dimanche 21 juillet 2013

JACK ALAIN LEGER - DASHIELL HEDAYAT EST MORT (1947-2013), par Rockin-JL

Jack Alain Leger - @INA
Les médias s'en sont fait l'écho, l'écrivain Daniel Théron alias Jack-Alain Leger s'est donné la mort le 17 Juillet. Il est l'auteur d'une quarantaine de livres sous divers pseudos, certains ayant connu un certain succès ("Monsignore", adapté à Hollywood), d'autres ayant fait plus ou moins scandale ("Vivre me tue" sous le nom de Paul Smaïl, "Tartuffe fait Ramadan"), il fut aussi critique pour Rock & Folk, et traducteur (de Dylan ou Tolkien). Le nom ne vous dit peut être pas grand chose, et pour être franc je n'ai pas eu l'occasion de lire ses livres. Alors pourquoi donc que je vous en parle ?
Parce que ce personnage à multi facettes et multi identités a aussi chanté et est l'auteur de 2 albums parus à la fin des sixties qui sont des monuments de rock psyché bien barré qui ont peu d'équivalents en français et sont bien connus des amateurs de raretés underground, coup de bol je possède les 2, qui sont à l'abri dans le coffre fort du Deblocnot (au 3eme sous sol, derrière la cave de Philou, code secret "1234"). Ils ont été réédités en CD et sont relativement trouvables en cherchant un peu.

En 1969 sort "La devanture des ivresses" sous le nom de Melmoth (référence au livre culte gothique "Melmoth, l'homme errant" de l’écrivain irlandais Charles Maturin), un skeud inclassable entre rock progressif, blues et poésie, qui remporte le grand prix de l’Académie Charles Cros en 1969 (attention c'est un vrai prix, c'est pas  les NRJ "daube" awards. Parmi les lauréats, on peut relever des noms tels Pink Floyd, Hendrix, Brel, Felix Leclerc, Barbara, Gainsbourg, Gilles Vigneault, Higelin..). Un très beau disque avec quelques titres étonnants comme "Vous direz que je suis tombé", longue bizarrerie bluesy avec sax, flûte, vibraphone sur laquelle se pose un texte mi parlé mi chanté totalement halluciné ("les réverbères ont le mauvais œil sur lequel on se cogne en titubant / les phares du fourgon cellulaire éclaboussent l'eau des caniveaux / Les corps cramés des camés il m'a semblé l'eau les charriait / leurs corps comme gonflés de nuages..")  "La mort multicolore" ou "Le blues interminable de la préposée au chalet d'aisance du bureau d'immigration", (rien que pour sortir un titre pareil faut  être barré..) 


2 ans plus tard en 1971, notre homme se rebaptise Dashiell Hedayat, en  hommage à 2 écrivains, l'américain maitre du roman noir  Dashiell Hammet et l'iranien Sadegh  Hedayat.
Il enregistre "Obsolète" au mythique château d'Hérouville en Normandie  (qui verra passer les Stones, Bowie ou Elton John dans les 70's) entouré d'un groupe aussi cinglé que lui, le GONG de Daevid Allen (fondateur de "Soft machine"), Gong qui sort très peu de temps après son fameux "Camembert électrique".
Plus de 40 ans plus tard, il faut reconnaitre que "Obsolete" ne l'est pas et supporte très bien le poids des ans, et que même des "jeunots", à qui je le fais régulièrement découvrir, en restent sur le cul. Un disque dont j'avais envie de parler depuis longtemps, hélas ce sera à titre posthume...

Didier Malherbe
Avec le  monstrueux rock psyché "Chrysler" qui ouvre, c'est décollage immédiat sans avoir besoin de fumer sa moquette, le Gong chauffe comme un malade, avec guitares wah wah, les fûts de Pip Pyle, une énorme basse (Christian Tritsch), le sax de Didier Malherbe, un rythme hypnotique (quelque chose du "Crosstown traffic" d'Hendrix) s'envolant parfois dans des délires inspirés du free jazz, et Hedayat balance ses paroles hallucinées par dessus... Un monument je vous dis !

"Chrysler ! Chrysler rose /Elle repose sur ses jantes, abandonnée
Deux roues sont voilées/ Et sa capote est déchirée
On voit le ciel à travers/Tant elle est usée
Une Chrysler, une Chrysler rose
Une Chrysler que j’ai au fond de la cour /Une Chrysler rouillée

J’ai une Chrysler tout au fond de la cour
Elle ne peut plus rouler mais c’est là Que je fais l’amour

Il y pousse de la mousse/ Des glycines mauves sur le volant
D’un doigt malhabile dans la poussière, Sur la portière
Les enfants ont écrit que Dashiell est un con…
Oui, Chrysler!
Chrysler rose, elle ne peut plus rouler
Mais quand les ressorts grincent
Les enfants de l’immeuble Aussitôt cessent de jouer Pour venir regarder…

Le levier de vitesse porte un cœur gravé
Il y pend des bas troués
Et Sally au moment de monter me dit :
« Ta Chrysler est défoncée »
Oui, mais on est tous défoncés!
Une Chrysler, une Chrysler rose,Oui une Chrysler
Et Sally me dit, le levier de vitesse en moi!
Non! C’est moi!"


Daevid Allen
Suit "la fille de l'ombre" court et peu intéressant avec ses bruitages vraiment zarbis, puis vient une autre pierre angulaire du rock stoned made in France "Long song for Zelda", longue ballade sous acide, dans laquelle  Dashiell psalmodie son texte, de plus en plus barré  ("les chiens Wouah dans la nuit, la nuit Wouah, les chiens Wouah et toi et toi Wouah!"), à noter sur ce titre qu'un certain Williams Burroughs qui passait par là vient poser sa voix, oui, Burroughs, l'un des auteurs cultes de la beat generation avec Kerouac et Ginsberg. Le chant de Dashiell est particulièrement superbe ici, avec un coté dandy décadent avec des prononciations irrésistibles ("ton châaale en camaïeeeu" "l'odeur d'enceeensse"). "Cielo drive"  occupait la face B à lui tout seul, une suite de 21 minutes qui monte crescendo, musicalement du grand Gong et son rock psyché- prog - jazz - Canterbury, effets de guitares flutes, sax, rythme hypnotique et encore un texte "fumant" ("des queues de comètes dans les cheveux, des anneaux de Saturne à chaque doigt, des larmes de sang qui sont comme autant de novas").

Dashiell à l'époque..
Plus planant tu meurs... Pink Floyd, Zappa, Captain Beefheart(clic), Kevin Ayers(reclic), Syd Barrett, Robert Wyatt, Soft machine, Zoo et Magma ne sont pas loin, Alain Kan, un autre phénomène, non plus(rereclic). Un disque sans rival dans le maigre paysage rock français et vénéré de tous les freaks et autres amoureux de musique de fondus, d’ailleurs c'est étonnant le nombre de chroniques sur le net qu'on peut trouver sur ce disque, pourtant absolument inconnu du "grand public", disque aussi cité régulièrement dans tous les bouquins sur les disques rock indispensables et vénéré par Philippe Manoeuvre. Et indispensable, il l'est sans conteste pour comprendre la créativité de cette période un peu folle où tout était possible artistiquement.

Le génie tourmenté a tiré sa révérence, RIP Dashiell ou Jack Alain, repose en paix dans ta Chrysler rose...

une trés rare vidéo, la seule apparition télé de Hedayat, chez Denise Glazer ; à noter que la Chrysler rose est devenue "le mystère rose" (à 3:40) et que les paroles en sont un peu  plus sage :

9 commentaires:

  1. Yep !! Merci Rockin' ! Bonheur de ces souvenirs ET tristesse de ce "départ"... Sans plus de commentaires.

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  2. Oh la la ! Je n'avais pas visionné la vidéo de l'ITW avant mon commentaire précédent: Kitsch !
    Quel décalage d'univers, déjà à l'époque, entre Dashiell et LA Glazer (remarquez la rime...et le pied! non voulus) A l'heure actuelle ce "genre" musical est encore bien plus en décalage avec cet autre temps. Denise Glazer s'en sort politiquement bien correctE... Je rapprocherais le personnage d'un Philipp Katerine, pas que pour la couleur...Pourquoi la Chrysler (Rose!) s'est-elle transformée en (plus sage?!?) Mystère? Mystère que Dashiell emportera avec lui...R.I.P, I'll never forget you.
    Ps: Bravo! et, salut à Vincent. A t'il déjà chroniqué le dernier "Monster academy" ?!... :-)

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    1. Le mystere en question est l'avion Mystere (dassault), coherent avec les paroles changées (train d'atersisage, cockpit ...)

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  3. pour en revenir a Denise Glaser, il faut savoir que cataloguée "gauchiste"elle a eu pas mal de démêles avec le pouvoir de l'époque (De Gaulle, Pompidou, VGE), jusquà se faire virer;et qu'elle n'hésita jamais à inviter des artistes undergroud ou pratiquant des musiques expérimentales, même si on lui imposait aussi les yéyés à la mode. une grande dame.
    (je crois que Monster academy s'il s'agit bien de ca vient d'etre chroniqué, par Luc:http://ledeblocnot.blogspot.fr/2013/07/monstres-academy-de-don-scanlon-2013.html)
    merci du passage

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  4. Connaissais pas. Dis-donc Rockin, dans ton article tu as mis un "rereclic" menant à ton ancien papier sur Alan Kan, en dessous duquel avaient contribué quelques internautes avec des remarques intéressantes (dont l'excellent et intrigant Nippon Vengeur). Mais, je ne sais pas si tu as vu (et c'est là où je voulais en venir): quatre mois plus tard, il y a quelqu'un qui a posé un étrange "Merci" en signant anonymement. Est-ce que tu avais vu ce message ? A l'époque je m'étais fait la réflexion : "un étrange "merci" anonyme, concernant une chronique sur un artiste qui a bizarrement disparu depuis 23 ans, dont plus personne n'a de nouvelles"... Tu vois où je veux en venir ? Peut-être que c'est Alan Kan lui-même, toujours en vie malgré la rumeur, qui est tombé sur cet hommage par hasard, et qui t'a remercié... Ça serait fou, non ?

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  5. l'idée ne m'avait pas effleuré! tu es en plein science fiction Christian, mais j'aime bien l'idée, qui correspondrait bien au personnage...J'ai pensé à Alain Kan en écrivant cet hommage a Dashiell Hedayat car c'est le même genre de personnage insaisissable et qu'ils ont quelques points communs, le chateau Hérouville par exemple..Bon Alain si par hasard c'est toi, contacte moi, je serai muet comme une tombe...mais si tu veux m'accorder une interview pour ton retour je serai là..

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  6. Merci cher Rockin' pour cet hommage à celui qui restera pour moi Dashiell Hedayat! J'en ai passé des heures sur cet "Obsolete" dans les seventies, en plein trip David Allen et sa bande de Gong! (oui je sais un peu facile!) Il y a peu j'ai racheté la version cd d'Obsolete, le LP étant un peu fatigué.Il existe une réédition avec reproduction de la pochette d'origine. Dans la foulée j'avais trouvé le "Nador" des Variations (1968) et le premier Triangle "Peut-être demain" (1970) Nostalgique moi? peut-être....mais sachant que la nostalgie ce n'est pas vivre avec son passé, mais avancer avec ses souvenirs....Bon ben je vais sans doute retourner me coucher moi.....Amicalement

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  7. Wow, merci pour cet hommage à Dashiell Hedayat (et ses pseudos). Je n'ai jamais cessé d'écouter ce merveilleux album qu'est "obsolete" avec un Gong complétement déjanté, proche de la furie de "continental circus"... et ces livres publiés à l'époque chez Christian Bourgeois dont "le bleu le bleu" dans lequel il évoque le Soft Power (Soft Machine) ... à une époque où Burroughs, Gysin, Pélieu et bien d'autres publiaient leurs plus beaux écrits.

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