Hamlet – La Tempête –
Roméo et Juliette
- Houu la la M'sieur Claude… Roméo
et Juliette, les jeunes tourtereaux maudits jusqu'à la mort, je vais encore dépenser
mon maigre salaire en p'tis mouchoirs…
- Allons, allons ma petite Sonia… Ce
sont des ouvertures fantaisies, un concept à mi-chemin entre l'ouverture
d'opéra et le poème symphonique imaginé par Tchaïkovski…
- Je reconnais que le mot fantaisie
sonne bizarrement pour illustrer les tragédies de Shakespeare, pièces dans lesquelles tous les
personnages cassent leur pipe tragiquement…
- Tchaïkovski ne s'est jamais
inspiré de Shakespeare pour ses opéras contrairement à Verdi… Pour répondre à
des commandes, il a eu l'idée de ces fresques épiques…
- Oui, je vois, a-t-il écrit d'autres
ouvertures de ce style à part les trois enregistrées sur ce disque ?
- Non et c'est une bonne idée
d'avoir réuni les trois en seul album. Et puis le tempérament volcanique du jeune
chef vénézuélien convient bien à ces ouvrages…
To be or not to be Mister Governator ? |
Ça m'amuse cette association d'idée entre Schwarzi, ex gouverneur de Californie (pas
trop borné d'ailleurs pour un républicain) s'imaginant en Hamlet dans Last Action Héros, et Gustavo Dudamel,
jeune maestro de talent, fruit de l'intense activité musicale des années Hugo Chavez, dictateur excentrique et ennemi
juré des USA…
Blague à part, Shakespeare
est très à la mode en cette fin du XIXème siècle en Russie et dans
toute l'Europe d'ailleurs. Comme je le disais à Sonia, nombre de compositeurs
s'empare de ses pièces comme sujet d'opéras, aussi bien comédies et tragédies
comme chez Verdi : Falstaff, Macbeth ou Othello. Autre exemple :
Roméo et Juliette mis en musique dans une imposante
symphonie dramatique (avec chanteurs et chœur) de Berlioz.
L'univers mortifère du dramaturge anglais ne pouvait
que séduire les tendances à la dramatisation de Tchaïkovski,
dans sa vie personnelle comme dans ses œuvres. Par ailleurs, le compositeur
lisait beaucoup et adorait le théâtre. Il ne manquait pas d'assister à des
représentations des pièces en Russie et en France, maitrisant parfaitement la
langue d'Hugo.
Tchaïkovski n'est
pas un nouveau venu dans le blog qui a déjà publié des articles sur ses symphonies majeures, son trio ou encore le grand poème symphonique Manfred, et bien entendu le 1er concerto pour piano et
celui pour violon (Clic). Des œuvres dont l'ambition
peut déconcerter les mélomanes "classiques" occasionnels. Ce n'est pas le cas de
ces trois ouvertures vives et colorées qui ne durent qu'une vingtaine de minutes
et restent donc très accessibles et agréables à découvrir isolément voire dans le
désordre…
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Roméo et Juliette, Ballet de Angelin Preljocaj & Enki Bilal (photo : Ïsmael Lorenzo) - (Clic) |
Gustavo Dudamel a enregistré
ce programme en 2011. Pour tout savoir sur ce jeune artiste surdoué et hyper
actif, rendez-vous au commentaire consacré à sa gravure très honorable de la symphonie héroïque de Beethoven
à la tête de l'orchestre Simon Bolivar. (Clic)
Sans doute l'un des orchestres les plus remarquables d'Amérique latine. On a vu
ces dernières années le jeune chef devenir directeur de l'orchestre
de Los Angeles et donner quelques concerts avec la Philharmonie de Berlin (Mozart, Mahler)…
On trouve quelques grincheux pour comparer cette ascension à un simple
produit de marketing Dgg, des pisse-vinaigres qui n'imaginent pas un chef né
ailleurs qu'en Allemagne. C'est fou non !?
Le mot Ouverture
est un terme musical fourre-tout qui désigne des pièces jouées plutôt en début
de concert ou d'opéra pour chauffer la salle. Ainsi les ouvertures de Bach sont aussi appelés des suites
(avec une introduction dite "à la française" suivie de quelques airs
de danses). La plupart des opéras commence par une ouverture de dimension
variant de quelques mesures (Debussy
dans Pélleas et Mélisande) à 5 à 12 minutes dans
le Tristan et Isolde et Parsifal
de Wagner ou encore chez Rossini
et Mozart. Ces dernières peuvent être
interprétées en concert symphonique hors du théâtre lyrique. Il peut y avoir
une ouverture pour chaque acte. Souvent elle comporte un résumé thématique de l'acte qui suit.
Roméo et
Juliette
On ne compte plus les adaptations de Roméo et Juliette,
et il y en a tout le temps des nouvelles. Une des plus célèbres reste le ballet
d'un autre grand compositeur russe : Serge Prokofiev.
Angelin Preljocaj et Enki Bilal ont mis à mal la
chorégraphie poussiéreuse de Noureev
en 1990. Je préfère cette affiche glamour aux tutus et aux collants, ça va sans
dire…
C'est son ami Balakirev
qui suggère en 1860 d'écrire cette
pièce (Tchaïkovski a 20 ans).
Pourtant le compositeur, très exigeant, n'éditera la première version qu'en 1869 et la partition sera révisée deux
fois fois jusqu'en 1880. C'est la
plus connue et la plus jouée des trois ouvertures, et on ne compte plus les
enregistrements qui complètent souvent les programmes des CD consacrés aux
symphonies. Elle connut immédiatement le succès et même son auteur l'aimait
(très rare chez ce musicien prompt à l'autocritique permanente).
Tchaïkovski ne
s'intéresse pas à la trame dramatique, mais plutôt aux sentiments amoureux ou conflictuels dans la pièce. La sérénité de l'introduction, d'esprit nocturne
et juvénile, exprime la recherche du bonheur par les deux jeunes amants.
Pourtant après quelques mesures, des sonorités plus graves évoquent les nuages
qui s'amoncellent et menacent cet amour interdit par les deux familles ennemies.
L'orchestration est subtile et diaphane : des cordes pianissimo, quelques notes
tendres des bois et des arpèges de cordes. Cette première partie évolue vers l'exposition
d'un thème plus violent symbolisant la haine, les combats entre jeunes Capulet
et Montaigu sur la place de Vérone. À la douceur introductive, Tchaïkovski va opposer un développement
brutal et guerrier. La partition brille de mille feux, d'autres thèmes alanguis
interviennent et témoignent de cette volonté de condenser en peu de temps la
quintessence et la complexité du drame. Grâce un tempo retenu, Gustavo Dudamel détaille avec enthousiasme
cette belle et romanesque ouverture. Le jeune chef maîtrise parfaitement
l'effectif plutôt important pour une partition de cette époque… On comprend
mieux l'épithète "fantaisie" à l'écoute de la variété des climats et du
travail sophistiqué sur la thématique…
XXXX |
Hamlet
Les russes voyaient dans le ténébreux prince Hamlet un
personnage au tempérament slave. Il est vrai qu'en Russie, les tsars plus ou
moins sanguinaires comme Ivan le Terrible n'ont rien à envier aux personnages intrigants,
ambitieux et criminels de la pièce de Shakespeare. Et de rappeler que l'opéra Boris Godounov de Moussorgski
trouve son argument dans des intrigues sanglantes, l'assassinat d'un gamin
héritier du trône et s'inspire de Macbeth en partie. Cette ouverture sera composée
en 1888 à partir d'une idée du frère de Tchaïkovski : Modest. Comme dans les autres ouvertures, Tchaïkovski
recrée un climat pathétique et angoissé, met en place une sauvagerie sans
concession. Les mélodies désarticulent le discours pour souligner la férocité de
cette histoire. Gustavo Dudamel cravache ses
troupes tout en conservant une direction plus délicate dans les passages
interrogatifs, en particulier le solo de hautbois dans le développement central.
La tempête
La tempête,
la moins connue de ces ouvertures date de 1873
soit 4 ans après Roméo et Juliette. Elle reprend
le même mode de composition, la même durée. Tchaïkovski
n'écrit absolument pas des musiques de scène, mais laisse son imagination et ses
émotions se libérer à travers l'esprit tragique des pièces. L'ouverture
commence par des trémolos des cordes troublés par des accords sombres des cors et d’inquiétantes notes des bois. Le compositeur
dresse un tableau mystérieux de nuages noirs, de déferlantes, prémices du naufrage. Un thème plus agreste surgit de cette noirceur pour anticiper les sentiments
amoureux qui supporteront cette tragicomédie moins funèbre que Hamlet ou
Macbeth. On retrouve la maîtrise de Tchaïkovski
pour faire rugir son orchestre ou au contraire nous enchanter. Gustavo Dudamel fait chanter
les timbres des très bons instrumentistes vénézuéliens. Un très beau disque
pour ces trois œuvres qui méritaient une telle anthologie.
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Ecoutons dans l'ordre ou dans le désordre :
J'adore "l'ouverture fantaisie" de Roméo et Juliette depuis que j'avais acheté une version chez EMI par le London Philarmonic sous la baguette de Rostropovich (1977), couplet avec Francesca Da Rimini. d'un coté Shakespeare et de l'autre Dante. De la littérature en vinyl. Le coté puissant, torturé et tragique de l'ouverture de Roméo et Juliette en fond un morceau unique qui est bien loin des critères de Berlioz (De toute manière, il n'y a aucune comparaison à faire). Je connais moins (Autant dire pas du tous) les deux autres oeuvres, donc à découvrir. Encore une belle chronique pour les mélomanes et les léttrés.
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