mercredi 15 juillet 2015

SONNY LANDRETH "Bound by the Blues" (juin 2015), by Bruno



     En 2012, Sonny Landreth, le funambule de la slide, l’esthète du bottleneck, le maître-artisan de l’open-tuning, avait assez surpris son monde avec un disque instrumental qui avait remisé ses influences Blues (sans les renier) pour s’orienter vers une musique instrumentale franchement introspective, créant l’image d’une dimension onirique, parfois mystique.

     Evidemment, les avis furent divergents, entre les grincheux qui refusent toutes nouvelles orientations et ceux qui applaudissent des deux mains lorsqu’un musicien prend des risques, ou encore les aficionados purs et durs qui disent amen à toutes les sorties de leurs artistes préférés.


   
  Après un silence discographique de trois années plus tard, pour son treizième disque, Sonny Landreth opère un retour aux sources avec un album qui ne jure que par le Blues. Le bien nommé : « Bound by the Blues » (Lié par le Blues). Comme une confession de foi. Chasser le naturel, il revient au galop.

 Landreth a bien tenté d’explorer, voire de défricher de nouvelles terres, cependant il ne peut couper le cordon ombilical.
Les « puristes » sont rassurés. Les photos de l’artwork parlent d’elles-même  avec ses tons mates, en noir et blanc ou en couleurs saturées par le temps : des dobros, des Fender Stratocaster (et une Les Paul), des bottlenecks, et surtout cette photo du livret présentant Sonny assit, Strato sur les genoux, dans une pièce dont un mur semble être fait de volets dé récupération sur lesquels sont accrochés les portraits, guitares en mains, de Robert Johnson, Muddy Waters, Lightnin’ Hopkins, Elmore James (plus la pochette d’un de ses disques), Skip James, et une de la jam historique de Johnny Winter avec Jimi Hendrix (ce dernier à la basse).

     Et il rend hommage à ses mentors en reprenant les célébrissimes « Walkin' Blues » et « Dust my Broom » de Robert Johnson , « It Hurt me too » d’Elmore James, « Key to the Highway » de Big Bill Broonzy, ainsi que « Cherry Ball blues » de Skip James. Bien évidemment, il n’y a là aucune copie sans âme, aucune reprise se contentant d’une simple application dans les règles. Ce qui serait aisé pour une personne de sa trempe, exception faite de sa voix qui pourrait manquer de graves et de rugosité.
Landreth a bien suffisamment de personnalité et d’appoint pour faire siennes ses reprises sans les dénaturer. D’ailleurs, « Walkin' Blues » est à peine reconnaissable, si ce n’est par sa base rythmique basse-batterie (inexistante sur l’original de 1936, ni sur celui de Son House de 1930) et le chant. Seul « It’s Hurt me too » est immédiatement reconnaissable, en dépit de la slide tremblotante, limite fantomatique, qui traîne en toile de fonds. De plus, il avoue lui-même que sa technique a évolué, et qu’il interprète certains morceaux différemment qu’il y a trente ans et plus. C’est le cas pour « Key to the Highway » dont il a déjà enregistré une version en 1981. 
Des titres emblématiques maintes fois entendus et repris, mais qui ici, par leur approche différente (et sincère), n'ennuient pas.


     Le facteur déclencheur aurait été une jam sur un titre Robert Johnson avec Roy Rogers. Cela lui aurait redonner le goût, le plaisir simple, et sain, d’interpréter des standards du Blues, ainsi que des pièces du même format. Soit des morceaux plus bruts et relativement basiques que ce qu'il faisait. Pourquoi s’en priver ? D’autant plus qu’à 64 ans, Landreth n’a plus rien à prouver, sa réputation est établie depuis bien des années maintenant, entre ses nombreuses participations, ses distinctions et récompenses. Sans oublier, qu’avec son style particulier, il a tout de même réussi à avoir deux disques à atteindre la première place du Billboard (et un la seconde). Et puis, ce n’est pas le genre d’homme a avoir le besoin de se pavaner, de frimer, pour avoir la sensation d’exister. De courir à tout prix après le succès.

     La guitare est légèrement plus pâteuse qu’auparavant, un chouia plus grasse, plus mate aussi. Un rien plus rustique, pour tenter de se fondre dans l’esprit Blues de ses mentors ; même si les harmoniques, les slides fantomatiques ou éthérées, resurgissent forcément de temps à autres.

     Cependant, si cet album marque le retour au bercail d’un des meilleurs joueurs de slide, on pourra regretter que les ingrédients zydeco et cajun n’ont jamais été autant retenus, étouffés, qu’ici. Avec pour conséquence, une musique qui a perdu un peu de sa vivacité, de son entrain, et sa bonne humeur. Les rythmes binaires, en tempo ne dépassant jamais le mode Andante, favorisant même les lento et andante. Certainement, son disque le plus Blues, mais aussi le plus sombre, le plus boueux.

     A mon sens, ce n'est pas le meilleur album du Louisianais (1), mais, indéniablement, c'est un très bon disque, qui paraît être enregistré à l'ancienne. En analogique, pour garder un son chaud, organique et boisé. Sensation également donnée par la basse de David Ranson (avec Sonny depuis "South to 1-10" de 1995), bien ronde et charnue tout en sonnant roots (sur certains plans, il aurait placer des morceaux de tissus sous les cordes de sa Fender pour atteindre un son particulier plus feutré).
  De toutes façons, à ce jour, il n’existe pas chez lui pas de réalisations passables, encore moins mauvaises.


Matos : prototypes de Fender Stratocaster signature avec chevalet et micro de Telecaster, Gibson Les Paul 60’s, Dobro National, ampli Demeter TGA3, baffle Marshall, Demeter Fuzzlator, overdrive Mosferatu, TC Electronics Chorus, Tape Delay. Et Gibson Firebird 64’ pour l’instrumental « Firebird Blues » en hommage à Johnny Winter.






 (1) Pour découvrir ce musicien,  écouter « South to 1-10 », « Levee Town », « From the Reach », « The Road we’re On », ou encore le live « Grant Street » en tant que raccourci de luxe.





Le disque précédent (lien) : "Elemental Journey"

2 commentaires:

  1. tout à fait d'accord avec toi, pas le meilleur Landreth (South of I-10)? certes mais néanmoins excellent! Je m'inquiète pas au sujet de ses influences zydeco et cajun , elles reviendront tôt ou tard, l'homme semble suffisamment attaché à ses racines! Dans cet oeuvre très blues/roots pas étonnant qu'il ait mis ses influences premières au repos.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, ce "South of 1-10" est fantastique (c'est l'album par lequel j'avais découvert l'artiste - autrement que par ses nombreuses participations -). Un de mes préférés, et un des meilleurs, si ce n'est le meilleur. Quelle fraîcheur.
      D'ailleurs, à l'époque, une personne (un "jeune" retraité) qui n'écoutait que du classique et des chanteurs du genre Brassens, Brel et Barbara, avait été fort agréablement interpellé par ce disque, que je passais en boucle dans la voiture.

      "From the Reach" me paraît également très intéressant, très riche, notamment grâce à l'apport des invités (Robben Ford, Clapton, Dr John, Eric Johnson, Knopfler, Vince Gill, Jimmy Buffet).

      Supprimer