samedi 22 août 2015

Arthur HONEGGER – Symphonie N° 2 (1941) – Serge BAUDO – Par Claude Toon



- B'jour M'sieur Claude, de retour de vacances tout bronzé… Vous nous proposez quoi ? Du folk Savoyard ? Hihi...
- Tss Tss Miss Sonia, non, quoique Honegger étant d'origine suisse… Pour redémarrer en douceur : une symphonie pour cordes, courte, et d'un modernisme accessible…
- Tiens, suisse !! J'aurais cru l'auteur de Pacific 231 français… Il faut que je relise ce que vous écriviez dans votre chronique sur la musique et les trains (clic).
- Tout à fait pardonnée Sonia, Honegger a vécu en France et cette symphonie écrite à Paris pendant l'occupation a été créée simultanément en France et en Suisse. Une commande de Paul Sacher si souvent mentionné dans mes articles…
- Des cordes, le musicien et mécène suisse Paul Sacher, ça me rappelle un divertimento de Bartók commenté il y a quelques temps…
- Très bien mon petit, je vois que vous suivez, c'est parti…

Arthur Honegger (1892-1955)
Seules quelques lignes dressaient un rapide portrait du compositeur Arthur Honegger dans la chronique "ferroviaire" comportant, entre autres, Pacific 231, virulente et trépidante petite pièce symphonique de 1923 inspirée par la célèbre locomotive. Une œuvre mineure, un gag musical ? Non ! L'art de Honegger se révèle déjà dans les rythmes mécaniques, l'énergie orchestrale reflétant le cubisme métallisant du peintre Fernand Léger. Les deux artistes se passionnent pour le modernisme, la technologie et le monde ouvrier qui construisent le XXème siècle.
Arthur Honegger naît au Havre en 1892 dans une famille suisse protestante et négociante en café. Une famille mélomane. Sa mère joue du piano. Il apprend le violon et, à 17 ans, part pour le conservatoire de Zurich approfondir ses connaissances. Ce retour aux sources helvètes ne dure que deux ans. Le jeune compositeur s'inscrit au conservatoire de Paris, plus prestigieux, dans la classe de Charles-Marie Widor, organiste célèbre et professeur de composition à l'époque (Clic). Il va également suivre l'enseignement de Vincent d'Indy à la Schola Cantorum, l'établissement concurrent. La nationalité suisse lui permet d'échapper à la boucherie des tranchées et il sort du CNSP en 1918 diplômé avec déjà quelques compositions à son actif : un quatuor et le Chant de Nigamon, un poème symphonique à l'écriture farouche qui préfigure l'intérêt de Honegger pour la modernité musicale, le renoncement au postromantisme.
Si Honegger ne sera pas le fondateur d'une nouvelle école esthétique, il va mettre en pratique les nouveautés de cette époque de bouleversement : la polyrythmie de Stravinsky, les gammes tonales de Debussy, les recherches atonales de Schoenberg (sans souscrire au sérialisme de l'École de Vienne), mais aussi le goût pour la rigueur structurelle d'un Beethoven ou d'un Bach pour le contrepoint. En résumé, le compositeur ne veut se lier à aucune tendance ou mode, mais il les intègre toutes !
Il fréquente tous les novateurs de l'époque tant en musique : Milhaud et Satie (il côtoiera le groupe des six), qu'en peinture : Picasso ; ou encore des poètes et surréalistes comme Max Jacob, Pierre Louÿs et même Louis Jouvet et Paul Claudel. Une liste infinie…
Honegger va aborder tous les genres : les symphonies (5), la musique de chambre, le ballet, les oratorios et les cantates, l'opéra dont le bouleversant Jeanne au Bûcher, etc. Un dénominateur commun à son parcours : un humanisme, des œuvres qui rejettent l'académisme et cherchent par leur simplicité et leur force expressive à frapper l'auditeur, à la manière d'un Beethoven. La seconde symphonie pour cordes et trompette solo (dans le final), sujet du jour, sera écrite en 1941 aux heures sombres de l'occupation (Honegger ne quittera jamais Paris). Un ouvrage exprimant à la fois la détresse et l'espoir face à la barbarie. Honegger a disparu assez jeune, en 1955.
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Serge Baudo (né en 1927)
À 88 ans, le toujours actif chef Français Serge Baudo a enregistré l'intégrale des symphonies de Honegger dont il est un spécialiste.
Natif de Marseille, il va suivre une carrière de musicien comme son père, professeur de hautbois au Conservatoire Supérieur de Paris, Étienne Baudo (1903-2001). On vit vieux chez les Baudo. Le fiston né en 1927 étudie l'harmonie et la direction d'orchestre puis démarre sa carrière de maestro en 1959. La consécration est rapide puisque la diva de la baguette de l'époque, à savoir Herr Herbert von Karajan, l'invite à la Philharmonie de Berlin et à la Scala de Milan en 1962. Il est nommé directeur de l'opéra de Paris et en 1967, participe auprès de Charles Munch à la création de l'Orchestre de Paris. On connaît les années de marasme qui vont suivre la mort de Munch, les passages éclairs de Solti et Karajan pour tenter de sortir le "bébé orchestre" de sa couveuse… Baudo gravera à cette époque de beaux disques LP hélas jamais réédités (Ravel).
Serge Baudo préfère prendre en main de 1970 à 1988 l'excellent Orchestre National de Lyon. Il enchaînera les tournées internationales avec cet phalange. Parallèlement à la direction des meilleurs orchestres du monde, Serge Baudo a dirigé fréquemment l'orchestre Philharmonique Tchèque, notamment pour l'enregistrement de ces symphonies de Honegger (1960-1963).
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Honegger ne se revendiquait pas musicien philosophe comme Richard Strauss illustrant Nietzche ou le duo Chostakovitch et Mahler confiant leurs angoisses existentielles dans des symphonies âpres. Pourtant cette symphonie pour cordes écrite en 1941, par son dramatisme, va rejoindre le groupe des œuvres dites "de guerre". Pour les ouvrages marquants : les symphonies N° 7 & 8 "Leningrad" et "Stalingrad" de Chostakovitch, la symphonies N° 5 de Prokofiev, immenses fresques qui semblent servir la propagande stalinienne mais dressent cyniquement un bilan négatif sur un régime et la cruauté humaine. Dans les compositeurs notés en référence (pas par hasard), n'oublions pas Richard Strauss et ses métamorphoses pour 23 cordes écrites comme une métaphore musicale de l'anéantissement de Dresde par la RAF en février 1945, et par ricochet : la tristesse de l'artiste face à la disparition d'une culture germanique historique, piétinée par les hordes nazies (Clic). Une commande de Paul Sacher, nous y voilà (Clic) et (Clic).

Résistants fusillés en 1941
Paul Sacher, qui commandait à tour de bras des œuvres aux compositeurs les plus novateurs, avait sollicité Honegger pour l'écriture d'une symphonie destinée à commémorer le dixième anniversaire de son orchestre de Bâle en 1936. Le projet n'avait pas abouti, mais en 1941, le compositeur décide de reprendre sa plume pour composer une œuvre à l'intention du mécène suisse. Dans une France asservie par l'occupant nazi, Honegger, l'humaniste, va pouvoir épancher son chagrin et sa révolte à travers la composition d'une symphonie empreinte de gravité. Elle sera créée en France en mars 1942 par Charles Munch pour le cinquantenaire de son auteur. Elle sera rejouée en Suisse par Sacher à Zurich en mai 1942 (une copie ayant pu être transmise au chef d'orchestre).
Curieusement on reprochera à la Libération à Honegger de n'avoir pas fui Paris et d'avoir continué de composer. Ses œuvres seront mises un temps à l'index ! Les épurations sont toujours des règlements de compte douteux, notamment pour cet homme qui, par musique interposée, fustigeait la barbarie des temps, serrait les poings alors que les premiers martyrs de la résistance tombaient au Mont Valérien ou ailleurs…
La symphonie est symétrique, en trois mouvements, à l'instar d'un concerto. Elle ne comporte pas de programme explicite malgré le contexte douloureux évident.

1 – Molto moderato – Allegro : quelques notes plaintives se succèdent entre les pupitres de cordes. Il émane de cette introduction une anxiété intime, le sentiment du saut dans l'nconnu.  On retrouvera (Luc ?) une analogie stylistique avec la musique glaciale de Khatchaturian extraite de l'adagio de Gayaneh baignant la lente progression du vaisseau spatial de 2001 Odyssée de l'espace vers Jupiter. Honegger peint les nuages métalliques, la chape de plomb qui recouvre désormais son pays adoptif. Le compositeur oppose des scansions à des thrènes aux violons. Une atmosphère sombre, éthérée. [2:33] Traits violents des cordes graves. L'allegro commence par des cris. Si Honegger se défend d'avoir écrit une musique à programme, la violence est omniprésente, en conflit avec quelques mesures plus vindicatives évoquant la révolte. Serge Baudo adopte une direction d'une grande lisibilité, un discours très énergique en contraste avec le jeu soyeux et pathétique des violons dans le développement central. Une musique d'incertitude, de réflexion intérieure. Serge Baudo ne cherche pas l'esthétique pure comme le fera, avec brio, Karajan à Berlin. Il nous prend à bras le corps, nous interpelle, nous sollicite comme témoin de ces déchirements  face à la tragédie.

Pablo Picasso peint enfermé à Paris pendant toute la guerre. La Gestapo n'est pas loin.
Nature morte à la tête de mort, poireaux, pot devant la fenêtre, 1945. (vanité ?)
2 – Adagio mesto : [11:10] lentement et triste précise cette indication de tempo. Dans cette longue litanie funèbre, Honegger semble prédire d'autres horreurs devenues inévitables, d'autres larmes à venir. L'homme de foi couche sur sa partition un requiem de ténèbres. On ne retrouvera de tels climats douloureux que dans les œuvres écrites par les compositeurs des années 50, comme Penderecki (Clic), qui se poseront la question : "pourquoi" face à l'indicible. Serge Baudo adopte un legato serré pour exprimer une respiration oppressée. L'opposition entre la mélodie des violons et le quasi staccato des altos et violoncelles connaît une mise en place exceptionnelle. Musicalement, cette complainte est magnifique, même éprouvante dans cette interprétation car, là encore, le chef privilégie l'émotion la plus intense. Et de plus, les cordes de la Philharmonie tchèque sont splendides, sans vibrato. On bénéficie d'une lecture élégiaque tout à fait dans l'esprit de l'ouvrage et d'une qualité instrumentale sans réserve.

3 – Vivace non troppo – Presto : [19:52] : Le final adopte un ton plus optimiste pour chasser la noirceur des deux mouvements précédents. Honegger retrouve l'écriture saccadée de l'allegro, une rythmique aux cordes souvent présente chez Chostakovitch. Le compositeur refuse le découragement. La coda avec la trompette fanfaronne n'est pas ma tasse de thé, même si Serge Baudo lui donne sa juste place : audible mais discrète.
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Cette seconde symphonie de Honegger a été bien servie au disque. Peu d'enregistrements (enfin, par rapport à Beethoven), mais de la classe. L'enregistrement de Herbert von Karajan (l'un de ses meilleurs disques pour les spécialistes de sa discographie) couplé avec la 3ème symphonie "liturgique" a ses adeptes grâce à la splendeur des cordes de la Philharmonie de Berlin. (Dgg – 5/6, prise de son splendide, 1972-73.) Mais le défenseur toute catégorie de l’œuvre reste Charles Munch qui créa l'œuvre en 1942 et l'a enregistrée au moins 3 fois. Avec l'orchestre de Boston bien évidement et pour RCA, même si le CD est bien difficile à trouver et reste une référence. La symphonie sera au programme des concerts du maestro alsacien jusqu'à son dernier jour, et les gravures ultimes avec l'Orchestre de Paris comportent une belle version passionnée avec des œuvres de Ravel. (RCA & EMI – 5/6)


Désolé, la vidéo n'est pas de grande qualité, mais la virulente direction de Serge Baudo fait vite oublier ce petit inconvénient.


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