samedi 11 avril 2015

TCHAIKOVSKI & Shakespeare – Gustavo DUDAMEL – Par Claude Toon


Hamlet – La Tempête – Roméo et Juliette


- Houu la la M'sieur Claude… Roméo et Juliette, les jeunes tourtereaux maudits jusqu'à la mort, je vais encore dépenser mon maigre salaire en p'tis mouchoirs…
- Allons, allons ma petite Sonia… Ce sont des ouvertures fantaisies, un concept à mi-chemin entre l'ouverture d'opéra et le poème symphonique imaginé par Tchaïkovski…
- Je reconnais que le mot fantaisie sonne bizarrement pour illustrer les tragédies de Shakespeare, pièces dans lesquelles tous les personnages cassent leur pipe tragiquement…
- Tchaïkovski ne s'est jamais inspiré de Shakespeare pour ses opéras contrairement à Verdi… Pour répondre à des commandes, il a eu l'idée de ces fresques épiques…
- Oui, je vois, a-t-il écrit d'autres ouvertures de ce style à part les trois enregistrées sur ce disque ?
- Non et c'est une bonne idée d'avoir réuni les trois en seul album. Et puis le tempérament volcanique du jeune chef vénézuélien convient bien à ces ouvrages…

To be or not to be Mister Governator ? 
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Ça m'amuse cette association d'idée entre Schwarzi, ex gouverneur de Californie (pas trop borné d'ailleurs pour un républicain) s'imaginant en Hamlet dans Last Action Héros, et Gustavo Dudamel, jeune maestro de talent, fruit de l'intense activité musicale des années Hugo Chavez, dictateur excentrique et ennemi juré des USA…
Blague à part, Shakespeare est très à la mode en cette fin du XIXème siècle en Russie et dans toute l'Europe d'ailleurs. Comme je le disais à Sonia, nombre de compositeurs s'empare de ses pièces comme sujet d'opéras, aussi bien comédies et tragédies comme chez Verdi : Falstaff, Macbeth ou Othello. Autre exemple : Roméo et Juliette mis en musique dans une imposante symphonie dramatique (avec chanteurs et chœur) de Berlioz.
L'univers mortifère du dramaturge anglais ne pouvait que séduire les tendances à la dramatisation de Tchaïkovski, dans sa vie personnelle comme dans ses œuvres. Par ailleurs, le compositeur lisait beaucoup et adorait le théâtre. Il ne manquait pas d'assister à des représentations des pièces en Russie et en France, maitrisant parfaitement la langue d'Hugo.
Tchaïkovski n'est pas un nouveau venu dans le blog qui a déjà publié des articles sur ses symphonies majeures, son trio ou encore le grand poème symphonique Manfred, et bien entendu le 1er concerto pour piano et celui pour violon (Clic). Des œuvres dont l'ambition peut déconcerter les mélomanes "classiques" occasionnels. Ce n'est pas le cas de ces trois ouvertures vives et colorées qui ne durent qu'une vingtaine de minutes et restent donc très accessibles et agréables à découvrir isolément voire dans le désordre…
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Roméo et Juliette, Ballet de Angelin Preljocaj & Enki Bilal
(photo : Ïsmael Lorenzo) - (Clic)
Gustavo Dudamel a enregistré ce programme en 2011. Pour tout savoir sur ce jeune artiste surdoué et hyper actif, rendez-vous au commentaire consacré à sa gravure très honorable de la symphonie héroïque de Beethoven à la tête de l'orchestre Simon Bolivar. (Clic) Sans doute l'un des orchestres les plus remarquables d'Amérique latine. On a vu ces dernières années le jeune chef devenir directeur de l'orchestre de Los Angeles et donner quelques concerts avec la Philharmonie de Berlin (Mozart, Mahler)… On trouve quelques grincheux pour comparer cette ascension à un simple produit de marketing Dgg, des pisse-vinaigres qui n'imaginent pas un chef né ailleurs qu'en Allemagne. C'est fou non !?

Le mot Ouverture est un terme musical fourre-tout qui désigne des pièces jouées plutôt en début de concert ou d'opéra pour chauffer la salle. Ainsi les ouvertures de Bach sont aussi appelés des suites (avec une introduction dite "à la française" suivie de quelques airs de danses). La plupart des opéras commence par une ouverture de dimension variant de quelques mesures (Debussy dans Pélleas et Mélisande) à 5 à 12 minutes dans le Tristan et Isolde et Parsifal de Wagner ou encore chez Rossini et Mozart. Ces dernières peuvent être interprétées en concert symphonique hors du théâtre lyrique. Il peut y avoir une ouverture pour chaque acte. Souvent elle comporte un résumé thématique de l'acte qui suit.

Roméo et Juliette
On ne compte plus les adaptations de Roméo et Juliette, et il y en a tout le temps des nouvelles. Une des plus célèbres reste le ballet d'un autre grand compositeur russe : Serge Prokofiev. Angelin Preljocaj et Enki Bilal ont mis à mal la chorégraphie poussiéreuse de Noureev en 1990. Je préfère cette affiche glamour aux tutus et aux collants, ça va sans dire…
C'est son ami Balakirev qui suggère en 1860 d'écrire cette pièce (Tchaïkovski a 20 ans). Pourtant le compositeur, très exigeant, n'éditera la première version qu'en 1869 et la partition sera révisée deux fois fois jusqu'en 1880. C'est la plus connue et la plus jouée des trois ouvertures, et on ne compte plus les enregistrements qui complètent souvent les programmes des CD consacrés aux symphonies. Elle connut immédiatement le succès et même son auteur l'aimait (très rare chez ce musicien prompt à l'autocritique permanente).
Tchaïkovski ne s'intéresse pas à la trame dramatique, mais plutôt aux sentiments amoureux ou conflictuels dans la pièce. La sérénité de l'introduction, d'esprit nocturne et juvénile, exprime la recherche du bonheur par les deux jeunes amants. Pourtant après quelques mesures, des sonorités plus graves évoquent les nuages qui s'amoncellent et menacent cet amour interdit par les deux familles ennemies. L'orchestration est subtile et diaphane : des cordes pianissimo, quelques notes tendres des bois et des arpèges de cordes. Cette première partie évolue vers l'exposition d'un thème plus violent symbolisant la haine, les combats entre jeunes Capulet et Montaigu sur la place de Vérone. À la douceur introductive, Tchaïkovski va opposer un développement brutal et guerrier. La partition brille de mille feux, d'autres thèmes alanguis interviennent et témoignent de cette volonté de condenser en peu de temps la quintessence et la complexité du drame. Grâce un tempo retenu, Gustavo Dudamel détaille avec enthousiasme cette belle et romanesque ouverture. Le jeune chef maîtrise parfaitement l'effectif plutôt important pour une partition de cette époque… On comprend mieux l'épithète "fantaisie" à l'écoute de la variété des climats et du travail sophistiqué sur la thématique…

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Hamlet
Les russes voyaient dans le ténébreux prince Hamlet un personnage au tempérament slave. Il est vrai qu'en Russie, les tsars plus ou moins sanguinaires comme Ivan le Terrible n'ont rien à envier aux personnages intrigants, ambitieux et criminels de la pièce de Shakespeare. Et de rappeler que l'opéra Boris Godounov de Moussorgski trouve son argument dans des intrigues sanglantes, l'assassinat d'un gamin héritier du trône et s'inspire de Macbeth en partie. Cette ouverture sera composée en 1888 à partir d'une idée du frère de Tchaïkovski : Modest. Comme dans les autres ouvertures, Tchaïkovski recrée un climat pathétique et angoissé, met en place une sauvagerie sans concession. Les mélodies désarticulent le discours pour souligner la férocité de cette histoire. Gustavo Dudamel cravache ses troupes tout en conservant une direction plus délicate dans les passages interrogatifs, en particulier le solo de hautbois dans le développement central.

La tempête
La tempête, la moins connue de ces ouvertures date de 1873 soit 4 ans après Roméo et Juliette. Elle reprend le même mode de composition, la même durée. Tchaïkovski n'écrit absolument pas des musiques de scène, mais laisse son imagination et ses émotions se libérer à travers l'esprit tragique des pièces. L'ouverture commence par des trémolos des cordes troublés par des accords sombres des cors et d’inquiétantes notes des bois. Le compositeur dresse un tableau mystérieux de nuages noirs, de déferlantes, prémices du naufrage. Un thème plus agreste surgit de cette noirceur pour anticiper les sentiments amoureux qui supporteront cette tragicomédie moins funèbre que Hamlet ou Macbeth. On retrouve la maîtrise de Tchaïkovski pour faire rugir son orchestre ou au contraire nous enchanter. Gustavo Dudamel fait chanter les timbres des très bons instrumentistes vénézuéliens. Un très beau disque pour ces trois œuvres qui méritaient une telle anthologie.
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Ecoutons dans l'ordre ou dans le désordre :

1 commentaire:

  1. J'adore "l'ouverture fantaisie" de Roméo et Juliette depuis que j'avais acheté une version chez EMI par le London Philarmonic sous la baguette de Rostropovich (1977), couplet avec Francesca Da Rimini. d'un coté Shakespeare et de l'autre Dante. De la littérature en vinyl. Le coté puissant, torturé et tragique de l'ouverture de Roméo et Juliette en fond un morceau unique qui est bien loin des critères de Berlioz (De toute manière, il n'y a aucune comparaison à faire). Je connais moins (Autant dire pas du tous) les deux autres oeuvres, donc à découvrir. Encore une belle chronique pour les mélomanes et les léttrés.

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