Au moment où il écrit ce livre, Nik Cohn a 22 ans. Et c’est sans doute l’information essentielle pour bien appréhender cette Bible. Nous sommes en 1968. Nik Cohn est jeune journaliste de rock, un métier qui n’existe même pas encore. A WOP BOP A LOO BOP A LOP BAM BOOM, est le premier livre d’un genre nouveau, un livre sur la musique Pop. On dirait aujourd’hui sur le Rock. Mais à l’époque, Mozart faisait du classique, Charlie Parker du jazz, les autres faisaient de la Pop, Petula Clark ou James Brown dans le même sac.
Sans commentaire... |
Eddie Cochran et Gene Vincent |
Il
commence son bouquin (chronologiquement, puis par thématique) par Bill Halley,
le trentenaire bedonnant avec l’accroche cœur collé au front par une tonne de
gomina. Historiquement, c’est le premier [clic pour ROCK & CINEMA, les pionniers] mais le mec n'est pas franchement bandant. Puis vient
Elvis Presley, forcément, le King incontournable, celui qui a fait décoller la
machine, a posé les fondations, celui qui chante mieux que tous les autres,
celui qui représente l’interdit, le sexe, la moiteur, les élans de la jeunesse,
mais qui se perd dans les affres hollywoodiennes, les ballades pour bourgeoises
ménopausées.
Nik
Cohn passe en revue tous les représentants du genre, les pionniers, en
qualifiant parfaitement leur style, les Chuck Berry, les Jerry Lee, les Fats
Dominos, les Little Richard, les éphémères Buddy Holly, Gene Vincent, et le
chouchou Eddy Cochran (décédé à 21 ans). Mais plus encore, les oubliés, The
Everly Brothers, Charlie Rich, The Four Seasons [clic sur l'article JERSEY BOY, le film]. C’est ce qui donne tout l’intérêt à ce bouquin,
redécouvrir un tas d’interprètes catapultés aux sommets des hit-parades, les
sosies d’Elvis, les clones édulcorés, délavés, le genre Highschool, équivalents
de nos yéyés, les Paul Anka, Ricky Nelson, les minets à minettes qui ne font pas
peur aux parents, Pat Boone, la Surf Music, le Twist de Chubby Checker qui
enflamme les dance-floor branchouilles, Connie Francis, Tommy Steele, et en Angleterre, Billy
Fury, Cliff Richard, Adam Faith, Dion... la bataille rangée entre les Teds et les Mods.
Nik
Cohn ausculte ce qui se passe aux USA et en Angleterre. Il mêle dans un même
chapitre les grands noms et les minables, ceux issus de l’industrie commerciale, ce qui nous vaut quelques
portraits mordants et tordants. En répétant plusieurs fois : "avant que les
Beatles ne débarquent". Son analyse du
phénomène Beatles est assez pertinente. Il remet parfaitement en perspective ce
que les quatre de Liverpool ont apporté au Rock. Comme les Stones, ou les Who.
Mais selon son crédo, la Pop est éphémère, et il les dézingue bien vite. A
partir de SERGENT PEPPER, c’est de la branlette. La moitié de bons titres, le
reste à la poubelle, et la suite est tout simplement chiante, comprenez le DOUBLE BLANC. Cohn se fout pas mal de la Pop sauce curry de Georges Harrison, avec Maharishi Mahesh Yogi, devenu le guide spirituel des stars en manque de LSD. C'est tellement vrai. Et l’autre, Mick Jagger, il avait les burnes et le fric pour changer le monde, mais il préfère gueuletonner à Saint Tropez…
Tom "sex bomb" Jones |
Grace Slick |
Il
faut vraiment garder à l’esprit que ce livre a été écrit en 1968, que Nik Cohn
n’avait pas le recul pour juger de l’influence de nombres d’artistes sur les
décennies à venir. Il dit par exemple de Jimi Hendrix, excellent guitariste, que
son public ne faisait pas la différence entre ses fulgurances et ses figures
grossières. Que s’il avait été sifflé plus souvent pour ses couacs et ses clowneries, plutôt qu’acclamé
systématiquement, ça lui aurait rendu service. Nik Cohn reconnait à Eric
Clapton autant de talent, techniquement, mais davantage de lucidité quant à son
propre statut (jusqu'à ce qu'il décide de se mettre aussi à chanter !).
Nik
Cohn a révisé son livre en 1972. Mais ne corrige pas le tir. Il loue Creedence
Clearwater Revival ou James Taylor dans ceux qu'il confesse avoir oubliés, mais expédie en une ligne Pink Flyod, Ten Years
After ou Led Zeppelin. Pour lui, l’important n’est sans doute pas la chanson,
la production, ou le chanteur. Bien que savoir chanter est le strict minimum
dans ce métier : la météore étincelante, Elvis, le sirupeux de ses dames,
Tom Jones, le stentor Roy Orbinson, le talent évaporé de Steve Winwood. Ce qui compte c’est le son, le
bruit, la déflagration. Le texte importe peu, la preuve, A wopbop A loobop, A
lop bam Boum, le fameux gimmick à la fin du refrain de "Tutti Frutti" de Little Richard. Enfin ça c’était avant Dylan car après il a fallu se fader les poètes rock ! Cohn est conscient de ne pas pouvoir
citer tout le monde, n’oublions pas qu’il n’avait comme archive
que sa mémoire, ses disques, ses rencontres.
A
WOP BOP est un bouquin absolument passionnant, à la hauteur de sa réputation.
Pionnier du genre, Nick Cohn étudie à la loupe 15 ans de musique Pop, qu’elle
soit Rock, Blues, Soul, Country, Folk, Psychédélique, et livre son éclairage.
On adhère ou pas. On se dit Ouais il n’a pas tort… Oh il exagère… Ah non,
merde, c’est faux !! Et ce qui ne gâte rien, c’est merveilleusement
bien écrit, drôle, spirituel, assassin, tendre, éminemment subjectif (son
obsession pour P J Proby). On pourrait être agacé par la prétention de Nik
Cohn, à 22 ans, de prétendre avoir tout vu, entendu, compris. Mais il
dresse un fulgurant panorama de la Pop musique, un bouquin devenu un classique (donc, qu'il aurait lui même déboulonné !) qui ne rougirait pas à trôner
en bonne place dans votre bibliothèque.
Eddie Cochran : "Summertime Blues" (on ne s'en lasse pas...)
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