samedi 17 mai 2014

André CAMPRA : REQUIEM – John Eliot Gardiner – par Claude Toon



- Heuu M'sieur Claude, entre Campra qui ne m'évoque rien et la radiographie d'un coquillage exotique, je suis assez perplexe…
- C'est vrai que cette pochette fait Zarbie Sonia, peut-être un parallèle avec la mort, une allusion genre : Requiem pour un Lambis scorpius indomaris…
- Oh vous et vos mots à dormir debout… Parlez moi plutôt en deux mots de Campra…
- C'est un compositeur Baroque Français à redécouvrir, époque Louis XIV, Régence…
- C'est vrai que cette année, vous explorez plusieurs domaines peu connus de la musique française
- Oui, après le XIXème siècle et le XXème avec Théodore Gouvy, Ernest Chausson, ou encore Albert Roussel, petit saut à Versailles au temps du roi soleil….

Quand on évoque l'époque Baroque en France, les premiers noms qui viennent à l'Esprit sont : Lully, Rameau, Couperin ou encore Charpentier pour un célèbre Te Deum immortalisé par l'Eurovision dans les décennies passées.
Chronologiquement, Campra se situe entre Jean-Baptiste Lully (1632 -1687) et Jean-Philippe Rameau (1683-1764). Le second est d'importance car il a complété les travaux de Bach sur les tonalités occidentales et le contrepoint.
Né à Aix en Provence en 1660, André Campra semble avoir été un personnage pittoresque si on lit les éléments biographiques à droite à gauche. Le père du jeune André, violoniste-chirurgien (drôle d'association) tente d'apprendre des rudiments musicaux à son fiston au caractère difficile (la crise d'adolescence n'a pas attendu Freud…). D'ailleurs le personnage va se traîner toute sa vie une réputation sulfureuse, à la limite de la dépravation.
Pour ses études, il fait un passage par la maîtrise de de la cathédrale Saint-Sauveur d'Aix d'où il risque le renvoi pour avoir assisté à des opéras dans les salles de jeu de paume de la ville. On ne badine pas avec la discipline en ces temps là… Musique d'église et divertissements ne font pas bon ménage, tss tss ! De 1694 à 1700 il occupe le poste de maître de musique de Notre Dame de Paris. Il compose de la musique religieuse et se rapproche aussi de… Versailles.
Je fais l'impasse sur un roman feuilleton avec l'épiscopat de Toulouse, une intrigue digne de Dumas. Je n'ai pas tout compris à part la suspicion que Campra ait engrossé une mignonne à la cuisse légère. Bref, ces péripéties vont conduire Campra à se fixer jusqu'à sa mort à Paris et à se tourner vers ce qu'il chérit le plus : l'opéra-ballet. Un style qui va faire fureur pendant la Régence du Duc d'Orléans nettement plus porté sur les plaisirs voire le libertinage que le pieu et sinistre vieux roi soleil mort en 1715.
La discographie consacrée à Campra n'est pas maigre si l'on considère que seule une petite partie de ses compositions nous sont parvenues. L'opéra Tancrède reste populaire. Quant au Requiem, il existe plusieurs versions…
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Nos lecteurs vont me demander pourquoi choisir une "Messe des morts" pour illustrer un article sur un compositeur a priori assez truculent. Requiem est souvent synonyme de musique funèbre (par définition) et de citer Mozart, Berlioz Brahms, Britten, etc. Et bien justement, chez Campra, on ne trouve pas l'expression terrifiante d'une damnation mais plutôt la sérénité d'un hymne à la vie céleste qui attend le défunt. On pourrait donc rapprocher cet ouvrage du Requiem de Fauré qui lui aussi se tourne vers la lumière du paradis et non les ténèbres coléreux du jugement dernier. On ne connait pas exactement la date de composition, entre 1695 et 1723, voire plus tard, c'est pour le moins imprécis. Un autre exemple de Requiem emprunt de quiétude, celui de Maurice Duruflé écrit au XXème siècle, très lumineux lui aussi.
La musique de Campra, aérienne, laisse derrière elle les tourments infernaux, le jugement des âmes et les trompettes sauvages qui sont souvent de mise dans le genre. C'est une approche très apaisée du trépas qui ressemble bien à l'épicurien compositeur qui ne semblait pas craindre les foudres divines.
J'ai choisi de vous parler de l'enregistrement de John Eliot Gardiner déjà rencontré souvent dans le blog, pour la symphonie fantastique de Berlioz et le Requiem de Mozart qu'il allégeait de la lourdeur romantique souvent de mise avec les grands maestro allemands.
Cet enregistrement de 1979 a été réalisé avec les ensembles fondés par Gardiner : The Monteverdi Choir et l'English Baroque Soloists.

Le requiem de Campra est avant tout une œuvre chorale, à cinq voix : sopranos, altos, ténors, barytons et basses. Si les chœurs sont très présents, les solistes, au nombre de 5 sont également très actifs. À cette époque, l'orchestration n'est pas clairement définie dans les ouvrages religieux où le texte latin est prépondérant. Campra impose juste une flûte, quelques cordes et, bien entendu, un orgue. Comme pour Bach ou Haendel, le maître de musique à tout loisir d'ajouter hautbois, théorbe, basson suivant les musiciens et l'effectif choral mis à sa disposition par la paroisse où a lieu l'interprétation de ce requiem. Le requiem, d'une durée d'une cinquantaine de musique, est découpé en 7 parties choisies dans le rituel catholique, sans le suivre à la lettre. On ne trouve pas de lacrymosa ou de rex tremendae par exemple.
1 – Introït : C'est l'ensemble instrumental qui introduit cette messe, en fa majeur, une tonalité surprenante par sa quiétude dans un requiem. Campra a bien lu le texte, où l'on parle de paix et de lumière, de repos éternel et non de lamentation. Quelques notes à l'orgue, une phrase méditative aux cordes conduit à un chœur de style grégorien esquissé par les basses. Chaque groupe de tessiture différente reprend le motif de manière polyphonique. Le discours s'anime sur la phrase "Et qu’une lumière perpétuelle brille pour eux". Certains critiques ont trouvé de la "mièvrerie" dans la direction de Gardiner (mot pour le moins assassin !) Je ne suis pas d'accord du tout et les commentateurs d'un site bien connu également ! Depuis les années 60-70, nous avons tellement pris l'habitude d'écouter la musique baroque avec des couleurs et des accents tranchés, à l'opposé du style classico-romantique des décennies précédentes (Louis Frémaux en 1960), que l'on oublie que nous entendons ici de la musique religieuse, et non pas un concerto grosso ou une suite de rigaudons à Versailles… Et justement, Gardiner et ses musiciens joue la grandeur et l'élargissent de l'espace en enregistrant dans une église de Londres. La musique s'écoule avec spiritualité. Comme à son habitude, le chef anglais habite la musique de la méditation et de l'espoir qu'elle inspire.
2 – Kyrie : Une courte sinfonia illuminée par quelques notes graciles au théorbe donne la parole au ténor qui énonce "Kyrie Eleison". Cette prière de repentance extrait de l'ordinaire de la messe latine se veut parfois plaintive (on supplie la rémission des pêchers de la semaine). Le baryton prolonge cet instant de recueillement sincère dans "Christe elei­son". Puis le chœur reprend le texte suivant une écriture homophonique avec plus de ferveur et de supplication. Avec un tempo retenu, Gardiner conduit cette page fervente avec grâce. On peut regretter une prise de son un peu confuse sur le chœur.
4 – l'Offertoire est la partie la plus développée. C'est un long texte qui supplie le divin de libérer les âmes. D'ambiance assez grave, la page est écrite en fa mineur. L'introduction orchestrale est surprenante par les motifs précipités qui la conclut et font penser à la musique italienne du temps (Vivaldi). N'a-t-on pas reproché à Campra un style trop opératique à sa messe ? Le duo du ténor et du baryton sur fond du chœur, avec ses changements de rythmes énergiques, est un passage admirable ou alternent confiance et crainte. Gardiner construit avec précision ses entrelacements vocaux et instrumentaux.
Toutes les autres parties présentent les mêmes qualités : une polyphonie riche et bien mise en valeur par le chef. Mention spéciale pour le solo de flûte qui accompagne le ténor dans le début de l'"Agnus Dei".

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La discographie disponible a éliminé les versions anciennes sur instruments modernes qui ne rendaient pas justice à cette belle œuvre rayonnante.
La version de Gardiner conserve une place dans le peloton de tête grâce à sa ferveur délicate et l'absence totale d'hédonisme propre à cette artiste. Certains pourront trouver ce disque un soupçon maniérée, trop extatique. C'est leur droit, bien évidement.
Dans ce cas, la meilleure alternative demeure le disque gravé par Philippe Herreweghe, avec La Chapelle Royale. La prise de son met plus en relief la subtile polyphonie et les hardiesses chromatiques de l'ouvrage. C'est très vivant mais du coup un soupçon trop festif pour un requiem. Une des plus grandes réussites dans le style baroque (Harmonia Mundi - 5/6)


Deux vidéos pour se quitter en musique : l'enregistrement de John Eliot Gardiner puis, seconde vidéo, l'interprétation de     Philippe Herreweghe avec son ensemble La Chapelle Royale



1 commentaire:

  1. L'agnus Dei est vraiment la meilleure partie du morceau. Le trille de flûte nous fait vibrer :)

    Un admirateur de baroque ;)

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