samedi 15 février 2014

SAINT-SAËNS : Concertos pour violon / violoncelle – Renaud et Gautier CAPUÇON – par Claude Toon



- B'jour M'sieur Claude… Il me semblait que Saint-Saëns n'était pas votre tasse de thé ?
- Heuu… disons que je ne le considère pas comme un très grand compositeur a contrario d'un Berlioz ou d'un Debussy, plutôt un second couteau…
- Est-ce bien objectif ça ? Ou un a priori sur un style musical que vous n'aimez guère ?
- Objectif, non et loin de moi un jugement en forme d'anathème sur un compositeur. C'est vrai que je trouve des facilités et des lourdeurs…
- Cependant, vous avez trouvé une pépite pour nous en parler malgré votre manque de passion…
- Oui, cet album enregistré par les frères Capuçon et comportant deux des meilleurs concertos, plus une œuvre en duo mérite franchement le détour !
- Heuuu, vous avez oublié le h à Gauthier, M'sieur Claude…
- Écoutez Sonia, j'ai été aussi surpris que vous, mais il n'y en pas… faites attention dans la publication !

Sonia a raison, on ne peut pas laisser Camille Saint-Saëns de coté parce que votre rédacteur n'en raffole pas. Pour moi, Saint-Saëns est un peu synonyme d'une célèbre symphonie avec orgue (la 3ème, mais en fait la 5ème) qui commence plutôt bien, notamment le bel adagio, mais se conclut par une choucroute symphonique de Jericho un peu vaine dans ses effets. Cela dit, la partition était destinée à être exécutée, entre autres, dans l'immense salle de concert construite au Trocadéro lors de l'exposition universelle en 1878. 5000 places !!! Un grand orgue Cavaillé-Coll. Il fallait bien donner une grosse portion orchestrale aux oreilles des auditeurs… La partition de 1885 se veut titanesque, mais c'est plutôt bien écrit. Pour em**der vos voisins en pleine nuit, c'est aussi ravageur que le Hard-Rock de l'ami Vincent ! Et puis le public aime bien ces débordements, alors…
Le jeune Camille voit le jour en 1835 à Alger. C'est un enfant prodige, rapidement un pianiste chevronné. Il joue à 11 ans le 3ème concerto de Beethoven en concert. À 13 ans, il entre au conservatoire de Paris avec les meilleurs maîtres dont Charles Gounod. Il va se révéler par ailleurs un ardent défenseur des plus grands de sa génération comme Liszt, Wagner ou Schumann. C'est bien !
Il compose beaucoup dans tous les genres. Il va jusqu'à la fin du siècle occuper les postes d'organistes les plus prestigieux et connaître une renommée française et internationale incroyable. Et cela est un peu suspect avec le recul, car en général les génies novateurs crèvent de faim dans le mépris le plus total. Certains musicologues classent Camille Saint-Saëns parmi les postromantiques du fait de sa longévité. Non ! Saint-Saëns est un postclassique dans un monde romantique. Le compositeur est adulé par ses contemporains car, précisément, il n'invente rien d'original. Beaucoup d'habileté et de talent certes, mais pas le génie provocateur d'un Berlioz ou d'un Richard Strauss. Et ce qui plaisait au XIXème à des mélomanes frileux face à l'innovation a mal vieilli. En 1912, le compositeur qui a 77 ans va paraître ringard face à Bartók, Ravel, Debussy, sans parler de la création par Schoenberg de l'école de Vienne. (Notation modale, polyrythmie, dodécaphonisme sont les nouveaux styles.) Tant pis si on me fait un procès, les formes de composition et l'inspiration de Saint-Saëns flirtent souvent avec l'académisme du XIXème siècle.
Pourtant, même si Saint-Saëns ne fait plus partie du panthéon des grands compositeurs français (quoiqu'en pense les yankees), il reste de fort belles et élégantes partitions dans sa riche production. Déjà les deux concertos de ce jour. Et puis, les concertos pour piano N°2 & 4. On monte encore parfois Samson et Dalila, le moins kitsch de ses 13 opéras. La Symphonie avec Orgue remplit les poches des éditeurs de disques. Sa musique de chambre mérite plus que l'oubli total. N'oublions pas le carnaval des animaux qui lui a permis de rentrer dans l'histoire de la musique… Saint-Saëns est mort à Alger en 1921… un retour aux sources.

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Les frangins Capuçon sont médiatisés, notamment lors des victoires de la musique où ils ont été récompensés en 2000 et 2001 et sont régulièrement invités. Ils sont donc connus même des mélomanes peu enclins à l'écoute de la musique classique. Vedettariat et/ou talent ? Examinons-cela…
Renaud, l'aîné a 38 ans. Il est rentré au Conservatoire de Paris à 14 ans dans la classe de Gérard Poulet. Merci de m'éviter les blagues de poulailler. Gérard Poulet est un immense violoniste et pédagogue. Renaud en sort brillamment diplômé à 17 ans pour débuter une carrière de concertiste et une participation à l'orchestre des Jeunes Gustav Mahler fondé par Claudio Abbado. Première remarque : Renaud est un surdoué et on ne travaille pas avec Abbado uniquement pour faire briller le CV. Non, on a la musique dans la peau !
Seconde remarque. Depuis le début du siècle, Renaud Capuçon enchaîne les succès et les réussites dans divers concours, dans les salles de concert et au disque. Il joue sur un Guarnerius de 1737 prêté par une association philanthropique et ayant appartenu à Isaac Stern. Déjà une belle discographie à son actif, de l'époque classique (Mozart) à notre temps (Korngold, Bergle concerto à la mémoire d'un ange -, Dutilleux).
Le parcours de son jeune frère Gautier, violoncelliste de 32 ans, est assez similaire avec un premier prix du concours André Navarra à 18 ans parmi moult récompenses internationales. Gautier équilibre sa carrière. D'un côté au service de la musique de chambre, notamment en interprétant des sonates en duo avec des pianistes remarquables comme Martha Argerich, Daniel Barenboïm, Hélène Grimaud, les sœurs Labèque. Et par ailleurs dans le répertoire concertant.
Bien entendu, les deux frères se sont retrouvés complices dans nombre d'œuvres : le double concerto de Brahms ou encore, également de Brahms, les beaux quatuors avec piano en compagnie de Gérard Caussé et Nicholas Angelich.

Mon premier contact avec le jeune chef d'orchestre Lionel Bringuier date du 15 janvier 2012, lors d'un concert Salle Pleyel. Bon souvenir pour le concerto pour violoncelle N°1 de Chostakovitch avec son ami Renaud Capuçon en soliste. Par contre un poème de l'extase de Scriabine embrouillé et gueulard. Il faut dire que le jeune homme prenait des risques louables dans une œuvre cataclysmique et métaphysique plutôt destinée à des maestros hyper expérimentés tels Pierre Boulez et Evgeny Svetlanov. Bref des acouphènes à l'issue de ce galimatias survolté. C'est rigolo, la vidéo de ce concert donne un meilleur résultat qu'en salle. Ô acoustique, ô traitresse ennemie, que n'ai-je donc tant dirigé ?... Mais qu'est-ce que je raconte moi ?
Bref, je ne devais par avoir une bonne place, car le palmarès du jeune artiste est éloquent et contredit mon impression à l'écoute de Scriabine. Violoncelliste précoce, il est par ailleurs admis face à 59 candidats plus âgés dans la classe de direction du conservatoire national de Paris à… 15 ans !! En 2005, lauréat du concours de chef d'orchestre de Besançon. J'écris en style télégraphique à l'image de la carrière du jeune artiste qui s'emballe au rythme d'invitations de la part de grands orchestres : Monte-Carlo, assistant d'Esa-Pekka Salonen à Los Angeles, poste reconduit par Gustavo Dudamel. Et en cette année 2014, il atteindra la consécration pour un chef de 28 ans : il sera nommé directeur de l'Orchestre de la Tonhalle de Zurich, succédant ainsi au grand patron David Zinman. (Avec un orchestre de ce niveau, il peut se confronter de nouveau au Poème de l'extase sans difficulté.)

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Un album : 3 œuvres concertantes…

Camille Saint-Saëns compose son 3ème concerto pour violon en 1880 pour Pablo de Sarasate. Le célèbre violoniste était déjà dédicataire du 1er concerto et de la Havanaise. C'est un ouvrage pleinement romantique organisé classiquement en trois parties.
1 - Allegro ma non troppo : le premier thème au violon surgit "avec passion" (*) au sein de frémissants trémolos des cordes. À la fois mystérieux et tragiques, le climat surprend par la variété des couleurs. Un flot orchestral, tantôt énergique, tantôt aimable, s'oppose aux phrases langoureuses du violon qui étire son chant dans l'aigu. Renaud Capuçon adopte un jeu riche et clair, sans fioriture de star, pour magnifier les habiles contrastes qui parcourent toute la tessiture de son instrument. Saint-Saëns rivalise avec aisance avec les meilleures pages de Mendelssohn voire de Brahms. Une grande poésie prend son envol : mélodies gracieuses, diversité de l'accompagnement orchestral. Lionel Bringuier maîtrise avec brio l'Orchestre de Radio France, un orchestre auquel Saint-Saëns a confié des rôles multiples. Le jeune chef n'appuie aucun effet. On trouve dans ce beau mouvement beaucoup plus de légèreté que dans les concertos de Max Bruch si souvent joués, mais si… germaniques ! J'avoue que je découvre dans le détail un must du répertoire concertant pour le violon et ce n'est qu'un début.
(*) Appassionato précise la partition…
2 - Andantino quasi allegretto : On songe à une "valse" mélancolique en plongeant dans la sérénité du second mouvement. Le violon se voit confier l'énoncé d'un rêve fluide et élégiaque. Le jeu de Renaud Capuçon se refuse tout effet liquoreux. Il y a une ambiance pastorale.  Saint-Saëns utilise sa petite harmonie avec grâce. La musique se révèle ainsi bien française dans le sens où Lionel Bringuier n'écrase pas le discours concertant par une masse de cordes teutonnes. Une beauté simple, quasi chambriste. Le final se présente comme une marche voluptueuse avec des sonorités chaloupées et énigmatiques du violon. Renaud Capuçon nous masque les difficultés techniques de ces pages. Voilà la signature d'un vrai virtuose qui met son art au service de la musique avant tout.
3 – Molto moderato et maestoso : Le final laisse présager une lutte entre le violon et l'orchestre. À la douceur de l'andantino, des motifs mélodiques variés s'affrontent. Le classique Saint-Saëns surprend par l'éclatement de la forme. Vivacité et joie sont les mots clés de ce passage qui gagne en brillance de mesure en mesure. La coda semble démarrer plusieurs fois. Ce sont des trompes l'œil (oreilles) et l'on est surpris par des développements lyriques et sensuels, et non des cadences bravaches destinées à mettre en vedette le soliste. C'est la véritable coda qui apportera une puissante détermination avec les interventions viriles des cuivres jusqu'à présents volontairement discrets.

Avec sa vingtaine de minutes, le concerto pour violoncelle N°1 surprend par sa concision et son écriture en un seul mouvement découpé néanmoins en trois parties ; deux passages vifs encadrant un passage plus calme ! Son écriture date de 1872 et c'est le dédicataire Auguste Tolbecque, violoncelliste et luthier parisien qui en assure la création en 1873.
1 – Allegro non troppo : Le violoncelle attaque bille en tête sur un accord hardi de l'orchestre. Gautier Capuçon dynamise ce mouvement vif-argent par un jeu virevoltant, clair et précis. Pas de vibrato précieux. Saint-Saëns, encore dans la trentaine, nous entraîne dans une partition épicurienne. Il n'oublie pas d'agrémenter ce court mouvement d'un passage plus contemplatif qui sera d'ailleurs repris comme porte d'entrée du second passage… Comme dans le concerto pour violon, Lionel Bringuier modèle la pâte sonore symphonique avec distinction et gaîté, en accompagnateur rappelant qu'un concerto se partage deux premiers rôles : le soliste et l'orchestre.
2 – Allegretto con moto : L'enchaînement avec ce qui précède est habile, sans rupture de style ni pause. Une dansante et baroque aubade des violons accompagne le chant intimiste du violoncelle. J'adore ce jeu sans esbroufe de Gautier Capuçon. Un jeu élégant, tendre, d'une grande subtilité.
3 – Molto allegro : Nouvelle transition avec un final tourbillonnant. Saint-Saëns se réapproprie le thème initial puis propose diverses variations évoluant de la mélancolie à la frivolité. Le compositeur sollicite une tessiture très large de l'instrument, un jeu très rythmé. Gautier Capuçon adapte les couleurs de son instrument à ses facéties avec créativité. Le jeune virtuose embellit  ainsi un concerto dont la partition d'orchestre laisse un tantinet sur sa faim.
Moins développé que le concerto pour violon N°3 plus tardif, ce premier concerto pour violoncelle, très vivant, peut s'écouter avec plaisir, surtout enjoué par le talent des deux jeunes musiciens. Ahhh si toute la musique française de la IIIème république était de cette veine…

La muse et le poète verra le jour en 1909. Saint-Saëns, âgé et malade, n'a pas renoncé à la composition et écrit ce morceau qui n'est pas un concerto. Comme le titre l'indique, les deux instruments solistes tiennent le rôle d'un duo avec orchestre dans une œuvre qui pourrait se nommer poème symphonique concertant. L'aigu féminin du violon se veut muse et dialogue avec le poète masculin habitant le violoncelle. La composition, très intime dans son esprit - on pourrait dire secrète - est destinée à mettre en valeur le jeu des deux virtuoses. Quant à l'orchestre, il se pare de couleurs impressionnistes avec ses arpèges de harpes dans les premières mesures. L'ouvrage est délicat, même s'il semble d'un autre âge. Nous sommes en 1909, Mahler écrit ses ultimes symphonies, Stravinsky travaille sur le Sacre du printemps. Peu importe, ce magnifique duo est un excellent complément de programme pour reprendre l'expression consacrée. Et puis comme disait Arnold Schoenberg à ses élèves qui ne voulaient entendre parler que de sérialisme : "Il y a encore plein de belles choses à écrire en do majeur !".
- M'sieur Claude, c'est marqué en mi mineur sur la partition !!!
- C'était une image pour conclure Sonia. Le fond et l'émotion sont toujours plus importants que la forme…

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Concerto pour violoncelle N°1 par Renaud Capuçon et Lionel Bringuier Concerto pour violon N°3 par Renaud Capuçon et l'Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Lionel Bringuier et
La muse et le poète, œuvre concertante pour violon, violoncelle  avec en duo Gautier et Renaud Capuçon… et Lionel Bringier au pupitre de l'orchestre de Radio France. Extraits et commentaires des artistes…





2 commentaires:

  1. J'ai connus Saint-Saëns à l'école ou la prof nous avait fait étudier la "Danse Macabre" et "Le rouet d'Omphale" avec Jean Martinon à la baguette, album que je me suis empressé d'acheter avec mon maigre argent de poche.
    Le concerto m'était complètement inconnus jusqu'à ce matin encore ! Même si ce n'est pas comparable, j'entends un peut du concerto pour violon en ré majeur op.77 de Brahms.

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  2. Bien vu, d'autant que le concerto de Brahms pour violon fut créé le 1er janvier 1879 donc un peu avant cette pièce maîtresse de Saint-Saëns.
    Le concerto de Brahms fut mal accueilli en France par Debussy, Lalo ou encore Gabriel Fauré qui le trouvait "morne et triste" (de mémoire). On croit rêver.
    Comme je l'écris, Saint-Saëns a bien défendu en France la musique allemande romantique (on ne pourra pas lui reprocher un chauvinisme musical) et avait peut être en tête la partition de Brahms en composant.
    Cet opus 77 est l'un des plus techniquement difficile à jouer du répertoire...

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