- Heuu M'sieur Claude, entre Campra qui ne m'évoque rien et la
radiographie d'un coquillage exotique, je suis assez perplexe…
- C'est vrai que cette pochette fait Zarbie Sonia, peut-être un parallèle
avec la mort, une allusion genre : Requiem pour un Lambis scorpius
indomaris…
- Oh vous et vos mots à dormir debout… Parlez moi plutôt en deux mots de
Campra…
- C'est un compositeur Baroque Français à redécouvrir, époque Louis XIV,
Régence…
- C'est vrai que cette année, vous explorez plusieurs domaines peu connus
de la musique française
- Oui, après le XIXème siècle et le XXème avec
Théodore Gouvy, Ernest Chausson, ou encore Albert Roussel, petit saut à
Versailles au temps du roi soleil….
Quand on évoque l'époque Baroque en France, les premiers noms qui viennent
à l'Esprit sont :
Lully,
Rameau,
Couperin
ou encore
Charpentier
pour un célèbre
Te Deum
immortalisé par l'Eurovision dans les décennies passées.
Chronologiquement,
Campra
se situe entre
Jean-Baptiste Lully
(1632 -1687) et
Jean-Philippe Rameau
(1683-1764). Le second est d'importance car il a complété les travaux de
Bach
sur les tonalités occidentales et le contrepoint.
Né à Aix en Provence en 1660,
André Campra
semble avoir été un personnage pittoresque si on lit les éléments
biographiques à droite à gauche. Le père du jeune
André, violoniste-chirurgien (drôle d'association) tente d'apprendre des
rudiments musicaux à son fiston au caractère difficile (la crise
d'adolescence n'a pas attendu Freud…). D'ailleurs le personnage va se
traîner toute sa vie une réputation sulfureuse, à la limite de la
dépravation.
Pour ses études, il fait un passage par la maîtrise de de la cathédrale
Saint-Sauveur d'Aix d'où il risque le renvoi pour avoir assisté à des opéras
dans les salles de jeu de paume de la ville. On ne badine pas avec la
discipline en ces temps là… Musique d'église et divertissements ne font pas bon ménage, tss tss ! De
1694 à
1700 il occupe le poste de
maître de musique de Notre Dame de Paris. Il compose de la musique
religieuse et se rapproche aussi de… Versailles.
Je fais l'impasse sur un roman feuilleton avec l'épiscopat de Toulouse, une
intrigue digne de Dumas. Je
n'ai pas tout compris à part la suspicion que
Campra ait engrossé une mignonne à la cuisse légère. Bref, ces péripéties vont
conduire
Campra
à se fixer jusqu'à sa mort à Paris et à se tourner vers ce qu'il chérit le
plus : l'opéra-ballet. Un style qui va faire fureur pendant la Régence du
Duc d'Orléans nettement plus
porté sur les plaisirs voire le libertinage que le pieu et sinistre vieux
roi soleil mort en 1715.
La discographie consacrée à
Campra
n'est pas maigre si l'on considère que seule une petite partie de ses
compositions nous sont parvenues. L'opéra
Tancrède
reste populaire. Quant au
Requiem, il existe plusieurs versions…
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Nos lecteurs vont me demander pourquoi choisir une "Messe des morts" pour illustrer un article sur un compositeur a priori assez truculent.
Requiem est souvent synonyme de musique funèbre (par définition) et de citer
Mozart,
Berlioz
Brahms,
Britten, etc. Et bien justement, chez
Campra, on ne trouve pas l'expression terrifiante d'une damnation mais plutôt la
sérénité d'un hymne à la vie céleste qui attend le défunt. On pourrait donc
rapprocher cet ouvrage du
Requiem
de
Fauré
qui lui aussi se tourne vers la lumière du paradis et non les ténèbres
coléreux du jugement dernier. On ne connait pas exactement la date de
composition, entre 1695 et
1723, voire plus tard, c'est
pour le moins imprécis. Un autre exemple de Requiem emprunt de quiétude,
celui de
Maurice Duruflé
écrit au XXème siècle, très lumineux lui aussi.
La musique de
Campra, aérienne, laisse derrière elle les tourments infernaux, le jugement des
âmes et les trompettes sauvages qui sont souvent de mise dans le genre.
C'est une approche très apaisée du trépas qui ressemble bien à l'épicurien
compositeur qui ne semblait pas craindre les foudres divines.
J'ai choisi de vous parler de l'enregistrement de
John Eliot Gardiner
déjà rencontré souvent dans le blog, pour la
symphonie fantastique
de
Berlioz
et le
Requiem
de
Mozart
qu'il allégeait de la lourdeur romantique souvent de mise avec les grands
maestro allemands.
Cet enregistrement de 1979 a
été réalisé avec les ensembles fondés par
Gardiner
: The
Monteverdi
Choir
et
l'English Baroque Soloists.
Le
requiem
de
Campra
est avant tout une œuvre chorale, à cinq voix : sopranos, altos, ténors,
barytons et basses. Si les chœurs sont très présents, les solistes, au
nombre de 5 sont également très actifs. À cette époque, l'orchestration
n'est pas clairement définie dans les ouvrages religieux où le texte latin
est prépondérant.
Campra
impose juste une flûte, quelques cordes et, bien entendu, un orgue. Comme
pour
Bach
ou
Haendel, le maître de musique à tout loisir d'ajouter hautbois, théorbe, basson
suivant les musiciens et l'effectif choral mis à sa disposition par la
paroisse où a lieu l'interprétation de ce requiem. Le requiem, d'une durée
d'une cinquantaine de musique, est découpé en 7 parties choisies dans le
rituel catholique, sans le suivre à la lettre. On ne trouve pas de
lacrymosa ou de
rex tremendae par exemple.
1 – Introït
: C'est l'ensemble instrumental qui introduit cette messe, en fa majeur, une
tonalité surprenante par sa quiétude dans un requiem.
Campra
a bien lu le texte, où l'on parle de paix et de lumière, de repos éternel et
non de lamentation. Quelques notes à l'orgue, une phrase méditative aux
cordes conduit à un chœur de style grégorien esquissé par les basses. Chaque
groupe de tessiture différente reprend le motif de manière polyphonique. Le
discours s'anime sur la phrase "Et qu’une lumière perpétuelle brille pour eux". Certains critiques ont trouvé de la "mièvrerie" dans la direction de
Gardiner
(mot pour le moins assassin !) Je ne suis pas d'accord du tout et les
commentateurs d'un site bien connu également ! Depuis les années 60-70, nous
avons tellement pris l'habitude d'écouter la musique baroque avec des
couleurs et des accents tranchés, à l'opposé du style classico-romantique
des décennies précédentes (Louis Frémaux en 1960), que l'on oublie que nous entendons ici de la musique religieuse,
et non pas un concerto grosso ou une suite de rigaudons à Versailles… Et
justement,
Gardiner
et ses musiciens joue la grandeur et l'élargissent de l'espace en
enregistrant dans une église de Londres. La musique s'écoule avec
spiritualité. Comme à son habitude, le chef anglais habite la musique de la
méditation et de l'espoir qu'elle inspire.
2 – Kyrie
: Une courte sinfonia illuminée par quelques notes graciles au théorbe donne
la parole au ténor qui énonce "Kyrie Eleison". Cette prière de repentance extrait de l'ordinaire de la messe latine se
veut parfois plaintive (on supplie la rémission des pêchers de la semaine).
Le baryton prolonge cet instant de recueillement sincère dans "Christe eleison". Puis le chœur reprend le texte suivant une écriture homophonique avec
plus de ferveur et de supplication. Avec un tempo retenu,
Gardiner conduit cette page fervente avec grâce. On peut regretter une prise de son
un peu confuse sur le chœur.
4 – l'Offertoire est la partie
la plus développée. C'est un long texte qui supplie le divin de libérer les
âmes. D'ambiance assez grave, la page est écrite en fa mineur.
L'introduction orchestrale est surprenante par les motifs précipités qui la
conclut et font penser à la musique italienne du temps (Vivaldi). N'a-t-on pas reproché à
Campra un style trop opératique à sa messe ? Le duo du ténor et du baryton sur
fond du chœur, avec ses changements de rythmes énergiques, est un passage
admirable ou alternent confiance et crainte.
Gardiner
construit avec précision ses entrelacements vocaux et instrumentaux.
Toutes les autres parties présentent les mêmes qualités : une polyphonie
riche et bien mise en valeur par le chef. Mention spéciale pour le solo de
flûte qui accompagne le ténor dans le début de l'"Agnus Dei".
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La discographie disponible a éliminé les versions anciennes sur instruments
modernes qui ne rendaient pas justice à cette belle œuvre rayonnante.
La version de
Gardiner conserve une place dans le peloton de tête grâce à sa ferveur délicate et
l'absence totale d'hédonisme propre à cette artiste. Certains pourront
trouver ce disque un soupçon maniérée, trop extatique. C'est leur droit,
bien évidement.
Dans ce cas, la meilleure alternative demeure le disque gravé par
Philippe Herreweghe, avec
La Chapelle Royale. La prise de son met plus en relief la subtile polyphonie et les
hardiesses chromatiques de l'ouvrage. C'est très vivant mais du coup un
soupçon trop festif pour un requiem. Une des plus grandes réussites dans le
style baroque (Harmonia Mundi -
5/6)
Deux vidéos pour se quitter en musique : l'enregistrement de
John Eliot Gardiner puis, seconde vidéo, l'interprétation de Philippe Herreweghe
avec son ensemble
La Chapelle Royale
L'agnus Dei est vraiment la meilleure partie du morceau. Le trille de flûte nous fait vibrer :)
RépondreSupprimerUn admirateur de baroque ;)