- Bonjour M'sieur
Claude… Vous nous emmenez où cette semaine ? Faire un tour en mer vu la
pochette ?
- Pas faux ma petite
Sonia, la 3ème symphonie d'Atterberg porte comme sous-titre
"images de la côte ouest"…
- Encore un nouveau
compositeur… cette année vous nous les sortez comme les lapins d'un chapeau, un
allemand ?
- Non, un suédois, de la
génération de Richard Strauss et que j'ai découvert récemment… un grand
symphoniste…
- Mais M'sieur Claude… La côte de la mer Baltique en Suède est à l'est pas à l'ouest…
- Sauf au sud, ou la belle
grande ville maritime de Göteborg est orientée vers la côte ouest, la mer du Nord, à mi chemin
entre Oslo et Copenhague, en gros…
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C'est
quand même cool internet ! C'est en navigant parmi les vidéos musicales
de Youtube que je suis tombé sur les 9 symphonies
d'un certain Kurt Atterberg. J'en ai écouté
quelques-unes puis, emballé, j'ai commandé l'intégrale en CD : un beau coffret robuste
avec un max d'explications sur les livrets des 5 CD, pas une petite boîte
cartonnée avec des pochettes en papier, la classe, comme toujours avec le label
CPO.
Après
des décennies, on écoute les compositeurs inconnus ou oubliés par goût du
renouveau, sans trop s'attendre à renouveler l'expérience magique de sa première
audition d'une symphonie de Beethoven,
de sa première symphonie de Mahler
ou d'une passion de Bach. Et bien là les amis,
le début était prometteur et, arrivé à la symphonie N°3, la claque !! D'où mon
choix pour partager la découverte avec les plus blasés des mélomanes classiques,
et aussi les autres, pourquoi pas. Les amis rockeurs doivent avoir aussi ce
genre de révélations tardives, un groupe un peu oublié…
Et
puisque j'évoquais Richard Strauss, je me demande
si chez Atterberg, on ne retrouve
pas la même puissance et folie orchestrale, le même sens du cataclysme que chez
le bavarois mais en "moins bourrin" comme dirait Bruno… Enfin je parle des seconds
choix de Strauss comme Aus Italian ou la calamiteuse symphonie domestique, pas de Heidenleben (Une vie de héros)…
Cheveux
blond et yeux clairs, visage volontaire, je confirme, Kurt
Atterberg est bien né en Suède, à Göteborg précisément, et en 1887.
Il étudie le violoncelle, la direction d'orchestre et la composition, mais
aussi les sciences appliquées, activité complémentaire qui lui apportera un diplôme
d'ingénieur. Il va ainsi travailler de 1912
à 1968 au bureau suédois des
brevets. Non, je n'ai pas tapé une ânerie (ça m'arrive), 56 ans de carrière
scientifique tout en composant et en dirigeant. Un travail alimentaire, apparemment
bien accepté, et la possibilité de s'adonner aussi à sa passion : la musique et
à haut niveau !
Il
ne commencera à être connu comme chef que vers 1928. Mais il faut que je précise que sa seconde
symphonie sera créée par lui-même en 1912, complétée, puis jouée dans toute l'Europe par des chefs
illustres comme Arthur Nikisch (prédécesseur
jusqu'en 1922 de Furtwängler à la Philharmonie
de Berlin) et Richard Strauss
en personne. C'est n'est donc pas vraiment un second couteau, et on comprend
mal que cet homme à la vie tranquille (peut-être trop discrète) est pu tomber
dans un oubli pareil. Il n'appartient pas au courant moderniste comme Bartók ou Schoenberg,
et c'est sans doute le fait qu'il soit resté un postromantique qui l'a fait dédaigner
de la nomenklatura musicale de notre temps.
Kurt Atterberg est mort à Stockholm en 1974.
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On
compte peu de très grands compositeurs d'origine scandinave ! Pourquoi ? Mystère
! Les têtes d'affiche restent le finlandais
Jean Sibelius (CLIC) et le norvégien Edward Grieg
(CLIC).
Le premier voit son concerto pour violon et son cycle de 7 symphonies joués
très fréquemment. Né au Danemark, Carl Nielsen a également marqué la musique
du XXème siècle avec un corpus de 6 symphonies bien enregistré mais qui
reste plus confidentiel. Quant à la Suède…
On a depuis une trentaine d'années redécouvert Franz
Berwald (1796-1868) en le comparant à un Beethoven
nordique. Heuuu, la comparaison est osée. Aucune de ses 4 symphonies ne
s'imposerait face à l'une des 104 de Haydn
! Sympa, mais académique. Bref !
Kurt Atterberg retrouve grâce auprès des musiciens
et merci et bravo à Ari Rasilainen d'avoir réaliser cette intégrale avec les orchestres
de la NDR de Hanovre ou ceux de Stuttgart et de Francfort.
Des phalanges plus qu'honorables. Le chef Ari Rasilainen, né en 1959, a fait ses études à
l'Académie Sibelius d'Helsinki d'où sont sortis nombre de grands chefs
finlandais comme Esa-Pekka Salonen et Jukka-Pekka Saraste, ou la compositrice Kaija Saariaho
qui a fait la une du blog pour la fraîcheur de ses compositions contemporaines
(CLIC).
Rasilainen est également violoniste. Pour mémoire, c'est Esa-Pekka Salonen qui accompagnait Hilary Hahn pour le CD des concertos de Schoenberg et de Sibelius,
un disque qui fit grand bruit ! (CLIC) Vous voyez le niveau de cet académie…
L'intégrale des 9 symphonies est disponible soit en CD isolés, soit dans le
coffret à prix accessible. Les
enregistrements se sont échelonnés de 1998 à 2003. Un travail de
titan car les partitions sont plus rares que le graal. La prise de son est
excellente.
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La
symphonie N° 3 intitulée "Images de la côte ouest" n'était pas
au départ une symphonie. Kurt
Atterberg avait composé trois "esquisses"
symphoniques isolées lors d'un séjour sur l'ilot de Skaftölandet dans les environs de Göteborg entre 1914 et 1916. Je n'ai pas utilisé le mot esquisse par hasard, car la réunion des
pièces en une symphonie cohérente me fait penser à "La
mer" de Claude Debussy,
également un tryptique de 3 esquisses avec un fil conducteur : la mer et l'impressionnisme.
On retrouve dans la symphonie ce même fil conducteur, à savoir une inspiration
musicale nourrie d'observations de la nature et des éléments marins. Les trois
parties portent les sous-titres explicites de toute œuvre à programme : "Poudroiement de soleil", "Tempête", "Nuit
d'été". Atterberg
les a réunies en 1918 en une
symphonie d'une grande puissance descriptive.
1 - Poudroiement de
soleil :
L'ouvrage débute par de longues phrases tranquilles aux cordes, colorées par un scintillement
de petites notes au xylophone. Subjectivement, des rayons de soleil s'insinuent
avec une infinie délicatesse. Les légers arpèges des cordes se chevauchent et suggèrent
le ressac sur une grève de l'ile Skaftölandet. Suivant cette aube chatoyante,
l'orchestre s'élance pour illuminer brièvement une scène d'un soleil plus
ardent. La mélodie initiale reprend avec des arpèges aux harpes, une aurore
orchestrale diaphane, chantante, voluptueuse… Quand je vous dis que j'ai pris
une claque dès la première écoute ; je cherche mes mots pour définir l'étincelant
kaléidoscope auquel nous convie Atterberg.
Ce n'est pas une musique facile à mettre en place par le chef. Le risque du romantisme
sirupeux se dissimule derrière chaque mesure. Ari
Rasilainen contrôle tous les instrumentistes de son orchestre
pour éviter cela, et nous offrir une ode symphonique illuminée de mille feux :
harpes et pizzicati délicats, cuivres lointains faisant songer à un zéphire venu
des ondes qui entourent l'île…
2 – Tempête : seconde claque ! Oh Atterberg n'est pas le premier à déchaîner
les éléments par violences orchestrales interposées. Mais là, accrochez-vous et
mettez le ciré ! Russell Crowe affronte la
mer du Nord en mode cap Horn comme dans Master et Commander ! Les hostilités
marines se déchirent dès les premières mesures : déferlantes aux cordes, écume
aux percussions très riches. La grosse caisse s'attaque aux falaises projetant
des geysers dantesques aux cuivres. Tous les pupitres se fracassent les uns
contre les autres. Tous ces climax survoltés sont d'un niveau d'orchestration
qui les rapproche des folies guerrières d'un Prokofiev
(Suite Scythe) ou d'un Chostakovitch
(symphonie 10 et 8). On pourrait ressentir des
accents hollywoodiens dans ces déferlements puissants et pathétiques. Ari Rasilainen taille à la serpe cette furie. La richesse de
l'orchestration, la vaillance des percussions et la virilité des cuivres
rappellent la bataille d'une vie de
Héros ou la tempête de la symphonie
Alpestre de Richard
Strauss. Mais là où le compositeur bavarois appuie le discours par
des masses apocalyptiques et un peu lourdes des dizaines de cuivres, Atterberg préfère un flot farouchement
staccato : des chocs de timbres, des conflits tranchés entre milles sons qui éclaircissent
le trait cataclysmique. Il n'y a aucune épaisseur, on pense à Stravinsky ou Bartók.
Je ne suis donc aucunement surpris que le grand chef qu'était Richard Strauss ait aimé diriger les œuvres
de son confrère suédois… Comme toute tempête, le calme revient dans les dernières
mesures avec des frémissements de cordes et quelques petites notes du triangle
chauffé à blanc pendant ce second mouvement. (Belle prise de son, je confirme.)
[8'30"]
sur la vidéo.
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3 – Nuit d'été : Conclure une symphonie est difficile.
Le troisième et dernier mouvement de la 3ème symphonie,
avec ses 18 minutes, représente la moitié de l'œuvre. C'est risqué un grand
final. On pense souvent que seuls Bruckner
et Mahler maitrisaient de telles ambitions,
savaient éviter les longueurs et répétitions tout en assurant la cohésion
définitive d'un ouvrage symphonique. Le finlandais Jean
Sibelius admirait l'écriture de Atterberg,
et il n'est pas hors sujet de comparer le monumental et glorieux final de la 2nd
symphonie de Sibelius avec ce que l'on
écoute ici. La clé de la réussite : un découpage franc entre plusieurs parties
liées à une thématique bien déterminée et surtout un ou plusieurs leitmotive
qui donnent son unité à ce grand morceau final. C'est une réussite totale.
Après
les fracas de la tempête, le final s'ouvre sur une phrase méditative aux cordes,
motif illuminé du chant de la petite harmonie et du scintillement de la harpe.
Une douce mélodie aux cordes se développe-t-elle sous un ciel étoilé ? C'est impressionniste
par la volonté du compositeur de peindre cette ambiance nocturne, les ombres
mordorées des nuits nordiques. À [4'00"] une mélodie, immense et élégiaque
s'élance, dans les aigus des violons soutenus par le chant lointain des cors.
C'est magnifique car majestueux d'humanité. Un regard vers la Voie Lactée, vers
la mer et ses brumes diaphanes ? Une troisième idée surgit avec un solo de
hautbois et de basson. Toute cette musique se veut intimiste et cristalline.
C'est la 3ème claque. Atterberg
est un poète qui nous donne à entendre les couleurs subtiles d'un Ravel ou d'un Debussy.
Ari Rasilainen alterne les climats avec
talent, sans brusquer les transitions, avec un subtile legato sans chichis. La
grande classe. [8'55"] Un solo de flûte joyeux apporte encore un nouvel éclairage
et induit une petite course folle dans l'obscurité. Atterberg
reprend des thèmes de la tempête pour les mêler au leitmotiv dans le début
d'une coda qui commence tôt. Oui, l'orchestre va souffler désormais un vent instrumental
varié et ludique qui va achever l'ouvrage en apothéose grandiose mais sans
emphase. C'est sans doute cela qui caractérise le style de ce compositeur : une
élégance du discours dans les tutti, une orchestration riche mais fluide. Le
désintérêt envers ce compositeur et son absence des concerts restent vraiment un
mystère ! Il y a toujours cette hégémonie pour la musique germanique et
austro-hongroise… C'est dommage… mais cette première intégrale est un signe
encourageant. À [19'05"]
Il
n'existe actuellement aucune autre version de cette 3ème symphonie. Le grand chef
estonien Neeme Jarvi a commencé ce
qui pourrait être une nouvelle intégrale chez Chandos avec l'orchestre de Göteborg
qu'il connait bien, l'ayant dirigé de 1982 à 2004. Espérons qu'à 76 ans, Neeme Jarvi pourra achever une seconde
intégrale qui confirmerait la véritable reconnaissance d'un symphoniste scandinave
majeur…
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Et encore un inconnus qui ne demande qu'à l'être ! Stravinsky, Sibélius, Bruckner, Ravel, Debussy, Mahler dis tu dans les comparaisons avec ce compositeur Suédois que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam ? Je dirais plutôt pas de comparaison du tous. Je trouve qu'il a son propre style, celui de jouer dans des notes majeurs en général alors que les premiers que j'ai cité, collaient des touches noir du clavier un peut partout. Si ce gars existait encore de nos jour, il ferait des musique de film pour péplum ! Sinon, j'aime beaucoup !
RépondreSupprimerJe n'aime pas le classique, parce que je n'y connais rien et que pour moi, ça reste une musique de classe (primaire, je sais , mais on ne se refait pas à mon âge). J'ai pourtant lu l'article avec intérêt. Ca va me permettre de scotcher ma voisine, prof de musique, que j'avais déjà impressionnée en lui parlant, mine de rien, de Sibelius, grâce à un tes précédents com. C'est mesquin , mais bon, pourquoi se priver d'une petite satisfaction? Il y a de la grosse caisse dans le clasisque?
RépondreSupprimerSi mes articles te permettent d'améliorer tes talents de dra**eurs compulsifs auprès de ta voisine... qui ne connaît peut-être pas Atterberg (vraiment encore confidentiel comme tu as pu le lire), tu me tiens au courant :o)
SupprimerMoi c'est l'inverse... J'avais un prof qui avait de renoncer à em**der les élèves avec les modes majeurs - mineurs... etc. et nous passait des disques des Best OF de Beethoven, Mozart, Vivaldi... Etc. C'est comme cela que j'ai eu le coup de foudre et mon premier vinyle classique pour noël 1965.... et l’électrophone qui allait avec........
Merci de ta fidélité....
Réponse amusante. J'avais envisagé le terme classe au sens marxiste du terme, et non scolaire. mais on peut bien sûr le voir comme ça. A l'école, je n'ai pas le moindre souvenir de classique. On avait un prof en blouse, l'air rébarbatif (inconsciemment, ça a dû me pousser vers les sudistes barbus/chevelus) qui nous infligeait de la chansonnette plus ou moins régionaliste en s'accompagnant au guide-chant (espèce de clavier verdâtre ressemblant à un coffre). De quoi dégoûter durablement des générations entières. Avec ma voisine, c'est plutôt pour jouer au poseur qui connaît ZZ Top ET Atterberg.
RépondreSupprimerTiens... cette histoire de voisine... cela m'évoque une chanson du "Cri de la Mouche". Une très bonne chanson d'ailleurs.
SupprimerA connaître aussi Vagn Holmbœ (magnifique 9ème symphonie) et Ture Rangström dont la symphonie n° 2 Mitt Land est vraiment un chef-d'œuvre. Il existe une intégrale de la musique symphonique du second.
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