samedi 10 octobre 2015

Robert SCHUMANN – Symphonie N° 4 – George SZELL – Par Claude Toon



- Ah M'sieur Claude, retour aux bonnes valeurs romantiques, une symphonie de Schumann. Vous aviez déjà commenté la 3ème : la "Rhénane", n'est-ce pas ?
- Oui dans l'interprétation réputée de Wolfgang Sawallisch. Place aujourd'hui à un autre chef historique, le hongrois sourcilleux George Szell…
- Un chef qui n'a pas eu encore sa chronique si mes tablettes disent vrai. J'adore découvrir plein de chose avec des chroniqueurs aussi gentils avec moi…
SONIAAAAA ? VOUS FOUTEZ QUOI BON SANG ??? JE VOUS CHERCHE PARTOUT. ON NE VOUS PAYE PAS POUR TAPER LA JACASSE !!!!!
- Heuuu "gentils", Sonia ? Je crois que Monsieur Luc a besoin de vos services.
- Pffff

Nouvelle rencontre avec Robert Schumann qui, comme le mentionne Sonia, fit son entrée dans le Deblocnot avec sa 3ème symphonie dite "Rhénane" (Clic). La biographie écrite pour ce billet de 2013 traçait les grandes lignes de la vie du compositeur romantique : sa carrière de pianiste brisée par des exercices trop intensifs des doigts qui handicapèrent ses mains, son amour pour sa femme Clara, compositrice et pianiste virtuose, qui jouait les œuvres de son compagnon, la folie et le désespoir dans les dernières années de la vie de cet homme tourmenté. La 4ème symphonie est en réalité et chronologiquement la seconde, écrite en 1841, peu de temps après la 1ère dite "Le printemps". L'ouvrage profondément remanié dix ans plus tard en 1851 a pris alors la 4ème place dans le catalogue.
Cette symphonie énergique et concise ne dure qu'une petite trentaine de minutes et ses quatre mouvements doivent être joués enchaînés. Petite nouveauté pour l'époque, comme nous le verrons plus loin, les indications de tempo sont données en allemand et non en italien. L'orchestration hérite de la forme beethovénienne de la 5ème symphonie : 2/2/2/2, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, les cordes et les timbales comme unique percussion. La version définitive de l'œuvre a été créée par le compositeur lui-même à Düsseldorf en 1851.
Les années 1840 se révèlent comme la période la plus heureuse et féconde pour Schumann. En 1840, il a pu enfin épouser Clara Wieck après des années d'opposition de son beau-père et moult procès pour prouver qu'il n'est pas qu'un pauvre saltimbanque (drôle d'époque !). Il compose des Lieder, ses premières symphonies et des concertos. Une complicité avec Chopin, Mendelssohn et Liszt lui permet de s'imposer enfin comme un compositeur reconnu. On retrouvera dans la composition ce mélange d'optimisme et de lutte qui ont caractérisé les années précédentes.
Juste après les retouches apportée à la symphonie en 1851, les nuages s'amoncellent. Robert Schumann n'a pas su convaincre de ses capacités de chef d'orchestre en créant la symphonie "Rhénane" qui rencontre pourtant un franc succès. Son opéra Genoveva n'a pas fait un tabac. Schumann souffre de début de défauts d'élocution, d'angoisse et d'épuisement. La démence qui va l'entraîner à la tombe en 1856 commence ses ravages.
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George Szell (1897-1970)
Le chef d'orchestre George Szell fait partie de cette lignée de maestros hongrois exilés aux États-Unis, et de citer les autocratiques Fritz Reiner ou Georg Solti et également le plus conciliant Antal Dorati. George Szell voit le jour en 1897 à Budapest. C'est un enfant prodige donnant ses premiers récitals de piano à 11 ans devant un Richard Strauss ébahi d'une telle précocité. Le compositeur bavarois, souvent avare de compliments, nouera une collaboration avec le jeune homme qui lui renverra l'ascenseur en dirigeant plus tard les œuvres de l'auteur de Ainsi parla Zarathoustra. La vocation de Szell sera la direction d'orchestre et il sera même invité à diriger à 17 ans la Philharmonie de Berlin ! Jusqu'en 1939 il va diriger divers orchestres de renom en Europe. Son style de direction méticuleux, limpide et direct devra beaucoup aux conseils de Richard Strauss, excellent chef d'orchestre lui-même.
Comme beaucoup, ses origines israélites le contraignent à fuir aux USA en 1939 pour échapper à la traque nazie. Pendant quelques années il conduit avec brio la philharmonie ou le Metropolitan de New-York. En 1946, la direction musicale de l'orchestre de Cleveland lui est confiée. Il va occuper ce poste pendant 24 ans, jusqu'à sa mort en 1970. Il va faire de cette phalange l'une des meilleurs du continent américain et du monde. La clarté et la discipline atteintes par l'orchestre lui permettront de s'assurer une succession prestigieuse avec des grands noms : Pierre Boulez, Lorin Maazel, Christoph von Donhnányi et enfin Franz Welser-Möst depuis 2002. J'ai entendu l'orchestre et ce chef interpréter la 10ème symphonie de Chostakovitch salle Pleyel. Waouh, aussi précis et fougueux que le symphonique de Chicago en plus… délié. Vous voyez le niveau !
Son legs discographique comporte de belles gravures réalisées dans la première décennie de la stéréo. Beaucoup de grands classiques et de romantiques comme Schumann, sujet du jour, mais aussi Beethoven, Bruckner, Brahms et Mahler dont l'interprétation très personnelle de la 6ème symphonie "tragique" reste un incontournable pour cette œuvre difficile.
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Düsseldorf vers 1850
1 - Ziemlich langsam – Lebhaft (Assez lentement - vif) : Curieusement, en ces années de bonheur, Schumann ouvre sa symphonie avec gravité dans la tonalité de ré mineur. Les longues et rudes phrases nostalgiques des cordes ponctuées de notes de timbales doivent-elles suggérer un regard vers ces années de discordes avec Monsieur Wieck ? Une évocation du conflit avec cet homme possessif qui essaya par tous les moyens de s'opposer à son mariage avec Clara, sa bien-aimée ? [1:35] Une tendre transition (on la retrouvera magnifiée entre les mouvements 3 & 4) nous amène au premier thème altier du mouvement. Une progression se met en place, tendue mais optimiste avec des éclats de cuivres très virils dans le développement.
Les traits des archets sont cinglants. George Szell cherche-t-il à dramatiser cette attaque réelle du mouvement ? Non, il ne faut pas y entendre une quelconque sécheresse et encore moins un climat pathétique. Cette musique écrite en 1841, tout du moins sa thématique, doit chanter le romantisme de la première époque, comme chez Berlioz ou Mendelssohn. Donc aucune rudesse dans la direction mais un dégraissage. Les mauvaises habitudes brumeuses du romantisme fin XIXème ont parfois donné à l'interprétation de cette musique de l'épaisseur. La puissance propice au pathos (hélas) chez Bruckner ou chez Brahms ne sied pas ici. George Szell, grand interprète de Haydn, sait ce que Schumann doit aux compositeurs classiques. Sa direction se veut anguleuse, les tempos sont vifs. Szell joue la carte de la victoire. La coda bénéficie d'une mise en place sans surcharge. Les romantiques s'inspiraient beaucoup de la littérature sombre de Goethe ou de Byron. Pourtant, le final de cet "allegro" resplendit de joie.
La romance qui fait office de mouvement lent est enchaînée sans transition...


Clara et Robert vers 1850
2 - Romanze : Ziemlich langsam (Romance - plutôt lente) [8:40] : La clarinette et le chant du hautbois nous plongent dans une rêverie amoureuse. Celle des deux amants enfin unis ? Une seconde idée plus élégiaque nous conduit à un solo de violon évoluant avec grâce à travers une douce mélodie des cordes. Après l'énergie du premier mouvement, George Szell caresse la partition sans aucun hédonisme. La pudeur du retour du thème initial chanté par le hautbois est d'une délicatesse rare. Il termine ce bref "adagietto" que l'on souhaiterait entendre se prolonger. Quatre minutes de sensualité qui paraissent courtes, mais Schumann, a contrario d'un Schubert, ne raffole pas des redites et des reprises.

3 - Scherzo : Lebhaft – Trio (vivement) [12:30] : Le scherzo retrouve l'énergie de l'allegro. Des motifs dansants et énergiques se bousculent. Un thème martial dans lequel dominent les cordes s'oppose à un motif plus léger avec une présence plus marquée des bois, notamment de la clarinette. Le trio, comme souvent à l'époque romantique se veut pastoral. La tonalité de ré mineur s'impose depuis le début de la symphonie. C'est surprenant ce choix plutôt dédié aux œuvres sombres et métaphysiques d'un Bruckner. Il y a  une vitalité non feinte dans cette symphonie. George Szell maintient la fougue qui caractérise sa battue depuis le début, et accentue par là-même l'impression de gaité et de bien être de cette musique. Il est même rare de trouver cette légèreté du phrasé chez un chef de sa génération. L'hypersensible Schumann renoue ici par le miracle de cette direction lyrique avec la poésie des lieder. La reprise du Scherzo se poursuit par le célèbre "crescendo" marquant le début du final.

4 - Langsam - Lebhaft (lentement - vif) [17:40] : On a beaucoup écrit sur ce surprenant crescendo qui établit une transition extatique entre les mesures presque vindicatives du scherzo et la danse joyeuse du final, final qui adopte enfin un mode majeur. Peu de chef passe l'épreuve sans se louper. On entend de tout, mais principalement un mugissement pompier de 1:40 et plus (Celibidache) qui gomme tous les détails prévus par Schumann, à savoir assurer un lien thématique entre les trois mouvements précédents et ce final guilleret. La transition s'élance en douceur par un frémissement mystérieux des cordes d'où surgissent un motif des cors puis des accords des trompettes et des trombones. Vous vous doutez que maître Szell franchit l'obstacle avec facilité en donnant à ce passage casse gu**le l'énergie dramatique requise, mais sans forcer le trait. On frémit à l'écoute de ce matériau primitif et vibrant qui s'organise mesure par mesure pour aboutir à l'exposé du noble thème du final. Pourtant, en cette année 1960, le son stéréo n'est pas encore au top, mais la réputation de clarté du style Szell s'impose sans conteste dans ce final feu follet.
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Grande gravure historique avec la Philharmonie de Berlin en 1953. Dans la transition débutant le final, Furtwängler joue sur nos nerfs par une association de mystère et de tripes qui annonce le Wagner de Tristan voire de Parsifal (Dgg - 6/6). Pour Sami Habra, spécialiste du maestro allemand, cette intensité émotionnelle n'a jamais été égalée au disque. Je ne partage pas complètement ce point de vue. Dans son intégrale des années 60, Rafael Kubelik retrouve avec le même orchestre de Berlin une magie bouleversante dans ce passage qui bénéficie d'une prise de son exceptionnelle (Dgg – 6/6). Il est indéniable que l'énoncé aux contrebasses et en arrière-plan du thème structurant le final s'entend chez Furtwängler malgré la médiocrité du son monophonique. Seule la direction de Karajan en 1972 mettait en valeur ce détail génial d'écriture dans une interprétation au son magnifique, pleine de débordements mais aussi de mièvrerie. Dommage (Dgg - 3/6).
Soyons clair, les bonnes versions sont nombreuses dans ce répertoire. Coup de cœur pour la version dionysiaque de Leonard Bernstein en 1960 avec le Philharmonique de New-York (Sony – 5/6) et bien entendu Wolfgang Sawallisch, interprète de la version choisie pour l'article consacrée à la "Rhénane" (EMI – 6/6). Gustav Mahler a repris l'orchestration parfois confuse de Schumann. Pour cette curiosité, l'intégrale récente de Riccardo Chailly s'impose malgré une dommageable précipitation (DECCA - 4/6). Enfin, John Eliot Gardiner a enregistré la version originale de 1841 dans son intégrale de 1998 (Dgg – 5/6)


Les deux interprétations historiques de cette symphonie de Schumann : George Szell en 1960 avec l'orchestre de Cleveland puis Wilhelm Furtwängler, dans un style plus grandiose avec sa Philharmonie de Berlin...


3 commentaires:

  1. Le début du scherzo qui a servi a un générique d'une émission télévisé dans les années 80, je crois que c'etais une émission médical d'Igor Barrere

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    1. Je n'en suis pas certain Pat mais, il y a tellement d'émissions que je n'ai pas vues....

      Le générique des célèbres "médicales" d'Igor Barrère et Etienne Lalou était les premières mesures du quatrième mouvement de la Symphonie N° 9 "Nouveau Monde" de Dvorak....une émission mensuelle qui a débuté dans les années 60... Cette symphonie a été une de mes premières chroniques (Karel Ancerl)
      Exemple : http://www.ina.fr/video/CPF86646410

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  2. Je viens d'écouter la version de Furtwängler, grandiose !

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