vendredi 28 novembre 2014

MEMENTO de Christopher Nolan (2000) par Luc B.


Entendons-nous bien. Je parle à ceux qui ne savent pas… Qui ne savent pas ce que raconte le film MEMENTO. Et comment le réalisateur le raconte. Le réalisateur, c’est Christopher Nolan, qui signe ici son deuxième long métrage. Le film qui l’a fait connaître. Après, il y a eu l’excellent INSOMNIA (2002, un remake) avec Al Pacino. Et puis une série de BATMAN, genre, explorons la face noire du super héros, LE PRESTIGE (2006) film en costume sur la joute de deux prestidigitateurs, dont le montage à la mords-moi le nœud rendait l'ensemble hélas indigeste, et puis INCEPTION (2010), auquel je n’ai strictement rien compris et qui m’a un peu gavé.

MEMENTO fait travailler les méninges. Et c’est tant mieux. L’histoire ? Léonard Shelby recherche le violeur (et tueur) de sa femme, pour se venger. Comme Charles Bronson dans la série des JUSTICIERS DANS QUELQUES CHOSES. Sauf que là, tout est dans la manière de raconter l’intrigue.

L’idée de MEMENTO vient de Jonathan Nolan, scénariste de la plupart des films de son frère, Christopher, qui quitte son Angleterre natale, pour réaliser son premier film aux Etats Unis. On peut appeler ça une série B. Un film à petit budget, et qui repose sur une idée géniale. Léonard Shelby, surprenant l’assassin de sa femme, se fait assommer. Il en garde des séquelles. Pertes de mémoire. La mémoire immédiate. Tout ce qu’il fait, ce qu’il dit, les gens qu’il croise, ce qu’il leur dit, ce qu’il entend, tout disparaît au bout de deux minutes. Ce type ne vit que par tranches de deux minutes. Et Christopher Nolan filme par tranches de deux minutes. Ce qui se passe, par exemple, de 11h46 à 11h48. La scène suivante dans le film racontera la tranche de 11h44 à 11h46, et la suivante encore, 11h42 - 11h44... Etc. Comme quelqu'un qui grimpe à une corde, glisse, retombe, remonte plus haut, glisse encore, redescend, avec de regrimper encore un peu plus. 

C'est une réelle expérience de cinéma, les réflexes sont inversés, notre perception troublée. Comme le film de Gaspard Noé IRRÉVERSIBLE qui était raconté à l'envers. Mais avec MEMENTO, on est dans le polar, le procédé sert à brouiller les pistes, à faire du film un puzzle ludique.

Le début commence donc par la fin. Et on va remonter dans le temps. Avec à chaque fois un petit décalage, où les scènes vont se superposer, pour faire la liaison. Léonard Shelby, tue un mec. Comment en est-on arrivé là. On revient en arrière. La scène d’avant. Mais avant celle-ci, y’avait quoi ? On remonte le passé. Au départ c’est nébuleux, forcément, on ne pige pas, pourquoi revoit-on la même scène ? Et puis, on pige le truc, on comprend que le réalisateur va remonter sa pelote de laine. Sauf que…

Y’a des scènes en couleur, et d’autres en noir et blanc. Le noir et blanc va vers l’avant, chronologique, les scènes en couleur, sont anti-chronologiques. Au fur et à mesure que Shelby mène son enquête pour retrouver le meurtrier de sa femme (en couleur), on le voit avant le meurtre, quand il était enquêteur pour une compagnie d’assurances, et qu’il devait émettre un diagnostic sur un homme, Sammy Jankins (joué par l'excellent Stephan Tobolowski, second rôle récurrent) qui avait prétendument perdu sa mémoire immédiate. Les deux récits vont se croiser. Pour l’épilogue, qui sera donc… le début de l’histoire !    

MEMENTO est fait du même moule que USUAL SUSPECTS, de Bryan Singer (1995). Le polar ingénieux qui déboule dans les festivals, rafle tous les prix, et consacre son réalisateur. Visuellement, ce type couvert de tatouages, ça marque. Léonard Shelby est obligé de tout écrire, de prendre des polaroids, les annoter, pour se souvenir des lieux, des gens, de ce qu'il en pense, du moins dans le laps de temps où il s'en souvient. Quand sous la photo d'un type, Léonard a écrit : ne pas lui faire confiance. Pourquoi ? Il ne s'en souvient pas. Et le spectateur ne le sait pas encore. Et pour les informations importantes, le tatouage, c’est indélébile. Ce procédé de mise en scène est particulièrement intéressant pour les personnages qui gravitent autour de Léonard. Qui est ce type jovial, moustachu, Teddy ? Un copain, un flic, un malfaisant ? Il est là sans arrêt au bon moment, et a tendance à un peu trop tirer les ficelles. Car c’est facile de faire croire n’importe quoi à Léonard.

Natalie l’a compris. Autre personnage, une serveuse, dealeuse, qui a passé un accord avec Léonard. Je t’aide à retrouver l’homme que tu recherches, et tu dézingues un mec pour moi. La scène où on comprend pourquoi elle a la figure en sang est fabuleuse. Un homme qui oublie régulièrement les deux dernières minutes vécues est très facile à manipuler  : le crachat dans la bière, le gérant du motel qui lui loue plusieurs chambres... 

Bon, je ne suis pas sûr qu’une fois remis dans le bon sens, tous les éléments s’imbriquent parfaitement, c’est le genre de film où on pense avoir tout compris, et qui reste incompréhensible. Comme USUAL SUSPECTS. Les tenants dramatiques du film sont assez légers, la psychologie inexistante (mais en a-t-on besoin ?), le questionnement moral au abonné absent... Je reste toujours sidéré par ces américains lambda capables de se battre comme Bruce Lee, flinguer au .45 avec la même dextérité que je monte une béchamel, sans jamais se remettre en question, comme si dézinguer son prochain était inscrit dans leur Constitution. C'est le cas ? Oups...

MEMENTO n'est rien d'autre qu'un exercice de style assez jubilatoire, qui repose sur une idée habile, rondement menée. Un film de pure mise en scène, de montage, de manipulation (il faut donc accepter l’idée qu’on s’y perde parfois) qui déconstruit pour mieux reconstruire.

MEMENTO de Christopher Nolan (2000) 
N & B / couleurs - 1h55 - scope 2:35



ooo

2 commentaires:

  1. Excellente chronique, voilà un film qui ne laisse pas indifférent j'ai beau l'avoir vu en partie à de nombreuses parties j'ai toujours pas saisi la fin (ou le début) Mais bon comme je ne l'ai jamais vu en entier dans sa totalité ca ne simplifie pas la compréhension je pense ;o) J'aime beaucoup l'acteur principal d'ailleurs je m'étonne de ne pas l'avoir vu plus souvent dans d'autres films car je le trouve très bon

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  2. Film génial parce que totalement déstabilisant, on n'a pas l'habitude de voir des histoires racontées "à l'envers", et on n'a pas non plus l'habitude de raisonner à rebours.
    C'est peut-être dû à mon QI négatif, mais j'ai beau l'avoir vu trois ou quatre fois, j'ai pas l'impression d'avoir reconstitué le puzzle, y'a encore des trucs qui m'échappent ...
    Pas aussi basique qu'un "Irréversible" auquel tu fais justement allusion ...

    "Memento", pour moi, c'est comme un film de Lynch où il y aurait quelque chose à comprendre ... et j'aime beaucoup Lynch ... j'espère que vous suivez ... 'tain, c'est contagieux, "Memento" ..

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