- Ah M'sieur Claude, de nouveau un
petit voyage en Russie avec le grand (dans tous les sens du terme) Rachmaninov…
Heuuu Pourquoi la symphonie n° 2 ?
- Cette symphonie est sans doute la
plus réussie des trois et en plus très populaire dans le parcours du compositeur…
- Je me rappelle par contre
avoir lu un article où Vladimir Ashkenazy vous a déçu dans Rachmaninov… je
crois…
- Mouiii, à propos du poème
symphonique l'Île des Morts, une petite déception due surtout à la prise de
son… J'avais préféré Lorin Maazel… Mais là… C'est parfait…
- Vous avez hésité avec un
enregistrement culte d'un chef américain m'a-t-on dit ?
- En effet, Eugene Ormandy, 44 ans à
la tête de l'un des meilleurs orchestres des USA : celui de Philadelphie. La
légende ! Mais le CD n'est pas disponible en ce moment…
Rachmaninov au début du XXème siècle |
Troisième
rencontre dans le Deblocnot avec Serge
Rachmaninov. Pardon ? Non Pat, ce n'est toujours pas le
célébrissime concerto N° 2 pour piano,
mais ça viendra, ça viendra… Après le concerto
n° 3 par le duo mythique Janis-Dorati (Clic)
et l'Île des Morts par Maazel (Clic),
voici une chronique sur le Rachmaninov
face à la musique symphonique.
J'avais déjà
brossé le portrait du géant russe (2 m) et sa vie coupée en deux : la jeunesse,
les premiers succès de 1873 à la révolution de 1917, une seconde vie d'exil
aux USA jusqu'à sa disparition en 1943, époque d'amitié avec Horowitz, l'un de ses meilleurs
interprètes... Rachmaninov
avait de si grandes mains que certaines de ses pièces sont restées injouables
par certains pianistes pourtant virtuoses (témoignage de Maria
João Pires) (Clic). On ne revient pas en détails sur la
biographie de ce postromantique héritier de l'époque Tchaïkovski – Rimski-Korsakov et compositeur de
transition avant le modernisme de Prokofiev
et Chostakovitch.
Comme je
l'écrivais il y a deux ans, gagner ses galons de grand compositeur passait par
la case "première symphonie"
en cette fin de l'époque romantique. Serge
Rachmaninov saute l'obstacle en 1897 avec une très belle
partition qui fait un bide à cause de son créateur : Glazounov, bourré comme un polonais
dit-on… (Il était russe mais c'est un peu pareil coté vodka). Le sensible Rachmaninov en déprime pendant près de
quatre ans jusqu'au succès en 1901 de son 2ème
concerto pour piano, son œuvre la plus appréciée. Merci au
Docteur Nikolai Dahl, neurologue spécialiste de l'hypnose, élève de Charcot,
qui soignera Rachmaninov et
lui permettra d'échapper à ses névroses, à son impuissance créatrice. Le second concerto est le premier résultat
d'une thérapie à l'évidence efficace et durable. Ce grand psychiatre en est
d'ailleurs le dédicataire.
1907 verra la naissance d'une seconde symphonie, une longue fresque
lyrique, typiquement slave. Une œuvre chargée de la nostalgie de sa chère
Russie puisque le compositeur s'est établi pour un temps à Dresde.
L'ouvrage est mieux accueilli. C'est le sujet du jour.
Une ultime 3ème symphonie sera composée lors d'un long
séjour en Suisse entre 1935 et 1936. Leopold Stokowski la créera avec l'Orchestre de Philadephie (on va reparler
des liens étroits entre l'orchestre de cette ville et le musicien russe). La
partition peut paraître une œuvre romantique perdue en plein XXème siècle.
C'est une chef d'œuvre de poésie et de fantaisie bien mal connu.
La Symphonie N° 2 est souvent inscrite aux
programmes des concerts sur toute la planète. Elle le mérite.
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Vladimir Askhenazy XXXXX |
Si Vladimir
Ashkenazy reste l'un des pianistes les plus célèbres de sa
génération, il l'est peut-être moins pour la seconde facette de son art : la
direction d'orchestre.
Ashkenazy est né à
Gorki en URSS en 1937 pendant les heures les plus noires
du régime stalinien. Son père, compositeur et pianiste, lui ouvre les portes du
conservatoire de Moscou dès son plus jeune âge. Le petit Vladimir est un
surdoué qui maîtrise son clavier dès 8 ans. Ses progrès son fulgurant ! 18 ans
: 2ème prix du concours Chopin
de 1955 ; Concours Reine Elisabeth (multidisciplinaire mais
un seul lauréat) en 1956 et jamais
deux sans trois : Concours Tchaïkovski
en 1962 ! Je n'ai pas souvenir d'un
tel palmarès chez d'autres artistes. Son répertoire est très large, de Chopin à Chostakovitch
(les si difficiles 24 préludes à la manière de Bach)
en passant par Scriabine et bien entendu
une intégrale de l'œuvre pour piano de Rachmaninov dont les quatre concertos où
le pianiste est accompagné par Bernard
Haitink. (Il avait gravé les concertos n° 2 et 3 dès 1963.) Ah ! Ne pas oublier une gravure de
premier plan des concertos de Prokofiev.
En 1972, Vladimir Ashkenazy quitte l'URSS de
Brejnev et demande la nationalité islandaise. En 1978, pour débuter une seconde carrière internationale de maestro,
il s'installe en Suisse près de Lucerne.
Il n'est pas le premier virtuose du piano à embrasser
le métier de chef d'orchestre. Je pense à Daniel
Barenboïm. Après une période initiatique
comme chef invité, il devient directeur de la Philharmonie
de Londres en 1987. Il sera aussi chef principal de l'Orchestre de la Radio de Berlin et de la Philharmonie Tchèque. Des postes haut de
gamme. Actuellement, il préside les destinées de l'Orchestre
de Sydney. Dans sa discographie, on trouve entre autres des symphonies de Mendelssohn,
des ballets de Serge
Prokofiev et l'intégrale des
symphonies de Rachmaninov.
Anecdote : en 2014, papa Ashkenazy,
pianiste, a enregistré avec son fils Dimitri,
clarinettiste, un excellent disque en duo…
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Aleksey Savrasov : jour de printemps (1873) |
Rachmaninov assure
lui-même la création de sa symphonie à Moscou
en février 1908. L'orchestre
romantique cher à Tchaïkovski est grandement
renforcé et se rapproche de celui de Mahler
ou Richard Strauss : 3 flutes (+ picolo), 3 hautbois
(+ cor anglais), 2 clarinettes et 2 clarinettes basses, 2 bassons, 4 cors, 3
trompettes, 3 trombones, tuba et cordes. La percussion est étendue : timbales,
caisse claire et grosse caisse, cymbales, glockenspiel.
La 2ème symphonie de Rachmaninov repose
sur un plan classique en quatre mouvements, mais le scherzo est placé en second
après le long largo-allegro initial. La durée, sans les coupures (usuelles à
l'époque pour faciliter l'adoption d'une œuvre par le public), est d'une bonne
cinquantaine de minutes.
Largo –
Allegro : Un trait lugubre des contrebasses, un accord sombre
des bois, l'ébauche d'un premier thème pathétique aux cordes : toute la psyché tourmentée de Rachmaninov en quelques mesures. Le thème s’envole, se développe. Il se pose en leitmotiv récurrent figurant l'immensité des
steppes, l'hypersensibilité de l'âme russe. L'allegro se déploie en
volutes élégiaques à partir de ce "thème-devise" langoureux qui sera
également un motif central de l'adagio. Peut-on trouver cette musique trop
sentimentale ou nostalgique ? Oui et non. Oui dans la forme si le chef
n'articule rien, n'illumine pas son orchestre… Or ici Vladimir
Ashkenazy fait chanter les cordes soyeuses des violons du Concertgebouw d'Amsterdam,
le velouté des violoncelles. Le chef énergise le propos lors des tuttis furieux
de l'harmonie. Le conservatisme structurel du compositeur est une évidence en
ce début du XXème siècle où la modernité prend sa place grâce à Mahler avec ses alambiquées 6ème et 7ème symphonies
ou à un Strauss faisant exploser le
plan sonate, sans parler de Stravinski
qui fourbit ses armes de la polyrythmie. La belle affaire ! La musique de ce largo-allegro est poignante
et au diable les dogmes musicologiques à la mode à l'époque.. Rachmaninov
alterne méditations mélancoliques et climax empreints d'une belle rudesse des
cuivres. Ashkenazy cisèle une orchestration colorée.
Nikifor Krylov : coucher de soleil à Rylov, (1827)
|
Allegro Molto : Le premier
mouvement est noté mi mineur. Pour ce second mouvement, un scherzo censé
apporter un intermède de détente après la gravité de l'allegro, Rachmaninov choisit pourtant un autre mode
a priori obscur : le la mineur. Cette tonalité pourrait laisser présager une
page au climat tragique. Il n'en est rien ! L'introduction se veut énergique et
joyeuse avec ses trilles aux cordes, son chant allègre des cors, les tintements guillerets
du glockenspiel. Rachmaninov n'a jamais revendiqué
une inspiration influencée par le folklore et aboutissant à une musique
descriptive. Un passage élégiaque cousin du leitmotiv du largo suit ce premier
groupe thématique. Toujours chez le compositeur ce souci d'apporter une
cohésion stylistique entre les mouvements de cette grande symphonie. Un coup de
cymbale débute un vigoureux trio qui donne la part belle aux percussions (la
caisse claire) et aux cuivres. Une page d'un grand lyrisme, une œuvre dans l'œuvre
lorsque l'on considère la multitude de Scherzo "bouche-trou" qui ont pu être commis dans l'histoire de la symphonie. Le trio se poursuit par une
petite marche colorée par les sons champêtres des différentes clarinettes avant
de relancer le scherzo en évitant une reprise da capo qui nuirait à la
fantaisie du propos. Le Concertgebouw
d'Amsterdam, confirme son élégance et la
prise de son, sa clarté. Chef et ingénieur du son conjuguent leurs talents pour
magnifier sans pathos la riche orchestration.
Adagio :
Mélomanes et musicologues s'accordent pour affirmer que cet adagio est sans
doute la page symphonique la plus féérique et émouvante écrite par Rachmaninov. Curieusement, la tonalité de
la majeur, positive et sereine, est retenue dans ce qui aurait pu être une méditation
mélancolique sur un mode mineur. Le compositeur établit une symétrie formelle
avec le largo introductif. De longues phrases se déploient aux cordes, se
répètent comme autant de vagues languissantes et irisées, un ressac à l'aurore vu comme une ritournelle. Une jolie péroraison apparaît comme premier
développement par une reprise du thème au hautbois solo baigné dans le flot des
violons. Un long et émouvant crescendo conduit à un puissant climax
introduisant le développement central où un à un : cor, violon, clarinette,
hautbois, flûte rejouent inlassablement les mesures initiales, encore un
principe de leitmotiv et toujours dans cette brume diaphane et dorée assurée
par les cordes. On se laisse flotter dans un discours crépusculaire. À quoi
songe Rachmaninov ? Un coucher de
soleil ? L'évocation affectueuse de la mère patrie ? Vladimir
Ashkenazy rejette tout maniérisme, illumine toutes les mesures en
mettant en valeur chaque motif instrumental. Un rêve.
Allegro
vivace : Le final attaque en force à l'instar du
Scherzo. La démarche de cohérence et de symétrie voulue par le musicien russe s'affirme ainsi nettement.
L'architecture de cette symphonie est simple et rigoureuse, ce qui explique son
succès auprès d'un large public. La fantaisie musicale se nourrit de l'imagination débridée des développements
autour de matériaux sonores assez proches dans leurs formes. Équilibre oblige,
la tonalité de ce final est mi comme le largo, mais en majeur. Le final
développe nombre de réminiscences des mouvements précédents. Il est très festif, au tempo vif mais non précipité comme si le compositeur voulait
nous faire partager l'un de ses moments de joie entre deux passages dépressifs
dont il est coutumier. Quelques coups de cymbales et de grosse caisse et un
épisode martial, mais sans brutalité, nous entraînent vers une dithyrambique
coda ou les deux leitmotive réapparaissent encore et toujours…
Je considére les symphonies de Rachmaninov comme d'un intérêt égal à celui
des symphonies de Tchaïkovski ou Sibelius, voire des meilleurs poèmes
symphoniques de Strauss. L'écoute répétitive
de cette interprétation à la fois musclée et poétique ne me fait pas changer
d'avis.
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Si la seconde symphonie de Rachmaninov
a connu le bonheur au disque, les réussites marquantes ne sont pas si
nombreuses.
On ne peut pas conclure cet article sans évoquer les
nombreuses gravures du chef d'origine hongroise Eugene
Ormandy qui a dirigé l'orchestre de Minneapolis
puis celui de Philadelphie pendant 44 ans
comme je le disais à Sonia. Ce chef a connu le compositeur et a gravé de son
vivant dès 1934 pour RCA cette symphonie. Une première qui sera
suivie de trois autres captations à Philadelphie
en 1951
puis 1959 pour CBS (la seconde dans le cadre d'une intégrale) et enfin en 1973 de nouveau pour RCA. L'intégrale
n'est plus disponible pour le moment mais la version de 1973 est au catalogue. Il y a une osmose évidente entre ce chef et Rachmaninov. Il y a chez Ormandy une
fluidité du phrasé, une élégance, une sensibilité à fleur de peau inégalées. La
prise de son de 1959 ne rivalise
hélas pas avec celle du disque d'Ashkenazy.
(Sony - 6/6). Je reparlerai de ce
chef légendaire à une autre occasion…
À signaler l'intégrale de Walter
Weller, un artiste autrichien, violoniste virtuose et chef un
temps de l'opéra de Vienne et de
nombreux orchestres de rang international. Peu présent au disque, le maestro a pourtant
enregistré dans les années 70, une excellente intégrale très vivante, fidèle au
texte et pleine de panache. (DECCA –
5,5/6)
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La symphonie dans son intégralité sur Deezer puis sur Youtube pour les non abonnés mais avec un son moins clair :
Ok ! Ok ! Ce n'est pas encore le concerto N°2, mais je suis patient et ta chronique sur la symphonie n°2 ne me gène pas, j'ai toujours aimé Rachmaninov. Je dirais même que ça conforte mon gout pour les notes jeté sur la partition du compositeur russe.
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