samedi 24 mai 2014

Kurt ATTERBERG : Symphonie N° 3 – Ari RASILAINEN – par Claude Toon



- Bonjour M'sieur Claude… Vous nous emmenez où cette semaine ? Faire un tour en mer vu la pochette ?
- Pas faux ma petite Sonia, la 3ème symphonie d'Atterberg porte comme sous-titre "images de la côte ouest"…
- Encore un nouveau compositeur… cette année vous nous les sortez comme les lapins d'un chapeau, un allemand ?
- Non, un suédois, de la génération de Richard Strauss et que j'ai découvert récemment… un grand symphoniste…
- Mais M'sieur Claude… La côte de la mer Baltique en Suède est à l'est pas à l'ouest…
- Sauf au sud, ou la belle grande ville maritime de Göteborg est orientée vers la côte ouest, la mer du Nord, à mi chemin entre Oslo et Copenhague, en gros…

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C'est quand même cool internet ! C'est en navigant parmi les vidéos musicales de Youtube que je suis tombé sur les 9 symphonies d'un certain Kurt Atterberg. J'en ai écouté quelques-unes puis, emballé, j'ai commandé l'intégrale en CD : un beau coffret robuste avec un max d'explications sur les livrets des 5 CD, pas une petite boîte cartonnée avec des pochettes en papier, la classe, comme toujours avec le label CPO.
Après des décennies, on écoute les compositeurs inconnus ou oubliés par goût du renouveau, sans trop s'attendre à renouveler l'expérience magique de sa première audition d'une symphonie de Beethoven, de sa première symphonie de Mahler ou d'une passion de Bach. Et bien là les amis, le début était prometteur et, arrivé à la symphonie N°3, la claque !! D'où mon choix pour partager la découverte avec les plus blasés des mélomanes classiques, et aussi les autres, pourquoi pas. Les amis rockeurs doivent avoir aussi ce genre de révélations tardives, un groupe un peu oublié…
Et puisque j'évoquais Richard Strauss, je me demande si chez Atterberg, on ne retrouve pas la même puissance et folie orchestrale, le même sens du cataclysme que chez le bavarois mais en "moins bourrin" comme dirait Bruno… Enfin je parle des seconds choix de Strauss comme Aus Italian ou la calamiteuse symphonie domestique, pas de Heidenleben (Une vie de héros)
Cheveux blond et yeux clairs, visage volontaire, je confirme, Kurt Atterberg est bien né en Suède, à Göteborg précisément, et en 1887. Il étudie le violoncelle, la direction d'orchestre et la composition, mais aussi les sciences appliquées, activité complémentaire qui lui apportera un diplôme d'ingénieur. Il va ainsi travailler de 1912 à 1968 au bureau suédois des brevets. Non, je n'ai pas tapé une ânerie (ça m'arrive), 56 ans de carrière scientifique tout en composant et en dirigeant. Un travail alimentaire, apparemment bien accepté, et la possibilité de s'adonner aussi à sa passion : la musique et à haut niveau !  
Il ne commencera à être connu comme chef que vers 1928. Mais il faut que je précise que sa seconde symphonie sera créée par lui-même en 1912, complétée, puis jouée dans toute l'Europe par des chefs illustres comme Arthur Nikisch (prédécesseur jusqu'en 1922 de Furtwängler à la Philharmonie de Berlin) et Richard Strauss en personne. C'est n'est donc pas vraiment un second couteau, et on comprend mal que cet homme à la vie tranquille (peut-être trop discrète) est pu tomber dans un oubli pareil. Il n'appartient pas au courant moderniste comme Bartók ou Schoenberg, et c'est sans doute le fait qu'il soit resté un postromantique qui l'a fait dédaigner de la nomenklatura musicale de notre temps.
Kurt Atterberg est mort à Stockholm en 1974.
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On compte peu de très grands compositeurs d'origine scandinave ! Pourquoi ? Mystère ! Les têtes d'affiche restent le finlandais Jean Sibelius (CLIC) et le norvégien Edward Grieg (CLIC). Le premier voit son concerto pour violon et son cycle de 7 symphonies joués très fréquemment. Né au Danemark, Carl Nielsen a également marqué la musique du XXème siècle avec un corpus de 6 symphonies bien enregistré mais qui reste plus confidentiel. Quant à la Suède… On a depuis une trentaine d'années redécouvert Franz Berwald (1796-1868) en le comparant à un Beethoven nordique. Heuuu, la comparaison est osée. Aucune de ses 4 symphonies ne s'imposerait face à l'une des 104 de Haydn ! Sympa, mais académique. Bref !
Kurt Atterberg retrouve grâce auprès des musiciens et merci et bravo à Ari Rasilainen  d'avoir réaliser cette intégrale avec les orchestres de la NDR de Hanovre ou ceux de Stuttgart et de Francfort. Des phalanges plus qu'honorables. Le chef Ari Rasilainen, né en 1959, a fait ses études à l'Académie Sibelius d'Helsinki d'où sont sortis nombre de grands chefs finlandais comme Esa-Pekka Salonen et Jukka-Pekka Saraste, ou la compositrice Kaija Saariaho qui a fait la une du blog pour la fraîcheur de ses compositions contemporaines (CLIC). Rasilainen  est également violoniste. Pour mémoire, c'est Esa-Pekka Salonen qui accompagnait Hilary Hahn pour le CD des concertos de Schoenberg et de Sibelius, un disque qui fit grand bruit ! (CLIC) Vous voyez le niveau de cet académie…
L'intégrale des 9 symphonies est disponible soit en CD isolés, soit dans le coffret à prix accessible. Les enregistrements se sont échelonnés de 1998 à 2003. Un travail de titan car les partitions sont plus rares que le graal. La prise de son est excellente.   
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La symphonie N° 3 intitulée "Images de la côte ouest" n'était pas au départ une symphonie. Kurt Atterberg avait composé trois "esquisses" symphoniques isolées lors d'un séjour sur l'ilot de Skaftölandet dans les environs de Göteborg entre 1914 et 1916. Je n'ai pas utilisé le mot esquisse par hasard, car la réunion des pièces en une symphonie cohérente me fait penser à "La mer" de Claude Debussy, également un tryptique de 3 esquisses avec un fil conducteur : la mer et l'impressionnisme. On retrouve dans la symphonie ce même fil conducteur, à savoir une inspiration musicale nourrie d'observations de la nature et des éléments marins. Les trois parties portent les sous-titres explicites de toute œuvre à programme : "Poudroiement de soleil", "Tempête", "Nuit d'été". Atterberg les a réunies en 1918 en une symphonie d'une grande puissance descriptive.
1 - Poudroiement de soleil : L'ouvrage débute par de longues phrases tranquilles aux cordes, colorées par un scintillement de petites notes au xylophone. Subjectivement, des rayons de soleil s'insinuent avec une infinie délicatesse. Les légers arpèges des cordes se chevauchent et suggèrent le ressac sur une grève de l'ile Skaftölandet. Suivant cette aube chatoyante, l'orchestre s'élance pour illuminer brièvement une scène d'un soleil plus ardent. La mélodie initiale reprend avec des arpèges aux harpes, une aurore orchestrale diaphane, chantante, voluptueuse… Quand je vous dis que j'ai pris une claque dès la première écoute ; je cherche mes mots pour définir l'étincelant kaléidoscope auquel nous convie Atterberg. Ce n'est pas une musique facile à mettre en place par le chef. Le risque du romantisme sirupeux se dissimule derrière chaque mesure. Ari Rasilainen contrôle tous les instrumentistes de son orchestre pour éviter cela, et nous offrir une ode symphonique illuminée de mille feux : harpes et pizzicati délicats, cuivres lointains faisant songer à un zéphire venu des ondes qui entourent l'île…

2 – Tempête : seconde claque ! Oh Atterberg n'est pas le premier à déchaîner les éléments par violences orchestrales interposées. Mais là, accrochez-vous et mettez le ciré ! Russell Crowe affronte la mer du Nord en mode cap Horn comme dans Master et Commander ! Les hostilités marines se déchirent dès les premières mesures : déferlantes aux cordes, écume aux percussions très riches. La grosse caisse s'attaque aux falaises projetant des geysers dantesques aux cuivres. Tous les pupitres se fracassent les uns contre les autres. Tous ces climax survoltés sont d'un niveau d'orchestration qui les rapproche des folies guerrières d'un Prokofiev (Suite Scythe) ou d'un Chostakovitch (symphonie 10 et 8). On pourrait ressentir des accents hollywoodiens dans ces déferlements puissants et pathétiques. Ari Rasilainen taille à la serpe cette furie. La richesse de l'orchestration, la vaillance des percussions et la virilité des cuivres rappellent la bataille d'une vie de Héros ou la tempête de la symphonie Alpestre de Richard Strauss. Mais là où le compositeur bavarois appuie le discours par des masses apocalyptiques et un peu lourdes des dizaines de cuivres, Atterberg préfère un flot farouchement staccato : des chocs de timbres, des conflits tranchés entre milles sons qui éclaircissent le trait cataclysmique. Il n'y a aucune épaisseur, on pense à Stravinsky ou Bartók. Je ne suis donc aucunement surpris que le grand chef qu'était Richard Strauss ait aimé diriger les œuvres de son confrère suédois… Comme toute tempête, le calme revient dans les dernières mesures avec des frémissements de cordes et quelques petites notes du triangle chauffé à blanc pendant ce second mouvement. (Belle prise de son, je confirme.)
[8'30"] sur la vidéo.

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3 – Nuit d'été : Conclure une symphonie est difficile. Le troisième et dernier mouvement de la 3ème symphonie, avec ses 18 minutes, représente la moitié de l'œuvre. C'est risqué un grand final. On pense souvent que seuls Bruckner et Mahler maitrisaient de telles ambitions, savaient éviter les longueurs et répétitions tout en assurant la cohésion définitive d'un ouvrage symphonique. Le finlandais Jean Sibelius admirait l'écriture de Atterberg, et il n'est pas hors sujet de comparer le monumental et glorieux final de la 2nd symphonie de Sibelius avec ce que l'on écoute ici. La clé de la réussite : un découpage franc entre plusieurs parties liées à une thématique bien déterminée et surtout un ou plusieurs leitmotive qui donnent son unité à ce grand morceau final. C'est une réussite totale.
Après les fracas de la tempête, le final s'ouvre sur une phrase méditative aux cordes, motif illuminé du chant de la petite harmonie et du scintillement de la harpe. Une douce mélodie aux cordes se développe-t-elle sous un ciel étoilé ? C'est impressionniste par la volonté du compositeur de peindre cette ambiance nocturne, les ombres mordorées des nuits nordiques. À [4'00"] une mélodie, immense et élégiaque s'élance, dans les aigus des violons soutenus par le chant lointain des cors. C'est magnifique car majestueux d'humanité. Un regard vers la Voie Lactée, vers la mer et ses brumes diaphanes ? Une troisième idée surgit avec un solo de hautbois et de basson. Toute cette musique se veut intimiste et cristalline. C'est la 3ème claque. Atterberg est un poète qui nous donne à entendre les couleurs subtiles d'un Ravel ou d'un Debussy. Ari Rasilainen alterne les climats avec talent, sans brusquer les transitions, avec un subtile legato sans chichis. La grande classe. [8'55"] Un solo de flûte joyeux apporte encore un nouvel éclairage et induit une petite course folle dans l'obscurité. Atterberg reprend des thèmes de la tempête pour les mêler au leitmotiv dans le début d'une coda qui commence tôt. Oui, l'orchestre va souffler désormais un vent instrumental varié et ludique qui va achever l'ouvrage en apothéose grandiose mais sans emphase. C'est sans doute cela qui caractérise le style de ce compositeur : une élégance du discours dans les tutti, une orchestration riche mais fluide. Le désintérêt envers ce compositeur et son absence des concerts restent vraiment un mystère ! Il y a toujours cette hégémonie pour la musique germanique et austro-hongroise… C'est dommage… mais cette première intégrale est un signe encourageant. À [19'05"]

Il n'existe actuellement aucune autre version de cette 3ème symphonie. Le grand chef estonien Neeme Jarvi a commencé ce qui pourrait être une nouvelle intégrale chez Chandos avec l'orchestre de Göteborg qu'il connait bien, l'ayant dirigé de 1982 à 2004. Espérons qu'à 76 ans, Neeme Jarvi pourra achever une seconde intégrale qui confirmerait la véritable reconnaissance d'un symphoniste scandinave majeur…
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6 commentaires:

  1. Et encore un inconnus qui ne demande qu'à l'être ! Stravinsky, Sibélius, Bruckner, Ravel, Debussy, Mahler dis tu dans les comparaisons avec ce compositeur Suédois que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam ? Je dirais plutôt pas de comparaison du tous. Je trouve qu'il a son propre style, celui de jouer dans des notes majeurs en général alors que les premiers que j'ai cité, collaient des touches noir du clavier un peut partout. Si ce gars existait encore de nos jour, il ferait des musique de film pour péplum ! Sinon, j'aime beaucoup !

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  2. Je n'aime pas le classique, parce que je n'y connais rien et que pour moi, ça reste une musique de classe (primaire, je sais , mais on ne se refait pas à mon âge). J'ai pourtant lu l'article avec intérêt. Ca va me permettre de scotcher ma voisine, prof de musique, que j'avais déjà impressionnée en lui parlant, mine de rien, de Sibelius, grâce à un tes précédents com. C'est mesquin , mais bon, pourquoi se priver d'une petite satisfaction? Il y a de la grosse caisse dans le clasisque?

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    1. Si mes articles te permettent d'améliorer tes talents de dra**eurs compulsifs auprès de ta voisine... qui ne connaît peut-être pas Atterberg (vraiment encore confidentiel comme tu as pu le lire), tu me tiens au courant :o)
      Moi c'est l'inverse... J'avais un prof qui avait de renoncer à em**der les élèves avec les modes majeurs - mineurs... etc. et nous passait des disques des Best OF de Beethoven, Mozart, Vivaldi... Etc. C'est comme cela que j'ai eu le coup de foudre et mon premier vinyle classique pour noël 1965.... et l’électrophone qui allait avec........
      Merci de ta fidélité....

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  3. Réponse amusante. J'avais envisagé le terme classe au sens marxiste du terme, et non scolaire. mais on peut bien sûr le voir comme ça. A l'école, je n'ai pas le moindre souvenir de classique. On avait un prof en blouse, l'air rébarbatif (inconsciemment, ça a dû me pousser vers les sudistes barbus/chevelus) qui nous infligeait de la chansonnette plus ou moins régionaliste en s'accompagnant au guide-chant (espèce de clavier verdâtre ressemblant à un coffre). De quoi dégoûter durablement des générations entières. Avec ma voisine, c'est plutôt pour jouer au poseur qui connaît ZZ Top ET Atterberg.

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    1. Tiens... cette histoire de voisine... cela m'évoque une chanson du "Cri de la Mouche". Une très bonne chanson d'ailleurs.

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  4. A connaître aussi Vagn Holmbœ (magnifique 9ème symphonie) et Ture Rangström dont la symphonie n° 2 Mitt Land est vraiment un chef-d'œuvre. Il existe une intégrale de la musique symphonique du second.

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