Ce
disque que j'ai eu la chance de débusquer il y a une dizaine d'années (quand
les bons disquaires existaient encore) est une petite merveille sans nom. Signe
des temps, quand au milieu de toute la surproduction discographique actuelle,
vous vous mettez à réécouter un opus pareil, les bras vous en tombent
forcément. Comment ne pas succomber en effet à l'écoute de cette galette gorgée
de swing et de lignes aussi claires ? Un classique ! GUITAR GROOVE n'a en effet
pas pris une ride depuis sa réalisation en 1960. Cinquante-trois ans plus tard,
elle se déguste toujours comme une vieille bouteille qui dévoilerait ses plus
nobles parfums. Injustement méconnu à l'heure actuelle, René Thomas (1926-1975)
fut pourtant l'un des guitaristes de jazz les plus fins de son époque.
Autodidacte, il sut tracer son sillon (malgré une discographie rachitique) et
se faire un nom dans le gotha du jazz : des musiciens comme Chet Baker, Kenny
Clarke, Sonny Rollins ou encore Stan Getz (écouter la fameuse session DYNASTY)
n’ont en effet jamais douté du talent de ce guitariste belge qui signe avec GUITAR
GROOVE son premier et seul album qu’il réalisera jamais à son nom aux
États-Unis. Pour moi, c’est simple, René Thomas (dont le jeu de Thomas se
rapprochait beaucoup de celui de Jimmy Raney dans les années 50) est la
passerelle indispensable entre Wes Montgomery et Jim Hall. Son jeu bop est
d’une précision diabolique. Puissamment mélodique et savamment harmonique, il
saura capter votre attention dès la première note. Voici donc un jazz qui
pulse, swingue et possède outre ce supplément d’âme, un raffinement inouï.
Pour
cette session parue chez Jazzland (d’ailleurs, à quand une réédition pour qui
voudrait découvrir ce qui constitue à mon sens son plus grand disque ?), Thomas
n’hésite pas à varier les formats : du quintet (la majorité des thèmes) au trio
(« How Long Has This Been Going On ») en passant par le quartette (« Like
Someone In Love »). Lors d’une première écoute, la musique ne paie pas de mine…
Mais dès le premier thème (« Spontaneaous Effect »), on sent bien toute
l’implication des musiciens, la pensée et le vécu de chacun d’eux, sans qu’ils
aient besoin d’en faire des tonnes pour épater la galerie. Disons simplement
qu'ils servent la musique pour leur plaisir et le nôtre. La place tenue par le
guitariste est centrale bien entendu (beaucoup plus que dans le dernier projet
de Christian Escoudé par exemple…). Et de surcroît, voici un guitariste qui
s’est trouvé des musiciens à la mesure de son talent. Autour de notre leadeur,
on trouve en effet J.R. Monterose au sax ténor, Hod O' Brien au piano, Teddy
Kotick à la contrebasse et enfin Albert "Tootie" Heath à la batterie.
Ils sont ici à leur meilleur niveau donnant à l’ensemble un volume sonore des
plus réjouissants.
Le
répertoire est tout ce qui a de plus classique (entre bop et jazz west-coast),
mais au fil des écoutes, on saisit bien la perle rare de par sa singularité et
sa brûlante sincérité : l'authenticité des interprétations est telle qu’elle ne
fait aucun doute. Un peu à la manière du « West Coast Blue » d’Harold
Land sorti quelques semaines plus tard sur le même label (Land était alors
soutenu par un Wes Montgomery des grands jours), « Guitar Groove » est un titre
complètement assumé. René Thomas et ses comparses ne se contentent pas de faire
chanter la musique : ils la malaxent, la font sortir de ses gonds (« Green Street
Scene »), lui impulsant un sacré groove (« MTC »). De sa guitare (le modèle en
fait dont jouait Charlie Christian, le père des guitaristes modernes) Thomas
fait sortir des sonorités bien huilées, parfois grasses, mais d'une cohérence
hallucinatoire. Hod O’Brien au jeu très powellien est excellentissime et J.R.
Monterose nous fera penser au jeune John Coltrane (technique, fluidité
mélodique, notes aigües). Les sept pièces du répertoire sont donc issues du
canon du jazz contemporain. Il faut écouter « How Long Has This Been Going »
pour mesurer la plénitude de l'art de Thomas qui joue ici en trio avec le
contrebassiste et le batteur seulement. C'est magistral, sans esbroufe, sans
faute de goût. Un répertoire extrêmement judicieux et bien choisi donc : entre
la composition de Monk (version magnifique de « Ruby My Dear ») et celle de
John Lewis (« Milestones », à ne pas confondre avec celle de Miles Davis), on
trouvera quelques raretés comme « MTC » et « Like Someone In Love ».
6 croches pour un chef-d’œuvre atemporel.
1.
Spontaneous Effort 5:21
2. Ruby, My Dear 4:49
3. Like Someone in Love 5:50
4. Mtc 4:26
5. Milestones 5:51
6. How Long Has This Been Going On ? 6:00
7. Green Street Scene 7:36
2. Ruby, My Dear 4:49
3. Like Someone in Love 5:50
4. Mtc 4:26
5. Milestones 5:51
6. How Long Has This Been Going On ? 6:00
7. Green Street Scene 7:36
René Thomas est un poète. Il y a un feeling intense qui se dégage tout au long de l'album que j'ai trouvé à la fnac il y 12 ans. Aujourd'hui René Thomas a disparu des bacs ou presque où l'on trouve profusion de merdes jazzifiantes toutes plus inutiles les unes que les autres.
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