- B'jour M'sieur Claude, vous ne parlez pas souvent de Haydn dans ce blog
me semble-t-il ?
- Pas faux Sonia, quelques symphonies dont trois "londoniennes" en
presque 4 ans, c'est maigre, en effet…
- Je crois savoir qu'il a beaucoup composé et a vécu assez vieux, mais
peut-être est-ce un musicien secondaire ?
- Ô là ! Que nenni, il a traversé le siècle de Mozart, a débuté à
l'époque du baroque tardif pour atteindre les prémices du
romantisme…
- Une œuvre religieuse cette création ?
- Plutôt un oratorio mêlant textes bibliques et poésie, et dans une
interprétation un peu ancienne, certes, mais un must de Karajan avec des
chanteurs d'exception !
Second article dédié exclusivement à
Joseph Haydn. Nous avions écouté
3 symphonies londoniennes
il y a deux ans sous la baguette facétieuse de
Sir Thomas Beecham
et détaillé la biographie du compositeur qui, avec
Mozart
et
Beethoven, appartient à ce que l'on nomme la
trinité viennoise. (Clic). Ce n'est pas facile de partager 77 ans d'histoire de la musique
confronté à deux génies aussi célèbres. Né en
1732,
Haydn
a 18 ans lors de la mort de
Bach
et apprend la musique à l'époque du déclin du style baroque. Jusqu'à la fin
du XVIIIème siècle, l'Europe et l'Autriche n'a d'yeux (et
d'oreilles) que pour
Mozart. Quant à
Beethoven, il sera un élève indiscipliné de
Haydn, sans doute parce que le vieux maître n'est pas en accord avec les idées
audacieuses de celui qui deviendra le premier romantique.
Mozart
et
Beethoven
ont-ils fait de l'ombre préjudiciable à la postérité de
Haydn
? Vaste sujet…
Le XVIIIème siècle est friand d'opéras.
Haendel
en Angleterre,
Mozart
en Autriche et
Rameau
en France sans oublier
Gluck… et quelques autres.
Haydn
ne brillera pas dans ce répertoire et sa quinzaine d'opéras ne sera jouée
qu'à la cour du
Prince Esterhazy avant de
sombrer dans l'oubli (belle musique mais livret indigent). À ma
connaissance, seul
Antal
Dorati
en a enregistré un certain nombre dans les années 70. Pourtant
Haydn
ne dédaigne pas la musique vocale et compose plusieurs messes dont les six
dernières présentent un grand intérêt. Et c'est en entendant les oratorios
de
Haendel
à Londres :
Israël en Egypte,
Solomon
et bien entendu
le Messie
que va lui venir l'idée de composer en fin de carrière un oratorio qu'il
voudra monumental, le couronnement d'une vie de musicien…
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Vienne, 1796-1798. Jamais
Haydn
ne va consacrer autant de temps à l'écriture d'une œuvre. Le bonhomme était
capable de composer une symphonie dans la journée… Lorsqu'il quitte Londres
murissant déjà son projet, l'organisateur des concerts sacrés qui ont
fasciné
Haydn
lui propose un livret boursouflé pour un oratorio de quatre heures !!
Haydn, aidé du baron van Swieten,
amateur d'art et mécène, va l'alléger et le traduire en allemand. Comme le fera
Mendelssohn, quelques décennies plus tard, le livret ainsi rédigé sera traduit de
nouveau en anglais pour s'adapter aux deux publics. L'oratorio dure ainsi
deux petites heures. Pour résumer, le texte se nourrit d'extraits de
la Genèse, des
psaumes et du poème
Le paradis perdu de
John Milton (1608-1674). Deux
nouveautés vont permettre à
La Création
de marquer l'apogée de l'art classique et les héritages du baroque.
1 - Comme dans un opéra et les passions de
Bach, les chanteurs se voient attribuer des rôles précis. Les deux premières
parties mettent en scènes 3 anges :
Gabriel chanté par une soprano,
Uriel par un ténor et
Raphaël par une basse. Dans la
dernière partie décrivant le paradis, deux autres personnages clés :
Adam, rôle confié à un baryton
et Eve chantée par une soprano
qui peut être mise à contribution pour l'ange Gabriel.
Les airs sont précédés de récitatifs chantés par les solistes. Le chœur
mixte est imposant.
2 - Par ailleurs, l'orchestre prévu est gigantesque pour l'époque. (On peut
aligner 120 instrumentistes sur scène sans dénaturer l'esprit classique de
l'œuvre). (De base : 3/2/2/2, contrebasson, 2 cors, 2 trompettes, 3
trombones, timbales et bien entendu cordes à profusion, clavecin pour le
continuo des récitatifs). Un tel effectif annonce
Beethoven
et l'orchestre romantique.
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J'ai entendu deux fois
La Création
jouée en concert. En 1994,
dirigée par
Franz
Brüggen
(Clic)
et en 2006 sous la baguette de
Paul McCreesh. Deux interprétations avec des musiciens jouant sur instruments d'époque.
Excellent dans les deux cas, mais c'est pourtant l'enregistrement culte de
Herbert von Karajan
de 1966-1969 que je présente ce
jour. Le maestro autrichien a gravé plusieurs fois ce chef-d'œuvre, mais en
cette fin des sixties, le chef a apporté à sa
philharmonie de Berlin
une plasticité sonore qu'il ne retrouvera pas toujours à travers la
sophistication exagérée des prises de son ultérieures. Et puis, il va réunir
un plateau de chanteurs exceptionnels. Là encore, je ne suis pas certain que
cette génération de solistes de l'après guerre ait connu une réelle
concurrence dans les décennies suivantes (quoique...).
Karajan
réunit initialement 4 chanteurs principaux plus une alto pour un aria. Il
suit en cela la formule souhaitée par
Haydn. Le destin va changer la
donne. Ils seront six lors de la publication finale.
Né en 1930,
Fritz Wunderlich
se voit confier le rôle d'Uriel. C'est l'un des meilleurs ténors de son époque et même du siècle, statut
qu'il partagera avec
Pavarotti
et
Domingo… Chose rare, il est aussi talentueux pour chanter en allemand qu'en
italien. Tous les airs d'Uriel
sont enregistrés quand, à 36 ans, le chanteur fait une chute mortelle dans
un escalier.
Karajan
était un dénicheur de jeunes talents, s'asseyant incognito dans le fond des
salles de concert pour faire "du repérage". Il fait ainsi appel à un ancien
membre des
petits chanteurs de Vienne
qui n'a que 25 ans :
Werner Krenn. Le jeune homme assume les
récitatifs manquants avec une
aisance qui équilibre parfaitement la qualité de l'ensemble. Certes le
projet prend deux ans de retard, mais le résultat méritait la
patience.
Dans les années 60,
Karajan
aimait travailler avec une équipe de chanteurs fidèle. Premier exemple avec
Gundula Janowitz (née en 1937). La jeune diva aux aigus cristallins et même séraphiques
avait déjà participé aux gravures du
Requiem Allemand
de
Brahms (Clic), de la
9ème
de
Beethoven
et chantera les
quatre derniers lieder
de
Strauss
en 1974. Elle tient les deux
rôles de Gabriel et
Eve.
On retrouve au coté de la cantatrice et du chef la basse
Walter Berry
dans le rôle de Raphaël. Encore
un habitué des gravures historiques de cette période, notamment une
Missa
Solemnis
de
Beethoven
qui n'a pas pris une ride. Apprécié de
Klemperer
et
Karajan, on lui doit des grandes interprétations dans les passions de
Bach
ou des opéras majeurs de
Wagner
comme
Parsifal
ou
Tristan. (1927-2000).
Pour Adam, le chef choisit
Dietrich Fischer-Dieskau. Le baryton déjà expérimenté apporte sa voix chaude et velouté qui sied au
rôle d'un jeune homme, une créature divine mais juvénile et non un prophète
à la voix de stentor.
(Clic) (1925-2012).
Christa Ludwig, Madame
Walter Berry
à la ville à cette époque, est invitée pour
l'aria n°34 qui conclut
l'ouvrage. C'est peu pour l'une des plus grandes voix du XXème
siècle. Mais si Me
Karajan
exigeait une alto dans ce passage, il voulait aussi la meilleure, même pour
quelques minutes ! On ne se refait pas.
Quand au guide suprême de ces disques, on ne le présente plus. La
coqueluche des amateurs de musiques orchestrales pendant 40 ans a bénéficié
d'un portrait détaillé, et même people, dans la chronique consacrée au
Requiem allemand
de
Brahms…
Karajan, la légende… Son génie et son ego...
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Marc Chagall : La création de l'homme |
La création de
La Création
(elle est bien bonne) a lieu le 30 avril
1798.
Haydn
disposait d'un grand effectif. Le
palais Schwarzenberg était
bondé de tout ce que l'Europe comptait de nobles cultivés, de musiciens et
d'intellectuels influents qui attendaient l'évènement. Les moins fortunés se
pressaient dans la rue espérant entendre quelques bribes. Le public devra
attendre un an et s'arracher à prix d'or les billets lors des quarante
représentations données dans les temps qui précèdent la mort de
Haydn
en 1809.
L'ouvrage est découpé en trois parties :
- Chaos et création de la terre et de la lumière, des astres, des eaux et
des plantes. (Jours 1-4)
- Création des animaux, de tout ce qui vit sur terre et dans la mer et
d'Adam. (Jours 5-6).
- Le repos de Dieu et le bonheur d'Adam et Eve (7ème
jour).
L'ensemble comprend 34 sinfonias, récitatifs, airs et chœurs et leurs
combinaisons. (33 vidéos dans la playlist, les N° 26 à 28 sont
fusionnés dans la vidéos 27). Écoutons quelques passages :
1 - Prélude : la représentation du Chaos (Playlist 1)
: Un tutti orchestral appuyé par la timbale symbolise le bigbang originel.
L'esprit de Dieu flotte dans le vide. Pour peindre le chaos,
Haydn développe une magnifique complainte au style apparemment anarchique. Le
tempo est adagio. Cordes, bois et cuivres se bousculent, hésitent, suivent
une ligne mélodique sinueuse.
Haydn
abuse volontairement des syncopes. L'une des plus belles pages orchestrales
de l'auteur de 104 symphonies, une des plus modernes aussi : une forme
sonate avec ses motifs contrastés mais sans les cadences qui briseraient la
beauté immatérielle et intemporelle du passage.
(Playlist 2) : C'est Raphael (basse) qui
chante les premiers vers : la création de la terre, informe et sombre. Le
chœur rappel dans un murmure que l'Esprit de Dieu flotte au dessus de
l'abîme.
Haydn
fait jaillir du chœur la phrase "Et la lumière fut". C'est théâtral,
mais à l'époque cela surprit par son audace, presque un cluster.
Walter Berry
joue de son timbre baryton-basse avec subtilité pour narrer ce récit de la
genèse et non le déclamer. Il intervient seul ou en duo avec le chœur et là,
de remarquer, prise de son aidant, la ductilité et la clarté de la mise en
place de l'ensemble par
Karajan. La puissance divine est présente tant dans le jeu des musiciens que dans
l'expression, mais
Karajan
évite emphase.
(Playlist 5)
:
Chant de reconnaissance
:
Gundula Janowitz
illumine de sa voix raphaélique cet hymne chanté en duo avec le chœur. La
force de cette artiste dans les extrêmes aigus m'a toujours fasciné. Elle
tient ici le rôle de l'ange
Gabriel qui loue le
Créateur.
(Playlist 14)
:
Fin de la première partie. C'est un trio des
3 anges avec en alternance des
interventions du chœur. Au
N° 12, une somptueuse et
élégiaque phrase aux cordes en forme de marche triomphale (pas trop)
annonçait la conclusion de la première partie. Puis, un récitatif assuré par
Fritz Wunderlich
résume la création de la lumière et des astres, surtout du soleil. Quelle
voix ! Virile et sans débordement.
Fritz Wunderlich
ne force jamais le trait. On retrouve ensuite les trois solistes d'exception
en duo avec le chœur final baigné par les belles couleurs de la
Philharmonie de Berlin
au son très articulé grâce à la maîtrise de son chef. Une limpidité pas
toujours présente dans ces grandes œuvres chorales.
(Playlist 31-33 : Duo d'Adam et Eve et Chœur final
: La musique s'écoule sur un tempo andante. Haydn imagine une mélodie
pastorale et diaphane pour accompagner nos deux ancêtres qui vivent le
parfait bonheur avant une sombre histoire de pomme maléfique… Il y a
toujours un truc pourri pour gâcher la fête, mais cela
Haydn
n'en parlera pas ! Masculin mais jouvenceau,
Dietrich Fischer-Dieskau
campe un Adam attentionné et
poète à ses heures. Sa voix velouté se marrie à merveille avec l'aigu
sensuel d'Eve chanté par
Gundula Janowitz. Sans doute le plus humain des couples originels de toute la discographie.
La ligne de chant se veut fluide, sans maniérisme. Nous ne sommes pas à
l'opéra ; pas de vocalises. Flûtes, cors et bassons chantonnent dans les
ramures du paradis terrestre en écho aux deux voix d'exception.
Herbert von Karajan
dirige le chœur final avec spiritualité, obtenant un équilibre parfait entre
le niveau sonore du chœur et les interventions des solistes. Un chant de
louange d'une étonnante légèreté et spontanéité. Oui ! Sans doute l'une des
plus belles versions sur instruments modernes.
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Également avec la
Philharmonie de Berlin,
Igor Margevitch
a réalisé dans les années 50 une
Création
qui a ses adeptes, essentiellement chez les allergiques à
Karajan… par principe snob. Le plateau ne comprend que trois chanteurs :
Irmgard Seefried
(Soprano),
Richard Holm
(Ténor),
Kim Borg
(basse). Des grands chanteurs hormis
Richard Holm
qui se croit dans une
Passion
de
Bach
et gomme toute l'imagerie colorée voulue par
Haydn. Quant au duo Eve-Adam, le grave magnifique mais sévère de
Kim Borg
donne l'impression d'un
Adam patriarcal ayant épousé
Eve -
Irmgard Seefried
en 4ème noce. Reste la direction enjouée de
Markevtich
malgré le son ingrat. (Dgg – 4/6)
Sur instruments d'époques mais débarrassées du style baroque hors de
propos, deux belles versions sont disponibles sans se concurrencer.
William Christie
avec son ensemble
Les Arts
Florissants
a apporté un regard neuf avec des couleurs franches et une lisibilité
exceptionnelle (Le Chaos est une merveille). Le duo
Adam et
Eve chanté par
Markus
Werba
et
Sophie Karthäuser
est d'une touchante tendresse (Erato
– 6/6).
Enfin, une curiosité du chef anglais
Paul McCreesh
dont nous avions salué la réalisation du
Messie
de
Haendel
dans le blog
(Clic).
Avec 100 chanteurs et 120 musiciens, le maestro a enregistré la version
anglaise de
La Création. C'est majestueux, jamais massif, le duo
Adam et
Eve bien chanté sans
affectation mais j'aurais aimé un peu plus de tendresse comme chantait Brel…
Heuuu dans un tout autre sujet ! (Archiv
– 5/6).
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Pour ceux qui
souhaiterait découvrir une interprétation
en vidéo : un concert de
Leonard Bernstein
donné en 1986 avec
l'orchestre de la
Radiodiffusion Bavaroise.
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