mercredi 22 octobre 2014

MOJO "Never Too Late" (2011)



     Mojo, c'est l'histoire d'un humble trio, bien de chez nous, passionné par les douze mesures, qui, bon an mal an, a œuvré pour prêcher la bonne parole tout en se faisant plaisir, sans se compromettre. Car ces gaillards militent pour une approche assez pur du Blues.

     Mojo, c'est le bébé de trois Alsaciens qui vibrent pour le Blues d'après-guerre, avec une prédominance pour celui de Chicago, principalement pour celui du label Chess. Du moins c'est se qui ressort de leur approche, mais il est évident que leur culture est vaste, et qu'elle s'étend sur tous les états des USA. En ce sens, on peut également mentionner l'éthique du défunt label Black Top. Ainsi, on n'est nullement étonné que le trio mentionne dans ses influences Lucky Peterson, Ry Cooder, et les Fabulous Thunderbirds. Au sujet de ses derniers, on décèle bien des fois des licks typés Jimmie Vaughan chez Jipes, le guitariste et chanteur. Jipes a d'ailleurs la même approche puriste de la guitare que le Texan.
Mojo, c'est un trio constitué de Jean-Pierre « Jipes » Dangy, guitariste-chanteur (1), de Raphy Bindler, bassiste, et de Mitch Olivier, batterie.


     Tout commence en 1995, à Mulhouse, où ces trois passionnés, à force de jammer entre eux, décident d'officialiser leurs réunions en fondant un groupe. Et ainsi, bien décidés, ils partent dans un premier temps à la conquête de l'Alsace. C'est le début d'une belle aventure qui leur permet d'acquérir une réputation dans la région, mais aussi de s'exporter au-delà ; dans d'autres régions, mais aussi en Allemagne et en Suisse. C'est aussi le vecteur permettant de chauffer la scène pour d'illustres musiciens. C'est donc avec fierté que les Mulhousiens ont eu l'honneur d'ouvrir pour Popa Chubby, Jay Gordon,Tino Gonzales, Ange, ainsi que les regrettés Calvin Russel et Alvin Lee (1). Des premières parties qui ont bénéficié d'un bon accueil du public.

     Enfin, en 2011, après quelques Ep, c'est l'album : « Never too late ». Un titre qui en dit long. Il n'est jamais trop tard pour faire un disque ; quand l'occasion se présente il faut y aller, quelque soit l'âge (ce ne sont plus des jeunots de vingt piges) et les aléas de la vie. On fonce. L'album est aussi une manière de célébrer les quinze années d'existence du trio.

« Never too Late » sonne bien plus franchement Blues que Blues-rock. Notamment grâce à une approche assez puriste qui inocule cette sensation. La cause principale étant due à la guitare qui paraît ici totalement dépourvue d'effets ; se démenant seule, sans même l'aide d'un petit compresseur ni la moindre overdrive ou booster. C'est du branchement direct dans l'ampli. Garantie 100 % sans fioritures. Chose plutôt rare de nos jours. Ça sonne pur Fender. Jipes kiffe sur les Telecaster et les Stratocaster (il possède une Thinline Nash 72 ainsi qu'une Stratocaster Reissue 57' qui font sa fierté) ; il branche ses grattes dans un ampli Fender Concert 63' (modèle peu courant et peu connu) et dans un Laney (3).

L' ensemble est assez cru, ça sonne live - prise de son en direct - comme enregistré dans un petit club (en réalité dans le studio de Claude Demet, aka Chouchou, guitariste d'Ange de 77 à 1990, décédé le 4 septembre 2013 à 65 ans). Une direction qui pourrait rebuter tous ceux qui ne supportent le Blues qu'à grands renforts d'overdrive et de wah-wah mais qui par contre devrait séduire tous ceux qui regrettent un manque de retenue et de réserve chez les jeunes loups.

Morceaux choisis :
-La reprise de Lucky Peterson, bien groovy, de « Your Good Things is about to run out », dans une optique plus épurée, qui va à l'essentiel, qui ne se perd pas dans des soli à rallonge. On remarque d'entrée un jeu de batterie pointu, maîtrisant le rythme avec fluidité ; une batterie riche en cymbales qui sont bien mises en valeur et bien restituées par le mixage (état rare).
- « Get Loaded » aux effluves marécageuses générées par une slide rampante et visqueuse, et une basse spongieuse.
- »Cadillac Assembly Line » du compositeur Rice Mark. Là encore, le jeu de Mitch Olivier, ici d'obédience « jungle-funky », fait des merveilles. Bien épaulé par la basse bondissante de Ben, qui a bien retenue la leçon des piliers du son de la Motown et de Stax. Ici, point d'oripeaux qui grévaient la version d'Albert King (de 1976 sur « Truckload of Lovin' » - premier opus de l'après Stax) ; exit les violons à la Barry White, la wah-wah robotique et le piano caverneux. Seul le jeu de basse a été retenu, toutefois son tempo est accéléré. Du coup, l'original pourrait faire figure de copie boursouflée (s'il n'y avait, évidemment, la voix et la guitare d'Albert).
- Le nonchalant « Don't you want to mine » qui fleure bon la Nouvelle Orléans, dans un style coincé entre un Snooks Eaglin' et Earl King.
- « Never make your move too soon » (écrit par Stix Hooper et Will Jennings), la fringante reprise de B.B.King, travaillée à la slide à la place des attaques de B.B., prend ici des accents de British-blues pas loin d'un John Mayall, ou d'un Chicken Shack, voire d'un Savoy Brown.

- Le sautillant « Got a Girl », non dénué d'humour avec cette slide en rythmique qui paraît aussi glissante que des escarpins sur un bloc de glace.
- « The Crawl » (de Schuler Wayne et Victoria Raymond) dont on connaît surtout la version par les Fabulous Thunderbirds (album « What's the Word ») et celle de Johnny Winter (album « Raisin' Cain"). Mais il y a aussi celle de Guitar Junior de 1952, qui deviendra plus Lonnie Brooks.
- Le final, "J'marche doucementla seule chanson chantée en français, est roots et frais. Une pièce acoustique (slide à la guitare à résonateur, plus exactement une National, un ukulélé, des balais de batterie et une contrebasse?) hélas trop courte (1,57). Une très bonne composition de Benoît Blue Boy.

Au final, un bon album de Blues cru, franc du collier, honnête, sans esbroufes. Une très bonne carte de visite qui démontre une certaine versatilité - dans le Blues - sans se compromettre. 

     L'album suivant, en préparation, promet de fortes belles choses en choisissant, cette fois-ci, de plus le travailler. Ainsi, la guitare de Jipes se pare désormais d'une robe plus chaude, des cuivres et un harmonica viennent étayer occasionnellement l'affaire avec quelques chœurs en renfort. D'après le teaser présenté ci-dessous, ça risque de faire mal.

(1) Jipes est également connu sous le pseudonyme Jipes Blues ; identité sous laquelle il poste des vidéos sur Youtube, animait un blog sur le Blues (aujourd'hui disparu ?), et apporte quelques commentaires éclairés – sur les chroniques relatives aux Blues – du Déblocnot. Parallèlement, Jipes fait parti du collectif de dix musiciens réunis sous le patronyme de Soulmaniacs. Un groupe qui nage dans la Soul et le Rythmn'n'blues des années 60 et 70. Et comme si cela ne lui suffisait pas, il a son Jipes Project pour des compositions personnelles plus intimistes aux parfums folk et jazzy.
(2) Cette prestation en ouverture de cette légende du British-blues sera l'occasion d'un premier enregistrement qui servira de carte-de-visite.
(3) Marque Anglaise d'amplis, fondée par Lyndon Laney qui arrêta sa carrière de musicien (il joua avec Robert Plant et Jason Bonham) pour se consacrer à la confection d'ampli. Tony Iommi en fut un grand consommateur. On peut citer aussi George Lynch, Blackmore, Paul Gilbert, Ace Frehley, Robert Plant, Andy Timmons.






Pas pu résister à placer cette ballade que Jipes a composé pour son ami Denis, disparu cette année.

1 commentaire:

  1. Waouh !!!!!!!!! Merci quelle belle chronique ca fait plaisir de lire quôn a compris et adhéré à notre démarche Un grand merci Bruno !!!!!!!!!!

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