samedi 12 décembre 2015

Douglas PRESTON – Le projet K (2015) – Par Claude Toon



Titre original : The Kraken project (Kraken étant le nom d'une mer de méthane sur le satellite Titan de Saturne)

Saturne vue de Titan (vision d'artiste)
Par un beau matin, Mélissa Shepherd se rend au travail.
- C'est quoi ce début M'sieur Claude, un conte de fée ? une rubridélire ?
- Non Sonia, un commentaire sur un roman un peu terrifiant de Douglas Preston, je cherche à piéger nos lecteurs…
- Humm si vous le dites !
Mélissa, informaticienne de son état, bosse sur le projet Kraken : la dernière mission d'envergure projetée par la NASA. L'Agence a conçu Explorer (pas très original ce nom) telle une soucoupe volante blindée qui aurait muté en radeau pour aller atterrir, ou plutôt amerrir, sur Kraken, une mer de méthane liquéfiée à -180° du satellite Titan qui gravite autour de la planète Saturne. Oui, blindé, car à de telles températures, sous des pressions infernales, soumis à des tempêtes de gaz toxiques et à des pluies acides, l'engin devra résister aux pires sévices et agressions de la nature cosmique. Titan : une destination paradisiaque et torride pour vos vacances… But de l'expérience sur cet astre : vérifier qu'une forme de vie peut se développer dans un environnement riche en hydrocarbures… Titan, un monde plus gros que Mercure et deux fois plus large que notre bonne vieille Lune.
Or, Explorer ne partira jamais vers Saturne… Car, comme parfois pour le Deblocnot, quand l'informatique décide de nous faire ch**er…
Nota : un projet de ce type d'exploration de Titan est réellement dans les cartons de la NASA.


Douglas Preston
Tous ceux qui se passionnent pour l'exploration du cosmos savent que, nageant dans le méthane à une distance supérieure à un milliard de km de la terre, la sonde ne pourra pas être télécommandée en live sur Titan. 4 heures d’aller-retour par liaison radio pour lui donner des consignes opérationnelles et connaître la réponse, c'est trop lent ! Mélissa, chargée de programmer le logiciel interne de Explorer, a trouvé la solution à ce problème de communication : donner à Explorer le pouvoir d'initiative. L'informaticienne a codé un logiciel d'I.A. (Intelligence Artificiel) qui, dans un premier temps, a la fâcheuse tendance à déraper et même à partir en vrille au-delà de quelques jours de fonctionnement, au grand damne des concepteurs. Et puis un jour, Euréka, Mélissa imagine un algorithme innovant (la logique brouillonne !?) qui stabilise son programme. Très fière et un peu égoïste, elle conserve sa trouvaille jalousement secrète, et surnomme Dorothée son logiciel doté de pensée et de réactivité…
Un sacré numéro Mélissa Shepherd ! Une enfance difficile, un casier judiciaire d'ado copieux, mais du génie. Soupe au lait mais hyperactive et délurée, Mélissa laisse ses collaborateurs dans l'ignorance de la conception globale (diviser pour mieux régner) tout en couchant avec allégresse avec un certain nombre des membres de ses équipes (si je puis utiliser cette figure de style douteuse).
Donc, reprenons : par un beau matin, Mélissa Shepherd et l'équipe Kraken vont réaliser les premiers  essais de Explorer en situation réelle. Une gigantesque "bouteille" (le surnom d'un méga container de simulation) doit accueillir la sonde pour tester ses réactions face à un écosystème comparable à celui qu'elle rencontrera sur Titan. Mélissa télécharge son logiciel Dorothée d'adaptation aux conditions extrêmes, puis on introduit la sonde, ou plutôt on la balance de trois mètres de haut dans une piscine de méthane glacé. Brrr. Explorer réagit mal, se débat. Dorothée se sent agressée via tous les capteurs qu'elle pilote. Son intelligence intégrée la pousse à s'échapper de cet enfer physico-chimique. L'équipe tente de reprendre le contrôle manuel de l'engin rendu fou de stress. Dorothée ne veut rien entendre, elle ne pense qu'à sa survie. Elle commence à utiliser la foreuse destinée au prélèvement d'échantillons pour percer et détruire "la bouteille". L'équipe s'enfuit face au monstre devenu incontrôlable. Du méthane s'échappe, une étincelle…
BOOOOM !!!!!!!! Le labo est pulvérisé, la sonde Explorer avec, et en prime une dizaine de morts et 40 blessés…
Mélissa émerge du choc dans un lit d'hôpital. Des flics la surveillent. Bien entendu, on la suspecte d'être responsable du désastre, d'incompétence voire de sabotage, cela en rapport avec son caractère ombrageux. Et puis, pour ne rien rater des infos, elle allume son PC et se fait agresser par… Dorothée qui a sauvé ses octets en en se réfugiant dans le web ! En substance, je cite sa déclaration : "Tu m'as trahie salope, tu n'es plus ma princesse, j'aurai ta peau".

Courageuse Laïka : 5h d'agonie par 50° dans une capsule endommagée !!
Vous allez penser : "encore une histoire d'ordinateur fou qui se prend pour Napoléon et veut asservir l'humanité" ou "la rébellion de HAL dans 2001 l'odyssée de l'espace". Pas complètement faux, sauf que le très malin et cultivé Douglas Preston renouvelle complètement la nature du récit. La plupart du temps les conflits ordinateurs-humains ne sont racontés que du point de vue des protagonistes biologiques. Preston donne à son personnage booléen un vrai rôle et du texte, celui d'une entité initialement infantile qui va chercher à se construire, à grandir et à comprendre. Elle se confie au lecteur. Elle va découvrir le désir de vengeance, mais aussi le doute et même l'humour noir. Pourtant Il ne faudra pas la chercher, dans tous les sens du terme, pour l'effacer… Dorothée, comme tous les sales mômes, aura la dragée haute dans les HP et écrans des PC.
Premières confidences aux lecteurs : dans son imaginaire, Dorothée naît dans un palais des mille et une nuits, sous la garde de sa conceptrice qu'elle nomme sa "princesse". Après la soi-disante trahison et son bain réfrigérant qui l'a arrachée à cet univers à la Lewis Caroll, elle acquière la haine, celle d'une ado rebelle. Dorothée souffre de devoir se cacher de serveur en serveur, se paume dans le net, n'arrive pas toujours à améliorer son propre codage. Dorothée va explorer la réalité de la race humaine biologique, elle ira voyager au hasard dans le dark-net, verra des horreurs : l'humanité en décomposition. La gamine binaire veut anéantir tout cela, mais cherche à comprendre les motivations de sa "mère-princesse" devenue "la salope". L(a) logiciel circule de câble en UC en compagnie de Laïka, un autre programme gadget et canin conçu par Mélissa et portant le nom de la petite chienne condamnée à une mort orbitale atroce par les russes pour préparer le vol de Gagarine. Dorothée décide de s'opposer à ces monstruosités terriennes. Va-t-elle frapper fort jusqu'à l'holocauste nucléaire et total ? Saura-t-elle apprendre aussi la confiance envers certains humains fréquentables ?


Ahhh mes actions ! Non Dorothée, pas çaaaa...
La première victime de Dorothée sera G. Parker Lansing, un trader véreux de Wall Street qui a conçu un algorithme, gentiment appelé Manba Noir, qui piège les algorithmes de transactions d'échange de titres. Un matin, Lansing lance avec son air auto-satisfait son logiciel venimeux (forcément avec un nom pareil) pour arnaquer des milliers de petits porteurs, et… se fait plumer de 420 millions de dollars sans pouvoir réagir ; la moitié de ses actifs, une paille… Pour ce personnage qui ne vit que de tripatouillages de ce genre, une seule explication possible : un autre salopard de son espèce a trouvé une couleuvre de parade (ou plutôt une vipère) plus efficace que la sienne. Lansing encaisse mal, ne mange plus, ne dort plus, ne bande plus précise Preston ironique. Le programmeur de choc de Lansing, Moro, a l'intuition de rapprocher la catastrophe de la NASA de leur pépin. (Il est un peu aidé par une informaticienne, maître chanteuse apprentie, l'ex d'un pote qui a eu maille à partir avec Mélissa - pour des histoires de c**l.) Deux objectifs pour les compères : piéger Dorothée qui s'est fait la malle pour l'utiliser comme chasseuse de hackers puis… buter les coupables. C'est vrai, quoi, si on ne peut plus être le seul pourri sur terre, où va le monde ? Très mauvaises idées pour ces trois fripouilles…
Ça va se compliquer. Le FBI part à la poursuite de Dorothée sans succès. Wyman Ford, un privé part à la recherche de Mélissa réfugiée dans les montagnes du Colorado. Une mission en direct avec le président des USA, un pisse-vinaigre furax que l'on n'ait pas plutôt offert ce beau joujou destructeur au Pentagone. Ford déniche Mélissa, mais s'est fait piégé par le président et le FBI. Il se retrouve malgré lui à fuir en équipe avec Mélissa, la seule à pouvoir poursuivre et calmer Dorothée qui va savoir exploiter les coups bas entre humains.

Douglas Preston joue du shaker avec plusieurs genres : SF, polar, thriller. Des personnages rarement sympathiques s'agitent pour courser Dorothée qui joue à Zorro. "Un logiciel qui surgit...etc.". On finit par trouver le logiciel Dorothée anarchiste mais sympa. Un roman de gare ? Non, car des notions en système et réseaux informatiques voire en transactions boursières facilitent la compréhension des péripéties et rebondissements… Comment tout cela va finir ? Je ne dirais rien sinon Dorothée va planter mon PC
Si Dorothée se pointe en pop-up sur votre écran, posez-lui la question, mais, heu… soyez très très courtois avec elle… Douglas Preston, le complice de Lincoln Child dans les aventures Pendergast (Clic) confirme son talent pour le thriller SF captivant.


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