C’est
un film de pure mise en scène. Avec des partis pris formels assez radicaux. Le
réalisateur définit dès le départ trois espaces, et il n’en sortira pas :
le parking, la plage, les bois. Et trois types de scènes, qui se
répètent : des hommes qui arrivent en voiture, des hommes qui discutent,
des hommes qui baisent. Et la Nature. Le film est tourné au bord du lac de
Sainte Croix, dans le Var.
L’histoire
est celle de Franck, qui vient régulièrement se baigner dans un lieu de drague
homosexuelle. Pour taper la discussion, il se rapproche d’Henri, quinqua
bedonnant, désabusé, revenu de ses années de partouzard, largué par sa femme,
et qui passe ses vacances assis à regarder le lac, à l’écart des autres. Pour
la baise, Franck repère Michel, un beau brun, excellent nageur. Un soir, planqué dans les hauteurs boisées qui dominent le lac, Franck surprend un couple à
l’eau. Il pourrait penser à deux amants qui s’amusent, mais au bout d’un
moment, plus de doute. Il assiste à un meurtre. Problème, le criminel est
justement ce beau brun sur lequel il a jeté son dévolu. L’attirance qu’il
ressent est plus forte que la peur, et Franck noue une liaison avec Michel…
Franck et Henri |
La
mise en scène d’Alain Guiraudie s’appuie donc sur des scènes répétitives. Ce
qui peut agacer à la longue, sauf que rien n’est laissé au hasard. Le plan
d’ensemble sur le parking, à chaque fois que Franck arrive en R25,
par le même chemin, est intéressant si on regarde bien les voitures
qui y sont garées. Et notamment une 205 rouge, qui les premières fois change de
place, puis reste à la même : la voiture de la victime, qui logiquement,
après le meurtre, ne bougera plus. Détail qui n’échappe pas au flic du film,
qui s’emporte : vous vous connaissez tous ici, c’est une petite
communauté, une voiture reste trois jours sans bouger, et personne ne
s’inquiète, ne donne l’alerte !
Il
y a aussi le trajet pour se rendre du parking à la plage, long, à travers les
bois, les buissons. La plage est donc hors de vue du parking (idéal pour tuer quelqu'un). Là, par contre, Guiraudie
aurait pu s’abstenir de répéter le plan à chaque fois, on avait pigé dès le
début. Quand Franck arrive sur la plage, tous les regards se tournent vers lui.
Libidineux, curieux, ou simplement polis. Mais ça joue sur l’ambiance
légèrement angoissante du film.
Franck et Michel |
Il
y a les rencontres entre Henri et Franck. Assis, sur les galets, ils font
connaissance. Aucune attirance, juste du temps consacré à
l’autre. Les dialogues sont simples, mais en disent beaucoup. Beaucoup de silence aussi, de gêne, de pudeur. Henri est là pour être seul, mais
il apprécie de plus en plus la compagnie. Dès le début, avec cette histoire de
silure (un poisson géant que l’on soupçonne d’avoir englouti plusieurs nageurs)
Henri jette un froid. Ce lac paradisiaque serait le
lieu de plusieurs noyades. C’est inquiétant.
Les
scènes entre Henri et Franck sont parmi les plus réussies, les deux comédiens
sont excellents, surtout Patrick D’Assumçao (Henri). Cadrés toujours de la même
manière, de face, leurs discussions recèlent de vrais moments de vérité. Le
film est rythmé par des plans de nature, arbres, feuillages, nuages,
magnifiquement filmés. Des respirations.
Et
puis, il y a dans les bois, dans chaque recoin de buissons, des hommes qui
baisent. Les scènes de sexe sont explicites. L’endroit est une
plage naturiste, et les acteurs sont la plupart du temps nus. Guiraudie les
filme comme le ferait n’importe quel réalisateur, à l’exception des maillots de bain ! Et c’est toujours magnifiquement filmé, cadré. Les mateurs planqués dans
l’ombre, les corps
entrelacés, presque invisibles, unions clandestines. Le travail sur le son est remarquable, le frissonnement
des feuilles dans le vent, qui participe pleinement au suspens, voix off, clapotis de l’eau, bruits de pneus, chaussures sur les galets.
On
a beaucoup glosé sur l’éjaculation en gros plan. Ce qui me gêne n’est
pas l’acte en soi, mais le plan. C’est un insert, donc rajouté au montage.
Alors qu’il aurait été logique, vu le parti pris pour les plans séquences, de
filmer en continu, Guiraudie insère ce plan pour une raison simple : les
comédiens sont doublés dans les scènes hard. Dommage, car c’est une vieille technique de film porno à
deux balles, et il est regrettable que Guiraudie use d’un tel artifice, alors
que les détracteurs hurlaient (à tort) à la pornographie.
L’aspect
thriller s’immisce lentement. On questionne, on cherche, on soupçonne. D’autant
que beaucoup d’hommes sont là clandestinement. On préfère ne pas trop se faire interroger par la police. Michel, après le meurtre,
repère une R25 sur le parking. Il y avait donc encore quelqu’un sur place ?
Un témoin ? Plus tard, il raccompagne Franck à sa voiture, et
constate : c’est la tienne ? On devine alors qu’il sait. On est donc
dans le registre hitchcockien du suspens. Le spectateur à les informations en
main, le témoin sait qui est le tueur, le tueur sait qu’il y a eu un témoin.
C’est d’autant plus glaçant que Michel (l’acteur Christophe Paou, excellent) a
une voix très douce, calme. Trop de sang-froid pour être honnête.
Sur
la fin, le film ne tient plus ses promesses. Alain Guiraudie traite le polar
dans les mêmes termes que le reste : minimaliste. Son flic évoque
davantage Monsieur Hulot que Philip Marlowe ! On n’y croit plus trop, à
ces allers-venues, à fouiner, en touriste (vous imaginez un James Bond filmé par Eric Rohmer ?). L’étau se resserre, Michel se sait
traqué, la nuit tombe, Franck est seul, il a peur, mais Guiraudie rate une
scène capitale, et tout s’effondre. On sent que ce n'est pas ce qui l'intéresse. Un peu bâclé. Dommage.
L’INCONNU
DU LAC est donc un film très singulier, une réussite formelle, sur l’image et
le son, les partis pris. Et il n’est pas dénué d’humour. Mais à force de ne
traiter que l’atmosphère, et moins ses personnages, Guiraudie nous perd un peu
en route. Un film sans doute pas aussi exceptionnel qu’on a pu
l’entendre ici ou là.
Vous
aurez deviné que ce film est (comme il est d’usage de le dire) réservé à un
public averti. Mais pas forcément inverti ! Il serait réducteur de n’y
voir qu’un étendard gay, comme ses détracteurs l’ont vite catalogué. Pour être
complet, lorsque je l’ai vu l’autre soir, il y avait dans la salle de petits
groupes de soixantenaires très chics et emperlousés, venus visiblement voir l’objet
du scandale. Ça s’est traduit par des gloussements incessants (et gênés ?), des
commentaires de bons goût (« Ooooh, c’est très instructif… ha ha ha ») des rires sur toute la dernière demi-heure. Un cauchemar… Filez-moi ma kalachnikov que je leur rappelle quelques
règles de vie élémentaires…
L'INCONNU DU LAC (2013) couleurs - 1h40 - format scope
v
o
Moi, j'y vois un étang dard gay.
RépondreSupprimerBien vu !
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