samedi 8 mars 2014

Ernest CHAUSSON : SYMPHONIE en si bémol majeur – Yan Pascal TORTELIER – par Claude Toon



- Mais dites donc M'sieur Claude… Qu'est ce que vous faîtes en charentaises dans votre bureau… Vous êtes notre doyen, mais là, ça fait vraiment les "coquelicots bleus" !
- J'écris un article sur Ernest Chausson, et je voulais voir si vous feriez l'association d'idée, puérile, je vous l'accorde…
- Hummm, Hilarant ! Je ne connais pas pour tout avouer… Vous volez encore au secours d'un compositeur injustement oublié ?
- Oui et non. Chausson s'est tué encore jeune en vélo. Sa production est donc restreinte mais de belle facture…
- Oh, c'est triste cet accident, c'était un musicien prometteur ?
- Si on considère que Gustav Mahler a été influencé par le poème de l'amour et de la mer dudit Chausson pour la fin du Chant de la terre, je vous aurai répondu ?

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La symphonie de Chausson est l'une des pièces maîtresses de l'univers symphonique français et a été enregistrée, à juste titre, par les plus grands chefs défenseurs du répertoire national : Monteux, Munch, Ansermet, Plasson… Cela dit, les caprices du marché du disque font que les rééditions de ces gravures sont pour le moins parcimonieuses. La version volcanique de Monteux de 1950 à San-Francisco est réapparue sous le label RCA très temporairement. (Lors de la parution d'une série anthologique consacrée au chef français. Le premier commentaire du Toon sur Amazon.)
Heureusement les jeunes générations de chefs d'orchestre se motivent, et voici un enregistrement moderne de Yan Pascal Tortelier de 1999 tout à fait excellent qui me permet d'écrire cette chronique… Revenons à Ernest Chausson
Ernest Chausson est né début 1855 dans une famille bourgeoise pleine aux as, enrichie grâce aux travaux pharaoniques du Baron Haussmann. Il bénéficie d'un précepteur qui va associer l'enseignement classique à la découverte du piano. Ernest Chausson entreprend des études de droit (jusqu'au doctorat) pour embrasser une carrière d'avocat. Il sera nommé à la cour d'appel en 1877. Chausson se révèle plus musicien que juriste. Le compositeur qui sommeille en lui va connaître la révélation définitive en assistant à Munich à des représentations du Vaisseau Fantôme de Wagner, puis, subjugué par le maître allemand, il retournera en Bavière écouter la Tétralogie et même assister à la création de Parsifal en 1883. Dès 1878, il se perfectionne auprès de Jules Massenet et César Franck, et il a déjà écrit quelques ouvrages de musique de chambre. En 1881, il se présente au Prix de Rome, mais comme tous les concurrents à l'esprit novateur, il se plante. La IIIème république est friande d'art lyrique et d'opérettes. Chausson préférera la musique pure et la modernité.
Ernest Chausson participe à la Société Nationale de Musique (SNM) et avec d'Indy poussera Saint-Saëns, qui la préside, vers la sortie (pas cool, mais musicalement défendable). Devenu secrétaire en 1886, il va réunir autour de lui les valeurs montantes de la musique comme Debussy et Dukas. Il compose avec rigueur et perfection ce qui explique en partie une production relativement modeste. Car de plus, hélas, en 1899, Chausson meurt tragiquement d'une chute de vélo, il n'a que 44 ans.
Dans ses 39 numéros de catalogue, on trouve des mélodies, un joli concerto pour 6 instruments et un opéra. Et on retiendra trois chefs-d'œuvre : la symphonie, sujet du jour, le poème pour violon et orchestre et surtout, un long "lieder symphonique", Le poème de l'amour et de la mer. Comme j'en touchais deux mots à Sonia, par ses dimensions (30'), et sa structure tripartite, cet ouvrage exceptionnel a influencé l'Adieu, dernier des Chants de la Terre de Mahler, l'une des œuvres mythiques de l'histoire de la musique…
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Le nom de Yan Pascal Tortelier évoque tout de suite aux mélomanes celui de Paul Tortelier, le célèbre violoncelliste qui signa deux des plus belles intégrales des suites de Bach dans les années 1962 et 1983. Son fils Yan Pascal est né en 1947. Il est diplômé du conservatoire de Paris en violon et piano et a suivi les cours de direction de la légendaire Nadia Boulanger, puis s'est perfectionné comme assistant de Michel Plasson à Toulouse.
Il commence sa carrière de chef d'orchestre en 1970, souvent hors de l'hexagone, notamment avec l'orchestre de l'Ulster à Belfast dont il est le directeur de 1989 à 1992. Puis, consécration pour un frenchy, il sera chef permanent de l'Orchestre philharmonique de la BBC de 1992 à 2003. Depuis, Yan Pascal Tortelier bourlingue auprès des meilleurs orchestres du monde de Londres à Amsterdam en passant par San Francisco et Saint-Pétersbourg…
Il était membre, en tant que violoniste, du Trio Tortelier avec son père au violoncelle et sa sœur Maria de la Pau au piano. Ils ont tout trois créé le Trio de Grieg.
Sa discographie comporte des gravures de musique française et se tourne résolument vers un répertoire moderne. On lui doit une intégrale en 4 CD de la musique symphonique d'Henri Dutilleux, une autre consacrée à Maurice Ravel et, dans un autre registre, plusieurs enregistrements d'œuvres de Paul Hindemith. Tous ces disques sont parus chez le label anglais Chandos.
Le disque du jour rassemble toutes les œuvres orchestrales de Chausson hormis le poème pour violon (que l'on trouve partout, joué par des violonistes de renom – Julia Fischer dans ce blog- [clic]).
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Ernest Chausson se voulait perfectionniste et hésita longtemps avant d'oser écrire sa première symphonie, l'exercice le plus difficile pour un compositeur. Brahms avait rencontré la même appréhension. C'est son beau-frère, le peintre Henry Lerolle, qui le persuadera de se mettre à la tâche. Un travail éprouvant et anxiogène qui va s'étendre de 1888 à 1890. Lors de la création par le compositeur en 1891, l'œuvre dérange ou enthousiasme les deux habituelles factions de critiques de cette époque : les premiers, amateurs d'opéras académiques qui fleurissent en ces temps là, et la "nouvelle vague" issue du courant moderniste guidée par César Franck. Il faut dire que même le célèbre chef Édouard Colonne s'était dégonflé ! En 1897, Arthur Nikisch viendra interpréter la symphonie avec la Philharmonie de Berlin à Paris. Ce sera un triomphe.
À l'instar de celle de son maître César Franck, la symphonie de Chausson adopte une symétrie en 3 mouvements. Par ailleurs, l'architecture de l'œuvre est fortement marquée par des entorses à la forme sonate du langage musical classique et par le recours au chromatisme wagnérien que Chausson admirait, a contrario de bien des compositeurs français. Ce n'est pas une symphonie à programme défini.
1 – Lent : les cordes dans le registre grave nous plongent dans un climat plutôt dramatique. Ce passage sombre est soutenu par de discrètes timbales et par l'harmonie. On se sent perdu : à l'horizon, un paysage obscurci. [1'06] Une phrase du violoncelle va émerger rapidement pour accentuer le pathétisme de ce climat. Ce qui séduit d'emblée dans la direction de Yan Pascal Tortelier est la retenue imposée aux contrebasses. À l'épaisseur germanique wagnérienne, le chef préfère une élégance toute française. Cette introduction n'est pas sans rappeler le ton élégiaque de la symphonie en ré mineur de Franck. Sauf que là, Chausson a choisi un mode majeur et les développements du mouvement vont trouver un tout autre éclairage. [3'35] Un motif plus énergique et heureux fait basculer l'œuvre dans un autre registre, un espace ensoleillé et venteux. L'art de Chausson se révèle ainsi dans sa plénitude : des transitions presque abruptes entre différents passages d'ambiances fortement contrastées. L'orchestration et riche, les idées nombreuses. Chausson déroule sa mélodie à la fois à grands coups de serpe et de caresse d'un pinceau sur la toile d'un tableau sonore. Chausson avait hésité un temps entre la musique et la peinture… [8'42] Un développement passionné utilisant divers motifs précédents nous entraîne avec une poésie fougueuse vers la coda. La prise de son est très équilibrée. Les cors, les trompettes et le hautbois de l'orchestre de la BBC ont une sonorité de grande classe. Tout l'ensemble, chef et orchestre, magnifie cette partition.

2 – Très lent : et justement comme Munch, Yan Pascal Tortelier évite trop de lenteur, et donc un pathos invertébré dans cette page symphonique parmi les plus belles écrites en cette fin du XIXème. Le début fait songer au ressac par temps calme sur une plage baignée dans la brume. Yan Pascal Tortelier, par un habile rubato, nous berce avec ces vagues. Chausson aborde son mouvement de manière impressionniste. N'était-il pas proche et admirateur de Debussy ? De longues phrases aux cordes prolongent cette aube orchestrale. [2'05] Un solo de hautbois initie un passage plus pastoral. Toujours cette technique de Chausson de basculement entre sentiments et émotions divers et variés. Et puis il y a parfois dans un morceau le passage qui prend aux tripes… Ici c'est à [4'35]. Des arpèges de harpes, un frémissement des timbales et un solo de violoncelle nous bouleversent par leur chant mélancolique. Sans transition, l'orchestre gagne alors en puissance dans un crescendo pathétique d'où jaillit un cri de la trompette. C'est d'une grande complexité orchestrale et pourtant une source d'émotion d'une profonde simplicité qui fait penser au ver de Verlaine "Les sanglots longs des violons"…

3 – Animé : Chausson, comme tout défenseur de Wagner, ne pouvait se soustraire au principe du Leitmotiv. C'est le cas dans son final très vivant où le rappel de nombre de motifs entendus dans les deux mouvements précédents assure la cohésion de la symphonie. Ce principe imaginé par Beethoven dans le final de sa 9ème symphonie, repris pas Bruckner dans ses 5ème et 8ème symphonies et bien entendu par Franck, est risqué. Il peut faire penser à un recyclage musical par manque d'imagination. Rien de tout cela ici. Le final se veut expansif et trépidant. Les idées se bousculent dans une joyeuse frénésie. Le final retrouve le thème initial pour conclure sur une coda conquérante et nostalgique qui traduit à merveille la sérénité de Chausson achevant enfin  une composition dans laquelle il a tout donné.

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Pour la discographie des "grands anciens", bonjour la pagaille ! En 1950 à l'aube du microsillon, Pierre Monteux, avec l'orchestre symphonique de San Francisco qu'il avait fait renaître de ses cendres dans les années 40, a gravé pour RCA une version de la symphonie de Chausson d'une violence cosmique. Il émane une puissance et une émotion héritées du Tristan de Wagner. La poésie cohabite avec le tracé au cordeau du flot orchestral. Son de l'époque acceptable et couplage idéal avec le Poème de l'amour et de la mer chanté avec émotion par Gladys Swarthout (même si la dame roule un peu les "r", un style typique de l'époque). (RCA "rare en occasion" - 6/6).
La vision plus carrée de Charles Munch avec SON orchestre symphonique de Boston date de 1962. Le discours musical manque un peu de souplesse. On trouve par contre un poème pour violon incandescent sous l'archet de David Oistrakh. Une rareté en provenance du japon (RCA – 5,5/6). Certes la plus-value sonore par rapport au disque de Monteux est indéniable pour ce disque stéréo d'une belle transparence.
Enfin un double album réunit les symphonies de Franck et de Chausson, et la 3ème symphonie de Magnard sous la baguette d'Ernest Ansermet. La symphonie de Dukas complète ce menu 3*** mais sous la direction élégante et précise de Walter Weller. C'est une initiation de référence à l'univers symphonique français haut de gamme. Marché de l'occasion uniquement. Bordel !!! (Decca 6/6 dont 5/6 pour Chausson). Ah oui, c'est l'orchestre de la Suisse romande qui est à l'honneur comme nombre de gravures de ce chef suisse. En cherchant bien, on trouve la symphonie de Chausson chez d'autres éditeurs ou, bonne surprise, chez Decca himself avec la symphonie de Dukas et les 3ème et 4ème de Roussel
Quand je vous dis que c'est la pagaille.
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L'interprétation de Pierre Monteux à San Francisco en 1953 (Copie du microsillon d'un live. Ça grattouille un peu mais quel panache, disponible sur site Deezer.
En seconde vidéo, la symphonie par Yan Pascal Tortelier.



7 commentaires:

  1. La version de Monteux m'a laissée sur l'arrière train !! Je trouve qu'après écoute de la symphonie de Chausson, la symphonie en ré mineur de César Franck ferait un bon lien.

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  2. Je l'ai entendu plusieurs fois, soit par l'ONL ou par l'orchestre de Lyon. J'ai toujours été frappé par la grande qualité de l'orchestration de Chausson, très transparente, contrairement à celle de Franck. J'adore la symphonie du petit père Franck, mais il faut reconnaître que c'est assez mal orchestré, surtout le premier mouvement qui fait penser à une registration d'orgue. Pour en revenir à Chausson, c'est sans doute un des plus grands compositeurs français de cette période avec un autre oublié, Albéric Magnard.

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    1. C'est vrai que la symphonie de Franck d'une manière un tantine wagnérienne.
      J'ai déjà consacré un article à la 3ème symphonie de Magnard par Ansermet.
      La 4ème par Plasson sera commentée le 5 novembre 2016.
      Il existe un CD comportant ses deux œuvres dirigées par Jean Yves Ossonce avec l'orchestre écossais de la BBC. Interprétation pleine d'allant et surtout prise de son beaucoup plus aérée et dynamique que celle de Toulouse.

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    2. Si la symphonie de FRANCK a des sonorités d'orgue, ce n'est pas parce qu'elle est mal orchestrée mais parce que le compositeur le voulait ainsi.

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    3. Au sujet de l'article sur CHAUSSON, je note une légère erreur : il n'existe pas de "concerto" dans son oeuvre, mais un "Concert" pour piano, violon et quatuor à cordes.

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    4. J'ai oublié de vous signaler que, pour la symphonie, vous avez omis celle qui est peut-être la plus belle version :Charles DUTOIT .

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  3. Claude Toon18/6/24 14:58

    Remarque pertinente. Franck comme Anton Bruckner étaient des organistes de premier plan et leurs symphonies ont hérité du mode de composition en registration.... Donc logique que l'orchestration sonne de manière disons... austère.

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