samedi 19 septembre 2015

BERLIOZ – Les nuits d'été – Régine CRESPIN & Ernest ANSERMET - Par Claude Toon



- Bonjour M'sieur Claude. Ah ! Chronique consacrée à notre cher Hector Berlioz national ! Le maître de l'orchestration survoltée. Une symphonie ? Un concerto ?
- Point du tout chère Sonia ! Des mélodies d'après des poèmes de Théophile Gautier. Composées pour le piano puis orchestrées tardivement par le maître …
- Oui je vois la jaquette. Ernest Ansermet a déjà fait la une du blog me semble-t-il, mais pas Régine Crespin. Une chanteuse française ?
- Oui un des plus grands noms du chant français d'après-guerre. À la fois une wagnérienne et une Carmen. Elle nous a quittés mais je dois lui rendre hommage…
- Il y a aussi des mélodies de Ravel, Debussy et Poulenc en complément…
- Tout à fait, des œuvres de Debussy sur des textes coquins de Pierre Louÿs. Debussy, on l'a dit souvent, était un fervent de la bagatelle, hi hi…

Berlioz vers 1830
Oui, je confirme, Hector Berlioz a déjà fait l'objet de trois chroniques dédiées à trois de ses compositions parmi les plus essentielles de la musique romantique française : La Symphonie Fantastique, dès mes débuts au Deblocnot (Clic), Harold en Italie, une symphonie à programme pour alto et orchestre (Clic) et son Requiem (Clic).
Comme tous les compositeurs européens du XIXème siècle, Berlioz a mis en musique des poésies sous forme de mélodies de qualité destinées à agrémenter les soirées dans les salons mondains ou chez ses amis intellectuels. D'ailleurs, Berlioz fréquentait et nouait des amitiés avec nombre d'écrivains et de poètes de son temps. Non, il n'y a pas qu'en Allemagne ou en Autriche que le lied fait fureur avec Schubert, Brahms, Schumann et plus tard Richard Strauss. En France également, le genre connaîtra ses chefs-d'œuvre avec Gabriel Fauré, Ernest Chausson, Henri Duparc, Déodat de Séverac, et une cinquantaine d'autres compositeurs plus ou moins importants. Le genre a continué à assurer sa place au XXème siècle avec des grands noms comme Ravel et même Messiaen
La vie tumultueuse de Berlioz a déjà été abordée dans les chroniques citées. Musicien autodidacte, mal aimé comme tous les novateurs, on ne retient souvent du Berlioz mélodiste que ce cycle des Nuits d'été. Sa production est bien plus importante. Berlioz a écrit six autres cycles et des mélodies isolées. Les rédacteurs des textes : Goethe, Nerval, Hugo, des adaptations de Shakespeare et d'autres poètes qui n'ont pas laissé un souvenir vivace ; exemple : Irlande, 9 mélodies sur des textes de Thomas Moore sur des traductions de Thomas Gounet. La plupart de ces œuvres sont composées pour un accompagnement au piano, voix de soprano, ténor ou baryton, l'orchestration ayant été couchée sur la partition plus tard. Hélas, contrairement aux Nuits d'été ou au triptyque Tristia, ce patrimoine de chansons est peu enregistré. Une lacune à combler pour les amateurs d'art lyrique français.
Le cycle de six chants des Nuits d'été (1834-1838) est passé à la postérité comme le must de la production de Berlioz dans le genre. C'est mérité, tant par la fantaisie et la qualité des poèmes de Théophile Gautier, que par la finesse de la mise en musique. Quant à l'orchestration échelonnée de 1843 à 1856, on peut parler de dentelle, ce qui pourra surprendre ceux qui connaissent l'attirance du compositeur pour les orchestrations généreuses…
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Régine Crespin en 1978
Non, Maria Callas n'a pas été l'unique Diva à révolutionner l'art du chant au XXème siècle, à savoir donner vie et psychologie aux personnages, à part égale entre la technique et prouesse vocale. Régine Crespin, de quatre ans la cadette de la cantatrice grecque, fera de même. Beaucoup les suivront dans cette voie.
L'univers classique raffole des concours (Chopin en Pologne, Tchaïkovski en Russie). En France, nous avions depuis 1943 le concours Long-Thibaud créé à l'initiative de la pianiste Marguerite Long, complice de Ravel, et de Jacques Thibaud un ami violoniste. En 2011, face à l'absence de concours international réputé pour l'art lyrique, il est décidé d'y ajouter le chant et naît ainsi le concours Long-Thibaud-Crespin. Un hasard ? Non, nous écoutons aujourd'hui une légende…
Originaire de Marseille,  la jeune soprano se fait remarquer en 1943, en pleine guerre, lors d'un concours de chant. Elle n'a que 16 ans mais s'inscrit au conservatoire de Paris. La jeune femme se révèle comme soprano dramatique, c’est-à-dire une voix puissante, idéale pour chanter un répertoire large, notamment Wagner qui reste chasse gardée des consœurs  germaniques ou scandinaves.
Dès ses débuts en 1948, on reconnaît sa diction exceptionnellement précise et sa force expressive. Plus incroyable : le maestro wagnérien Hans Knapperbusch l'invite à Bayreuth pour chanter le pathétique rôle de Kundry dans Parsifal (saison 1958-1961). Rebelote pour Sieglinde de La Walkyrie dirigé par Rudolf Kempe en 1961. Dans les années 60, Karajan et Solti entreprennent à Berlin et à Vienne des gravures intégrales du Ring de Wagner en stéréo, deux  premières (19 LP chacune). Le maestro autrichien choisira Régine Crespin pour le rôle de Sieglinde.
Régine chantera d'autres grands rôles en allemand ou en italien : Le Chevalier à la rose de Richard Strauss, Tosca de Puccini. Des rôles tragiques.
Bien entendu, elle offrira son talent à l'opéra français avec Berlioz dans les Troyens ou Poulenc dans Dialogue des Carmélites. Elle gravera une Carmen avec Alain Lombard en 1975. Une belle version francophone. Elle a bien sûr chanté et enregistré maintes mélodies des compositeurs listés dans la première partie de cet article.
Elle combattra un cancer dans ses dernières années tout en continuant d'enseigner aux nouvelles générations. Elle considérait cette activité pédagogique comme une thérapie essentielle. Régine Crespin s'est éteinte en 2007 à 80 ans.
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Théophile Gautier
Théophile Gautier, l'un des chefs de file de la littérature et de la poésie romantique, y compris dans le registre fantastique (le roman de la Momie) ne pouvait que séduire une personnalité aussi fantasque que Hector Berlioz. Le compositeur a 35 ans et a déjà composé sa Fantastique, et acquis une grande expérience, quand il entreprend l'écriture des six mélodies constituant les Nuits d'été, dans la version avec piano. Il a atteint la cinquantaine lors de l'orchestration.
Cette orchestration se veut chambriste : 2 flûtes, 1 hautbois, 2 clarinettes en la alternant avec 2 en Si bémol, 2 bassons, 1 à 3 cors (sélectionnés parmi 7 tonalités diverses suivant la mélodie), une harpe et des cordes. Une variété et une légèreté inconnues jusqu'alors et très modernes par l'originalité des timbres obtenus.

1 – Villanelle : La villanelle est une poésie puisant son inspiration dans la rusticité et pouvant être dansée sur un rythme de danse villageoise. Usant d'une rythmique marquée et joyeuse, Berlioz évite le piège de l'évocation bucolique, de l'intrusion d'une campagne de pacotille dans sa mélodie, telle Marie-Antoinette câlinant des moutons. Trépidante, la mélodie met en avant la vitalité du retour du printemps suggéré par les vers de Théophile Gautier. Il est question de fraises et d'amants, des fruits bien alléchants chacun à leur manière. Les bois, dont un basson solo, (aucun cuivre) soulignent d'une lumière guillerette la ligne de chant. Régine Crespin adhère totalement à cet épicurisme. La diction est d'une clarté étonnante même si la prise de son apporte quelques duretés dans les aigus (nous somme en 1963). Quand à Ernest Ansermet, grand défenseur et spécialiste de la musique française, sa direction cristalline offre un écrin détaillé et allègre à la voix. Rien de surprenant me direz-vous.

2 – Le spectre de la rose : avec ses 7 minutes, la seconde mélodie est la plus développée du cycle. On retrouve la fascination pour le bonheur et une certaine sensualité déjà rencontrés dans Villanelle. J'ai ajouté le texte du poète. En un mot, une jouvencelle a emporté une rose à la sortie du bal. Au matin, la fleur s'est flétrie et, devenue fantôme, chante son bien-être d'avoir péri en si charmante compagnie. Flûte et cordes baignent une introduction de douces couleurs d'aube. Le tempo est lent, onirique, une légère basse obstinée rythme le voyage astral de la rose. Berlioz chasse les répétitions  dans le flot mélodique accompagnant chacune des trois strophes (pas de refrain inutile) : pizzicati ludiques sur les vers "Toute la nuit mon spectre rose / A ton chevet viendra danser", trémolos délicat  sur "Pour avoir un trépas si beau". On retrouve bien entendu l'élocution transparente de Régine Crespin. On pourra regretter une certaine confusion dans la prise de son de l'orchestre (Harpe où es-tu ?).

À noter que ce beau poème a donné lieu à des adaptations chorégraphiques dont une par Nijinski pour les ballets russes en 1911.

Nijinski dans le Spectre de la Rose (1911)
Soulève ta paupière close
Qu'effleure un songe virginal,
Je suis le spectre d'une rose
Que tu portais hier au bal.
Tu me pris encore emperlée
Des pleurs d'argent de l'arrosoir,
Et parmi la fête étoilée
Tu me promenas tout le soir.
Ô toi qui de ma mort fus cause,
Sans que tu puisses le chasser
Toute la nuit mon spectre rose
A ton chevet viendra danser.
Mais ne crains rien, je ne réclame
Ni messe, ni De Profundis;
Ce léger parfum est mon âme
Et j'arrive du paradis.
Mon destin fut digne d'envie:
Pour avoir un trépas si beau,
Plus d'un aurait donné sa vie,
Car j'ai ta gorge pour tombeau,
Et sur l'albâtre où je repose
Un poète avec un baiser
Ecrivit: Ci-git une rose
Que tous les rois vont jalouser.

3 – Absence : ce poème court met en scène un jeune homme séparé de sa bien-aimée. À la fois ode et déploration, Berlioz joue sur le contraste entre l'impatience et la tendresse. Régine Crespin souligne à merveille les deux sentiments qui assaillent ainsi le personnage.

4 –Sur les lagunes : Notée lamento, il s'agit bien d'une lamentation : un requiem douloureux chanté par un homme dont la "belle amie" est défunte. On retrouve comme dans Absence le thème des affres de la séparation, des amours contrariés, de la mort. Ce choix n'a rien d'anodin pour un Berlioz qui connut une vie affective tourmentée. Berlioz exige de sa chanteuse une tessiture très étendue avec des graves risqués pour une soprano comme sur les vers "Sur moi la nuit immense / s'étend comme un linceul". Régine Crespin passe l'épreuve avec souplesse et émeut au plus profond.

Paul-Emile Bécat :
illustration pour les chansons de bilitis
5 – Au cimetière : Et oui, encore l'ombre de la mort et des Esprits de la nuit. Berlioz fait haleter avec douceur sa ligne de chant pour accompagner ce texte plutôt symbolique. Pas de personnages plus ou moins en pleurs, non la tristesse des âmes qui craignent d'être oubliées. À noter une grande quiétude et dans le texte et dans la musique. Une mélodie chantée par un visiteur qui parcourt le lieu funéraire et évoque les impressions et métaphores qui l'assaillent. Une chanson pas si triste, plutôt mélancolique.

6 – L'île inconnue : Le cycle s'achève par cette mélodie surprenante par rapport aux sujets précédents : l'évocation d'une jeune fille qui navigue vers… Mystère ! Un seul but : trouver grâce à son esquif féérique une ile où elle rencontrera l'amour. La musique se la joue joyeuse et juvénile. La complicité entre Régine Crespin et le maitre Ansermet ne trahit aucune faille dans cette dernière page aux accents enfantins. La cantatrice possède une voix limpide absente de vocalises et roucoulades, ce qui permet à tout le cycle d'échapper aux effets hédonistes rencontrés encore à l'époque sur les scènes lyriques : un chant pur et simple.

L'album est complété par l'orientalisant Shéhérazade de Maurice Ravel dont je propose la première partie en vidéo. Accompagnée par John Wutsmann au piano, Régine Crespin chante les trois chansons de Bilitis de Debussy sur des poèmes de Pierre Louÿs et quelques courtes mélodies de Poulenc.

Le cycle a été souvent enregistré. Un beau disque récent chanté par Anne-Sofie von Otter mérite le détour même si je trouve la direction de James Levine un peu rude. En 1967, Janet Baker, grande interprète de la musique française, a enregistré divinement les Nuits d'été accompagnée par John Barbirolli à la tête du Philharmonia. Le CD est toujours disponible et bénéficie d'une prise de son supérieure (EMI – 5/6). Plus récemment, la soprano française Véronique Gens et Louis Langree dirigeant l'Orchestre de l'Opéra National de Lyon ont gravé une belle version moderne avec un orchestre aérien (Erato - 5/6).




7 commentaires:

  1. A chaque fois que tu fais une chronique sur Berlioz, je jubile d'avance et je me délecte de la grandiloquence de tes mots et ....Houlla du calme Patounet, tu es en train de te faire une poussée de romantisme Berliozienne; Plus sérieusement, les nuits d'été est une des oeuvres les moins connus d'Hector, pourtant qu'elle oeuvre lyrique ! Régine Crespin excellent ! je connais surtout la version de Janet Baker sous la baguette de Barbirolli (Janet Baker qui a été une très belle Marguerite dans la damnation de Faust avec l'orchestre de Paris et Georges Prêtre).

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  2. Grandiloquence, grandiloquence !!! Est-ce que j'ai une gueule de grandiloquence ??? ;0)

    Janet Baker... pas réédité je crains.

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  3. D'accord, je retire grandiloquence par rhétorique et éloquence. Des mots plus appropriés. Satisfait ? ^^

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    1. Oui... Ça me va ;0)

      Pour Janet Baker... pas en neuf, mais j'ai trouvé en occasion un exemplaire pour une poignée d'€. Cool avec en complément des extraits des Troyens. Ça change :0)

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  4. Berlioz ? Berlioz ? Euh... C'était pas aussi un des p'tits matous dans "Les Aristochats" de Disney ?

    Oui bon, ben on fait ce qu'on peut avec ce que l'on a les gars ! Je démarre de tout en bas moi !!! ch** nfzlifzdenhb de bord* ,cczndznn*ù^z/.

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  5. A noter aussi une fort belle version par Philippe Herreweghe avec Brigitte Balleys et Mireille Delunsch ;-)

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