- Haendel, du baroque de nouveau, mais le fog et le froid de Londres au
lieu de Vivaldi… Brrr… Z'avez rien pour nous réchauffer M'sieur Claude
?
- Hou là ! Vous n'y êtes point du tout, chère Sonia, Haendel a voyagé
beaucoup et notamment en Italie, le pays du soleil et de la joie de vivre,
témoin ce CD…
- Ouf ! Natalie Dessay je connais notre diva nationale, au moins de nom,
mais Emmanuelle Haïm… c'est une autre chanteuse ?
- Et non, une chef d'orchestre, directrice d'une ensemble baroque appelé
Le Concert d'Astrée, un CD entre copines…
- Une femme chef d'orchestre, c'est rare !
- De moins en moins, et le talent est au rendez-vous, une bonne raison
pour en parler…
Natalie Dessay
Natalie Dessay
est bien connue (j'espère) comme diva française. Le mot diva n'est pas
péjoratif du tout dans mon esprit ! On pense à Madame
La Callas
et sa manière inégalée de faire cohabiter une voix divine, avec une
tragédienne de génie. Ou a contrario à
La Castafiore d'Hergé, archétype de la cantatrice capricieuse, excentrique, hurlant à la façon
d'une
Birgit Nilson
l'air des bijoux du
Faust
de
Gounod, un passage pourtant intimiste… Un personnage sympathique à force d'être
farfelu…
Natalie Dessay
est au sommet d'une carrière qui commence au début des années 90. Rien ne
sera facile pour cette soprano colorature aux possibilités de vocalise
exceptionnelles. Elle a d'abord rêvé d'être danseuse, pour se tourner à
l'adolescence vers le chant. Sa formation est un périple qui la conduira
entre autres du conservatoire de Bordeaux jusqu'au concours Mozart de
l'opéra de Vienne où elle remporte le premier prix en
1993, et intègre ainsi la
troupe du célébrissime opéra…
Natalie
est également une excellente comédienne, très mobile sur la scène, une
qualité dans l'air du temps, un temps où les personnages lyriques ne sont
plus faits uniquement de cordes vocales puissantes, mais aussi de chair et
d'âme. Le théâtre a rejoint le chant. Jusqu'en
2001, la chanteuse se produit
sur les plus grandes scènes du monde dans les rôles majeurs : de
Haendel
à
Richard Strauss
en passant, évidement (avec une telle voix) par le rôle de la reine de la
nuit dans la
flûte enchantée
de
Mozart.
2001-2003
: pépins !
Natalie
risque de perdre sa belle voix à cause de polypes à répétition qui menacent
ses cordes vocales. Chirurgie a priori de qualité, courage et opiniâtreté
lui permettent de reprendre sa carrière avec une légère atténuation de son
incroyable "contre-la". On aurait pu craindre pour son répertoire baroque
qui nécessite des voix suraiguës. Possible, mais dans le disque de
2005 commenté aujourd'hui, on
ne s'en rend absolument pas compte. Sa discographie est abondante.
Natalie
semble avoir un intérêt marqué pour les récitals variés en tous genres, y
compris en musique contemporaine. On trouve de nombreux opéras en DVD :
quelques must :
Georg Friedrich Haendel
:
Giulio Cesare
avec le
Concert d'Astrée,
Richard Strauss
:
Arabella
au coté de
Kiri Te Kanawa
en 1994,
Offenbach
:
Les Contes d'Hoffman
dirigé par
Kent Nagano, etc.
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Emmanuelle Haïm et Le Concert d'Astrée
Seconde chef d'orchestre baroque féminine présentée dans le Deblocnot (voir
Christina Pluhar),
Emmanuelle Haïm
a étudié le piano, l'orgue et le clavecin. Ses professeurs :
Kenneth Gilbert
et
Christophe Rousset, ses résultats : 5 premiers prix au Conservatoire National de Paris !
C'est la voix et le chant choral qui vont devenir sa passion, et elle va
poursuivre sa formation auprès de grands maîtres comme
William Christie,
Daniel Harding
et même le non baroqueux
Simon
Rattle, directeur de la
philharmonie de Berlin, rien que cela ! Elle joue l'accompagnatrice des concerts de
Cecilia
Bartoli
(clic) ou
Patricia Petibon
(chronique à venir), et
Sandrine Piau, trois chanteuses d'importance dans l'univers baroque…
Elle se dirige ensuite vers la direction musicale, y compris dans des
œuvres où la concurrence masculine est féroce :
Le couronnement de Poppée
et l'Orfeo de
Monteverdi,
Jules César
de
Haendel…
C'est en 2000 que
Emmanuelle Haïm
crée son propre ensemble, l'Orchestre d'Astrée. La formation se hisse rapidement au niveau international. Elle vient donc
ajouter ainsi une phalange supplémentaire à une liste d'orchestres français
déjà remarquables comme
Les talents Lyriques
de
Christophe Rousset
(clic) ou encore
Les Arts florissants
de
William
Christie
(clic).
Les récompenses pour
Emmanuelle Haïm
et ses musiciens sont au rendez-vous, comme 3 victoires de la musique (2003,
2008 et 2009) et la nomination comme Chevalier des Arts et des Lettres
(sujet sensible au Deblocnot).
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Delirio Amoroso
Ce n'est qu'en 1712, à l'âge
de 27 ans, que
Haendel
fera son premier séjour en
Angleterre… puis 'y installera
définitivement jusqu'à sa mort en
1759. 47 années qui expliquent
souvent que, dans l'imaginaire collectif, cet homme, né en Allemagne en
1685, soit considéré comme un
compositeur de la
perfide Albion ! Certes, c'est
outre-manche que
Haendel
produira ses chefs-d'œuvre les plus célèbres comme le
Messie,
Solomon,
Giulio Cesare, et ne parlons pas de
Water Music
(clic) qui permet de naviguer "royalement" en musique sur la Tamise. Avant cette
longue carrière British,
Haendel
a bourlingué de Hambourg à
Hanovre, en passant par… l'Italie, période assez mal connue.
En 1706, à 21 ans, je jeune
Georg-Friedrich
part pour l'Italie. Comment et où exactement ? Mystère ! On peut supposer
comme il est de coutume à l'époque qu'il a séjourné à
Florence et rencontré
Alessandro Scarlatti
alors en poste auprès du prince Ferdinand. Il va pouvoir y entendre des
opéras de ce musicien baroque majeur.
Rome sera la ville où il
passera le plus de temps, rencontrant de nouveau
Scarlatti
(on bouge beaucoup à l'époque),
Arcangelo Corelli
et
Antonio Caldara. Il va s'imprégner du style italien, de cette rencontre lumineuse entre la
polyphonie et le style chaleureux inspiré du bien-vivre et du soleil de
l'Italie. Il va composer et rencontrer un certain succès. On a parfois
reproché à
Haendel
un penchant pour le plagiat. C'est injuste et injustifié. Je pense que
Haendel, comme tout les grands, savait s'imprégner rapidement des modes de
composition les plus novateurs. Il restera profondément marqué par cette
expérience italienne, et l'Angleterre de l'austère
Purcell
bénéficiera de cet apprentissage. Les cantates divertissantes, voire
cocasses, écoutées ce jour datent de cette époque et vont nous surprendre
par leur liberté et légèreté de ton… Commençons par le début : Delirio Amoroso, une cantate mythologique datant de
1707 pour soprano solo (castrat
?) et petit orchestre…
J'ai retenu quelques passages marquants, l'introduction pour débuter (Quoi ?? "Logique" me balance Rockin', pfff… c'est malin). Les amateurs de
Haendel
connaissent son goût prononcé pour des accompagnements de pièces lyriques,
ou des concertos grosso, qui ne font appel qu'aux cordes. Ici un hautbois
caracole en solo, agile et ironique, au sein d'un groupe de cordes enjouées.
Très vivant, idéale cette ouverture pour démarrer du bon pied une journée
possiblement tristounette (plage 1).
Et non,
Haendel
n'est pas QUE l'auteur d'oratorios bibliques emprunts de religiosité, il
sait aussi s'amuser dans cette cantate rocambolesque qui s'inspire d'un
thème mythologique : celui des malheurs de la nymphe
Chloris et de
Thyrsis, un berger qui ayant
rejeté l'amour de Chloris a
atterri en enfer ; enfin, ça c'est dans l'imagination de
Chloris, son "délire", d'où le
titre de la cantate… Elle le regrette et part dans l'Hadès
pour, à la fin de cette histoire, le sauver et le mener aux
Champs-Élysées (Non Sonia, le monde des Esprits bienheureux, pas pour faire les
boutiques ! Tss Tss).
Les deux rôles sont confiés à la soprano seule. Ce "délire amoureux" est
constitué, outre l'introduction, de onze récitatifs et airs. La voix de
Natalie Dessay
intervient dès le premier récitatif avec une telle articulation que l'on se
rapproche plutôt d'un air. Justement, dans le premier air "Qu'une pensée vole au ciel", nous sommes aux anges, si je puis me permettre cette figure de style.
Dans cet air assez long (plage 3), la chanteuse fait appel à tous ses
talents : tenue des aigus sans fioritures inutiles, timbre séraphique, style
plus dramatique pour évoquer le sort de
Thyrsis "Si en enfer il est damné". L'orchestre d'Astrée est un personnage à part entière, avec ses accents trépidants, un violon
solo d'une grande alacrité… C'est très beau et habité.
Enfin, pour finir cette visite musicale : l'air "Laisse donc tes voiles sombres" (plage 7), plus secret avec une orchestration en dentelle, une facétieuse
flûte à bec et un théorbe, instrument que je présente plus, mais au cas où…
(clic).
Les Métamorphoses d'Ovide semblent une source d'inspiration favorite de
Haendel. L'air de la cantate
Acis,
Galatea e Polifemo
prolonge le CD. Le thème de cette cantate
sera repris dans un opéra
écrit en Angleterre et créé tardivement en
1731. La cantate est datée de
1708 et son argument est de
nouveau un récit d'amour jaloux et contrarié entre divinités. La nymphe
Galathée aime le berger
Acis. (C'est dingue, cette
attirance des nymphes pour les bergers.1) Le cyclope
Polyphème étant amoureux de
Galathée écrase
Acis sous un rocher !!!
Galathée, fort triste (tu
m'étonnes), métamorphose
Acis en ruisseau pour s'y
baigner à jamais… Les rôles du cyclope et du berger sont prévus pour un
contralto et une basse. Pour le disque,
Natalie Dessay
nous chante l'un des plus beaux airs écrits pour
Acis "Ici l'oiseau vole tout heureux".
1. – Vous savez Sonia, c'est sans doute à cause du bâton de berger… ah
ahh ahhhh
- Ohhh M'sieur Rockin' !! Quelle vulgarité ! Un article de M'sieur Claude
en plus, si érudit, si poétique…
Comme dans
Delirio
Amoroso, un élégant et chatoyant solo du hautbois commence cet air méditatif
(plage 13). Les cordes dansent, un violon solo fait écho au hautbois,
évoquant les élans amoureux de la Nymphe et de
Acis.
Galathée se languit,
accompagnée par une sensuelle mélodie au violon, mélodie délicatement
soulignée par quelques notes de théorbe.
Natalie
Dessay
adopte un chant virtuose mais pur, sans les vocalises et fioritures inutiles
dans cet air méditatif. [3'10"] Quelques trilles de la soprano et du
hautbois, conclues par une délicate mélopée du violon, annoncent le
Haendel
futur : le compositeur à l'écriture aérée, économe et subtile, un discours
musical dans lequel l'émotion doit primer sur l'esthétique formelle et
l'esbroufe orchestrale et lyrique.
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Natalie Dessay et
Emmanuelle Haïm
en répétition et lors de l'enregistrement de l'album
Delirio Amoroso, (Virgin Classics). Puis un
extrait de
Giulio Cesare
de
Haendel
à l'opéra de Paris en 2011.
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