lundi 30 novembre 2015

KEITH RICHARDS "Crosseyed Heart" (2015) par Luc B.



Il commençait à trouver le temps long, depuis son dernier passage dans un studio, plus de 10 ans, depuis A BIGGER BANG en 2004, avec les Rolling Stones. Et comme il avait son groupe de secours sous la main, The X-Pensive Winos, et quelques chansons en stock, Keith Richards s’est décidé à enregistrer son troisième album solo.
avec Steve Jordan
En 1988 il y avait eu TALK IS CHEAP suivi de MAIN OFFENCER en 1992, produits avec Steve Jordan, le batteur des Winos. C’était l’époque où Keith Richards et Mick Jagger étaient à couteaux tirés, chacun dégainant son disque solo, dans un concours de qui a la plus longue… Mick Jagger, hypnotisé par les gourous du marketing travaillait davantage son image que sa musique. Son acolyte sortait du ring gagnant aux points, mais bon, c'était pas non plus le combat du siècle...
Steve Jordan et Keith Richards se sont mis à bosser ensemble, le premier à la batterie, le second aux guitares, à la basse, et au piano. Les titres ont été ensuite étoffés avec le reste de la bande, et quelques invités. Un disque à la cool donc, assez rustique, à l’image du superbe blues d’intro « Crosseyes Heart », acoustique, au ras du micro, qui apparait comme un inédit de Robert Johnson. Sans transition on passe à « Heart stopper », et à la première écoute, on se dit que ça sonne sacrément années 90’s, pas les meilleures qui soient… Le timbre de batterie est sourd, ça ne claque pas.
avec Nora Jones
C’est une musique dépouillée, à laquelle on n’est plus habituée, maintenant qu’en studio on empile les couches d’over-dub saturés avant de bien compresser le tout numériquement. Le disque de Keith Richards, lui, est aéré, clair. Le quatrième titre « Robbed Blind » est une ballade, comme Richards les affectionnent, il y en aura d’autres sur le disque. On est ravi d’entendre des bribes de mélodies, des trucs qui rentrent bien dans les oreilles, mine de rien. Chaque écoute est plus agréable que la précédente.  
Même s’il y a un air de pas fini, parfois. On a l’impression que Keith Richards se contente de débuts d’idées, notamment mélodiquement. Et comme son registre vocal est assez limité, il ne fait pas trop d'effort non plus ! Il chantonne, susurre, grogne, près du micro, parfois ça passe, parfois ça coince un peu, comme sur le « Suspicious » très feutré, mais qui révèle les carences du chanteur. On va dire que ça fait partie du charme. On a droit à un reggae, normal, « Love overdue » de Grégory Isaacs, avec tapis de cuivres bien braisés, qui rappelle un peu trop le « You don’t have to mean it » sur BRIDGES TO BABYLON (mais est-ce illogique qu'un reggae ressemble à un autre reggae ?). Et des rock bien stoniens comme « Trouble », là encore, un début de mélodie sur le refrain, mais on reste minimaliste ! 
Par contre on se régale de guitares, de chorus simples, classieux et tranchants, de riffs de rythmiques caractéristiques du bonhomme, toujours sur le fil, prêts à se casser la gueule, et pis non, ça tient (du miracle ?)... Le mec a quand même un sacré touché, une dynamique post-chuckberrienne (c’est classe comme expression, ça fait sérieux) bien à lui, dans le clan très fermé de ceux qui ont forgé un style, une famille, une école !
Bobby Keys
Il assure presque tous les instruments sur le blues « Blues in the morning », y’a Steve Jordan à la batterie, et le regretté Bobby Keys au sax dans ce qui reste sans doute son dernier enregistrement. Le mix aurait pu lui être plus favorable, on ne l'entend à peine. C'est dingue comme personne ne semble réécouter les disques avant de les mettre en vente !! Comme le piano, à quoi il sert s'il est inaudible ?! Ce titre tient de la jam, un refrain, un chorus, ça sonne comme un vieux truc de Fleetwood Mac période Peter Green. « Something for nothing » n’est sans doute pas indispensable. L’album aligne 15 titres, un peu beaucoup. Une autre ballade, atmosphérique, « Illusion » avec son piano minimaliste. Une chanson co-écrite et interprétée par Nora Jones, il y a aussi Bernard Fowler aux chœurs. Puis « Just a gift », une ballade de plus…
Keith Richards reprend le classique « Goodnight Irène » de Leadbelly (qu’on estime dater de 1908), un des grands bluesman du Delta, avec Charles Patton, Leroy Carr, ou Scrapper Blackwell (l’oncle de Liza, qui avait fait plus que flirter, Liza, avec le jeune Keith lors de la première tournée des Stones aux USA). La version de Richards est lente, juste guitares acoustiques et batterie, Bernard Fowler et Blondie Chaplin aux chœurs, ça fleure bon le Mississippi, le rocking-chair qui grince et les coups de canned heat* sur le perron de la vielle bicoque. 
« Substantial damage » donne dans le rock / funk, la frappe de Steve Jordan est plus sèche, y’a un bon motif de gratte à la rythmique, mais ça ne décolle pas vraiment. En règle général, les autres instruments que la guitare, ici l’orgue Hammond, sont trop en retrait. On termine par une ballade Soul, « Lover’s place » plus ample avec claviers et cuivres, co-écrite avec David Porter.
Le disque a bénéficié d’une large couverture médiatique, c’est que Mister Riff, avec son mauvais caractère a toujours été le chouchou de la bande. Que ce soit son meilleur album solo, c’est certain, mais aucune des compositions n’arrive à la hauteur des grandes réussites du duo Jagger-Richards. L’album s’apprécierait davantage raccourci de trois ou quatre titres, mais il se bonifie déjà. La production feutrée, intime, sied particulièrement à cette musique dépouillée, au timbre goudronné du chanteur. 

* gnôle qui était bue dans des boites de conserve.
Pas franchement de clip disponible, mais ce teasing en anglais sous titré allemand ! On y entend plusieurs titres...

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4 commentaires:

  1. Bon. c'est dit avec le respect qu'on doit au bonhomme, mais il n'y a pas de quoi sauter au plafond. Si on enlève tes circonlocutions, ça donne:disque foutraque, pas travaillé, mal produit et sans inspiration. C'est ce que je pense aussi. dans Talk is cheap, il y a quelques (rares) éclairs.

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  2. C'est terrible, je ne m'étais pas rendu compte que j'en disais plus de mal que de bien ! Mais ce n'est pas désagréable à écouter pour autant, on en reparle dans une dizaine d'années...

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  3. Lapsus calami.

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  4. Quoi qu'il en soit, [mode PROVOC on] les meilleurs albums solo sont ceux de Mick Taylor -surtout le premier, mais aussi tous ses live, bien plus blues que tout ce que pourra jamais faire Keith Richards-, de Bill Wyman et de Charlie Watts -j'aime assez son disque expérimental avec Jim Keltner, et ses productions jazz sont tout-à-fait honorables et aimables aux oreilles- ! [mode PROVOC off].
    Immense fan des Stones je n'ai jamais beaucoup aimé ceux de Keith Richards, assez bordéliques et monolithiques, et guère ceux de Mick Jagger, d'ailleurs.

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