce mouvement
étonnant. Une élégante mélodie s'écoule tel un ruisseau, une romance
enluminée par des pizzicati et un fugace dialogue des cuivres et des bois
qui va donner la parole à des arpèges charmeurs des harpes (flûtes à l'origine). Plusieurs idées secondaires agrémentent ce
trio de sonorités bucoliques. [27:10] Un tendre solo de flûte prépare la
reprise da capo du Scherzo. Le maestro
Karajan
trouve le tempo et le ton juste, aère chaque phrase dans ce mouvement très
lyrique.
Page finale du manuscrit XX XX |
3 – (Adagio – Lent mais sans traîner)
: [33:30] Dans cet immense adagio long de 25 minutes (35 chez
Celibidache, bien que
Bruckner
précise de ne pas traîner), les expressions métaphoriques pour tenter de
discerner un climat particulier sont légions : promenade, prière,
méditation, grand espace (terrestre ou céleste)… Les premières mesures
sont formées de 2 groupes de 4 notes, 3 croches et une noire, mais à jouer comme un triolet
sur une mesure à 4/4 !!!
Et Bruckner
s'étonnait que les chefs râlaient.
Donc, l'intro disais-je, menée aux cordes seules, hésite, cherche sa
rythmique, un fil conducteur
dans cette
suite de syncopes mystérieuses. Le flux sonore tente d'établir une pensée
cohérente
puisée dans
la liste des possibilités expressives citées avant. Un premier thème
élégiaque s'étire avec solennité et
spiritualité. La méditation l'emporte-t-elle ?
Apparemment
oui.
Bruckner
réexpose une variante se terminant par des arpèges de harpes
séraphiques.
La tonalité nostalgique de ré bémol mineur sera fort malmenée pour varier la
couleur de cette exposition à l'infini. Une idée plus dramatique permettra
l'entrée des cors, des flûtes et bois, quasiment absents au début.
Bruckner
construit par vagues successives l'image du temps qui passe, de la
contemplation. Le compositeur nous bluffe à
se permettre une telle
limpidité dans ce travail contrapuntique d'une complexité inouïe. Une musique d'une
beauté et sérénité sidérales ; de nos jours on dirait "planante" voire
hypnotique… On pourrait commenter des pages et des pages. À quoi bon ?
Divers passages vont se succéder en prenant une assurance de plus en marquée
voire martiale pour exprimer la foi en l'homme et en l'Esprit.
Herbert von Karajan
ne traîne pas et pourtant ne précipite rien de cette déploraison. Ce diable
d'homme sait
quand
accélérer ou retenir son orchestre pour agripper l'auditeur, intensifier
l'émotion, varier les plaisirs (désolé pour cette trivialité).
Bruckner
nous conduit à travers les méandres de ce chemin musical en constante
transmutation sonore vers
le climax
minéral
d'un choral des cuivres et d'un
double coup
de cymbale. La descente de ce jaillissement tellurique se fait brutalement
sur
des arpèges
des trois harpes. Le contraste le plus risqué pour un orchestre, mais
Karajan
le négocie avec une
facilité que
je n'ai entendue qu'ici ! La coda s'écoule comme un songe paisible, une
péroraison d'une légèreté cosmique, avec ce leitmotiv de quatre notes qui
réapparait encore et encore jusqu'à une tenue ultime et astrale des violons et Wagner-tuben
ppp. À propos de cette coda,
Celibidache, adepte du zen, disait en substance : "Bruckner
nous
donne une image de
l'éternité"…
Alexandre Calame : Orage à la Handeck (1839) |
4 – (Solennel – pas rapide)
: [58:45] Rien de surprenant au fait que
Bruckner
ait passé tant de temps à composer cette symphonie, synthèse de décennies de
travail et de recherche. Son grand œuvre au sens alchimique du terme. 24
minutes de musique qui vont réunir, en dehors de leurs propres matériaux,
des citations des trois mouvements précédents. Impossible, sans bousculer
les souhaits de concision de Rockin' et Luc, de rentrer dans les détails de
cette profusion délirante d'un kaléidoscope symphonique que l'on a rencontré
déjà, en moins fou, dans la
5ème symphonie. Ici,
Bruckner
se rapproche de la musique à venir au XXème siècle.
Ce tableau du peintre suisse romantique
Alexandre Calame illustre assez
bien l'ambiance de ce final. À mes yeux, ça va sans dire. Une forêt sauvage
au pied de montagnes farouches. Un orage gronde dans le lointain, laissant
diffuser des lumières métalliques et plombées. Le torrent démonté semble
nous menacer…
Ce climat d'apocalypse nous assaille dès l'introduction. Tonalité
incertaine… flippant do mineur à la 30ème mesure (École de Vienne
à venir ?). Une chevauchée épique, scandée au cordes avec une appogiature
avant chaque note staccato et cinglante des
violons (un
peu barré le
Bruckner, merci pour les violonistes). Motif crescendo et héroïque qui conduit à
une fanfare à l'unisson culminant par un trait
fff des trompettes. Si ce n'est
pas de la musique virile ça ? Cette thématique indomptable se répète deux
fois pour enchaîner un contresujet aux timbales et cuivres frôlant la
dissonance. Musique trépidante et intimidante qui préfigure des finals tout
aussi provocants de ses
successeurs, tel celui de la
6ème
de son élève
Mahler.
Un soudain apaisement dû à une longue phrase des cordes démontre que le
style définitif du compositeur s'est radicalement personnalisé. On
retrouvera dans tout ce final ces affrontements entre mélodies poétiques et
blocs erratiques et fracassants, ce collage des uns et des autres de manière
abrupte, et encore plus dans l'ultime
9ème symphonie
inachevée. [1:04:40] L'exemple le plus frappant : un long développement
bucolique et dansant bascule dans une marche quasi militaire d'une rudesse
inouïe, marche interrompue à son tour par un passage de douceur illuminée
par un tendre solo de violon…
Sautons directement à l'incroyable coda. Aucun compositeur, même
Wagner, n'a imaginé conclure avec une énergie aussi volcanique une de ses œuvres,
sans parler de l'aspect innovant et moderne du concept. [1:18:50] Une fausse
coda utilisant le thème initial de l'allegro semble conduire l'ouvrage à sa
conclusion. [1:20:16] La vraie coda s'insinue par le silence à peine troublé
par quelques notes de timbales
ppp. Surgissant d'une glaise sonore primitive, la musique rejoue la
Création. Un chaos apparent
se déploie
péniblement. Le thème initial ressurgit, se structure mesure après mesure.
Les motifs se superposent, s'organisent jusqu'à un déchainement
conclusif
halluciné. La musique romantique vient de basculer dans un l'univers des prémices de la musique moderne par cette fureur apparemment déstructurée. Et c'est le timide, humble, critiquée et modeste
Bruckner
qui a révolutionné le langage symphonique en cette fin du
XIXème siècle, comme un
point final au romantisme !! Comme quoi...
Dès la création, beaucoup de musicologue ou d'autres compositeurs on dit,
ou écrit, que cette symphonie était l'aboutissement ultime de la polyphonie
occidentale, que rien de semblable ne pourrait voir le jour.
Bruckner, dans les deux grands mouvements achevés de la
9ème symphonie
, montrera que l'on peut poursuivre, mais sans innover à ce point.
Mahler, avec un langage et des architectures plus hardies montrera que la
symphonie postromantique peut encore avoir sa place…
Par son interprétation contrastée,
Herbert von Karajan
apporte une stupéfiante lisibilité à ce cataclysme orchestral ! Sans aucun
doute l'un de ses meilleurs disques tous
répertoires confondus. L'une des références pour cette œuvre.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
La discographie de qualité de cette immense fresque orchestrale est
pléthorique. Voici une petite sélection de valeurs sûres.
Par les grands anciens, nous disposons des gravures de
Furtwängler
en mono et de
Jochum
en stéréo dans son intégrale des années
50-60. (Dgg
– 6/6)
Plus proche de nous,
Karl Böhm
avec l'Orchestre philharmonique de Vienne
en 1976, en même temps que la
7ème, apporte son style dépouillé et élégant (Dgg
– 5/6).
Celibidache
à
Munich, avec des
tempos allongés jusqu'à la rupture, joue la carte de l'éternité (je le cite
à nouveau) et de la métaphasique (1H40 !!). On plonge dans la médiation
transcendantale ou on craque et on fiche le CD par la fenêtre. (Perso,
j'adore. EMI – 6/6)
Bien sûr, le spécialiste brucknérien
Günther
Wand
(Clic)
a enregistré quatre fois l'ouvrage, la dernière mouture avec la
Philharmonie de Berlin
en live et sur trois soirées dont on a extrait le must pour le CD de
2001. Prise de son fabuleuse pour une interprétation au cordeau et
d'une transparence exceptionnelle pour cette musique vigoureuse. (RCA – 5,5/6)
En 1982, le chef israélien
Eliahu Inbal
a enregistré à Francfort l'édition de
1887 refusée par
Hermann Levi. (Au sein d'une intégrale des versions primitives saluée par la critique).
Si
Hermann Levi
n'a pas mis des gants pour rejeter la partition, il faut reconnaître que son
intuition était fondée et sans les révisions de fait imposées à
Bruckner, l'œuvre, telle que nous la connaissons révisée perdrait en poésie. Dans
le trio, les flûtes assurent
sans relief le rôle des harpes dans la version définitive. Oui, la coda rugueuse et
grandiloquente de l'allegro a bien fait de disparaître. Mais que sont belles
lesdites harpes plus en valeur dans l'adagio. Bon, c'est une affaire de goût
et il est passionnant de voir comment une partition évolue jusqu'à la
maturation. On pourra par curiosité écouter cette genèse primordiale et
erratique de la
8ème symphonie. D'ailleurs d'autres chefs se sont adonnés à l'exercice comme
Simone Young
qui ne dirige que les versions originales
(Clic)
(Teldec – 5/6 pour Inbal).
Belle version, j'étais arrêté à celle de 1975 et comme tu dis, c'est un virage a 180°
RépondreSupprimerIl existe trois versions officielles de cette symphonie par le chef autrichien :
RépondreSupprimer• la première, déjà avec le Philharmonique de berlin, mais pour EMI, enregistrée en mai 1957. Très ample !
• puis les deux que tu as citées. Dans la version de 1976, les deux derniers mouvements restent malgré tout très impressionnants, et la prise de son n'est pas si maigre que ça, et les cuivres sont encore pus fabuleux que dans la version de 1987 -la coda du finale !!!-.
A noter que Furtwängler ne joue pas l'édition Haas et le son est assez médiocre, malheureusement.
• la version de 1944, avec la Preussische Staatskapelle n'est pas complète -il manque le 1er mouvement-. Elle fut enregistrée de manière expérimentale sur bande magnétique et le dernier mouvement est même en stéréo !
Merci Pat et Diablotin pour vos remarques.
RépondreSupprimerJe possédais la 8ème de 1976 en LP. Sans doute un pressage moyen, car je viens de la réécouter sur Deezer, la numérisation éclaircit bien les choses, mais je continue de trouver l'ensemble et la coda finale un peu trop majestueuse à mon goût (Subjectivité quand tu nous tiens).
Pour faire écho à l'autre commentaire sur le Requiem Allemand, je me demande si ce chef hédoniste et vilipendé par certains par snobisme (ou jalousie) à gravé dans sa discographie infinie un disque vraiment à écarter. Dans la fin des années 60, je luis dois trop de découvertes (premier Bruckner : 9ème de 1966, les Brahms, les Beethoven, Bartók et Stravinski et le ring de Wagner en studio, etc.) La découverte de la musique classique au disque par le grand public de l'époque (les fameuses souscriptions de noël) lui doit beaucoup, même si l'avion privé était payé par les royalties… Un grand bonhomme…
Parmi ses disques de moindre importance, on peut citer, notamment :
RépondreSupprimer• sa deuxième symphonie fantastique de Berlioz, 1965 -la première, avec le Philharmonie est excellente, vraiment, et la troisième, avec Berlin, se défend très bien dans son optique-;
• ses premiers concertos brandebourgeois de Bach avec Berlin, 1964. Les seconds sont un peu plus vivants, mais ça reste assez lourd. le baroque italien, curieusement, lui convient mieux et les Anglais appréciaient ses Handel à leur sortie;
• personnellement, je n'aima pas outre mesure son Beethoven et son Brahms avec l'OP Vienne pour Decca : ça tourne un peu à vide à mes oreilles. Par contre, je place très haut ses premiers Beethoven de la fin des années 40 avec l'OP Vienne pour EMI : la plus belle 9ème de toute la discographie -le mouvement lent est d'une tendresse inégalée par quiconque, et le premier est fulgurant eu égard aux usages de l'époque-, à mon avis et une fort belle 5ème !
Comme c'est un chef avec une approche assez idiosyncrasique quand même, on peut parfaitement ne pas adhérer à ses interprétations. Pour ma part, j'aime beaucoup, et dans Richard Strauss, les dernières symphonies de Bruckner, Wagner -ses Meistersinger ou son Tristan de Bayreuth !- ou dans les symphonies de Beethoven -Berlin, première intégrale DGG-, je le trouve unique.
Généralement, on trouve quand même, partout, un réel niveau de qualité, et quand il se plante, c'est avec assez de conviction pour que ça passe quand même :-) !
je suis d’accord avec tout cela...
RépondreSupprimerOui, son Bach n'est pas ce que l’on entend de nos jours, mais quels chanteurs il savait choisir !!!
A cette liste (Strauss superbes), j'ajoute 4 dernières symphonies de Sibelius, une 10ème de Chostakovitch inattendue (la seule qu'il est abordée à ma connaissance) et la célèbre 5ème de Prokofiev commenté dans ce blog d'ailleurs.
J'ai également un coffret Tchaïkovski de 8 CD très bon (malgré Mravinsky dans les symphonie 4-6 insurpassables à mon sens) et comportant le concerto avec Christian Ferras avec lequel il signa des gravures des concertos pourtant rabâchés par la discographie qui vieillissent pas...
Bref, on a du mal à trouver le disque épouvantable. Comme tu le dis, ça passe toujours...