Il y a trente ans, on ne
pouvait pas échapper au phénomène SCARFACE, dont on se refilait les éditions
VHS sous le manteau. Ce n’était plus un film, mais un Graal. Un fantasme pour ceux qui se nourrissaient de rap, de clips macho et vulgaires, fascinés
par leur nouveau héros Tony Montana (la grossièreté incarnée), le grand frère,
l’exemple à suivre pour prendre sa revanche, et réussir dans la vie.
Oubliant un peu vite que dans le film, Tony Montana reste longtemps un second
couteau, qui bande mou, et qu’à peine hissé au sommet à coup de trahisons, il entame sa longue
descente aux enfers…
de Palma et Pacino |
Brian de Palma a beau engranger
les succès (relatifs) avec PHANTOM OF PARADISE (1974), CARRIE (1976), PULSIONS
(1980), ou se prendre des bides (BLOW OUT,1981) on va louer son
savoir-faire inimitable… ou son art du plagiat. On sait qu’il a pompé tout
Hitchcock, non par malhonnêteté, mais par admiration. Il s’est
forgé son propre style à force de copier ceux des autres. Le Film Noir figure
en bonne place dans sa filmographie, de SCARFACE aux INCORRUPTIBLES (1987), LE
DALHIA NOIR (2006), PASSION (2012).
Ce qu’on ne peut
pas retirer à Brian de Palma, c’est son amour de la caméra. Il
construit d’amples et élégants mouvements de grue, virevoltant au-dessus des
immeubles Art Déco de Miami. Son SCARFACE commence ainsi par un très long plan
sur Tony Montana, interrogé par les flics de l’immigration. La caméra tourne
lentement autour de lui, et on comprend que pendant trois heures, c’est Brian
de Palma qui va tourner autour d’Al Pacino, dont la prestation est évidemment
le cœur du film. On trouvera une scène équivalente, plus tard, dans un
restaurant chic, avec un Tony excédé face à sa fiancée Elvira. Brian de Palma
met au point un dispositif de travelling circulaire permettant au grand fauve Pacino
de donner toute sa (dé)mesure.
Exilé politique retenu dans un
camp de réfugiés, Tony Montana, et son pote Manolo, acceptent de dézinguer un
opposant politique contre la promesse d’une carte verte. Une fois le sésame en
main, ils sont embauchés par des truands pour récupérer deux sacs de cocaïne
dans une chambre d’hôtel. Célèbre scène dite de la tronçonneuse, qui a fait
verser beaucoup d’encre dans les gazettes, et de sang de la baignoire…
Là encore, on admire le travelling sur grue. La caméra part de la fenêtre ronde de l’hôtel, descend jusqu’à la rue, où Manolo attend en voiture, en draguant une blonde. Puis la caméra repart d'où elle est venue. Double résultat : suspens, puisqu'on sait que Manolo avait ordre de ne pas bouger de la voiture, le spectateur est seul à savoir que son pote se fait charcuter. Et frustration, car de Palma évite le voyeurisme (un de ses grands thèmes) en éludant la scène par une sorte de "et pendant ce temps-là...". Après ce coup, Montana gagne ses galons de première gâchette pour le caïd Franck Lopez (génial Robert Loggia), et commence à rêver d’indépendance…
Là encore, on admire le travelling sur grue. La caméra part de la fenêtre ronde de l’hôtel, descend jusqu’à la rue, où Manolo attend en voiture, en draguant une blonde. Puis la caméra repart d'où elle est venue. Double résultat : suspens, puisqu'on sait que Manolo avait ordre de ne pas bouger de la voiture, le spectateur est seul à savoir que son pote se fait charcuter. Et frustration, car de Palma évite le voyeurisme (un de ses grands thèmes) en éludant la scène par une sorte de "et pendant ce temps-là...". Après ce coup, Montana gagne ses galons de première gâchette pour le caïd Franck Lopez (génial Robert Loggia), et commence à rêver d’indépendance…
Le film trouve vraiment son rythme et son
intérêt avec les discussions, les tractations, l’envers du décor, les affaires,
notamment avec le fournisseur bolivien Alejandro Sosa, ou la pseudo trahison d’Omar.
C’est quand il trempe vraiment dans le bain, que le personnage de Montana nous apparait
rapace, mégalo, et foutrement gonflé face aux barons de la drogue, électron
libre éructant des répliques ordurières, mais irrésistibles ! (les fans ont
comptabilisé 207 « fuck », mais combien de « balls » ?!)
Tony Montana rêve de pouvoir, d’argent,
de luxe (sa baignoire aux dimensions d’un bassin olympique !)
et de revanche sociale. Il n’est pas éduqué, il le sait, mais croit en son
instinct. Une seule idée le fait avancer : être le n°1. Comme le dit cette
très belle scène, où depuis son balcon, Tony regarde un ballon publicitaire
dans le ciel : le slogan « The world is yours » clignote dans la
nuit.
Tony Montana n’a pas la finesse
d’esprit requise, et on comprend vite que s’il accède au pouvoir suprême, il ne
le gardera pas longtemps. Ce type est un looser né qui surfe sur une apparence
de succès. Rien qu’à voir sa coupe de cheveux, on le sait ! D’autant que
son obsession du contrôle s’élargit à la sphère privée, et aux amours de sa
jeune sœur, qui a la mauvaise idée de se faire sauter par Manolo, son ami et
adjoint. L’idée d’inceste suggérée à la fin par la frangine, était beaucoup
plus présente dans la version de 1932. Sous pression, Tony finit par sniffer sa
propre coke, ce qui n’arrange pas sa parano ; il vit entouré d’écrans de
contrôle.
S’il s’impose face aux truands,
aux barons, il n’a pas la même réussite auprès des femmes. Elvira, belle blonde sophistiquée (délicieuse Michelle Pfeiffer), est un trophée de plus, son "rêve américain" à lui. Et surtout la maitresse de son boss, Franck
Lopez. C'est bien connu, les fauves marquent leur territoires. Mais Montana, qui aime à répéter qu’il en a une grosse dans le froc,
semble peu compétent à s’en servir… Une scène de drague avec Manolo, au début près d'une piscine, semble aussi aller dans ce sens. Y baise combien de fois dans le film, Tony ? Hein ? Le seul contact charnel avec une femme, c'est avec sa soeur...
avant... après. |
Brian de Palma étire sa
dernière séquence plus que nécessaire (ils en foutent un temps à monter à la
corde, les boliviens…) lors d’une fusillade au long cours qui rappelle les
déluges de feu de Sam Peckinpah, et préfigurent ceux de Quentin Tarantino. A mon sens,
de Palma ne possède ni le sens du tragique de Sam, ni la dérision de Quentin.
SCARFACE aurait pu être un très
grand film s’il n’y avait pas eu LE PARRAIN avant, et LES AFFRANCHIS après. Il
se retrouve coincé entre deux monuments, sans vraiment retrouver l’esthétique
et la profondeur tragique du premier, ni le rythme et les audaces narratives du
second. Le film a été élevé au rang de culte plus pour ses outrances. Al Pacino en fait évidemment des tonnes, loin du jésuite
Corléone, le contraire nous aurait étonnés, et déçus ! Le film n’en reste
pas moins par moment fascinant, on ne manque pas de le revoir, en se disant que
le duo de Palma/Pacino feront mieux 10 ans plus tard, avec L’IMPASSE.
SCARFACE de Brian de Palma
Couleur - 2h50 - format scope
ooo
Ouaip, dans le genre mouvement de grue de De Palma, t'as le plan séquence au début de Snake Eyes avec Nicolas Cage, à Atlantic City, mais y parait que c'est truqué mais c'est vachement bien fait, on voit pas de coupure.
RépondreSupprimerSinon j'adore Blow Out, Travolta sublime en preneur de son, un décalque du photographe de Blow Up (putain les Yardbirds avec Beck et Page, je m'égare...).
Scarface t'as tout dit, Pacino est dément, ce mec il est tout petit mais une présence incroyable, L'impasse est sublime aussi avec un Sean Penn méconnaissable!
J'aime beaucoup ce que fait De Palma, voilà voilà...
"Snake eyes" dans mon (bon) souvenir c'est pratiquement un seul plan séquence de 1h30. Et comme avec de la pelloche ce n'est pas possible, c'est donc truqué, comme Hitchcock l'avait fait dans "La corde", dont le principe est ici repris (encore un emprunt à Sir Alfred...).L'action se déroule sur le même temps que la durée du film. "Blow out" est très bien, je trouve que c'est un film qui le résume bien, on y retrouve tous ces tics, notamment le thème de la filature, je te vois, tu ne me vois pas... On retrouve ça dans tous ses films. Je ne sais pas pourquoi ça a été un bide. Heureusement qu'il y a Sean Penn dans "L'impasse" (et ses bouclettes !!) pour partager l'écran avec Pacino, parce que ce mec, quand il est là, les autres disparaissent !!
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