Difficile d'enchaîner après cette charge héroïque, toutefois "Everybody's Clown" s'en tire plus qu'avec les honneurs. Introduit par une basse élastique et bravache, on se retrouve vite transporté dans un royaume où Uriah-Heep (ère 70-73) est roi, et Deep-Purple Mark II, duc.
"Keep Goin'" débute en tissant une atmosphère inquiétante - légèrement kitsch, pouvant évoquer le style des films de la Hammer -, coincée entre le Ten Years After psychédélique de "Stonehenge" et Black Sabbath. Lorsque le tempo s'accélère, on frôle un court instant le "Black Night" du Purple avant de plonger dans un break qui emprunte largement au mouvement correspondant à l'envolée de la guitare de « Child in Time » (déjà enregistré en 69 sur «Concerto for Group and Orchestra").
Le titre sera repris par Blood of the Sun (sur "Death Ride").
Là encore, le chanteur apporte consistance et envergure. On pense à un David Byron peut-être un peu moins nuancé mais diablement puissant. En fait, indéniablement, il y a beaucoup de Klaus Meine, tel qu'il chantait avant d'avoir ses premiers problèmes de voix ; soit toute la période pré-Mathias Jabs de Scorpions. Certaines intonations sont si semblables que l'on se demande si Meine n'a pas appris à chanter en se passant cet opus éponyme en boucle. Et d'ailleurs, si nombreux sont ceux qui pensent que les teutons de Scorpions ont complètement inventé leur Hard-Rock droit et mélodique à la fois, il est évident que ce premier disque de Lucifer'S Friend les préfigurait par bien des côtés. Cela sans la texture Hendrixienne qu'injectait quelque fois (avec maestria) Uli Jon Roth. De là à dire, ou conclure, que ce Lucifer's Friend (avec d'autres, évidemment) a servir de terreau à la création de la personnalité de la bande à Schenker, il n'y a qu'un pas que l'on peut franchir sans risques.
D'autant plus que Lucifer's Friend était également un groupe d'Allemands ; à l'exception du chanteur, John Lawton, qui lui est un Anglais pure souche, débauché de Stonewall (1) pendant une tournée en Allemagne.
Le même John Lawton qui remplaça David Byron au sein d'Uriah-Heep, lorsqu'il parti (se fit virer) tenter sa chance en solo (2). Un remplacement qui s'impose logiquement tant les références à Uriah-Heep et à Byron semblent fuser de toutes parts sur ce premier jet.
Enfin, premier jet ; pas exactement, puisque le quintet avait déjà fait ses armes avec une précédente réalisation qui prit forme sous le patronyme d'Asterix. Là aussi pour un disque éponyme qui jouit d'une excellente réputation non usurpée. Un rien plus carré, lourd et direct.
En ce qui concerne le reste du groupe, soit les teutons, eux, ralliés sous le patronyme d'Electric Food, avec le chanteur George Mavros, viennent de réaliser deux disques dans la foulée, dans la même année, en 1970. Des musiciens forts productifs donc puisque dans cette seule année 1970, ils ont travaillé et finalisé pas moins de quatre disques : "Electric Food", "Flash", "Asterix" et "Lucifer'S Friend". Auparavant, ils s'étaient forgés à la scène sous la formation "German bonds".
Bien que cet opus date de 1970, on pourrait croire qu'il ait été enregistré au moins deux années plus tard, tant il reflète ce que deux dinosaures comme Deep-Purple et Uriah-Heep, produiront de 1970 à 1972. Un journal américain les compara même à Led Zeppelin (le groupe ayant eu les faveurs de quelques radios US). Comparaison, à mon sens, hâtive, car si Blues il y a, alors il est déjà radicalisé au point d'approcher une « philosophie » nettement Hard-Rock, voire même Heavy-Metal d'après certains. Déjà il y a cet orgue Hammond bien présent, oscillant bien entendu entre un Jon Lord et un Ken Hensley (plus souvent ce dernier), tandis que la guitare rappelle, en toute logique, tantôt Mick Box (par le son et l'attaque de la wah-wah), tantôt Ritchie Blackmore (sans sa dextérité !), lorsqu'elle se lance dans un solo torturé au vibrato, ou dans l'approche de quelques riffs. Il y a par contre, cette basse présente, groovy et élastique, bien distincte, qui pourrait évoquer John Paul Jones, mais pour rester dans le sujet, je citerai plus volontiers, le regretté Gary Thain.
Assurément, Lucifer's Friend, baigne dans un Hard-Rock popularisé par Deep-Purple Mark II et Uriah-Heep, et peut-être un soupçon du Black Sabbath des années 73 à 75. Plus, donc, cette anticipation de Scorpions qui émerge de certains morceaux, dont ce fabuleux premier titre, « Ride in the Sky ».
Point du Kraut-Rock sur cet album éponyme de Lucifer's Friend, mais bien du pur Hard-Rock / Heavy-Rock.
Par exemple, pour confirmer les comparatifs, sur "Toxic Shadows" c'est le Uriah-Heep de "Very 'eavy... Very 'Umble" et de "Look at Yourself" qui impose sa personnalité, notamment grâce à l'orgue Hammond, bien qu'il s'y immisce une rythmique syncopée, simple mais efficace et entêtante (Dahn-Dahn-Dahn-Dahn-Dahn-Dahn-...-Dohm-Dohm-Dohm-...-Dzam-Dzim-Dzam-...-tck-tchk-tck-tchk- Dahn-Dahn-Dahn [c'est claire ?]) qui vient injecter une dose de gnaque.
Sur "Baby You're a liar" on pourrait croire que c'est Jon Lord en personne qui est venu apporté sa contribution.
Et sur "In the Time of Job when Mammon was a Yippie" c'est le Deep-Purple de "In Rock" et de "Machine Head" qui est convié à la fête. Ouaip.
Plutôt que de continuer sur sa lancée, le groupe, tout en gardant un pied dans le Hard-Rock, préfère se renouveler. Un peu comme si, en deux albums (donc en comptant "Asterix"), il avait tout donné dans le genre.
Ainsi, "Where the groupies killed the Blues", paru en 1972, s'oriente vers le Rock-Progressif, tandis que "I'm just a Rock'n'Roll singer" s'emploie à cultiver un Hard-Rock simple et rudimentaire, narrant la vie sur la route avec thèmes graveleux à l'appui. Du Rock bien moins riche que sur les précédents, mais qui pourtant gagna l'estime de certaines villes américaines (certaines le plaçant même parmi les meilleures réalisations Rock de l'année). "Banquet", de 1974, surprend encore avec son projet - orgueilleux ? - où quelques pistes requièrent une trentaine de musiciens. Le Jazz y fait son apparition (ce qui lui a valu un timide rapprochement avec Traffic et Chicago).
Généralement, il est considéré que ce dernier disque marque la fin de l'âge d'or du quintet ("Asterix" inclus). Comme il est aussi admis que le grand succès lui a échappé parce qu'il avait signé avec des divers petits labels aux USA. Toutefois, en Europe, le premier est sorti sur Philips, et ensuite c'est Vertigo qui pris la relève.
En 71 et 72, parallèlement à Lucifer's Friend, les teutons - donc sans Lawton - réalisent deux disques de Rock-Progressif sous le patronyme de "The Pink Mince".
Actuellement, le bruit court du reformation avec ce line-up, soit avec John Lawton, pour une série de concerts passant par quelques festivals estivaux.
Lointains souvenirs : à la fin de la décennie, le 33 tours jouissait de la réputation de ne rien avoir à envier aux disques de Deep-Purple (ou du moins que c'était pratiquement aussi bon). Généralement, l'objet était présenté par un fin connaisseur qui le faisait passer aux plus jeunes, pour les instruire, comme pour transmettre un précieux héritage.
(1) Avec Paul Thompson (futur Roxy Music), Vic Malcom (futur Geordie) et John Miles.
(2) On retrouve Lawton sur "Firefly", "Innocent Victim" et "Fallen Angel" d'Uriah Heep. Ainsi que sur le "Live in Europe 1979" sorti en 1986 sur Raw Power. Il participe aussi au projet "Butterfly Ball" de Roger Glover.
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Commentaire très juste sur les mérites de ce groupe pas assez reconnu !
RépondreSupprimerLes comparaisons stylistique avec la musique early '70s de Purple, Heep, Scorpions et Sabbath sont tout à fait pertinentes.
À mon sens, "Banquet" n'est pas le dernier grand disque de Lucifer's Friend.
"Mind Exploding" (toujours avec Lawton au chant) propose encore un hard rock excitant avec toujours ce petit aspect progressif apparu sur l'album précédent, augmenté d'un côté jazz rock par instants.
Même "Good Time Warrior" et "Sneak Me In" (avec l'Ecossais Mike Starrs au chant) sont intéressants, bien que plus orientés AOR et "Mean Machine" (avec le retour de Lawton) plus basique et axé sur un son proche de la NWOBHM (on était en 81, ne l'oublions pas!) vaut le coup également.
Merci No-Nyme. On va essayer de prêter une esgourde aux disques que tu mentionnes. Et de ré-écouter pour certains.
RépondreSupprimerJ'avais écouté, il y a fort longtemps, "Good Time Warrior" qui ne m'avait alors pas vraiment emballé.
Quant à "Mean Machine", par rapport au style de Hard-rock alors pratiqué, il aurait dû avoir au moins une reconnaissance européenne.
C'est du Deep-Purple et du Uriah-heep qui se seraient totalement immergés dans la NWOBHM. Evidemment, la voix de Lawton y est beaucoup pour l'assez bonne teneur de cet opus.