- Tiens, M'sieur Claude, Antonin, si je puis me permettre cette
familiarité, est de retour dans le blog ?
- Oui Sonia, j'ai parlé pas mal de musique symphonique ces dernières
semaines, on va écouter de la musique de chambre "haut de gamme" pour se
rafraîchir…
- "Américain", il y aura des thèmes des traditions afro ou indiennes des
USA vers 1900 dans cette musique, si je me rappelle bien ce que vous
disiez pour la symphonie du "Nouveau Monde" ?
- Oui et non Sonia ! Oui, des influences bien sûr, mais c'est quand même
une œuvre slave, celle d'un compositeur qui pensait à son retour en
Bohème…
Sonia a bonne mémoire en effet. Nous sommes déjà allés à la rencontre du
très populaire
Dvořák
trois fois : d'abord pour écouter son œuvre phare, la
symphonie N°9 dite du Nouveau Monde
dirigé par
Karel
Ancerl, (clic) puis pour le commentaire d'un DVD comportant la
8ème symphonie
dirigé par
Marris Jansons
(clic) et, j'allai dire, évidement, le
concerto pour violoncelle
sous l'archet de
Mstislav Rostropovitch. (clic) Et puis dans les concerts des chroniques estivales, nous avions pu
réécouter la
symphonie du nouveau Monde
une nouvelle fois, sous la baguette du regretté
Yakov Kreizberg… (clic).
Revenons à ces années passées par le compositeur Tchèque comme Directeur du
Conservatoire de New-York de
1892 à
1895. Avant son départ de
l'Europe,
Dvořák
est déjà très célèbre. Il fréquente
Brahms
et les musiciens les plus en vue à l'apogée du romantisme. L'homme est
modeste et bon père de famille. Il est très attaché à intégrer des thèmes
populaires et campagnards dans ses œuvres "savantes". Il a ainsi composé
deux recueils de danses slaves pour immortaliser le patrimoine culturel de
sa bohème natale.
Et cette attention pour le folklore (au sens noble) se retrouvera dans ses
compositions écrites lors de son séjour aux États-Unis. Sa première
partition sera la
Symphonie du Nouveau Monde
opus 95. Cette symphonie faisait déjà appel à des thèmes empruntés à la
musique afro-américaine qui deviendra le blues et à celles des
"Peaux-rouges", hélas déjà en voie d'extinction à l'époque. Face au succès
qui ne s'est jamais démenti de cet ouvrage symphonique, sa création
suivante, le
quatuor N°12 "américain"
va adopter les mêmes principes. Des mauvaises langues ont suspecté Dvořák de composer de la musique tchèque mêlée à des thèmes "ethnologiques" pour
flatter le public yankee. C'est absurde ! Certes le cœur de
Dvořák
demeurait en bohème en ces années d'exil, mais le compositeur se passionnait
avec sincérité pour la découverte d'un univers sonore différent, même et
surtout si "exotique".
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C'est en 1993 que le
Quatuor Jerusalem
a vu le jour soutenu par le Jerusalem Center et la fondation culturelle
Israël-Amérique. Les quatre jeunes musiciens ont consolidé leur art auprès
d'Isaac Stern,
Gyorgy Kurtag
et autres grands noms du violon ou du quatuor comme
l'Amadeus quartett. Les premières années de leur carrière sont jalonnées de prix notamment au
concours international de Graz.
Le quatuor connait une carrière internationale dans les salles les plus
courues : l’Herkulessaal de Munich, la Tonhalle de Zurich,
Carnegie Hall... Pour les formations en quintette, on trouve à leurs
cotés des grands noms comme
Daniel Barenboïm
ou encore l'altiste
Tabea Zimmermann
rencontrée la semaine passée dans son enregistrement d'Harold en Italie
de
Berlioz
dirigé par
Colin Davis. Leur discographie comprend de nombreux titres de
Schubert
à
Chostakovitch
en passant par
Mozart…
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Directeur d'un conservatoire à New-York (classe de composition) n'étant pas
de tout repos,
Dvořák
passe l'été 1893 en vacances
dans l'Iowa, l'un des états du grenier à blé et maïs des USA. Il y retrouve
de nombreux tchèques de la première vague d'immigration vers l'Amérique.
Comme
Mahler, le compositeur met à profit ces quelques semaines pour composer, tâche
souvent impossible pendant les périodes d'enseignement ou de concert.
Dvořák
se sent bien dans les verts pâturages qui lui rappellent sa terre natale.
Très motivé, il achève le quatuor en moins de 3 semaines, un record pour une
œuvre de presque 30' et qui plus est, se révèle la pièce maîtresse et la
plus populaire du cycle de 14 quatuors que le composteur va nous léguer. Il
rejoint ainsi
Schubert,
Mozart
et
Beethoven
dans le groupe restreint des musiciens ayant maitrisé aussi parfaitement
cette forme.
De forme classique, le quatuor comprend quatre mouvements.
1 – Allegro ma non troppo :
Quelques trilles du violon, de l'alto puis une première mélodie heureuse
jouée par le quatuor, une mélopée survolant les grands espaces du
Middle-West… Ce qui est fabuleux avec la musique de
Dvořák
c'est la facilité avec laquelle on peut se l'approprier : des thèmes
simples, chaleureux, pas de contrepoint ésotérique, bref une mémorisation
immédiate. Il se rapproche en cela d'un
Beethoven
d'une certaine
5ème symphonie
ou d'un
Ravel
du
Boléro… Une écoute superficielle nous laisse entendre une musique heureuse aux
accents européens. Mais le flot musical se fait tellement chantant et
festif, que l'on distingue ici et là des sonorités ou rythmes tout à fait
inhabituels. [1'39] un thème grave et nostalgique peut être associé à des
complaintes afro-américaines mais transcrites dans des notations
occidentales ou pentatonique, un mode typiquement "exotique". Le
quatuor Jérusalem
offre vie et gaîté dans cette succession d'images colorées. Le phrasé est
magnifiquement équilibré. Attention à ne pas se méprendre,
Dvořák
n'écrit pas un quatuor classique de plus, non, il joue sur les tonalités,
[6'18"] les cassures de rythme. Ajoutant même un dernier motif pour épicer
la coda. Par ailleurs, certains ensembles de chambre jouent souvent la carte
du pathétisme slave, la mélopée un peu déchirante (voyez le genre). Ici rien
de tout cela, le
Quatuor Jérusalem
préfère la vivacité, une mise en place claire et nerveuse, bref une œuvre
bien dans le positivisme que traduisait
Dvořák
en couchant ses notes sur les portées par un bel été yankee…
2 – Lento :
Été en Iowa : le soleil brille, les oiseaux chantent et transcendent le
génie de Dvořák
pour l'écriture de ce lento de rêve (un peu plus lent qu'adagio). C'est l'une des pages les plus tendres et
émouvantes de la production du compositeur qui ne manque pourtant pas de
moments idylliques (second mouvement de la
symphonie du Nouveau Monde). Comme j'ai la chance de pouvoir proposer une vidéo de ce mouvement, je
ne m'attarde pas trop à détailler. Une intro sur un rythme marqué, une
pulsation, le violon puis les autres cordes vont se relayer pour nous bercer
avec poésie. Quel mot employer ? Cantilène nostalgique, frémissements de
feuillage, bruits de nature rappelant ainsi à la bohème si lointaine. Ou
encore une "berceuse blues" comme lu sur le web. On retrouve le jeu plein de
jeunesse du
Quatuor Jérusalem, une articulation marquée mais élégante qui ne nous laisse jamais gagner
par la torpeur sous-jacente. Vraiment très émouvant…
3 – Molto Vivace :
Dans un quatuor classique, le troisième mouvement est souvent un scherzo de
forme symétrique (vivace – trio – vivace da capo) écrit à la va-vite et
d'intérêt moindre. La politique du "il en faut bien un" prédomine
chez les compositeurs en mal d'inspiration. Bien entendu,
Dvořák
le veut court mais chez ce compositeur toujours en recherche d'innovation,
il devance
Olivier
Messiaen
de 60 ans en utilisant un chant d'oiseau de l'Iowa : la fauvette "locale".
Ce chant très élaboré (pas un simple cuicui) anime ce mouvement. Que l'on ne
me parle plus du "classicisme" de
Dvořák
!! Le
Quatuor Jérusalem
redonne toute sa vivacité et même un soupçon d'humour à ce scherzo.
4 – Finale Allegro :
Ce dernier mouvement est la preuve absolue pour ceux qui en douterait encore
que Dvořák passe des vacances de grand bonheur en Iowa. De forme rondo, les thèmes
joyeux, dansants, agrestes s'entremêlent en laissant la place à quelques
pages méditatives et sereines. Le
Quatuor Jérusalem
confirme son aisance à donner libre court à la féérique bonhomie de ce bref
final. Le jeu staccato et bien rythmé des quatre instrumentistes est au
diapason de la vitalité requise dans ces ultimes mesures..
Cet album est complété par le
quintette avec piano opus 81 "Dumka".
Le pianiste
Stefan Vladar
s'est joint au
quatuor
Jérusalem
pour interpréter brillamment ce chef-d'œuvre qui mérite sa propre chronique.
(Rockin' et Luc vont me gronder si j'écris un roman…)
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On ne sera pas surpris de trouver d'autres enregistrements marquants
réalisés par des ensembles tchèques. Le
quatuor Tallich, comme souvent, adopte un jeu avec un élégant legato. C'est très slave, et
le résultat a ses adeptes (Calliope
– 5/6). À noter que le quatuor est complété par le
quintette avec alto opus 97, encore un morceau de bravoure composé juste après le
quatuor "américain"
lors de cet été dans l'Iowa. Il avait la pêche
Antonin
Dvořák !
Plus extravertis, les membres du
Quatuor de Prague
font preuve d'une fougue et
d'une poésie inégalées. Je
considère l'intégrale gravée dans les années 70 comme la plus aboutie, la
plus vivante du catalogue. Je ne crois pas que le
quatuor "américain"
soit édité en album isolé, hélas ! (Dgg
- 6/6).
Dans les années 80-90, le jeune
Quatuor Hagen
a réalisé de très belles gravures dont l'enregistrement du quatuor N°12 de Dvořák
mais le couplage est un peu insolite. Ne disposant pas de l'enregistrement
complet par le
quatuor de Jerusalem, je propose aux amateurs d'écoute en live cette interprétation pleine de
vie (Dgg – 5/6).
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Le quatuor en playlist par le
Quatuor Jerusalem
(2006)
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Je ne connais pas les quatuors pour cordes de Dvorak. Une belle découverte pour moi que ce N°12. Merci Claude !
RépondreSupprimerPour tout avouer, je connaissais très bien ce quatuor "américain" qui est le plus connu, mais pas les autres. L'intégrale par la quatuor de Prague étant dispo sur Deezer, j'ai été surpris par l'incroyable qualité des 14 quatuors et cela dès le premier.... Je vais commander ce coffret à prix très abordable. C'est cool... une découverte !
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