jeudi 20 novembre 2014

MOULOUDJI (1922 - 1994) - Le PETIT COQUELICOT - par Pat Slade







Athée ! Ô Grâce à Dieu…





Stromae, le chanteur belge s’arrête pour prendre du recul et tenter de faire pleurer dans les chaumières avec sa misère. Il annonce sa retraite de la scène prétextant qu’il est fatigué ! Fatigué ? Il se fout de nous ? L’ouvrier qui va rester 8 heures par jour sur sa chaine d’assemblage, l’interne qui va faire sa journée aux urgences d’un hôpital, ils vont aller voir leurs employeurs pour leur dire qu’ils s’arrêtent deux ou trois ans parce qu’ils sont fatigués ? Le métier de chanteur est très fatiguant, j’en parlais encore il y a peu de temps avec mon père retraité de la S.N.C.F et qui comme conducteur était rarement à la maison de jour comme de nuit, soir de Noël et jour de l’An compris. Et qui comprenait, avec cynisme, l’état de grande fatigue de ces artistes conduits sur les plateaux télé par un chauffeur et qui travaillent deux heures d’affilée, tout ça pour quelques millions d’euros par an ! Les chanteurs d’une autre époque et d’un autre milieu social et ayant une autre vision de leur art et de leur public n’étaient pas fatigués eux ! Je parlais de mon père et voila où je voulais en venir après cette introduction sur la fatigue des artistes d’aujourd’hui. Dans sa discothèque, se trouve un disque que beaucoup d’amateurs aimeraient avoir «Faut Vivre» de Mouloudji dédicacé par l’artiste lui-même.
Mouloudji à 14 ans
Demandez à un jeune d’aujourd’hui qui était Marcel Mouloudji ? Il répondra en dépit du bon sens mais il est sûr qu’il ne tombera pas juste. Je trouve dommage que des artistes comme lui ou Colette Magny, Jean Roger Caussimon, Cora Vaucaire ou plus proche de nous Anne Sylvestre soient oubliés malgré un talent certain alors que certains nous rabâchent des niaiseries que je ne nommerai pas à longueur de journée sur les radios périphériques.

Mouloudji est un émigré moitié Kabyle, moitié Breton né en 1922 à Paris dans le XIXe arrondissement. Son père kabyle exerce le métier de maçon et est inscrit au parti communiste. Sa mère est une bretonne catholique pratiquante. Entre un père «Coco » et une mère bigote qui aurait préféré voir ses deux fils inscrits au patronage du curé, les Mouloudji sont l’image de la famille du front populaire. Les deux frangins commencent très tôt à pousser la chansonnette dans les troquets en échange de quelques pièces. Alors qu’il n’a que dix ans, sa mère alcoolique sera internée pour désordre mental. Son père analphabète a du mal à élever ses deux fils Marcel et André. Adolescent, il s’inscrit avec son frère dans un mouvement de jeunesse, soit aux jeunesses communistes, soit aux Faucons rouges proche de la S.F.I.O (Section Française de l’Internationale Ouvrière) animé par des éducateurs de différents courants du monde ouvrier : libertaire, coopératif, ajiste, anarcho- syndicaliste, etc…


Les Disparus de Saint Agil
Il fait la connaissance de Sylvain Atkine, le metteur en scène du groupe Octobre, troupe de  théâtre prolétarien par excellence dont de grands noms de l’écriture et du cinéma comme Jacques Prévert, Raymond Bussière ou encore Jean-Louis Barrault faisaient partie. Sylvain Atkine est un ami de Paul Eluard et André Breton, et on peut l’apercevoir dans des seconds rôles au cinéma comme dans «La Grand Illusion» de Jean Renoir entre autres. Mouloudji participera à la vie artistique liée au front populaire qui lui ouvrira les portes des hommes de lettres ayant le cœur à gauche comme Marcel Duhamel, Jacques Prévert et Jean-Louis Barrault qui le prendra sous son aile. Il entame une carrière d’acteur de cinéma et de théâtre. Sept films entre 1936 et 1937, mais c’est en 1938 qu’il se fait remarquer dans un film de Christian Jacques «Les Disparus de Saint-Agil» avec Eric Von Stroheim, Michel Simon et des acteurs inconnus à l’époque comme Serge Reggiani et Charles Aznavour.  
Il va côtoyer des célébrités comme Arletty, Raimu ou Michèle Morgan. La guerre et l’occupation ne l’empêcheront pas de travailler, même si il reste dans une semi-clandestinité. Tout d’abord réfugié en zone libre, il regagne Paris en 1943 ou il vit de la chanson. A la libération en 1945, à 23 ans, il écrit ses mémoires «Enrico» qui recevra le prix de la Pléiade la même année.




Mouloudji, Le Deserteur    




Mouloudji a toujours chanté. Même si son début de carrière se déroule sur les planches et sur l’écran, il reprenait des textes de Prévert et d’autres auteurs, mais très vite il commence à composer pour son compte. Il faudra attendre 1953 pour le voir prendre un virage a 180° et mettre sa carrière cinématographique de coté pour ne se consacrer qu’à la chanson. Son premier succès dans le domaine était «La Complainte des Infidèles» en 1951 dont il écrira les paroles. En 1953, premier titre et premier succès avec «Comme un p’tit Coquelicot» qui obtiendra le Grand Prix du Disque et le Prix Charles-Cros.  Rebelote un an plus tard avec «Un Jour tu Verras», encore un succès. Mais la polémique veille… Toujours communiste, il s’engage contre la guerre d’Indochine et va interpréter la version non expurgée de la chanson de Boris Vian «Le Déserteur». Il retravaillera le texte avec Vian. Déjà, Mouloudji n’arrivait pas à imaginer un pacifiste ayant un fusil, logique ! Le titre passe sur les radios le jour de la chute de Dien Bien Phû. Le résultat ne ce fait pas attendre, la presse de droite et conservatrice l’accuse de corruption morale de l’armée, celle d’extrême droite ira jusqu'à le fustiger en jouant sur ses origines pour expliquer son antipatriotisme. Rejeté par les radios et les maisons de disques, il fondera la sienne sous forme de coopérative en 1961 où sa carrière va se révéler importante et prolifique avec des titres comme : «Le Long des Rues de Paris», «Complainte du Maquereau», «Les Feuilles Mortes», mais le succès n’est que d’estime.



Mouloudji un Communiste ?      





Avec 1968, il réapparait en chantant dans les universités et les usines en grève; une accusation disant que Mouloudji était anarchiste lui sert d’alibi pour aller à la rencontre d’un nouveau public gauchiste et anarchiste. En  1970, il revient sur les titres engagés de l’époque Boris Vian avec une reprise «Allons z’enfants»  véritable pamphlet contre l’armée et les militaires. Un titre qui le poussera vers l’anarchisme et lui fera quitter le Parti Communiste. Bien avant certains, il est de toutes les causes et de tous les combats, celui des objecteurs de conscience, la chute de Salvador Allende au Chili suite au coup d'état de Pinochet. 1975 voit son grand retour à la scène avec l’étiquette de chanteur populaire et de nouveaux titres. Mais il rend toujours hommage à ses amis Prévert et Vian. Dans les années 80, il se tourne vers l’écriture et la peinture, deux passions qu’il a toujours eu. Il continue les tournées ou le public se déplace en nombre. Mais les médias l’ont oublié. En 1992, il est victime d’une pleurésie qui lui vole une partie de ses capacités vocale. En avril 1994, il donne un ultime récital à Nancy, le 14 juin, il décède.

Marcel Mouloudji : une discographie impressionnante que beaucoup pourraient envier, impossible de la comptabiliser entre les albums officiels et toutes les compilations, et 46 films et autant de prestations théâtrales, il est dommage qu’un tel artiste soit si peu reconnu et soit tombé presque dans l’oubli à la différence de Férré, Brassens et autre Brel, et pour les 20 ans de sa mort, je voulais lui rendre hommage.   


5 commentaires:

  1. Pour essayer de répondre à ta question : par rapport à Brel, Ferré, Brassens, Mouloudji (comme Reggiani) n'était pas auteur-compositeur. Mais "seulement" interprète. Et en France, il me semble qu'on place toujours sur la première marche ceux qui prennent la plume avant de prendre le micro. Aux USA, on ne se pose pas la question : Sinatra, Presley ou Armstrong valent Dylan ou Ellington...

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    1. Mouloudji était un auteur - compositeur - interprète, mais il est plus connu du grand public pour avoir chanté des chansons qui n'étaient pas de lui. Serge Reggiani lui n'était qu'interprète et avant toute choses acteur. Mais en comparaison avec les Etats-unis....il n'y a pas de comparaison !! pour eux le texte n'a aucune importance, la musique et l'interprète l'emporte sur le reste.

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  2. Quelle voix superbe et son interprétation d'un pti't Coquelicot m'avait ému aux larmes, même encore maintenant elle me serre le coeur ! Pour moi il faisait partie du panthéon de la chanson francaise quand j'étais gamin en compagnie d'un autre oublié Philippe Clay !

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    1. J'avais fait un petit chapitre sur Philippe Clay dans une chronique au mois de juin de cette année :" Des acteurs qui chantent ou des chanteurs qui jouent ?" Mais il est possible qu'un jour je revienne sur cet artiste hors du commun !

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  3. j'adorais sa voix et je m'étais faite une promesse et je l'ai tenue celle d'aller sur sa tombe et j'aimerais tant réécouter Ramona

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