- Quand j'entre dans votre bureau M'sieur Claude… Un pti't air de musique
baroque virevolte tel un gazouillis d'oiseaux flirtant avec des
papillons…
- Eh bien !! Vous versifiez ce matin ma chère Sonia ???!!! Il faudra me
travailler tout cela, affiner… Cela dit ce n'est pas du tout de la musique
baroque !!!!
- Ben ? Je lis Bach, c'est quoi alors ?
- Oui, mais il s'agit du plus doué des fistons du grand Jean-Sébastien,
contemporain de Haydn et même de Mozart à la fin de sa vie. Donc c'est ? …
c'est ? … duuu claaassique !
- J'espère que vous allez nous éclairer sur ces subtilités : car si le
baroque n'est plus de la musique classique mais un peu quand même, il me
faudra un doliprane…
- Oh, juste un peu de précision sur le vocabulaire. L'important est
d'écouter la musique de CPE (non, pas Conseiller Principal d'Éducation)
qui n'a rien à envier à celle de son illustre père…
XXXXX |
Essayons
d'éclairer la lanterne de Sonia et peut-être celle de quelques lecteurs
parfois interloqués par l'adjectif "classique" appliqué au mot "musique",
celle du passé, ce qui peut se comprendre, mais aussi apposé à des musiques
contemporaines, ce qui peut dérouter !
En pratique, on devrait parler de musique "savante". Mais avouons que le
terme conjugue un peu snobisme et élitisme. Ce que nous appelons de façon
générique "musique classique" réunit des œuvres de tous les styles écrites
par des compositeurs pointus depuis les mérovingiens jusqu'à nos jours. Des
œuvres faisant appel à des règles de composition de plus en plus complexes
au fil du temps : isorythmie, tonalité, contrepoint, sérialisme,
polyrythmie, et patati et patata. On peut établir un parallèle avec la
littérature "classique" immortalisée par le
Lagarde et Michard, et où l'on trouve des pages choisies allant de
Villon à
Camus en passant par
Racine (tragédies classiques),
Victor Hugo et
Flaubert…
En musique, l'époque classique commence à la fin de la vie de
Bach
(1750) qui est un
baroque tardif et se termine avec la
3ème symphonie
de
Beethoven
en 1805
(Clic)
pour laisser la place au romantisme. Les compositeurs les plus
représentatifs de cette époque du siècle des lumières seront
Rameau
en France,
Joseph
Haydn,
Mozart
et
Beethoven
première manière en Autriche. De grandes figures auxquelles on peut ajouter
d'autres personnalités musicales comme les fils de
Bach
et notamment
Carl Philipp
Emanuel.
Apprenons à nous adapter à cette double définition proche de l'abus
sémantique officiel. La musique classique est tout simplement celle qui
traverse l'histoire, résiste au temps, voire resurgit de la traversée du
désert (plusieurs chroniques l'an passé ont évoqué des compositeurs oubliés
à tord). Pour conclure : l'époque baroque commence vers 1600 sous
l'impulsion de
Claudio Monteverdi. Une aventure musicale qui va perdurer pendant 150 ans…
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Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) |
C.P.E. Bach
naît à Leipzig en 1714. Second fils survivant dans une famille qui
comptera 20 enfants (dix mourront en bas âge), sa mère est Maria Barbara, la
première épouse du Cantor. Il est sans doute le plus talentueux des quatre
fils qui reprendront le flambeau paternel comme compositeur.
Telemann
est son parrain.
J.S. Bach
assure les premiers enseignements à un garçon qui, à l'évidence, a hérité
des gênes musicaux de son père. Très tôt, il pratique et domine l'orgue, le
violon et le violoncelle, comme papa. En
1730, âgé seulement de 16 ans,
il compose avec aisance et, dès
1733 il occupe un poste
d'organiste officiel. Anecdote : en parallèle, son père le contraint (comme
ses autres fils) à suivre des études juridiques.
Bach
père s'est toujours senti considéré comme un saltimbanque. Il faut dire qu'à
l'époque, composer est une activité, soit au service de l’Église, soit pour
satisfaire les besoins de divertissements dans les cours princières, les
salons mondains, les cafés pour intellectuels… C'est à peine un métier. Il
souhaite plus de notoriété pour ses enfants.
1738
:
C.P.E. Bach
rejoint la cour du futur roi
Frédéric II de Prusse où il va
tenir le poste de claveciniste et composer pendant 26 ans. À la mort de son
père en 1750, il hérite des
partitions et manuscrits et fera jouer nombre de ces œuvres dans toute
l'Allemagne. Il tentera de succéder en vain à son père comme Cantor de
Leipzig. Jusqu'en
1768, le roi saura le conserver
à son service par ses largesses financières !
1768
: Lassé de la routine prussienne,
C.P.E. Bach
part s'établir à Hambourg. Il
travaille de manière acharnée jusqu'à sa mort brutale en
1788. Il modernise l'oratorio
tout en promouvant la musique de
Haendel. Il compose
Passions
et pièces instrumentales (symphonies
et
concertos), et surtout sort définitivement du style baroque. La durée, la complexité
et l'orchestration des ouvrages s'élargissent. En
1768,
Haydn
a 36 ans et a déjà révolutionné l'âge classique chez le prince
Esterhazy.
Mozart
n'a que douze ans, mais le petit génie est déjà à pied d'œuvre. Il mourra
trois ans après
C.P.E. Bach. Autant dire que les carrières des trois hommes se déroulent en parallèle.
Le jeune
Beethoven
sera l'un des ses fans.
La discographie de
C.P.E. Bach
est assez riche mais sans plus. Longtemps absent du catalogue sur
instruments modernes, ce sont les ensembles, habituellement étiquetés de
baroqueux, qui ont redonné sa place à un compositeur à ne négliger en aucune
manière. Le disque d'Ophélie Gaillard est une aubaine pour aller à sa découverte…
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Ensemble Pulcinella |
Ophélie Gaillard, née en 1974, fait
partie de la jeune génération des virtuoses de l'école de violoncelle
français, en compagnie de
Bruno Cocset,
Gautier Capuçon
ou encore
Anne Gastinel… Et comme
Bruno Cocset
(Clic)
et
Gautier Capuçon
(Clic)
Ophélie
gaillard
n'a pas hésité à se confronter au répertoire baroque en jouant sur
instruments d'époque. Elle a travaillé cette spécialité au conservatoire de
Paris avec
Christophe Coin, pionnier du renouveau de la viole de gambe.
Ophélie Gaillard
a également étudié la musicologie à la Sorbonne et a fondé un ensemble de
musique baroque et classique :
Pulcinella. Ses compétences à multiple facettes lui ont permis d'aborder avec
pertinence le style musical de
C.P.E. Bach. Elle nous montre ainsi à travers le très beau disque commenté ce jour que
jouer la musique de
Bach
fils à la manière de celle de
Bach
père serait une erreur. À noter que son expérience de la musique
baroque s'est forgée auprès des grands spécialistes du sujet :
Christophe Rousset,
Emmanuelle Haïm
(Clic)
ou
John Eliot Gardiner.
Ophélie Gaillard
a remporté une Victoire de la musique dans la catégorie "révélation soliste instrumentale" en 2003. Sa carrière a pris
un tournant international avec un large répertoire allant de
Bach
à
Fauré
et
Janacek.
Ophélie
a, bien entendu, gravé une intégrale des
suites
de
Bach
fort réussie…
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Copie d'un clavicorde Hubert de 1784
|
Concerto pour violoncelle Wq. 170 en la mineur
Ce concerto est composé en
1750, l'année de la mort de
Bach
père. Il annonce la couleur "classique" par sa durée : près de 25
minutes et par la virtuosité exigée de l'instrument soliste. Du baroque, il
conserve le plan en trois mouvements à l'identique des concertos pour
clavier(s) ou violon du Cantor.
Le concerto attaque en force par un
allegro assai survolté.
L'introduction est développée et dure 1'05". Une ouverture riche et
volubile, une sinfonia à elle seule. On rencontrera jusqu'à nos jours cette
importante entrée en matière orchestrale dans les concertos, même si des
compositeurs comme
Brahms
ou
Beethoven
donneront parfois la parole initiale au piano soliste. Les cordes se
pourchassent avec en arrière plan un piano-forte !
C.P.E. Bach
raffolait d'un instrument dont l'origine remontait au moyen-âge, voire à la
Grèce antique : le clavicorde. C'est un instrument rudimentaire à
cordes frappées qui précède l'invention du piano forte puis du piano
moderne. L'instrument, petit, assez clinquant et pas assez puissant pour
être utilisé en dehors d'un salon, avait trouvé son maître grâce à
C.P.E. Bach
qui l'utilisait en lieu et place du clavecin dans le continuo. Pour
l'enregistrement, un piano forte joué par
Francesco Corti
a été utilisé.
La dynamique et la rythmique vigoureuse sont bluffantes dans ce concerto.
Ophélie Gaillard
fait chanter une mélodie virevoltante et très accentuée. Il y a une énergie
dionysiaque dans la ligne mélodique et le jeu de l'artiste. En terme
d'accentuation, de pp à ff voire plus, il faudra attendre
Beethoven pour entendre de nouveau une telle férocité dramatique.
Ophélie Gaillard
adopte un phrasé dru, expansif, sans aucune fioriture issue du style
baroque. On entendra chez
Mozart
plus de sophistication et d'intimité, mais rarement un tel déferlement
instrumental… À noter, la furie de la cadence, elle aussi très étendue pour
cette époque.
C.P.E. Bach
musicien révolutionnaire en ce milieu du siècle des lumières ?
L'andante oppose un rythme
obstiné des cordes à divers éléments mélodiques dont une mélopée nostalgique
du violoncelle. La transition de la musique pure du passé à une musique plus
émotionnelle est patente. C.P.E. Bach
musicien romantique ? Seconde question pertinente car cet andante fait
incontestablement écho aux passages intimistes des ultimes concertos pour
piano de
Mozart qui préfigurent eux-mêmes les interrogations existentielles au cœur des
grands concertos romantiques.
Le final, allegro assai, donne libre court à l'allégresse. Les
ruptures de rythme et les variations abruptes de nuance dominent ce
mouvement conclusif. Le jeu du violoncelle fait appel à un staccato viril et
forcené.
Ophélie Gaillard
et
Pulcinella
offre une énergie folle à ce kaléidoscope de motifs variés et carrés qui
s'enchaînent sans la moindre pause. L'incroyable vitalité de cette musique
est bien servie par une prise de son d'une transparence et d'une dynamique
exceptionnelles.
Ophélie Gaillard
joue sur un violoncelle vénitien de 1737 du luthier
Francesco Goffriller
(photo).
Concerto pour violoncelle Wq. 172 en la majeur
Composé en 1753, ce concerto
demeure dans la veine de celui en la mineur : une musique extravertie. L'allegro
introductif, bien que très vivant et coloré, laisse poindre dans les solos
du violoncelle des sonorités plus graves, légèrement nostalgiques. Cette
ambiguïté du propos démontre une fois de plus le souci de
C.P.E. Bach
d'explorer de nouveaux modes expressifs, moins démonstratifs, plus
psychologiques.
Ophélie Gaillard
domine totalement la partie de violoncelle, très virtuose, d'une extrême
alacrité. La violoncelliste influe une réponse tout aussi claire et
énergique à son ensemble orchestral. Une musique qui brille de mille
feux…
Le mouvement central noté
Largo débute sur de longues
phrases élégiaques, exprimant regrets voire chagrins. L'entrée plaintive du
violoncelle chantant sa tristesse dans son registre aigu accentue cette
ambiance mélancolique. L'émotion se fait poignante. Le contraste est
saisissant avec l'esprit joyeux de l'allegro initial. Le jeu d'Ophélie Gaillard
n'accorde aucune concession pour donner un caractère divertissant à ce
passage pathétique. Le vibrato minimaliste donne à chaque note de la longue
mélopée de la cadence une force passionnelle.
L'allegro assai final redonne
une couleur plus festive au discours musical après le dramatique largo. La
musique jaillit avec une rare vitalité juste interrompue par quelques
syncopes qui laissent place à des interrogations sans réponses. Elles
assurent un lien avec la gravité perçue dans l'allegro et manifeste dans le
largo. Une interprétation d'une vitalité rageuse…
L'album est complété par une sinfonia et une touchante sonate pour
violoncelle et deux violons.
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De façon intuitive j'ai adoré cet album, plus qu'à le réécouter avec ton éclairage.
RépondreSupprimerbien aimé aussi son interprétation des suite de Bach, une artiste qui communique une belle passion energique aux oeuvres qu'elle interprete.
Merci Cat. Mon article, assez long, peut de résumer par cette simple phrase :
Supprimer"Une musique qui file la pêche !" (6 mots) :o)
Très brillant. CPE BACH est effectivement un classique,
RépondreSupprimermais l'interprétation est celle d'une "baroqueuse" dans le rythme et les sonorités.
La prise de son y est aussi pour beaucoup.
Une belle découverte pour notre bergerie du Chablais;
A écouter en sirotant un vin chaud, devant la cheminée, avec la nuit qui tombe sur la neige.
signé : Bidule, mouton mélomane
le 22/01/2015
RépondreSupprimercommentaire qui n'a rien a voir avec CPE BACH , mais je decouvre votre blog , avec votre analyse du Concerto For Orchestra de Bela Bartok . la version par Ivan Fischer est disponible dans la collection Critics' Choice Philips . (superbe CD) Acheté recemment sur internet : 17.75 Euros a www.rarewaves.com (England)