mercredi 30 septembre 2015

DELTA DEEP (2015), by Bruno





     Apparemment, le "petit" Phil Collen a ressenti le besoin de se mettre au vert. Enfin, façon de parler. Plus exactement, il a (momentanément) lâché la grosse production pour aller se ressourcer au son des douze mesures.
Ainsi, il monte le projet d'un groupe qui serait son terrain de jeu pour jouer le Blues. Son Blues, soit un Blues fortement imprégné de Heavy-rock genre Whitesnake première époque, de Hard-blues US millésimé 70's, et de Heavy-blues-rock post 80's. Bref, on reste dans du lourd. Malgré le patronyme, c'est très éloigné d'un quelconque Blues du Delta, encore plus du Country-blues (on n'a même pas droit à un petit intermède acoustique), rien qui pourrait faire resurgir les effluves du Mississippi ou le climat moite et chaud du Deep South. Phillip Kenneth Collen reste indécrottablement attaché aux saturations crémeuses, relativement épaisses mais sans sucre (c'est clair non ?). Sa gratte garde sa texture typée Hard-Rock (nettement plus distortion - Boss D1 ou Pro Co Sound RAT - qu'Overdrive). Phil n'a pas délaissé ses Jacksons (généralement montées avec Di Marzio et Floyd-rose, soit une configuration plutôt propice au Heavy-Metal) au profit de quelques bonnes vielles Gibson ou Fender pour essayer de coller, ou de s'approcher, d'un standard typé Blues.
Bref, rien à voir avec l'aspect vaguement champêtre de la pochette.


     C'est aussi l'occasion pour lui de s'accaparer le micro et de montrer qu'il n'y est point ridicule. Toutefois, soit par souci d'enrichir sa musique, soit par manque de confiance, il s'est attaché les services d'une chanteuse pour le soutenir et le remplacer au besoin. Bonne idée. D'autant plus que la dame, Debbi Blackwell-Cook, est une sacrée chanteuse, pourvue d'un coffre et d'un timbre de voix idéals pour le Blues. De l'acoustique au plus électrique (et qui devrait aussi pouvoir se marier au Gospel). Cependant, à ce jour, on reste dans le passablement électrisé.
Debbi s'était fait connaître en accompagnant Luther Vandross. Pas vraiment le même registre.
Mais alors qu'est-ce qui a bien pu réunir ces deux protagonistes à l'univers musical pourtant si différent.
Il est fort probable que tout démarre de sa dernière épouse, Helen Simmons, qui n'est autre que la filleul de Debbi. Est-ce que le "jeune" couple a cherché à donner de l'ampleur à des compositions personnelles, ou bien est-ce suite à la rencontre entre Phil et Debbi ?
Quoi qu'il en soit, la genèse du projet remonterait à 2012 (2 ans après le mariage), et c'est bien progressivement qu'il a été concrétisé, avec notamment quelques changement de personnel. En l'occurrence, Paul Cook (l'ex Sex Pistols, mais aussi ancien partenaire de Collen au sein de Man Raze) fit partie d'une première mouture.

    Aujourd'hui, ce sont Robert Deleo, à la basse (ex-Stone Temple Pilot) et Forrest Robinson, à la batterie, qui ont la charge de la section rythmique.
 

   Helen L. Collen, l'épouse de Phil donc, participe activement à la composition de tous les originaux présents. Ce que souligne Phil lui-même, en partie pour justifier certaines paroles et son exploration (assez personnelle) du Blues. Assez pudiquement, il s'estime ne pas être le mieux placé, en tant que p'tit blanc (Anglais de surcroît ?), pour toucher à cette riche musique, et, d'autant plus en osant arriver tranquillou avec ses gros sabots et envoyer la patate à coups de Marshall JMP (et d'amplis Randall).
C'est pourquoi il s'appuie sur l'expérience de la famille de sa nouvelle femme (dont la grand-mère aurait cueilli le coton dès ses cinq ans), d'origine Afro-américaine, ainsi que celle de Debbi, pour justifier, (ou porter plus de crédit à), son projet.
Faut-être nécessairement noir pour savoir jouer le Blues, et le ressentir, voire pour prétendre à une quelconque crédibilité ? Ce n'est pas le sujet de cet article, mais si B.B. King était encore de ce monde, il ferait des bonds. Faut-il fatalement avoir souffert pour ressentir le Blues ? Faut-il obligatoirement avoir connu la misère ? Certes, vivre dans l'opulence et dans l'ignorance totale de l'injustice et de la violence du monde peut ne pas aider à éveiller ses sens...
Outre trois reprises, toutes les morceaux sont signés Collen & Collen et Blackwell-Cook.

G à D : Phil, Robert Deleo, Debbi et Forrest Robinson


     Delta Deep veut d'entrée frapper un grand coup avec "Bang The Lid" qui défouraille sec avec sa slide généreuse en ébullition qui doit autant à Rod Price qu'à Lance Keltner. Un Boogie-blues torride où un Hard-rockeur a été convié à se joindre à une fête conviviale de modestes métayers afro-américains. Cela laisse présager un gros album de Blues-rock brûlant.
Hélas, la température redescend aussi tôt avec un slow-blues vaguement jazzy, "Whiskey". Si Debbi n'a aucun mal à s'épanouir dans ce genre, il n'en est pas de même de Collen qui est parfois hors de propos avec quelques petits gimmick limite shredders. C'est un mauvais choix évident quant à l'ordre des morceaux, mais qui a dû être fait pour tenter de séduire rapidement de différents auditeurs (pas sûr que cela marche).

"Down in the Delta" assume pleinement les antécédents Hard-Rock de Collen et patauge allègrement dans le Hard-blues US, un peu lourdaud, genre Leslie West qui aurait laissé sa place au micro à une chanteuse. C'est sympa mais rien de bien transcendant. Les puristes se saisissent de leurs torches et de leurs fourches, tandis que les graisseux exultent de joie.
Et puis, Collen crée la surprise avec "Treat her like Candy" où il s'impose en tant que chanteur, avec notamment quelques intonations coverdaliennes (où il a parfois tendance à accentuer les soupirs). Enfin, il est bien soutenu par Debbi. Toutefois, la justesse de son chant, doublé par un timbre enfumé idéal dans le présent registre, surprend agréablement. S'il n'a guère de coffre, il sait cependant faire de ses limites un atout pour sa musique. Et puis Debbi est là pour pallier au déficit dès qu'il y a un besoin de puissance, de chant vibratoire et habité. Et si on ne peut vraiment évoquer une osmose totale entre ces deux voix bien distinctes, on ne peut néanmoins nier que le mariage est réussi. Debbi apportant clarté et puissance, sensualité et grâce féminine naturelle (pléonasme ?), tandis que Phil, lui, est la facette rauque, rugueuse, virile.
Pour en revenir à "Treat her like Candy", disons que c'est un doux morceau de Pop-bluesy, nappé d'un léger parfum Soulful, qui paraît véhiculer une quelconque mélancolie printanière, ou plutôt une certaine joie de vivre, un jeune couple amoureux marchant dans un jardin fleuri et ombragé.

"Miss Me" confirme l'envol de Delta Deep ; Heavy-blues-rock en mid tempo de fort bonne facture, avec un refrain accrocheur et mnémonique aux réminiscences glam. Le genre de chanson que tous les groupes californiens de Heavy-rock, d'où effleurent quelques consonances Bluesy, (de Great-White à Mr Big, en passant par Richie Kotzen remember Manic Eden ? - ), aimeraient s'accaparer.


     Malheureusement, Delta Deep la joue un peu trop facile en délivrant un slow-blues des plus classiques avec "Burnt Sally". Bien que loin d'être mauvais, loin de là, il souffre de poncifs et de clichés. Mais bon, on dirait que Phil, aussi bien que Debbi, ont voulu se faire plaisir avec cette pièce où ils peuvent se laisser aller à quelques débordements.

     Si parfois le timbre de Phil Collen peut évoquer un Joe Elliott qui forcerait moins sur sa voix, parfois elle évoque aussi  un David Coverdale pré-90's. Sur "Treat her like Candy" donc, mais aussi sur l'excellente reprise du duo éphémère William Bell et Judy Clay, "Private Number" (signée Booker T. Jones et W. Bell), dans une version nettement plus cossue, et totalement dépourvue de violons et de cuivres. Ha... euh... rien d'étonnant ici, puisque c'est monsieur Coverdale en personne qui vient poser sa voix. On a beau le critiquer celui-là (surtout ces derniers temps), il n'empêche que les rares fois où il vient poser sa voix quelque part, il fait indéniablement la différence (par exemple sur le moyen Vanderberg's Moonking où Coverdale sauverait presque le disque sur la fin, avec "Sailing Ships", ou encore sur "Trouble" pour Bernie Marsden).
Avec "Shuffle Sweet", le tempo s'accélère. Le Blues de Delta Deep est monté à bord d'une Ford Mustang, et, grisé par la puissance du moteur, se mue en machine Heavy-rock.

Vu la façon dont Collen se démène, s'expose aux claquage de cordes vocales, il semblerait que le "Black Coffee" d'Ike & Tina Turner soit un choix qui lui tenait à cœur. Mais plutôt que la version originale, c'est celle d'Humble Pie qui a indubitablement servit de modèle (ou celle de Rival Sons du Record Store Day ?), avec en sus une énergie semblable à celle développée en concert par le fameux quintet de Steve Mariott. Le titre a été enregistré avec les anciens de Man Raze (le trio récréatif de Collen avec lequel il a enregistré deux albums). Soit Paul Cook et Simon Laffy (ce dernier est également un ancien de Girl, le premier groupe sérieux de Collen).

Séquence plus légère et insouciante, avec "Feelit" une gentille Pop-song "égayante", telle deux collégiennes se promenant d'un pas sautillant, riant - sainement - avec toute la fraîcheur propre à leur âge. Une tentative commerciale ? Qu'importe, la chanson est sympa.


     Par contre, le final est proche de la bourde monumentale. Déjà, pourquoi avoir voulu s'attaquer à "Mistreated", ce titre emblématique du Deep-Purple Mark III dans un disque qui se dit "Blues" ? Le goût du risque ? Pour démontrer combien ce morceau est parent avec le Blues ? (C'est une question de point de vue qui risque fort de faire grincer des dents à plus d'un). Ensuite, pourquoi avoir choisi Joe Elliott comme chanteur pour ce titre ? Si ce dernier a créé une bonne surprise en rendant hommage à la musique de Mott the Hopple et d'Ian Hunter (son propre projet Down'n'Outz avec des musiciens de Quireboys), il perd des plumes à se frotter au registre de David Coverdale. Il se défend tout de même bien mieux que ce à quoi on pourrait s'attendre (Joe a beaucoup progressé)... Debbi (qui joue ici le rôle de Glenn Hughes) sauve les meubles... jusqu'à ce qu'elle en fasse trop. Comme si elle avait été piquée à maintes reprises par une guêpe belliqueuse. Et puis... Crénom ! Mais qu'est-ce qu'ils foutent ?
 Mais c'est quoi ces descentes de manche en roue libre sur Mistreated ? Ne parvenant pas à restituer le feeling particulier de Ritchie Blackmore, on compense par un déferlement de notes ? Il fait un concours ou quoi ? Il a quelque chose à prouver ? Si c'est un choix, c'en est un mauvais. Il aurait mille fois mieux valu un solo court et concis que ces dérapages intempestifs. Des interventions pondérées, se limitant simplement à la gamme pentatonique (majeure ou mineure) auraient été préférables. C'est certain, si Blackmore entend ça, il va pouffer, ou s'étrangler (!), ou faire un procès (!). Cela gâche quelque peu cet album. Dommage.

     En dépit donc d'un final un peu saoulant et barbant, de certains poncifs et resucées, le disque, qui a su se tenir éloigné des productions clinquantes et exubérantes propres à Def Leppard, tient la route, et parvient parfois même à surprendre grâce à une poignée de bons titres méritant amplement une exposition et le soutien des médias. Ce qui est peu probable, car bien qu'érigés au rang de Star outre-Atlantique (avec tout de même près de 30 millions d'albums vendus rien qu'aux USA, si ce n'est plus), les membres de Def Leppard n'ont jamais eu l'opportunité de voir leurs projets parallèles être placés sous les feux de la rampe. (certains gus bien placés doivent penser qu'il faut savoir rester à sa place...)

P.S. : Pour ceux qui seraient nés de la dernière pluie, ou qui viennent d'être réanimés après des décennies d'hibernation, Phil Collen est l'un des deux guitaristes de Def Leppard ("Pyromania" étant le premier disque sur lequel il apparaît). Groupe qu'il intégra en 1982, en remplacement de Pete Willis, après avoir officié au sein du prometteur Girl.
Phil Collen apparaîtrait également sur des photos du mythique "Made in Japan" (tiré d'un concert donné à Brixton, et non au Japon).


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Article lié :
Def Leppard "Slang" (1996)

7 commentaires:

  1. Ouf, j'ai cru que tu ne citerais jamais Def Lepp en lisant ton article. C'est sûr qu'il devait méchamment se faire chier depuis Hysteria le sieur Collen au sein du Léopard Poisseux et ses compos dégoulinantes. Tiens je vais me remettre un coup du vieux Keith Richards et son Crosseyed Heart pour fêter ça!...

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    1. Ouaip, après mûre réflexion, je concède que j'aurais dû effectivement mentionner Def Leppard bien plus tôt. Dans l'introduction même. (En plus, cela aurait été racoleur).
      Mais bon, je pensais que si on connait Def Lep, forcément le nom de Phil Collen n'est pas inconnu.
      Mais ce n'est pas certain (il n'a pas encore fait de télé-réalité... enfin... je crois)

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  2. Au fait, Rival Sons est à Nashville depuis début septembre en train d'enregistrer un successeur à Great Western Valkyrie...yipikaye!!!!

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    1. J'ai pu voir Rival Sons cet été en concert, et... franchement... c'était vraiment très bon. Bien que la moyenne d'âge allait de la vingtaine à la soixantaine, tout le monde semblait être du même avis : Rival Sons est un authentique groupe de Rock, et/ou de Heavy-Rock. Et donc, formé d'authentiques musiciens qui savent assurer sur scène sans avoir besoin de jouer la comédie ou de forcer le trait. Ou du moins, rien dans leur prestation ne laissait apparaître une quelconque fourberie ou escroquerie.
      Et Jay Buchanan : quel chanteur ! Il rejoint les grands des 70's.
      (roooo.... et les grattes de Scott Holiday... j'ai bien été tenté d'en attraper une et de filer à toute vitesse )

      C'était du sérieux et les quatre lascars, visiblement concernés et habitués par leur musique, n'étaient pas là pour jouer à l'économie, en demi-teinte. Un des meilleurs auxquels j'ai pu assister.

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    2. J'ai vu Rival Sons à Lille, groupe Professionnel, trop Prof, Trop Made in US.
      Concert bien ficelé, ingénieurs au son présents, mais alors concert très bref !
      Cela me rappelle le concert de ZZ TOP pour l'inauguration du Zénith de Lille, 1 heure, chrono en main, pas de rappel, son nickel, mais en mettant ton CD sur ton lecteur, tu as fait l'économie de la place de concert.
      Tiens ! cela me rappelle également, dans la même salle, un concert de SANTANA, il a joué 1 heure le dos tourné au public, j'ai même pas pu voir le vernis de sa gratte.

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    3. Et ben, ça doit être Lille qui doit pas les inspirer...A Morzine ils ont joué plus de deux plombes, j'ai pu leur serrer la main avant le concert, j'étais au 2eme rang et je peux te dire que Scott Holiday joue sur Gibson Firebird ( je croyais que c'était des Fender vu la tête du manche), et comme Bruno, et j'en ai vu un paquet des concerts depuis 1979, un des meilleurs auxquels j'ai pu assister.

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    4. Yes !! De superbes Gibson Firebird (trop bôôôô.....). Des grattes qui ont la classe. Une des plus belles.
      Cependant, depuis quelques temps, il utilise aussi des Kauer Banshee qui sont tout simplement des répliques de Firebird.
      Holiday sort aussi une Fender Jazzmaster pour certains morceaux (paradoxalement, les plus lourds et sombres, limite Stoner).

      Au sujet du concert, nous avons eu droit à une prestation, sans temps mort (à l'exception d'une courte pause de moins de 5 mn.), entre 1 h 30 et 1 h40.
      Holiday et surtout Buchanan étaient proche du public ; ce dernier, vers la fin du concert, se plaçait souvent au bord de la scène.

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