Kim Fowley... peu connu de nos médias hexagonaux (à l'exception de la presse Rock), s'en est allé ce 15 janvier 2015, à 75 ans, succombant à un long combat contre un cancer de la vessie. De la fin des années 50 jusqu'en 2014 (soit plus de cinquante ans), Kim Fowley s'est toujours débrouillé pour, d'une façon ou d'une autre, être impliqué dans des projets culturels (de préférence bien underground - mais peut-être pas nécessairement par un choix mûrement réfléchi-), avec une très forte dominance pour le milieu musical.
Bien souvent décrié, pas toujours aimé, Kim Fowley était, à sa manière, un original, doublé d'un opportuniste. Né d'un couple d'acteurs [Douglas Fowley et Shelby Pane (1)], il fut placé en famille d’accueil à leur divorce. En fait, ce n'est pas vraiment clair, car une autre version, hélas bien plus trash, évoque une mère qui l'abandonne pratiquement à la naissance parce qu'elle chassait les hommes riches, tandis que son père, à l’affût des cachets et des jupons, l'utilisait comme appât et aurait abusé de lui à l'âge de 6 ans (!!). Kim le fuit dès son adolescence en s'engageant dans les Marines. En aparté, Kim met en doute sa parenté, évoquant que sa mère avait déjà une vie dissolue, couchant à droite et à gauche, et qu'en conséquence, son père biologique pourrait bien être une tierce personne. Toutefois, Kim évoque une mère qui lui donna sa première initiation à la musique, via Carmen Miranda, une chanteuse Cubaine (ce qui contredit alors son abandon dès la naissance).
En 1957, Kim intègre le gang des Pagans (du quartier ouest de Los Angeles, dont aurait fait partie Bruce Johnston) qui se repaissent de cambriolages, de divers trafics illicites et de bagarres. Avec quelques gars du gang, il forme un groupe, les Sleep Walkers, dans lequel on retrouve Bruce Johnston, le batteur Sandy Nelson, et, à l'occasion, un tout jeune Phil Spector. Pendant qu'ils jouent, les autres gars en profitent pour visiter et dépouiller le lieu. Une activité lucrative. Plus tard, le groupe, appelé dorénavant The Renegades, comprenant pour nouvelles recrues Richard Podolor et Nick Venet (2) passe dans un film où il interprète "Charge" (titre instrumental, légèrement barré pour l'époque, avec bruits de sabots et cris - "Chaaarrgggeeee !!!!" -).
Très tôt, dès la fin des années 50, il s'investit dans le monde musicale via l'animateur de radio Alan Freed (qui l'aurait payé essentiellement en nature : repas et prêt de voiture), puis en travaillant pour Berry Gordy, devenant alors le 1er blanc bossant pour la Motown (il fut responsable de la côte Ouest). Il produit son premier 45 tours en 1959, et gagne son premier Top 20 dans la foulée avec "Cherry Pie" (interprété par Skip & Flip) ; et en 1960, son premier n° 1 (en association avec Gary S. Paxton de Skip & Flip).
Avec Cher |
Sa carrière en tant que producteur est dorénavant lancée, avec d'autres groupes à son écurie (dont Paul Revere & The Raiders). Second n°1 avec un titre instrumental, "Nut Rocker" (court instrumental de 2,15 mn) de B.Bumble and the Stingers en 1962. Chez une ex de son père, très maternelle, il découvre les Rivingstones (qui faisaient alors, apparemment, les boulangers pour assurer les fins de mois) et leur produit "Papa-Oom-Mow-Mow" qui sera popularisé trois ans plus tard par les Beach-Boys (3). Gary Glitter, Rob Zombie (inclus dans la chanson "Burn") et même Kermit reprendront ce titre qui fait aussi pas mal d'apparitions dans divers films (dont, tout récemment, "Happy Feet 2").
En 1963, il écrit et interprète "The Trip" (que l'on retrouve dans la fameuse compilation Nuggets), une composition considérée comme la première chanson Pop parlant ouvertement de la drogue (en fait il se moque des gens qui, sous l'influence de diverses substances, ne sont plus maîtres d'eux-même). Une composition qui comporte quelques similitudes avec le "Gloria" des Them qui ne sortira qu'en 1964.
Premier groupe féminin en 1964 avec le trio d'adolescentes, The Murmaids (formé en 1963) qui obtient la 3ème place du Hot 100 et la 1ère pour le magazine Record World. Ce qui lui remplit les poches.
Fowley commence à faire plusieurs séjour à Londres où il sert d'attaché de presse pour le chanteur américain P.J. Proby qui été alors en plein succès au Royaume-Uni (avant de repartir en 1967 pour les USA).
Kim fréquente assidûment le Swinging London, et s'y fait un nom. Intéressé par le succès de "Gloria" des Them, il cherche un groupe du coin à produire et à exporter aux USA. Il produits les premiers titres de Soft Machine. Puis, un soir, il est interpellé par la prestation (très tardive) d'un quatuor de jeunes prolétaires qui parvient à attirer l'attention d'une salle passablement déchiré par une nuit bien avancée et remplie, et leur propose ses services pour les produire. Cela se fait avec la reprise des Young Rascals, "You Better Run", qui alimente le 1er 45 tours (de 4 morceaux) des N'Betweens qui remporte un 1er succès. Mais il doutait assez de leur avenir pour les lâcher, malgré d'autres titres en cours de production (qui ne verront le jour qu'en 1996).
Il écrit les paroles de "Portobello Road" pour la face B du 1er 45 tours de Cat Stevens, et produit un titre pour The Seekers.
En 1967, il reprend le rôle d'auteur-compositeur-interprète et sort "Love is Alive & Well" bien dans la mouvance hippie. Puis, l'année suivante, c'est l'album "Outrageos"entre Rhythm'n'Blues psyché et Heavy-Soul-rock psychopathe et déjanté comprenant "Bubblegum" que sera reprit les Sonic Youth en 1986.
Mais sa carrière stagne, s'étiole même, ne parvenant plus depuis quelques temps à retrouver les succès du début des années 60. De plus, il s'est un peu planté sur les N'Betweens qui a lâché pensant qu'ils n'avaient pas d'avenir, alors que dès 1969, maintenant rebaptisés Ambrose Slade, la réputation du collectif commence à s'amplifier, grâce à ses prestations scéniques, jusqu'à prend un rapide essor avec "Winds are blowing" sous le nom de Slade.
Avec une des premières moutures, avant Jackie Fox. |
Il repart pour sa Californie natale et fréquente les clubs Angelins, toujours à la recherche d'un groupe à produire. Il lui faudra attendre 1975 pour trouver ce qu'il cherchait. Un jeune groupe malléable, à façonner, à éduquer, à modeler. Et sur lequel il aura toute autorité. Enfermées dans une caravane transformée en studio de répét' et d'enregistrement, Kim apprend à Joan Jett, Lita Ford, Cherrie Currie, Sandy West et Jackie Fox (3ème bassiste) à jouer ensemble. Initialement, le groupe n'était qu'un trio mais Kim voit grand et imagine déjà l'impact commerciale de gamines par encore sorties de l'adolescence, jouant un Rock brut, cru, un rien naïf, pré-punk, post-Glam, dont les voix féminines, fragiles, tranchent sur les riffs carrés, mats, légèrement grassouillets.
Kim s'investie à fond dans ce groupe, il y croit. En plus de les produire, il participe à l'écriture, et leur offre même le bon "Is It Day or Night ?". Si l'album fait une entrée timide dans le Billboard 200, le single, "Cherry Bomb", fait une entrée fracassante au Japon en se plaçant en pole position des ventes. Ce titre, souvent repris, est aujourd'hui considéré comme un classique du Hard-rock. The Runaways rentrent dans l'histoire - assez souvent cités, à tort, comme le premier groupe féminin de Rock / Hard-Rock -, entraînant Kim dans son sillage de la célébrité. Il sait que grâce à ses filles, il peut atteindre une célébrité à laquelle il aspire depuis des années, et il est impatient. Certes, les filles ont un certain succès, mais pas suffisamment pour lui. En "vieux" renard, témoin de la scène Rock, pratiquement depuis ses débuts, il incite, lourdement, les filles à se vêtir de tenues bien plus légères, affriolantes même, pour marquer les esprits et hypnotiser l'adolescent tant que l'adulte un peu pervers. Il y a là quelque chose de malsain de sa part, une facette manipulatrice. Les filles commencent à douter de leur manager-producteur-co-compositeur et des dissensions apparaissent. D'autant plus qu'il leur demande beaucoup, se montrant parfois dictatorial, ne les laissant pas suffisamment se reposer, de profiter de l'essor de leur réputation (qui fait rapidement des jaloux).
Cherrie Currie craque et se retire. Le groupe continue en quatuor, puis finit par se séparer d'un Kim Fowley devenu trop encombrant, étouffant.
Pour le grand public, l'épisode The Runaways demeure l'apogée de sa carrière (ce qui est peut-être le cas), ne connaissant bien souvent de lui que cette période.
Toutefois, ce chapitre n'aura duré qu'un peu moins de trois ans (de 1975 à 1977). Le groupe lui, s'éteindra de lui-même, exsangue, en 1979.
Avec Dave Grohl |
On oublie que bon nombre d'artistes et de groupes ont fait appel à ses services pour composer. Ainsi, on peut retrouver son nom sur des chansons de Kiss (Destroyers), des Byrds (Farther Along), sur le "Freak Out" de Frank Zappa, d'Alice Cooper, de Leon Russell, de Kris Kristofferson, d'Ariel Pink (Pom-Pom en 2014) ; il participe aussi à la B.O. d' "American Graffiti" de George Lucas, et produit quelques chansons pour les Moderns Lovers.
Qu'il s'est occupé un temps de Gene Vincent, et surtout qu'il affiche presque une trentaine d'albums à son compteur.
Bien que déjà bien malade, il fait même trois apparitions éclairs dans le clip "Haunted" de Beyoncé (!).
De 1967 à 2012, ce grand bonhomme frappadingue n'a cessé d'enregistrer pour son propre compte. La plupart de ses réalisations, généralement fort mal distribuées, éditées par de petits labels obscurs, sont passées relativement inaperçues. Certaines paraissant même des années après leur finalisation. Ce qui n'a pas empêché la presse d'en saluer quelques uns tels que : Outrageos (1968), l'album Glam, International Heroes (1973), généralement considéré comme son meilleur (en dépit d'une des pires pochettes de la décennie), Animal God of the Streets (1975) et Son of Frankestein (1981).
Avec ses albums, même si leur éclectisme et leur côté barré peuvent rebuter, il n'aurait manqué à cet échalas qu'un peu de plus de charisme, ou d'un vrai manager, suivit d'un label compétent en marketing.
On ne sait pas trop si le personnage est vraiment dérangé ou s'il cherche pas tous les moyens à se faire remarquer pour relancer sa carrière, d'attirer l'attention parfois avec un goût fort douteux, frôlant le ridicule avec des maquillages et des accoutrements d'attardé mental. Personnage aimant tant s'afficher avec du beau-monde, qu'avec des nymphettes à peine sorties de l'adolescence, des filles adeptes du bondage, ou des pros du porno. Comble du mauvais goût, il participe à des séances photos où des filles plantureuses, en tenues légères (ou sans rien) posent avec des simulacres de cadavres (sic !), pour une revue spécialisée dans ce genre immonde.
Malgré tout, on ne peut dénier son flaire et sa capacité à trousser de bonnes chansons (même s'il y en a un bon lot qui frôle, ou plonge, dans le grand n'importe quoi, ou dans le délire de psychopathe en pleine crise de démence). Par certains côtés, il a préfiguré un Iggy Pop (même esprit torturé ?) et le Rock Noisy.
Dernier sursaut de gloire en 2010, grâce au film-biopic de Floria Sigismondi, "The Runaways", où il est campé par Michael Shannon (lien - clic).
Voilà, juste quelques mots pour rendre hommage à ce personnage singulier. Mégalomane, un peu escroc sur les bords, roublard, opportuniste, (mythomane ?), décadent, autoritaire, calculateur, parfois dictatorial, volontiers provocateur, pervers, sans être une icône, Kim Fowley demeure un personnage incontournable de l'histoire du Rock.
"J'ai toujours été le producteur, j'ai toujours été le chef, j'ai toujours été le magicien, l'oracle. J'ai toujours été cette sorte de figure divine qui sort les faibles des ténèbres, pour les amener à la lumière du Soleil"
"Les hommes de l'ombre ont autant écrit l'histoire du Rock'n'Roll que ceux qui sont sous le feux des projecteurs" dixit Kim Fowley.
(1) Douglas Fowley commença sa carrière avec un premier film en 1933 pour finir en 1994 par "Wyatt Earp : Return to Tombstone" où il interprète Doc Holliday lors des séquences flash-back
(2) Qui deviendront tous deux des producteurs reconnus.
(3) Est-ce en rapport avec Bruce Johnston, ancien collègue de Kim au sein des Pagans et des Sleep Walkers, qui a rejoint depuis peu les Beach-boys ?
The Trip
"Bubble Gum"
"Night of the hunter"
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