- Allo M'sieur Claude, j'ai le brouillon de votre article sous les yeux.
Elle ne porterait pas le sous-titre de "funèbre" cette symphonie ? J'ai lu
ça dans le web…
- Oui Sonia, mais je ne l'ai pas mis dans le titre, ce n'est pas très
médiatique en cette période estivale, et puis "funèbre" est un adjectif
très relatif pour cet œuvre…
- J'ai relu votre article sur les symphonies Londoniennes, Haydn était
plutôt un bon vivant…
- Tout à fait Sonia… Haydn n'a jamais fait preuve d'un zèle acharné pour
la musique sacrée, les requiem, etc. Il voulait juste que l'on joue
l'adagio de cette symphonie pour ses funérailles… d'où ce sous-titre
attribué tardivement je pense…
- J'ai commencé à écouter, il y a de la nostalgie, mais sans plus, et
puis j'ajouterai….
- C'est gentil de vouloir écrire à ma place Sonia, mais on en discutera
autour d'un petit noir, occupons-nous de nos lecteurs…
Ton Koopman |
À 70 ans, le néerlandais
Ton Koopman
fait partie du groupe de la seconde génération de musiciens qui ont
redonné à l'art baroque ses
couleurs originelles. Et, au-delà de l'époque baroque, il est l'un des
artistes qui ont travaillé également sur un retour aux sources de la très
courte époque classique (de la mort de
Bach
en 1750 à la seconde période
beethovénienne en 1803).
Il étudie le clavecin et l'orgue auprès de l'un des illustres pionniers de
cette résurrection du style et des sonorités anciens :
Gustav Leonhardt
salué lors de sa disparition en
2012 et dont la légendaire
interprétation de la
Passion selon Saint Matthieu a été chroniquée dans le Deblocnot
(Clic)
&
(Clic).
Maître du clavier, mais aussi chef d'orchestre, il fonde en 1979,
l'Amsterdam Baroque Orchestra auquel un chœur sera adjoint en 1993.
Ton Koopman
ne se limite pas à imiter ses confrères en jouant sur instruments d'époque,
avec des effectifs réduits et un diapason plus bas. Non, il devient
musicologue pour apporter sa pierre angulaire à la compréhension de
l'interprétation de la musique du XVIIème et XVIIIème
siècle. Il va ainsi réviser de nombreuses partitions par l'étude des
manuscrits autographes, partitions éditées avec certaines libertés dans les
décennies qui suivaient leur composition.
Il a, comme ses pairs, sillonné le monde pour partager ses
conceptions et occupe toujours des places de professeurs dans les
conservatoires les plus prestigieux.
Sa discographie est abondante : une
intégrale des cantates
de
Bach
(avec seulement 12 chanteurs comme le préconisait
Bach), d'autres cycle de
symphonies
classiques :
Mozart
et
Haydn
dont l'album de ce jour.
Koopman
a également gravé des œuvres comme soliste au clavier ; des compositeurs
connus comme
C.P.E.
Bach,
Marin Marais
ou
Buxtehude, les italiens
Frescobaldi
et
Monteverdi
ou d'autres en voie de redécouverte comme
Biber
(pas Justin mais
Heinrich, Sonia ! Pardon ? Ah c'est Bieber l'orthographe pour le minet…) ou encore
l'organiste belge
Pieter Cornet.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Nous avons déjà rencontrés plusieurs fois
Haydn
dans le blog. La première fois pour un choix de
3 symphonies
de la maturité dites "Londoniennes" sous la baguette allègre de
Sir Thomas Beecham
(Clic). Vous trouverez dans cette chronique des détails sur la biographie du
compositeur autrichien très prolixe grâce à une longévité exceptionnelle
pour l'époque (78 ans). Il meurt en
1809, au tout début de l'époque
romantique mise sur orbite par
Beethoven
et sa
symphonie "héroïque"
en 1803. Autres articles :
La Création, un oratorio fleuron du genre et la
symphonie
N° 49
"La
Passione", une symphonie qui justement fait partie comme la N° 44 d'un groupe
d'œuvre intitulée "Sturm und Drang" (tempête et passion).
(Clic)
&
(Clic).
Le mouvement littéraire et artistique "Sturm und Drang" est né dans la seconde moitié du XVIIIème siècle en réaction à
l'abstraction un peu déshumanisée chère aux penseurs et scientifiques du
siècle des lumières. Le courant cherche à retrouver une expression exacerbée
des sentiments dans les œuvres romanesques et artistiques. Le livre de
Goethe "Les Souffrances du jeune Werther" apparaît souvent comme l'un des points de départ de cette période qui
annonce le romantisme… Joseph Haydn, très à l'écoute des innovations de son temps, va traduire son intérêt
dans un groupe de symphonies à l'expressivité puissante voire dramatique. La
plupart des
symphonies N° 34 à 68
appartiennent à cette période même si toute ne sont pas fortement
influencées par le concept. (La
N° 26
en fait partie car elle est mal classée dans la chronologie.)
La
symphonie N° 44
a été composée vers 1770-1771.
Comme la
N° 49, son orchestration est quasi chambriste car, en dehors des cordes,
l'harmonie ne comporte que 2 hautbois, 1 basson et 2 cors (pas de timbales
mais on peut ajouter un clavecin pour assurer un continuo). Il va en
résulter une couleur plutôt sombre et mélancolique accentuée par la tonalité
dominante de mi mineur. Elle comprend très classiquement 4 mouvements, mais
Haydn
a choisi de placer le passage lent (l'adagio) en 3ème position,
principe inhabituel en ces temps-là. Les temps figurant en début de
paragraphe sont ceux fournis par la vidéo…
00:00 –
[1] - Allegro con brio
: Deux accords de l'orchestre à l'unisson (deux blanches) introduisent avec
gravité et autorité l'allegro. Puis les cordes énoncent une mélodie au ton
résolument romanesque enjolivée de quelques notes de cors. Un climat sévère
et sombre sans doute, mais en aucun cas "funèbre". Il faut souligner que
Haydn n'est pas le compositeur rêvé
pour écrire une
symphonie-requiem. Même si on doit au musicien six belles messes, la musique
religieuse n'est pas sa forme favorite. Même si Haydn était profondément
croyant (au sens spirituel du terme), il fréquentera aussi comme
Mozart
les loges maçonniques, diversité qui n'est pas choquante à cette époque.
Haydn
n'était pas ce que l'on désignerait un peu ironiquement de nos jours "un
calotin" ! Le mouvement se développe en suivant une forme sonate
traditionnelle avec une élégance et une simplicité émouvante. Un effet de
transparence dû à la légèreté de l'harmonie.
Ton Koopman
aborde l'œuvre avec vivacité, le hautbois chante distinctement, les cors
apportent leurs couleurs chaudes dans la mélancolie du discours. Les cordes
en boyaux apportent cette sonorité un peu râpeuse et soyeuse qui fait le
charme des interprétations "à l'ancienne". Le chef néerlandais distille une
poésie rare dans ce répertoire par une rythmique bien scandée, une
transparence du phrasé et une articulation gourmande.
Amsterdam Baroque Orchestra |
11:07 -
[3] – Adagio
: Le célèbre adagio que le compositeur souhaitait faire jouer le jour de ses
obsèques se présente comme une mélopée qui n'a rien, mais alors rien de
funeste. La mélodie se développe presque gaiement, avec douceur. Les cordes
jouées en sourdne ont un rôle essentiel, les thèmes ondulent avec grâce. On
distingue dans la partie centrale quelques interrogations auxquelles répond
le chant rassurant du hautbois.
Haydn
n'était pas angoissé par la mort, le mouvement utilise un mode majeur
serein. Je penche plutôt pour l'idée que
Haydn
souhaitait entendre cet adagio lors de son départ pour l'au-delà motivé par
l'attachement porté à ce mouvement si délicat et émouvant. Il me semble même
curieux que ce passage ne soit pas intégré dans des anthologies appréciées
de certains mélomanes et qui rassemblent des adagios d'écoute aisée (Albinoni,
Mahler, aria de
Bach, etc…).
Ton Koopman
laisse la musique s'écouler comme un divertissement nocturne. Les cordes du
Amsterdam Baroque Orchestra
sont d'une beauté élégiaque.
19:19 -
[4] - Finale. Presto
: Le final, très court, après cet adagio long est rêveur fait preuve d'une
énergie folle. Il conclut jovialement cette belle symphonie qui montre
l'habileté du compositeur pour lequel nous avons le sentiment qu'aucune note
ne semble inutile. Comme toujours chez
Haydn, le mouvement gagne en amplitude tant dans sa complexité que dans sa force
sonore avec des interventions facétieuses du basson et des cors. Une coda de
quelques mesurent diablotines terminent de petit bijou de l'âge classique
dont l'adagio préfigure la métaphysique du romantisme à venir… Ton Koopman
fait briller de mille feux ces trois minutes de jubilation.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
La discographie des symphonies de
Haydn
est abondante. Je dois avouer que les réalisations sur instruments d'époque
apportent une espièglerie qui avait parfois disparue lors des gravures sur
instruments modernes. L'ensemble des symphonies du groupe "Sturm und Drang" a été enregistré par
The English Concert sous la direction de
Trevor Pinnock. On retrouve une
vivacité qui fait jeu égal avec
Ton Koopman
(Arkiv – 5/6). Dans les
enregistrements "modernes",
Hermann Scherchen
savait donner à
Haydn
une vitalité et une qualité de mise en place et de contraste inégalable.
Hélas, le son acide monophonique et le déplacement de l'adagio après allegro
situe cet enregistrement plutôt comme un témoignage du génie iconoclaste de
ce chef que comme une référence ; une curiosité… (Westminster-Dgg
– 4/6). Je reste toujours un fan de l'intégrale de
Antal Dorati qui grava une première intégrale (33 CD) des symphonies de
Haydn
en stéréo au début des années 70. Après l'écoute de
Koopman, il faut admettre que le chef hongrois "romantise" le propos avec un
orchestre un peu trop étoffé. Cela dit, la verve et l'expressivité son au
rendez-vous et cette gravure reste décidément l'un des hits pour ceux qui
seraient allergiques aux sonorités baroques (Decca
– 5/6)
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