- Bonjour M'sieur Claude. Ah ! Chronique consacrée à notre cher Hector
Berlioz national ! Le maître de l'orchestration survoltée. Une symphonie ?
Un concerto ?
- Point du tout chère Sonia ! Des mélodies d'après des poèmes de
Théophile Gautier. Composées pour le piano puis orchestrées tardivement
par le maître …
- Oui je vois la jaquette. Ernest Ansermet a déjà fait la une du blog me
semble-t-il, mais pas Régine Crespin. Une chanteuse française ?
- Oui un des plus grands noms du chant français d'après-guerre. À la fois
une wagnérienne et une Carmen. Elle nous a quittés mais je dois lui rendre
hommage…
- Il y a aussi des mélodies de Ravel, Debussy et Poulenc en
complément…
- Tout à fait, des œuvres de Debussy sur des textes coquins de Pierre
Louÿs. Debussy, on l'a dit souvent, était un fervent de la bagatelle, hi
hi…
Berlioz vers 1830 |
Comme tous les compositeurs européens du XIXème siècle,
Berlioz
a mis en musique des poésies sous forme de mélodies de qualité destinées à
agrémenter les soirées dans les salons mondains ou chez ses amis
intellectuels. D'ailleurs,
Berlioz
fréquentait et nouait des amitiés avec nombre d'écrivains et de poètes de
son temps. Non, il n'y a pas qu'en Allemagne ou en Autriche que le lied fait
fureur avec
Schubert,
Brahms,
Schumann
et plus tard
Richard Strauss. En France également, le genre connaîtra ses chefs-d'œuvre avec
Gabriel Fauré,
Ernest Chausson,
Henri Duparc,
Déodat de Séverac, et une cinquantaine d'autres compositeurs plus ou moins importants. Le
genre a continué à assurer sa place au XXème siècle avec des
grands noms comme
Ravel
et même
Messiaen…
La vie tumultueuse de
Berlioz
a déjà été abordée dans les chroniques citées. Musicien autodidacte, mal
aimé comme tous les novateurs, on ne retient souvent du
Berlioz
mélodiste que ce cycle des
Nuits d'été. Sa production est bien plus importante.
Berlioz
a écrit six autres cycles
et des
mélodies isolées. Les rédacteurs des textes :
Goethe,
Nerval,
Hugo, des adaptations de
Shakespeare et d'autres poètes
qui n'ont pas laissé un souvenir vivace ; exemple :
Irlande, 9 mélodies sur des textes de Thomas Moore sur des
traductions de
Thomas Gounet. La plupart de ces œuvres sont composées pour un accompagnement au piano,
voix de soprano, ténor ou baryton, l'orchestration ayant été couchée sur la
partition plus tard. Hélas, contrairement aux
Nuits d'été
ou au triptyque
Tristia, ce patrimoine de chansons est peu enregistré. Une lacune à combler pour
les amateurs d'art lyrique français.
Le cycle de six chants des
Nuits d'été
(1834-1838) est passé à la postérité comme le must de la production de
Berlioz
dans le genre. C'est mérité, tant par la fantaisie et la qualité des poèmes
de Théophile Gautier, que par
la finesse de la mise en musique. Quant à l'orchestration échelonnée de
1843 à
1856, on peut parler de
dentelle, ce qui pourra surprendre ceux qui connaissent l'attirance du
compositeur pour les orchestrations généreuses…
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Régine Crespin en 1978 |
Non,
Maria Callas
n'a pas été l'unique Diva à révolutionner l'art du chant au XXème
siècle, à savoir donner vie et psychologie aux personnages, à part égale
entre la technique et prouesse vocale.
Régine Crespin, de quatre ans la cadette de la cantatrice grecque, fera de même. Beaucoup
les suivront dans cette voie.
L'univers classique raffole des concours (Chopin
en Pologne, Tchaïkovski en
Russie). En France, nous avions depuis
1943 le
concours Long-Thibaud créé à
l'initiative de la pianiste
Marguerite Long, complice de
Ravel, et de
Jacques Thibaud
un ami violoniste. En 2011,
face à l'absence de concours international réputé pour l'art lyrique, il est
décidé d'y ajouter le chant et naît ainsi le concours
Long-Thibaud-Crespin. Un hasard
? Non, nous écoutons aujourd'hui une légende…
Originaire de Marseille, la
jeune soprano se fait remarquer en
1943, en pleine guerre, lors
d'un concours de chant. Elle n'a que 16 ans mais s'inscrit au conservatoire
de Paris. La jeune femme se révèle comme soprano dramatique, c’est-à-dire
une voix puissante, idéale pour chanter un répertoire large, notamment
Wagner
qui reste chasse gardée des consœurs
germaniques ou
scandinaves.
Dès ses débuts en 1948, on reconnaît sa diction exceptionnellement
précise et sa force expressive. Plus incroyable : le maestro wagnérien
Hans Knapperbusch
l'invite à Bayreuth pour
chanter le pathétique rôle de
Kundry dans
Parsifal
(saison 1958-1961). Rebelote pour
Sieglinde de
La
Walkyrie
dirigé par
Rudolf Kempe
en 1961. Dans les années 60,
Karajan
et
Solti
entreprennent à Berlin et à Vienne des gravures intégrales du
Ring
de
Wagner
en stéréo, deux premières (19
LP chacune). Le maestro autrichien choisira
Régine Crespin
pour le rôle de
Sieglinde.
Régine chantera d'autres grands rôles en allemand ou en italien :
Le Chevalier à la rose
de
Richard Strauss,
Tosca
de
Puccini. Des rôles tragiques.
Bien entendu, elle offrira son talent à l'opéra français avec
Berlioz
dans les
Troyens
ou
Poulenc
dans
Dialogue des Carmélites. Elle gravera une
Carmen
avec
Alain Lombard
en 1975. Une belle version
francophone. Elle a bien sûr chanté et enregistré maintes mélodies des
compositeurs listés dans la première partie de cet article.
Elle combattra un cancer dans ses dernières années tout en continuant
d'enseigner aux nouvelles générations. Elle considérait cette activité
pédagogique comme une thérapie essentielle.
Régine Crespin
s'est éteinte en 2007 à 80 ans.
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Théophile Gautier |
Théophile Gautier, l'un des chefs de file de la littérature et de la
poésie romantique, y compris dans le registre fantastique (le roman de la
Momie) ne pouvait que séduire une personnalité aussi fantasque que
Hector Berlioz. Le compositeur a 35 ans et a déjà composé sa
Fantastique,
et acquis une grande expérience, quand il entreprend l'écriture des six
mélodies constituant les
Nuits d'été, dans la version avec piano. Il a atteint la cinquantaine lors de
l'orchestration.
Cette orchestration se veut chambriste : 2 flûtes, 1 hautbois, 2
clarinettes en la alternant avec 2 en Si bémol, 2 bassons, 1 à 3 cors
(sélectionnés parmi 7 tonalités diverses suivant la mélodie), une harpe et
des cordes. Une variété et une légèreté inconnues jusqu'alors et très
modernes par l'originalité des timbres obtenus.
1 – Villanelle
: La villanelle est une poésie puisant son inspiration dans la rusticité et
pouvant être dansée sur un rythme de danse villageoise. Usant d'une
rythmique marquée et joyeuse,
Berlioz
évite le piège de l'évocation bucolique, de l'intrusion d'une campagne de
pacotille dans sa mélodie, telle Marie-Antoinette câlinant des moutons.
Trépidante, la mélodie met en avant la vitalité du retour du printemps
suggéré par les vers de
Théophile Gautier. Il est
question de fraises et d'amants, des fruits bien alléchants chacun à leur
manière. Les bois, dont un basson solo, (aucun cuivre) soulignent d'une
lumière guillerette la ligne de chant.
Régine Crespin
adhère totalement à cet épicurisme. La diction est d'une clarté étonnante
même si la prise de son apporte quelques duretés dans les aigus (nous somme
en 1963). Quand à
Ernest Ansermet, grand défenseur et spécialiste de la musique française, sa direction
cristalline offre un écrin détaillé et allègre à la voix. Rien de surprenant
me direz-vous.
2 – Le spectre de la rose
: avec ses 7 minutes, la seconde mélodie est la plus développée du cycle. On
retrouve la fascination pour le bonheur et une certaine sensualité déjà
rencontrés dans
Villanelle. J'ai ajouté le texte du poète. En un mot, une jouvencelle a emporté une
rose à la sortie du bal. Au matin, la fleur s'est flétrie et, devenue
fantôme, chante son bien-être d'avoir péri en si charmante compagnie. Flûte
et cordes baignent une introduction de douces couleurs d'aube. Le tempo est
lent, onirique, une légère basse obstinée rythme le voyage astral de la
rose.
Berlioz
chasse les répétitions dans le flot mélodique accompagnant chacune des
trois strophes (pas de refrain inutile)
: pizzicati ludiques sur les vers "Toute la nuit mon spectre rose / A ton chevet viendra danser", trémolos délicat sur "Pour avoir un trépas si beau". On retrouve bien entendu l'élocution transparente de
Régine Crespin. On pourra regretter une certaine confusion dans la prise de son de
l'orchestre (Harpe où es-tu ?).
À noter que ce beau poème a donné lieu à des adaptations chorégraphiques
dont une par Nijinski pour les ballets russes en 1911.
Nijinski dans le Spectre de la Rose (1911) |
Soulève ta paupière close Qu'effleure un songe virginal, Je suis le spectre d'une rose Que tu portais hier au bal. Tu me pris encore emperlée Des pleurs d'argent de l'arrosoir, Et parmi la fête étoilée Tu me promenas tout le soir. |
Ô toi qui de ma mort fus cause, Sans que tu puisses le chasser Toute la nuit mon spectre rose A ton chevet viendra danser. Mais ne crains rien, je ne réclame Ni messe, ni De Profundis; Ce léger parfum est mon âme Et j'arrive du paradis. |
Mon destin fut digne d'envie: Pour avoir un trépas si beau, Plus d'un aurait donné sa vie, Car j'ai ta gorge pour tombeau, Et sur l'albâtre où je repose Un poète avec un baiser Ecrivit: Ci-git une rose Que tous les rois vont jalouser. |
3 – Absence
: ce poème court met en scène un jeune homme séparé de sa bien-aimée. À la
fois ode et déploration,
Berlioz joue sur le contraste entre l'impatience et la tendresse.
Régine Crespin
souligne à merveille les deux sentiments qui assaillent ainsi le personnage.
4 –Sur les lagunes
: Notée lamento, il s'agit bien d'une lamentation : un requiem douloureux
chanté par un homme dont la "belle amie" est défunte. On retrouve comme dans
Absence
le thème des affres de la séparation, des amours contrariés, de la mort. Ce
choix n'a rien d'anodin pour un
Berlioz
qui connut une vie affective tourmentée.
Berlioz exige de sa chanteuse une tessiture très étendue avec des graves risqués
pour une soprano comme sur les vers "Sur moi la nuit immense / s'étend comme un linceul".
Régine Crespin
passe l'épreuve avec souplesse et émeut au plus profond.
5 – Au cimetière
: Et oui, encore l'ombre de la mort et des Esprits de la nuit.
Berlioz
fait haleter avec douceur sa ligne de chant pour accompagner ce texte plutôt
symbolique. Pas de personnages plus ou moins en pleurs, non la tristesse des
âmes qui craignent d'être oubliées. À noter une grande quiétude et dans le
texte et dans la musique. Une mélodie chantée par un visiteur qui parcourt
le lieu funéraire et évoque les impressions et métaphores qui l'assaillent.
Une chanson pas si triste, plutôt mélancolique.
6 – L'île inconnue
: Le cycle s'achève par cette mélodie surprenante par rapport aux sujets
précédents : l'évocation d'une jeune fille qui navigue vers… Mystère ! Un
seul but : trouver grâce à son esquif féérique une ile où elle rencontrera
l'amour. La musique se la joue joyeuse et juvénile. La complicité entre
Régine Crespin
et le maitre
Ansermet
ne trahit aucune faille dans cette dernière page aux accents enfantins. La
cantatrice possède une voix limpide absente de vocalises et roucoulades, ce
qui permet à tout le cycle d'échapper aux effets hédonistes rencontrés
encore à l'époque sur les scènes lyriques : un chant pur et simple.
L'album est complété par l'orientalisant
Shéhérazade
de
Maurice Ravel
dont je propose la première partie en vidéo. Accompagnée par
John Wutsmann
au piano,
Régine Crespin
chante les
trois chansons de Bilitis
de
Debussy
sur des poèmes de Pierre Louÿs et quelques courtes
mélodies
de
Poulenc.
Le cycle a été souvent enregistré. Un beau disque récent chanté par
Anne-Sofie von Otter
mérite le détour même si je trouve la direction de
James Levine
un peu rude. En 1967, Janet Baker, grande interprète de la musique
française, a enregistré divinement
les Nuits d'été
accompagnée par
John Barbirolli
à la tête du
Philharmonia. Le CD est toujours disponible et bénéficie d'une prise de son supérieure
(EMI – 5/6). Plus récemment, la soprano française
Véronique Gens
et
Louis Langree
dirigeant l'Orchestre de l'Opéra National de Lyon
ont gravé une belle version moderne avec un orchestre aérien (Erato -
5/6).
A chaque fois que tu fais une chronique sur Berlioz, je jubile d'avance et je me délecte de la grandiloquence de tes mots et ....Houlla du calme Patounet, tu es en train de te faire une poussée de romantisme Berliozienne; Plus sérieusement, les nuits d'été est une des oeuvres les moins connus d'Hector, pourtant qu'elle oeuvre lyrique ! Régine Crespin excellent ! je connais surtout la version de Janet Baker sous la baguette de Barbirolli (Janet Baker qui a été une très belle Marguerite dans la damnation de Faust avec l'orchestre de Paris et Georges Prêtre).
RépondreSupprimerGrandiloquence, grandiloquence !!! Est-ce que j'ai une gueule de grandiloquence ??? ;0)
RépondreSupprimerJanet Baker... pas réédité je crains.
D'accord, je retire grandiloquence par rhétorique et éloquence. Des mots plus appropriés. Satisfait ? ^^
RépondreSupprimerOui... Ça me va ;0)
SupprimerPour Janet Baker... pas en neuf, mais j'ai trouvé en occasion un exemplaire pour une poignée d'€. Cool avec en complément des extraits des Troyens. Ça change :0)
Berlioz ? Berlioz ? Euh... C'était pas aussi un des p'tits matous dans "Les Aristochats" de Disney ?
RépondreSupprimerOui bon, ben on fait ce qu'on peut avec ce que l'on a les gars ! Je démarre de tout en bas moi !!! ch** nfzlifzdenhb de bord* ,cczndznn*ù^z/.
A noter aussi une fort belle version par Philippe Herreweghe avec Brigitte Balleys et Mireille Delunsch ;-)
RépondreSupprimerMerci Michel pour vos ajouts...
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