- B'jour M'sieur Claude…
Mais ce n'est pas une pochette de disque… On dirait l'un des premiers plans de
2001 Odyssée de l'espace de Kubrick !!
- Très bien vue Sonia,
Luc va être content, c'est l'un des films de sa vie. J'ai choisi cette image
car on entend l'intro de Ainsi Parla Zarathoustra lors de cette séquence…
- Ah oui, ça me dit quelque
chose : Paa Paa Paaaaaaaaaa, un air puissant devenu la signature de la B.O. du
film…
- Oui et sans doute un
passage un tantinet pompier, mais le poème symphonique, qui dure une bonne
demi-heure, réserve bien d'autres bons moments…
- Donc, si j'ai bien
suivi, l'occasion de parler de Richard Strauss qui n'a encore jamais eu sa
chronique perso il me semble…
- Affirmatif !!!
Non
! Il n'y a aucun lien de parenté entre le bavarois Richard
Strauss et la dynastie des Strauss
qui régna en maître sur la valse à Vienne à la fin du XIXème siècle
(voir article Le beau Danube bleu), valses
et polkas faisant toujours les riches heures du concert du nouvel an à Vienne.
Il
est impossible d'explorer l'univers d'un des compositeurs allemands majeurs en
une seule chronique. Comme Brahms,
il a été découvert tardivement en France, et son style de composition n'est pas
toujours aussi accessible qu'il y paraît. Très particulière, son écriture riche
de leitmotiv et de variations, même si d'apparence postromantique est à contre
courant des recherches contemporaines de Bartók
ou de Schoenberg et l'École de
Vienne. Écouter Strauss, c'est partir en croisière sans escale dans un flot
musical sans thèmes bien déterminés ni pauses marquées entre des mouvements ne répondant pas toujours à la forme sonate usuelle.
Né
en 1864 à Munich (4 ans après Mahler), sa longévité (il meurt en 1949) va lui permettre d'aborder tous
les genres et de traverser tous les bouleversements historiques, de la fin de
l'empire germanique, à la chute du IIIème Reich, en conservant une
grande cohérence dans ses choix musicologiques… Son père, musicien conservateur,
lui enseigne la musique d'essence et de forme classique représentée à
l'époque par Brahms, par opposition aux
aventures tonales d'un Wagner,
qu'il déteste.
Richard Strauss sera avant tout un mélodiste et un homme
de théâtre et d'orchestre. Sa production éclectique est de qualité
inégale. Il est surtout connu pour ses opéras et ses poèmes symphoniques. On y trouve
des chefs-d'œuvre : Une vie de Héros, Don Juan, Don
quichotte avec violoncelle et alto solo…
d'autres un peu trop expansifs mais appréciés par le public : Ainsi parla Zarathoustra et la symphonie Alpestre
(qui n'a de symphonie que le nom), et enfin des pseudos symphonies à programme
faiblardes et rarement jouées dans nos contrées comme Aus
Italian et la Sinfonia
domestica dont on peut se passer…
C'est
par l'opéra que Richard Strauss entrera dans
la postérité. Il est important de souligner que c'est la qualité de ses librettistes
et l'ivresse sonore de l'orchestration qui hissent ses opéras à un
niveau superlatif. Pour les premiers, se sont deux sujets dramatiques et sanglants :
Salomé à partir de la pièce d'Oscar Wilde, puis le terrifiant Elektra d'après une tragédie de l'écrivain Hugo von Hofmannsthal qui écrira aussi le livret d'un 3ème opéra plus romantique
: Le chevalier à la rose. Salomé est un projet de chronique 2014…
Richard Strauss a beaucoup écrit pour la voix
féminine, soprano de préférence. Ces lieder renouent avec le génie de ceux de
Schubert, et sa dernière composition sera un cycle avec orchestre appelé
simplement "4 derniers Lieder",
autre sujet à aborder.
Richard Strauss a 70 ans quand Hitler arrive au pouvoir. Ses origines allemandes et sa notoriété
semblent le mette à l'abri, et il est nommé président de la Chambre de Musique
du Reich. Et pourtant, il n'hésite pas à travailler avec l'écrivain juif Stefan Zweig pour l'opéra la Femme silencieuse. Il refusera à Goebbels d'ôter le nom du librettiste
sur l'affiche lors de la première en 1935… Pour certains, Strauss, en acceptant
ce poste, espérait sans doute éviter que la musique jouée en Allemagne se
limite uniquement à Beethoven,
Wagner et Bruckner…
Après
la guerre, le vieil homme est déconcerté par la tragédie et l'apocalypse que
vient de traverser son pays. Comme je l'avais écrit dans un article à propos de
Métamorphoses pour 23 cordes écrit en
avril 1945, tentative musicale d'exorciser sa détresse après la folie du bombardement
de Dresde et ses 150 000 victimes. Strauss
culpabilise et sait que l'histoire culturelle de l'Allemagne a été rayée de la
carte par une armée de butors sanguinaires. Un peu tard.
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Rudolf Kempe voit le jour en 1910 à Dresde. Il est donc un contemporain de chefs illustres comme
Herbert von Karajan
(1908), Antal
Dorati (1906), Georg Solti (1912)… Je cite ces grands chefs d'orchestre qui ont marqué l'histoire
du disque, et font encore le chiffre des labels comme Dgg ou Decca. Ce qui n'est pas le cas de
Rudolf Kempe
dont pourtant le talent n'avait rien à envier à ce trio de maestros. Deux
explications à ce manque de reconnaissance posthume :
Rudolf Kempe est mort prématurément en 1976 d'une attaque. À 65 ans, il avait
l'âge où, contrairement aux instrumentistes virtuoses, un chef d'orchestre de
génie atteint grâce à des décennies de travail la maîtrise totale de son art et la notoriété
planétaire.
Kempe était un musicien très exigeant quant au choix des
gravures qu'il souhaitait réaliser, et la discographie stéréophonique qu'il nous
a léguée est donc restreinte, même si lors de confrontation en aveugle, ces
enregistrements dament le pion à bien des disques pourtant plus récents. Ainsi
dans l'article consacré au Requiem Allemand
de Brahms, j'avais cité sa version légendaire
réalisée à l'époque monophonique et tenant la dragée haute à celles de Karajan, Klemperer
ou Giulini.
Formé dans la grande tradition germanique, Kempe
s'effaçait devant la partition avec un style limpide et précis. Sa direction au
scalpel, mais sans froideur, est immédiatement reconnaissable. Et ces qualités
sont toujours les bienvenues pour la clarté qu'elles apportent au disque où la
compression de la dynamique, et le manque de relief, desservent l'acoustique, effacent
les petits détails en donnant une sonorité brouillonne aux masses orchestrales.
L'artiste était donc bien l'homme de la situation lorsqu'il décide de graver l'intégrale de l'œuvre symphonique de Richard Strauss pour EMI au début des
années 70, au crépuscule de sa carrière. L'orchestration de Strauss est imposante, et c'est l'orchestre
le plus habile dans les méandres symphoniques imaginés par le compositeur qui
fut retenu : l'Orchestre de la Staatskapelle de Dresde.
Un ensemble prestigieux fondé en 1548 !!!
Et
fidèle à Strauss, Kempe a tout enregistrer (9 CD toujours au
catalogue), même les daubes comme Schlagobers-Waltz
(Crème fouettée en français,
passons). Dans cette anthologie inégalée, il faut applaudir l'ingénieur du son Claus Strüben qui a su se jouer des délires orchestraux de Strauss qui, je le précise, était comme Mahler un excellent chef d'orchestre et
pouvait ainsi "se faire plaisir" dans ses propres partitions.
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Ainsi parla Zarathoustra est une libre adaptation
musicale du poème éponyme de Friedrich
Nietzsche écrit entre 1883 et 1885. Le philosophe allemand voulait écrire
un "cinquième évangile" s'inspirant des dogmes monothéistes de
l'ancienne religion perse : le Zoroastrisme, religion fondée par le prophète Zoroastre au VIIème siècle
av. J.-C.. On y rencontre des points communs avec les fondements du judaïsme : le monde est issu du néant, l'homme doit coopérer avec le divin en respectant
la morale du bien qui s'oppose au mal pour atteindre le salut. Pour Nietzsche, le respect de ces pratiques
dans le monde nouveau doit permettre de créer le surhomme. (Que les profs de
philo me pardonnent une synthèse sans doute fort simpliste.) À partir de ce
long poème philosophique, en 1896, Strauss a construit son œuvre en une
introduction et 2 parties comportant chacune des passages enchaînés, 6 pour la
première, et 3 pour la seconde :
1
- Introduction (bien connue des cinéphiles)
2
- De ceux des mondes de derrière
3
- De l’aspiration suprême
4
- Des joies et des passions
5
- Le Chant du tombeau
6
- De la science
7
- Le Convalescent
8
- Le Chant de la danse
9
- Chant du somnambule
Le
timing indiqué dans le texte est celui de la vidéo proposée en fin d'article.
[0'00"]
Qui n'a pas frémit (ne serait-ce qu'au cinéma) en écoutant les premières
mesures sombres et titanesques exprimant le chaos primitif. La plupart du
temps, ça passe mal sur les matériels de qualité moyenne, et l'on n'entend
guère qu'un bruit sourd. En concert ou en HIFI il n'en est rien, et on découvre
que Strauss a très habilement inventé un son
global, riche d'une obscurité cosmique. Cette ambiance nocturne est obtenue
avec un contrebasson jouant sans respiration un sépulcrale la à l'octave
inférieur, un trémolo d'une dizaine de contrebasses sur la même note et un
roulement de grosse caisse assuré par deux percussionnistes utilisant 4
mailloches. Une discrète pédale de l'orgue peut lier l'ensemble. Nous sommes de
plain-pied dans le génie de l'orchestration de Strauss.
Ce n'est pas un bruit mais un son immense venu du fond de l'univers, l'attente
de la lumière. Sur 9 disques sur 10, c'est très confus. Mais grâce à Rudolf Kempe et Claus Strüben, chaque
instrument se détache de la masse. Appel des 4 trompettes à la 5ème
mesure, suivi d'une clameur cinglante des autres cuivres et des cordes. La
timbale conclut ce "Big bang" symphonique. Cette fanfare va être
répétée 3 fois avant un développement qui se termine par un coup de cymbales et
une note tenue à l'orgue. Ce passage archiconnu est hélas en général un peu
pompier. Ici la maîtrise de la direction redonne la parole au verbe, à la voix
du prophète louant la création et la lumière du premier jour. Rudolf Kempe distribue avec minutie les
rôles de chaque groupe instrumental. De grandiloquente, l'interprétation
bascule alors vers la majesté, ce qui n'est pas du tout la même chose. Certain
y voit un lever de soleil, la lumière révélée aux hommes.
Pour
la petite histoire, Elvis Presley faisait jouer
cette impressionnante intro en début de ses concerts dans les 70' ! Nietzsche – Strauss - Le King - Kubrick même combat… C'est fou
non ?! La beauté du son de la Staatskapelle de Dresde et la dynamique
sont époustouflantes. On entend rarement de telles prises de son de nos jours :
les aigus éclatants des cuivres, la chaleur soyeuse des cordes, l'air qui
circule entre les pupitres de cet orchestre gigantesque…
[7'12]
Le passage Des joies et des passions
est souvent source d'exercices de virtuosité orchestrale tonitruantes. Ici, Rudolf Kempe nous livre avec brio, mais
sans outrance, cette ivresse sonore caractéristique du style straussien. Les
mélodies s'entremêlent, festives et voluptueuses, avec un violon solo sensuel
et gracile. [11'30"]. Dans Le chant des
tombeaux, la musique se fait errance et
rêve. Ces entrelacs mystérieux des cordes font penser aux techniques que Strauss emploiera plus de quarante ans
plus tard dans metamorphosen. Rudolf Kempe évite de faire mugir les
contrebasses, ce qui risquerait de masquer l'entrée ludique de la petite
harmonie et des harpes. [14'02"] De la science
est une folie orgiaque où, là encore, Kempe
évite les effets appuyés. [16'55"] Le début de Le
Convalescent laisse l'orgue conclure avec plénitude cette
première partie.
La
seconde partie commence quelques minutes après le début de Le
Convalescent. C'est une étrange et facétieuse course poursuite
des cordes qui aboutit à un trait vif de trompette et à un babillage des bois,
une jeunesse retrouvée, une course après la vie. Rudolf
Kempe, je ne le dis plus, contrôle chaque note de son orchestre
vif-argent. Des percussions diverses (Glockenspiel et triangle) viennent
enjouer cette convalescence… [20'52] Le thème des trompettes entendu dans
l'introduction, leitmotiv de l'ouvrage, se fait entendre discrètement pour annoncer
Le Chant de la danse. C'est une valse
tendre et fantasque avec violon solo. C'est un passage aux accents viennois (un
peu trop). On y ressent une langueur, un plaisir profane, et surtout de jolies
variations à partir de divers motifs dispersés dans les parties précédentes. Ce
principe de citations propagées dans toute la partition est une signature de
l'art de Strauss et pose chez
certains mélomanes une difficulté à l'écoute. Dans la plupart des œuvres classiques,
les thèmes sont utilisés dans LEUR mouvement porteur (forme sonate). On trouve
les premières exceptions chez Beethoven
(9ème symphonie, 4ème mouvement) et surtout chez Bruckner. [28'40"] De violents sons
de cloches introduisent l'ultime Chant du somnambule.
La musique se calme pour devenir plus sereine et onirique. Strauss
voudrait-il souligner ainsi la paix du salut promis par Zoroastre ? Chacun se
fera son opinion… L'orchestre s'envole vers une conclusion secrète et diaphane
colorée par les aigus de flûtes et des violons.
L'œuvre
présente quelques faiblesses et lourdeurs, mais les tempos enlevés de Rudolf Kempe, et l'absence absolue de
pathos germanisant font de ce disque l'une des références incontournables.
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Impossible
d'ébaucher une discographie alternative sans parler d'Herbert
von Karajan. Il a enregistré plusieurs fois ce poème à Vienne ou à Berlin.
(La monophonie dessert trop la complexité de l'orchestration et je fais
l''impasse sur les enregistrements trop anciens ; avis personnel.) Un consensus
a lieu pour considérer que sa version à Vienne de 1959 est la plus engagée (c'est cette gravure que l'on entend
dans 2001 Odyssée de l'espace). J'ai aussi un faible pour la celle réalisée à Berlin en 1973 avec Michel
Schwalbé au violon solo. On est grisé par la beauté plastique de
la philharmonie de Berlin, même si le son enveloppant
masque certains détails (Decca et Dgg – 4,5/6).
En
1954, RCA enregistre les deux premiers vinyles stéréophoniques de
l'histoire avec l'orchestre symphonique de Chicago.
Fritz Reiner choisit deux poèmes
symphoniques de Richard Strauss : Une vie de Héros et Ainsi
parla Zarathoustra. Les deux gravures sont désormais réunies sur
un CD, et 60 ans plus tard elles n'ont pas pris une ride. C'est fulgurant
d'énergie et somptueux. Une légende de l'histoire du disque (RCA – 5/6).
J'avais mentionné dans l'article sur "Les planètes"
de Holst centré sur la version de William Steinberg le complément de haute volée
que constituait sa vision survoltée de Ainsi parla
Zarathoustra, un ouragan. L'Orchestre
Symphonique de Boston est au firmament, galvanisé par ce chef qui
avait fuit le nazisme et n'a pas eu une carrière en adéquation avec son immense
talent. La meilleure prise de son de tout le palmarès.(Dgg – 4,5/6)
Enfin,
il faudrait parler de Karl Böhm
(Dgg) et même de Strauss par lui-même (disque très rare au son bien
approximatif). Une œuvre très bien servie au disque…
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Quoi dire ? ....Rien ! Comme d'habitude une chronique complète et bien fournie...Parfaite quoi ! tous comme toi, j'ai un faible pour la version de1973 avec Schwalbé sous la baguette de Karl Boehm (Tu n'as pas noté le nom du chef !). Pour ce qui est de Richard Strauss, dommage que tu ne soit pas un spécialiste de l'opéra, il y aurait une chronique sur "Le chevalier à la rose" avec la version de Elisabeth Schwarzkopf par exemple a faire.
RépondreSupprimerUne chronique sur "Le chevalier" pourquoi pas ?, Mais à Elisabeth Schwarzkopf - Karajan, je préfère Christa Ludwig - Vienne - Böhm
RépondreSupprimerLa version avec Michel Schwalbé de Berlin dont je parle est celle de Karajan. (Pochette 2.)
J'ai aussi parlé de ¨Böhm sans citer l'orchestre et la date. En effet, c'est à Berlin et en 1958. Je ne sais pas s'il a enregistré un autre disque plus tardif....
la version de Böhm est celle avec le Philarmonique de Berlin et Michel Schwalbé chez Dgg collection privilège (2538 033) enregistré en 1974
RépondreSupprimerCe qui n'a rien de surprenant dans le sens ou Michel Schwalbé (d'origine polonaise) a été le violon solo de la Philharmonie de Berlin de 1957 à 1977 environ. Il a donc enregistré avec les deux chefs une grande partie du répertoire, y compris dans des "doublons" (Mozart, Schubert...)...
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