En 2012, Sonny
Landreth, le funambule de la slide, l’esthète du bottleneck, le maître-artisan
de l’open-tuning, avait assez surpris son monde avec un disque instrumental qui
avait remisé ses influences Blues (sans les renier) pour s’orienter vers une
musique instrumentale franchement introspective, créant l’image d’une dimension
onirique, parfois mystique.
Evidemment, les
avis furent divergents, entre les grincheux qui refusent toutes nouvelles
orientations et ceux qui applaudissent des deux mains lorsqu’un musicien prend
des risques, ou encore les aficionados purs et durs qui disent amen à toutes les sorties de leurs artistes préférés.
Après un silence discographique de trois années plus
tard, pour son treizième disque, Sonny Landreth opère un
retour aux sources avec un album qui ne jure que par le Blues. Le bien
nommé : « Bound by the Blues » (Lié par le Blues). Comme une
confession de foi. Chasser le naturel, il revient au galop.
Landreth a
bien tenté d’explorer, voire de défricher de nouvelles terres, cependant il ne
peut couper le cordon ombilical.
Les
« puristes » sont rassurés. Les photos de l’artwork parlent d’elles-même
avec ses tons mates, en noir et blanc ou en couleurs saturées par le temps :
des dobros, des Fender Stratocaster (et une Les Paul), des bottlenecks, et
surtout cette photo du livret présentant Sonny assit, Strato sur les genoux, dans une
pièce dont un mur semble être fait de volets dé récupération sur lesquels sont
accrochés les portraits, guitares en mains, de Robert Johnson, Muddy Waters,
Lightnin’ Hopkins, Elmore James (plus la pochette d’un de ses disques), Skip
James, et une de la jam historique de Johnny Winter avec Jimi Hendrix (ce
dernier à la basse).
Et il rend hommage
à ses mentors en reprenant les célébrissimes « Walkin' Blues » et
« Dust my Broom » de Robert Johnson , « It Hurt me too »
d’Elmore James, « Key to the Highway » de Big Bill Broonzy, ainsi que
« Cherry Ball blues » de Skip James. Bien évidemment, il n’y a là
aucune copie sans âme, aucune reprise se contentant d’une simple application
dans les règles. Ce qui serait aisé pour une personne de sa trempe, exception
faite de sa voix qui pourrait manquer de graves et de rugosité.
Landreth a bien
suffisamment de personnalité et d’appoint pour faire siennes ses reprises sans
les dénaturer. D’ailleurs, « Walkin' Blues » est à peine
reconnaissable, si ce n’est par sa base rythmique basse-batterie (inexistante
sur l’original de 1936, ni sur celui de Son House de 1930) et le chant. Seul
« It’s Hurt me too » est immédiatement reconnaissable, en dépit de la
slide tremblotante, limite fantomatique, qui traîne en toile de fonds. De plus,
il avoue lui-même que sa technique a évolué, et qu’il interprète certains
morceaux différemment qu’il y a trente ans et plus. C’est le cas pour
« Key to the Highway » dont il a déjà enregistré une version en 1981.
Des titres emblématiques maintes fois entendus et repris, mais qui ici, par leur approche différente (et sincère), n'ennuient pas.
Des titres emblématiques maintes fois entendus et repris, mais qui ici, par leur approche différente (et sincère), n'ennuient pas.
Le facteur
déclencheur aurait été une jam sur un titre Robert Johnson avec Roy Rogers. Cela
lui aurait redonner le goût, le plaisir simple, et sain, d’interpréter des
standards du Blues, ainsi que des pièces du même format. Soit des morceaux plus bruts et relativement basiques que ce qu'il faisait. Pourquoi s’en
priver ? D’autant plus qu’à 64 ans, Landreth n’a plus rien à prouver, sa
réputation est établie depuis bien des années maintenant, entre ses nombreuses
participations, ses distinctions et récompenses. Sans oublier, qu’avec son
style particulier, il a tout de même réussi à avoir deux disques à atteindre la
première place du Billboard (et un la seconde). Et puis, ce n’est pas le genre
d’homme a avoir le besoin de se pavaner, de frimer, pour avoir la sensation
d’exister. De courir à tout prix après le succès.
La guitare est
légèrement plus pâteuse qu’auparavant, un chouia plus grasse, plus mate aussi.
Un rien plus rustique, pour tenter de se fondre dans l’esprit Blues de ses
mentors ; même si les harmoniques, les slides fantomatiques ou
éthérées, resurgissent forcément de temps à autres.
Cependant, si cet
album marque le retour au bercail d’un des meilleurs joueurs de slide, on
pourra regretter que les ingrédients zydeco et cajun n’ont jamais été autant
retenus, étouffés, qu’ici. Avec pour conséquence, une musique qui a perdu un
peu de sa vivacité, de son entrain, et sa bonne humeur. Les rythmes binaires,
en tempo ne dépassant jamais le mode Andante, favorisant même les lento et
andante. Certainement, son disque le plus Blues, mais aussi le plus sombre, le
plus boueux.
A mon sens, ce n'est pas le
meilleur album du Louisianais (1), mais, indéniablement, c'est un très bon disque, qui paraît être enregistré à l'ancienne. En analogique, pour garder un son chaud, organique et boisé. Sensation également donnée par la basse de David Ranson (avec Sonny depuis "South to 1-10" de 1995), bien ronde et charnue tout en sonnant roots (sur certains plans, il aurait placer des morceaux de tissus sous les cordes de sa Fender pour atteindre un son particulier plus feutré).
De toutes façons, à ce jour, il n’existe pas chez lui pas de réalisations passables, encore moins mauvaises.
De toutes façons, à ce jour, il n’existe pas chez lui pas de réalisations passables, encore moins mauvaises.
Matos :
prototypes de Fender Stratocaster signature avec chevalet et micro de
Telecaster, Gibson Les Paul 60’s, Dobro National, ampli Demeter TGA3, baffle
Marshall, Demeter Fuzzlator, overdrive Mosferatu, TC Electronics Chorus, Tape
Delay. Et Gibson Firebird 64’ pour l’instrumental « Firebird Blues »
en hommage à Johnny Winter.
(1) Pour découvrir ce musicien, écouter « South to 1-10 », « Levee Town », « From the Reach », « The Road we’re On », ou encore le live « Grant Street » en tant que raccourci de luxe.
Le disque précédent (lien) : "Elemental Journey"
tout à fait d'accord avec toi, pas le meilleur Landreth (South of I-10)? certes mais néanmoins excellent! Je m'inquiète pas au sujet de ses influences zydeco et cajun , elles reviendront tôt ou tard, l'homme semble suffisamment attaché à ses racines! Dans cet oeuvre très blues/roots pas étonnant qu'il ait mis ses influences premières au repos.
RépondreSupprimerOui, ce "South of 1-10" est fantastique (c'est l'album par lequel j'avais découvert l'artiste - autrement que par ses nombreuses participations -). Un de mes préférés, et un des meilleurs, si ce n'est le meilleur. Quelle fraîcheur.
SupprimerD'ailleurs, à l'époque, une personne (un "jeune" retraité) qui n'écoutait que du classique et des chanteurs du genre Brassens, Brel et Barbara, avait été fort agréablement interpellé par ce disque, que je passais en boucle dans la voiture.
"From the Reach" me paraît également très intéressant, très riche, notamment grâce à l'apport des invités (Robben Ford, Clapton, Dr John, Eric Johnson, Knopfler, Vince Gill, Jimmy Buffet).