samedi 15 août 2015

HAYDN – Symphonie N° 44 "Funèbre" – Ton KOOPMAN – par Claude Toon



- Allo M'sieur Claude, j'ai le brouillon de votre article sous les yeux. Elle ne porterait pas le sous-titre de "funèbre" cette symphonie ? J'ai lu ça dans le web…
- Oui Sonia, mais je ne l'ai pas mis dans le titre, ce n'est pas très médiatique en cette période estivale, et puis "funèbre" est un adjectif très relatif pour cet œuvre…
- J'ai relu votre article sur les symphonies Londoniennes, Haydn était plutôt un bon vivant…
- Tout à fait Sonia… Haydn n'a jamais fait preuve d'un zèle acharné pour la musique sacrée, les requiem, etc. Il voulait juste que l'on joue l'adagio de cette symphonie pour ses funérailles… d'où ce sous-titre attribué tardivement je pense…
- J'ai commencé à écouter, il y a de la nostalgie, mais sans plus, et puis j'ajouterai….
- C'est gentil de vouloir écrire à ma place Sonia, mais on en discutera autour d'un petit noir, occupons-nous de nos lecteurs…

Ton Koopman
À 70 ans, le néerlandais Ton Koopman fait partie du groupe de la seconde génération de musiciens qui ont redonné  à l'art baroque ses couleurs originelles. Et, au-delà de l'époque baroque, il est l'un des artistes qui ont travaillé également sur un retour aux sources de la très courte époque classique (de la mort de Bach en 1750 à la seconde période beethovénienne en 1803).
Il étudie le clavecin et l'orgue auprès de l'un des illustres pionniers de cette résurrection du style et des sonorités anciens : Gustav Leonhardt salué lors de sa disparition en 2012 et dont la légendaire interprétation de la Passion selon Saint Matthieu a été chroniquée dans le Deblocnot (Clic) & (Clic).
Maître du clavier, mais aussi chef d'orchestre, il fonde en 1979, l'Amsterdam Baroque Orchestra auquel un chœur sera adjoint en 1993. Ton Koopman ne se limite pas à imiter ses confrères en jouant sur instruments d'époque, avec des effectifs réduits et un diapason plus bas. Non, il devient musicologue pour apporter sa pierre angulaire à la compréhension de l'interprétation de la musique du XVIIème et XVIIIème siècle. Il va ainsi réviser de nombreuses partitions par l'étude des manuscrits autographes, partitions éditées avec certaines libertés dans les décennies qui suivaient leur composition.
Il a, comme ses pairs, sillonné le monde pour partager ses conceptions et occupe toujours des places de professeurs dans les conservatoires les plus prestigieux.
Sa discographie est abondante : une intégrale des cantates de Bach (avec seulement 12 chanteurs comme le préconisait Bach), d'autres cycle de symphonies classiques : Mozart et Haydn dont l'album de ce jour. Koopman a également gravé des œuvres comme soliste au clavier ; des compositeurs connus comme C.P.E. Bach, Marin Marais ou Buxtehude, les italiens Frescobaldi et Monteverdi ou d'autres en voie de redécouverte comme Biber (pas Justin mais Heinrich, Sonia ! Pardon ? Ah c'est Bieber l'orthographe pour le minet…) ou encore l'organiste belge Pieter Cornet.
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Nous avons déjà rencontrés plusieurs fois Haydn dans le blog. La première fois pour un choix de 3 symphonies de la maturité dites "Londoniennes" sous la baguette allègre de Sir Thomas Beecham (Clic). Vous trouverez dans cette chronique des détails sur la biographie du compositeur autrichien très prolixe grâce à une longévité exceptionnelle pour l'époque (78 ans). Il meurt en 1809, au tout début de l'époque romantique mise sur orbite par Beethoven et sa symphonie "héroïque" en 1803. Autres articles : La Création, un oratorio fleuron du genre et la symphonie N° 49 "La Passione", une symphonie qui justement fait partie comme la N° 44 d'un groupe d'œuvre intitulée "Sturm und Drang" (tempête et passion). (Clic) & (Clic).
Le mouvement littéraire et artistique "Sturm und Drang" est né dans la seconde moitié du XVIIIème siècle en réaction à l'abstraction un peu déshumanisée chère aux penseurs et scientifiques du siècle des lumières. Le courant cherche à retrouver une expression exacerbée des sentiments dans les œuvres romanesques et artistiques. Le livre de Goethe "Les Souffrances du jeune Werther" apparaît souvent comme l'un des points de départ de cette période qui annonce le romantisme… Joseph Haydn, très à l'écoute des innovations de son temps, va traduire son intérêt dans un groupe de symphonies à l'expressivité puissante voire dramatique. La plupart des symphonies N° 34 à 68 appartiennent à cette période même si toute ne sont pas fortement influencées par le concept. (La N° 26 en fait partie car elle est mal classée dans la chronologie.)
La symphonie N° 44 a été composée vers 1770-1771. Comme la N° 49, son orchestration est quasi chambriste car, en dehors des cordes, l'harmonie ne comporte que 2 hautbois, 1 basson et 2 cors (pas de timbales mais on peut ajouter un clavecin pour assurer un continuo). Il va en résulter une couleur plutôt sombre et mélancolique accentuée par la tonalité dominante de mi mineur. Elle comprend très classiquement 4 mouvements, mais Haydn a choisi de placer le passage lent (l'adagio) en 3ème position, principe inhabituel en ces temps-là. Les temps figurant en début de paragraphe sont ceux fournis par la vidéo…

00:00 – [1] - Allegro con brio : Deux accords de l'orchestre à l'unisson (deux blanches) introduisent avec gravité et autorité l'allegro. Puis les cordes énoncent une mélodie au ton résolument romanesque enjolivée de quelques notes de cors. Un climat sévère et sombre sans doute, mais en aucun cas "funèbre". Il faut souligner que Haydn n'est pas le compositeur rêvé  pour écrire une symphonie-requiem. Même si on doit au musicien six belles messes, la musique religieuse n'est pas sa forme favorite. Même si Haydn était profondément croyant (au sens spirituel du terme), il fréquentera aussi comme Mozart les loges maçonniques, diversité qui n'est pas choquante à cette époque. Haydn n'était pas ce que l'on désignerait un peu ironiquement de nos jours "un calotin" ! Le mouvement se développe en suivant une forme sonate traditionnelle avec une élégance et une simplicité émouvante. Un effet de transparence dû à la légèreté de l'harmonie. Ton Koopman aborde l'œuvre avec vivacité, le hautbois chante distinctement, les cors apportent leurs couleurs chaudes dans la mélancolie du discours. Les cordes en boyaux apportent cette sonorité un peu râpeuse et soyeuse qui fait le charme des interprétations "à l'ancienne". Le chef néerlandais distille une poésie rare dans ce répertoire par une rythmique bien scandée, une transparence du phrasé et une articulation gourmande.

Amsterdam Baroque Orchestra
06:27 - [2] - Menuetto. Allegretto : Haydn a toujours raffolé des rythmes inspiré des horloges. L'une de ses dernières symphonies deviendra l'une des plus célèbres par son surnom "l'Horloge". On retrouve cette technique dans ce charmant menuet qui nous entraine dans un bal de cour à une heure tardive. Ton Koopman semble imaginer des fêtards un peu fourbus mais désireux de prolonger la fête. Une fois de plus, l'écriture que l'on pourrait taxée de rudimentaire s'évade dans une ambiance enchanteresse et princière.

11:07 - [3] – Adagio : Le célèbre adagio que le compositeur souhaitait faire jouer le jour de ses obsèques se présente comme une mélopée qui n'a rien, mais alors rien de funeste. La mélodie se développe presque gaiement, avec douceur. Les cordes jouées en sourdne ont un rôle essentiel, les thèmes ondulent avec grâce. On distingue dans la partie centrale quelques interrogations auxquelles répond le chant rassurant du hautbois. Haydn n'était pas angoissé par la mort, le mouvement utilise un mode majeur serein. Je penche plutôt pour l'idée que Haydn souhaitait entendre cet adagio lors de son départ pour l'au-delà motivé par l'attachement porté à ce mouvement si délicat et émouvant. Il me semble même curieux que ce passage ne soit pas intégré dans des anthologies appréciées de certains mélomanes et qui rassemblent des adagios d'écoute aisée (Albinoni, Mahler, aria de Bach, etc…). Ton Koopman laisse la musique s'écouler comme un divertissement nocturne. Les cordes du Amsterdam Baroque Orchestra sont d'une beauté élégiaque.

19:19 - [4] - Finale. Presto : Le final, très court, après cet adagio long est rêveur fait preuve d'une énergie folle. Il conclut jovialement cette belle symphonie qui montre l'habileté du compositeur pour lequel nous avons le sentiment qu'aucune note ne semble inutile. Comme toujours chez Haydn, le mouvement gagne en amplitude tant dans sa complexité que dans sa force sonore avec des interventions facétieuses du basson et des cors. Une coda de quelques mesurent diablotines terminent de petit bijou de l'âge classique dont l'adagio préfigure la métaphysique du romantisme à venir… Ton Koopman fait briller de mille feux ces trois minutes de jubilation.
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La discographie des symphonies de Haydn est abondante. Je dois avouer que les réalisations sur instruments d'époque apportent une espièglerie qui avait parfois disparue lors des gravures sur instruments modernes. L'ensemble des symphonies du groupe "Sturm und Drang" a été enregistré par The English Concert sous la direction de Trevor Pinnock. On retrouve une vivacité qui fait jeu égal avec Ton Koopman (Arkiv – 5/6). Dans les enregistrements "modernes", Hermann Scherchen savait donner à Haydn une vitalité et une qualité de mise en place et de contraste inégalable. Hélas, le son acide monophonique et le déplacement de l'adagio après allegro situe cet enregistrement plutôt comme un témoignage du génie iconoclaste de ce chef que comme une référence ; une curiosité… (Westminster-Dgg – 4/6). Je reste toujours un fan de l'intégrale de Antal Dorati qui grava une première intégrale (33 CD) des symphonies de Haydn en stéréo au début des années 70. Après l'écoute de Koopman, il faut admettre que le chef hongrois "romantise" le propos avec un orchestre un peu trop étoffé. Cela dit, la verve et l'expressivité son au rendez-vous et cette gravure reste décidément l'un des hits pour ceux qui seraient allergiques aux sonorités baroques (Decca – 5/6)




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