APPORTEZ-MOI
LA TETE D’AFREDO GARCIA doit être un des films de Sam Peckinpah les plus secs.
Près de l’os. Dans ses films précédents, même les plus violents, il y avait un
peu d’héroïsme, des valeurs, et cinématographiquement, des moments de bravoure,
du spectaculaire (l’explosion du pont dans LA HORDE SAUVAGE). Ici rien, ou si
peu. Mais un début très romantique, pour mieux marquer le contraste. Une belle
image d’un lac, avec des canards, et une jeune fille sur la rive. Elle est
enceinte, en robe blanche. Et des hommes armés viennent la chercher, pour la
livrer à une sorte de tribunal familial. Le patriarche, El Jefe, sorte de Don
Corléone mexicain, fait avouer à sa fille par la force, le nom de celui qui l’a
mise enceinte : Alfredo Gracia.
Jusqu’ici,
ce dit-on, on est dans un western. Y’a des chevaux, des cowboys, des colts à la
ceinture… Et El Jefe est joué par Emilio Fernandez, le général de LA HORDE SAUVAGE. Et
non. Un homme surgit dans le cadre, en cravate, un américain : Quill. Qui
reçoit pour consigne de ramener la tête d’Aldredo Gracia, contre un million de
dollars. Quill et son complice (et amant ?) Sappensly, écument les
troquets, tombent sur un pianiste barman du nom de Benny. Qui sait où se trouve
Alfredo Garcia. Ils passent un contrat de dix mille dollars avec Benny, qui
court annoncer la nouvelle à sa fiancée Elita, une ex d’Alfdredo. Et là, pas de
bol. Benny apprend qu’Alfredo est mort, renversé par une bagnole trois jours
plus tôt… Les dix mille billets s’envolent…
C’est
le départ d’un road-movie macabre, où toute morale aurait été bannie. Ca n’empêche
pas les sentiments. Benny et Elita élaborent un plan, et cela se fait dans une
longue scène, au lit, l’actrice est nue. Pas une once d'érotisme pourtant, Peckinpah nous plonge dans leur intimé immédiatement,
jusqu’au détail sordide, les morpions. Et il se dégage une proximité immédiate
avec eux. Ils s’aiment, pas de doute. Ensuite une longue séquence de voyage, et
un long dialogue, sous un arbre, et des promesses de mariage. Mais le ciel s’assombrit,
y’a ce break vert foncé qui n’arrête pas de les suivre.
Deux
motards (dont Kris Kristofferson, un fidèle du réalisateur) tentent de violer Elita. Mais Elita renverse
la situation en charmant son agresseur. Une scène ambigüe, dont je ne vois pas
la signification. Ça ne va pas faire baisser la côte de machisme dont est taxé
Peckinpah. Comme le titre du film l’indique, le plan est d’aller déterrer le
cadavre d’Alfredo Garcia, et en couper la tête. Mais ça ne se passe pas comme
prévu, il y a la famille (c’est sacré la famille), il y a les concurrents, il y
a la malchance.
A
partir de là, Sam Peckinpah déroule ses chenilles, une équipée macabre, un
dialogue entre un homme et une tête, qui pourrit dans un sac en toile couvert
de mouches. Benny développe une jalousie post-mortem ! Sa route est
ponctuée de fusillades. Ça va crescendo, ça vire au massacre, et c’est filmé
sèchement, moins de ralenti, moins de ballets. C’est rugueux, pas de chichi. Benny,
toujours caché derrière des lunettes de soleil (les mêmes que Peckinpah porte
tout le temps aussi…), même au pieu, trace la route, en rouge vif. Il remonte
la hiérarchie, veut son fric, mais ses motivations vont peu à peu changer, un
sentiment de vengeance, le baroud d’honneur.
APPORTEZ-MOI
LA TETE D’ALFREDO GARCIA a été un échec, un de plus pour Peckinpah en disgrâce
avec les studios. PAT GARRET ET BILLY THE KID, le précédent, avait été amputé
de moitié. Faut dire qu’il n’y met pas du sien ! APPORTEZ-MOI est rêche,
sent la poussière, il est chaotique. Il n’y a pas de la part de Peckinpah l’envie
de sublimer quoique ce soit. Benny est une machine de guerre, comme le tueur
joué par Michael Caine dans GET CARTER, il remonte les échelons, et Peckinpah
empile les cadavres.
On
peut voir dans ce film une allusion à la politique américaine extérieure de ces
années-là. Quill et Sappensly, les deux américains, et leurs propres chefs, des
mecs cravatés dans un bureau aseptisé, l’aide qu’ils apportent au petit tyran
El Jefe, ressemble beaucoup aux interventions de la CIA dans les dictatures d’Amérique
du Sud. Vers la fin du film, dans le bureau des big boss, on voit un mec en
caleçon se faire masser les pieds par une pin-up, il bouquine Times magazine
avec en couverture Richard Nixon. Image grotesque, qui résume efficacement les
pensées de l’auteur !
On
peut remarquer aussi que, comme dans LE PARRAIN, il y a un baptême, un Jefe tout
puissant, des rancœurs familiales, et beaucoup de morts. Et la dernière scène,
avec la fille au visage diaphane du Jefe, les statures nobles, la symétrie du lieu, on est
presque dans une tragédie antique, opéra sanglant. Mais sans l’esthétique très classique de Coppola, fait d’or
et du rouge. APPORTEZ-MOI LA TETE D’ALFREDO GARCIA n’est sans doute pas un film
facile, par ce refus du récit romanesque traditionnel. Il y a des ruptures, des
faux-rythmes. C’est une histoire atypique. D’habitude on cherche de l’or, des
billets, un type vivant, sa propre liberté. Mais là, non. Le film est marqué par son nihilisme,
sa noirceur.
C’est
Warren Oates qui joue Benny, on l’a vu dans presque tous les Peckinpah, et dans
beaucoup de films importants du Nouvel Hollywood (LA BALLADE SAUVAGE, DANS LA
CHALEUR DE LA NUIT). Il est aussi hallucinant qu’halluciné. Il mourra d’une
crise cardiaque en 1982, à 53 ans. Deux ans tard, ce sera Peckinpah, pas
tellement plus vieux, pour les mêmes raisons. Elita est jouée par Isela Vega,
vedette mexicaine, qui tente vainement d’infléchir le film vers de meilleurs
sentiments. C’est pas gagné. Quoique. Peckinpah reprend à la toute fin de son
film, l’image du début, le lac, le calme.
On
remarquera des plans récurrents dans des miroirs, je ne sais pas pourquoi, mais
c’est un miroir qui sauvera la peau de Benny à un moment. Et puis un truc pour
finir, pour briller en société. Au début du film, Benny demande à Quill comment
il s’appelle, et celui répond avec malice : Fred C. Dobbs. Curieux, en
français, ou en sous-titre, c’est : Humphrey Bogart. Pourquoi avoir changé
le nom français ? Parce que Dobbs est le nom du personnage joué par Bogart
dans LE TRESOR DE LA SIERRA MADRE de John Huston. Et si le clin d’œil passe
pour le public américain, pas sûr que les européens pigent l’idée de la scène.
On aurait pu croire que le mec s’appelait vraiment Dobbs, pourquoi pas. Mais Humphrey
Bogart, non. On comprend alors que Quill se fout de la gueule de Benny, et on comprend surtout que Peckinpah connait ses classiques !
APPORTEZ-MOI LA TETE D’ALFREDO GARCIA (1974)
d'après une histoire et un scénario de Sam Peckinpah / couleur - 1h50 - format 1:85
o
Une éternité que je l'ai pas vu ce "Bring me the head ..."
RépondreSupprimerDans mes souvenirs, ça reste un bon film (Peckinpah a t-il d'ailleurs tourné des films anodins ?) "pour hommes", l'impression d'un road movie gothique et glauque, avec cette tête dans un sac entouré de mouches ...
C'est ça, c'est pas le plus comique qu'il ait fait, c'est presque surréaliste à force de bizarreries ! Et non, je ne crois pas que Peckinpah ait tourné un mauvais film... Disons qu'il n'avait pas toujours les mains libres pour faire ce qu'il voulait vraiment...
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