- Mais dites donc M'sieur Claude… Qu'est ce que vous faîtes en
charentaises dans votre bureau… Vous êtes notre doyen, mais là, ça fait
vraiment les "coquelicots bleus" !
- J'écris un article sur Ernest Chausson, et je voulais voir si vous
feriez l'association d'idée, puérile, je vous l'accorde…
- Hummm, Hilarant ! Je ne connais pas pour tout avouer… Vous volez encore
au secours d'un compositeur injustement oublié ?
- Oui et non. Chausson s'est tué encore jeune en vélo. Sa production est
donc restreinte mais de belle facture…
- Oh, c'est triste cet accident, c'était un musicien prometteur ?
- Si on considère que Gustav Mahler a été influencé par le poème de
l'amour et de la mer dudit Chausson pour la fin du Chant de la terre, je
vous aurai répondu ?
XXX |
La
symphonie
de
Chausson
est l'une des pièces maîtresses de l'univers symphonique français et a été
enregistrée, à juste titre,
par les plus grands chefs défenseurs du répertoire national :
Monteux,
Munch,
Ansermet,
Plasson… Cela dit, les caprices du marché du disque font que les rééditions de ces
gravures sont pour le moins parcimonieuses. La version volcanique de
Monteux
de 1950 à
San-Francisco
est réapparue sous le label RCA très temporairement. (Lors de la parution d'une série anthologique consacrée au chef
français.
Le premier commentaire du Toon sur Amazon.)
Heureusement les jeunes générations de chefs d'orchestre se motivent, et
voici un enregistrement moderne de
Yan Pascal
Tortelier
de 1999 tout à fait excellent
qui me permet d'écrire cette chronique… Revenons à
Ernest Chausson…
Ernest Chausson
est né début 1855 dans une
famille bourgeoise pleine aux as, enrichie grâce aux travaux pharaoniques du
Baron Haussmann. Il bénéficie d'un précepteur qui va associer
l'enseignement classique à la découverte du piano.
Ernest Chausson
entreprend des études de droit (jusqu'au doctorat) pour embrasser une
carrière d'avocat. Il sera nommé à la cour d'appel en
1877.
Chausson
se révèle plus musicien que juriste. Le compositeur qui sommeille en lui va
connaître la révélation définitive en assistant à
Munich à des représentations du
Vaisseau Fantôme
de
Wagner, puis, subjugué par le maître allemand, il retournera en Bavière écouter
la
Tétralogie
et même assister à la création de
Parsifal
en 1883. Dès
1878, il se perfectionne auprès
de
Jules Massenet
et
César Franck, et il a déjà écrit quelques ouvrages de musique de chambre. En
1881, il se présente au Prix de
Rome, mais comme tous les concurrents à l'esprit novateur, il se plante. La
IIIème république est friande d'art lyrique et d'opérettes.
Chausson
préférera la musique pure et la modernité.
Ernest Chausson
participe à la Société Nationale de Musique (SNM) et avec
d'Indy
poussera
Saint-Saëns, qui la préside, vers la sortie (pas cool, mais musicalement défendable).
Devenu secrétaire en 1886, il
va réunir autour de lui les valeurs montantes de la musique comme
Debussy
et
Dukas. Il compose avec rigueur et perfection ce qui explique en partie une
production relativement modeste. Car de plus, hélas, en
1899,
Chausson
meurt tragiquement d'une chute de vélo, il n'a que 44 ans.
Dans ses 39 numéros de catalogue, on trouve des
mélodies, un joli
concerto
pour 6 instruments et un
opéra. Et on retiendra trois chefs-d'œuvre : la
symphonie, sujet du jour, le
poème pour violon et orchestre
et surtout, un long "lieder symphonique",
Le poème de l'amour
et de la mer. Comme j'en touchais deux mots à
Sonia, par ses dimensions
(30'), et sa structure tripartite, cet ouvrage exceptionnel a influencé
l'Adieu, dernier des
Chants de la
Terre
de
Mahler, l'une des œuvres mythiques de l'histoire de la musique…
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Le nom de
Yan Pascal Tortelier
évoque tout de suite aux mélomanes celui de
Paul Tortelier, le célèbre violoncelliste qui signa deux des plus belles intégrales des
suites de
Bach
dans les années 1962 et 1983. Son fils
Yan Pascal
est né en 1947. Il est diplômé
du conservatoire de Paris en violon et piano et a suivi les cours de
direction de la légendaire
Nadia Boulanger, puis s'est perfectionné comme assistant de
Michel Plasson
à Toulouse.
Il commence sa carrière de chef d'orchestre en
1970, souvent hors de
l'hexagone, notamment avec l'orchestre de l'Ulster à Belfast
dont il est le directeur de
1989 à
1992. Puis, consécration pour
un frenchy, il sera chef permanent de l'Orchestre philharmonique de la BBC
de 1992 à
2003. Depuis,
Yan Pascal Tortelier
bourlingue auprès des meilleurs orchestres du monde de Londres à Amsterdam
en passant par San Francisco et Saint-Pétersbourg…
Il était membre, en tant que violoniste, du
Trio Tortelier
avec son père au violoncelle et sa sœur
Maria de la Pau au piano. Ils ont tout trois créé le
Trio de
Grieg.
Sa discographie comporte des gravures de musique française et se tourne
résolument vers un répertoire moderne. On lui doit une intégrale en 4 CD de
la musique symphonique
d'Henri Dutilleux, une autre consacrée à
Maurice Ravel
et, dans un autre registre, plusieurs enregistrements d'œuvres de
Paul Hindemith. Tous ces disques sont parus chez le label anglais
Chandos.
Le disque du jour rassemble toutes les œuvres orchestrales de
Chausson
hormis le
poème pour violon
(que l'on trouve partout, joué par des violonistes de renom –
Julia Fischer
dans ce blog- [clic]).
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Ernest Chausson
se voulait perfectionniste et hésita longtemps avant d'oser écrire sa
première symphonie, l'exercice le plus difficile pour un compositeur.
Brahms
avait rencontré la même appréhension. C'est son beau-frère, le peintre
Henry Lerolle, qui le
persuadera de se mettre à la tâche. Un travail éprouvant et anxiogène qui va
s'étendre de 1888 à
1890. Lors de la création par
le compositeur en 1891, l'œuvre
dérange ou enthousiasme les deux habituelles factions de critiques de cette
époque : les premiers, amateurs d'opéras académiques qui fleurissent en ces
temps là, et la "nouvelle vague" issue du courant moderniste guidée par
César Franck. Il faut dire que même le célèbre chef
Édouard Colonne
s'était dégonflé ! En 1897,
Arthur Nikisch
viendra interpréter la symphonie avec la
Philharmonie de Berlin
à Paris. Ce sera un triomphe.
À l'instar de celle de son maître
César Franck, la symphonie de
Chausson
adopte une symétrie en 3 mouvements. Par ailleurs, l'architecture de l'œuvre
est fortement marquée par des entorses à la forme sonate du langage musical
classique et par le recours au chromatisme wagnérien que
Chausson
admirait, a contrario de bien des compositeurs français. Ce n'est pas une
symphonie à programme défini.
1 – Lent
: les cordes dans le registre grave nous plongent dans un climat plutôt
dramatique. Ce passage sombre est soutenu par de discrètes timbales et par l'harmonie. On se sent perdu : à l'horizon, un paysage obscurci. [1'06] Une phrase du
violoncelle va émerger rapidement pour accentuer le pathétisme de ce climat.
Ce qui séduit d'emblée dans la direction de
Yan Pascal Tortelier
est la retenue imposée aux contrebasses. À l'épaisseur germanique
wagnérienne, le chef préfère une élégance toute française. Cette
introduction n'est pas sans rappeler le ton élégiaque de la
symphonie en ré mineur
de
Franck. Sauf que là,
Chausson
a choisi un mode majeur et les développements du mouvement vont trouver un
tout autre éclairage. [3'35] Un motif plus énergique et heureux fait
basculer l'œuvre dans un autre registre, un espace ensoleillé et venteux.
L'art de
Chausson
se révèle ainsi dans sa plénitude : des transitions presque abruptes entre
différents passages d'ambiances fortement contrastées. L'orchestration et
riche, les idées nombreuses.
Chausson
déroule sa mélodie à la fois à grands coups de serpe et de caresse d'un
pinceau sur la toile d'un tableau sonore.
Chausson avait hésité un temps entre la musique et la peinture… [8'42] Un
développement passionné utilisant divers motifs précédents nous entraîne
avec une poésie fougueuse vers la coda. La prise de son est très équilibrée.
Les cors, les trompettes et le hautbois de
l'orchestre de la BBC
ont une sonorité de grande classe. Tout l'ensemble, chef et orchestre,
magnifie cette partition.
2 – Très lent
: et justement comme
Munch,
Yan Pascal Tortelier
évite trop de lenteur, et donc un pathos invertébré dans cette page
symphonique parmi les plus belles écrites en cette fin du XIXème.
Le début fait songer au ressac par temps calme sur une plage baignée dans la
brume.
Yan Pascal Tortelier, par un habile rubato, nous berce avec ces vagues.
Chausson aborde son mouvement de manière impressionniste. N'était-il pas proche et
admirateur de
Debussy
? De longues phrases aux cordes prolongent cette aube orchestrale. [2'05] Un
solo de hautbois initie un passage plus pastoral. Toujours cette technique
de
Chausson
de basculement entre sentiments et émotions divers et variés. Et puis il y a parfois dans un morceau le passage qui prend aux tripes…
Ici c'est à [4'35]. Des arpèges de harpes, un frémissement des timbales et
un solo de violoncelle nous bouleversent par leur chant mélancolique. Sans
transition, l'orchestre gagne alors en puissance dans un crescendo
pathétique d'où jaillit un cri de la trompette. C'est d'une grande
complexité orchestrale et pourtant une source d'émotion d'une profonde
simplicité qui fait penser au ver de Verlaine
"Les sanglots longs des violons"…
3 – Animé
:
Chausson, comme tout défenseur de
Wagner, ne pouvait se soustraire au principe du Leitmotiv. C'est le cas dans son
final très vivant où le rappel de nombre de motifs entendus dans les deux
mouvements précédents assure la cohésion de la symphonie. Ce principe
imaginé par
Beethoven
dans le final de sa
9ème symphonie, repris pas
Bruckner
dans ses
5ème et 8ème symphonies
et bien entendu par
Franck, est risqué. Il peut faire penser à un recyclage musical par manque
d'imagination. Rien de tout cela ici. Le final se veut expansif et
trépidant. Les idées se bousculent dans une joyeuse frénésie. Le final
retrouve le thème initial pour conclure sur une coda conquérante et
nostalgique qui traduit à merveille la sérénité de
Chausson
achevant enfin une composition dans laquelle il a tout donné.
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Pour la discographie des "grands anciens", bonjour la pagaille ! En
1950 à l'aube du microsillon,
Pierre Monteux, avec
l'orchestre symphonique de San Francisco
qu'il avait fait renaître de ses cendres dans les années 40, a gravé pour
RCA une version de la symphonie
de
Chausson
d'une violence cosmique. Il émane une puissance et une émotion héritées du
Tristan de
Wagner. La poésie cohabite avec le tracé au cordeau du flot orchestral. Son de
l'époque acceptable et couplage idéal avec le
Poème de l'amour et de la mer
chanté avec émotion par
Gladys Swarthout
(même si la dame roule un peu les "r", un style typique de l'époque). (RCA "rare en occasion" - 6/6).
La vision plus carrée de
Charles Munch
avec SON
orchestre symphonique de Boston date de 1962. Le discours musical manque un peu de souplesse. On
trouve par contre un poème pour violon incandescent sous l'archet de
David Oistrakh. Une rareté en provenance du japon (RCA
– 5,5/6). Certes la plus-value sonore par rapport au disque de
Monteux est indéniable pour ce disque stéréo d'une belle transparence.
Enfin un double album réunit les symphonies de
Franck
et de
Chausson, et la 3ème symphonie de
Magnard
sous la baguette
d'Ernest Ansermet. La symphonie de
Dukas
complète ce menu 3*** mais sous la direction élégante et précise de
Walter Weller. C'est une initiation de référence à l'univers symphonique français haut
de gamme. Marché de l'occasion uniquement. Bordel !!! (Decca
6/6 dont 5/6 pour Chausson). Ah oui, c'est l'orchestre de la Suisse romande
qui est à l'honneur comme nombre de gravures de ce chef suisse. En cherchant
bien, on trouve la
symphonie
de
Chausson
chez d'autres éditeurs ou, bonne surprise, chez Decca himself avec la
symphonie
de
Dukas
et les
3ème
et
4ème
de
Roussel…
Quand je vous dis que c'est la pagaille.
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L'interprétation de
Pierre Monteux
à
San Francisco
en 1953 (Copie du microsillon d'un live. Ça grattouille un peu mais
quel panache, disponible sur site Deezer.
En seconde vidéo, la symphonie par
Yan Pascal Tortelier.
La version de Monteux m'a laissée sur l'arrière train !! Je trouve qu'après écoute de la symphonie de Chausson, la symphonie en ré mineur de César Franck ferait un bon lien.
RépondreSupprimerJe l'ai entendu plusieurs fois, soit par l'ONL ou par l'orchestre de Lyon. J'ai toujours été frappé par la grande qualité de l'orchestration de Chausson, très transparente, contrairement à celle de Franck. J'adore la symphonie du petit père Franck, mais il faut reconnaître que c'est assez mal orchestré, surtout le premier mouvement qui fait penser à une registration d'orgue. Pour en revenir à Chausson, c'est sans doute un des plus grands compositeurs français de cette période avec un autre oublié, Albéric Magnard.
RépondreSupprimerC'est vrai que la symphonie de Franck d'une manière un tantine wagnérienne.
SupprimerJ'ai déjà consacré un article à la 3ème symphonie de Magnard par Ansermet.
La 4ème par Plasson sera commentée le 5 novembre 2016.
Il existe un CD comportant ses deux œuvres dirigées par Jean Yves Ossonce avec l'orchestre écossais de la BBC. Interprétation pleine d'allant et surtout prise de son beaucoup plus aérée et dynamique que celle de Toulouse.
Si la symphonie de FRANCK a des sonorités d'orgue, ce n'est pas parce qu'elle est mal orchestrée mais parce que le compositeur le voulait ainsi.
SupprimerAu sujet de l'article sur CHAUSSON, je note une légère erreur : il n'existe pas de "concerto" dans son oeuvre, mais un "Concert" pour piano, violon et quatuor à cordes.
SupprimerRemarque pertinente. Franck comme Anton Bruckner étaient des organistes de premier plan et leurs symphonies ont hérité du mode de composition en registration.... Donc logique que l'orchestration sonne de manière disons... austère.
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