- M'sieur Clauuude, M'sieur Claude, l'album Bach promis par M'dame Cat
est arrivéééé……..
- Hein, heuuu, oui Sonia, mais ne courrez pas comme cela. Bon, voyons,
les suites de Bach, le 500ème enregistrement au bas mot, Bruno
Cocset ? J'connais pas…
- Mais si M'sieur Claude, vous avez déjà des enregistrements avec son
ensemble "les basses réunies"…
- Ah oui maintenant que vous le dites… Boccherini, un truc génial… pas
les idées claires c'matin… Ça peut être une idée de chronique,
tiens…
- Mouais, enfin si vous arrivez à vous réveillez si je puis me
permettre…
- Ah ça oui Sonia, surtout avec ces suites. Soit c'est captivant et donc
une réussite discographique, soit c'est l'inverse, et vous viendrez me
secouer, hi hi hi…
Blague à part, 500 est une ellipse. Mais si vous parcourez un site de vente
web bien connu, vous trouverez facilement une quarantaine de versions
différentes et disponibles de ce cycle de suites pour violoncelle. À
l'évidence, graver les
BWV 1007
à
1012
semble une épreuve initiatique, ou un exercice incontournable, pour tout
violoncelliste célèbre ou pas. Je n'ai vu que des grands noms. Pour
certains, on note 2 voire 3 enregistrements au cours de leur carrière. Et il
est assez amusant de chercher dans ma mémoire tous ceux qui ont disparu
rapidement du catalogue… beaucoup ! Bizarre ?
On pourrait aussi parler d'études pour violoncelle, avec tout ce que le
terme évoque de scolaire, didactique et ennuyeux. Ça serait bien mal
connaître
Bach
qui, à des pièces théoriques et sans âmes, a préféré construire ses
suites
comme des œuvres de concert, à savoir pour chacune un
prélude
suivi d'une série de 5 danses typiques de l'époque :
allemande,
courante,
sarabande,
gigue et double menuets ou double
gavottes. Cette conception assure une grande variété dans la succession des pièces.
Cela dit, aucune musique, si élaborée et géniale par son écriture soit-elle,
ne peut apporter du plaisir implicitement. À l'instar des sonates et
partitas pour violon, ces 6 suites peuvent devenir très rapidement
soporifiques sous les doigts d'un violoncelliste qui ne se jette pas avec
son corps et son cœur dans ce défi instrumental. Donc je serai honnête en
disant que j'attendais au virage
Bruno Cocset, un artiste français qui n'a apparemment pas la chance de bénéficier (ou
ne le cherche pas) des feux de la rampe médiatique, et que
Cat Foirien m'a fait découvrir
(merci). Ou alors, il faut que je renouvelle mes sources d'informations… Par
"attendre au virage", il faut comprendre "me passionner et donner l'envie de
continuer l'écoute". On pourra estimer que je m'instaure juge et arbitre du
travail de
Bruno Cocset, attitude bien présomptueuse ! Mais il est notoire qu'avec ces suites, et
pour tous les mélomanes, c'est quitte ou double. La vision d'un artiste qui
tente l'aventure enchante une grande majorité d'auditeurs ou… presque
personne !?
-*-*-*-*-*-*-
Bruno Cocset
a ou aura la cinquantaine cette année. Son parcours atypique explique sans
doute son manque de notoriété dans le show-biz classique. En effet, il
quitte le conservatoire de Lyon et la formation classique qu'on y
pratique, pour suivre l'enseignement du violoncelliste baroqueux
Christophe Coin, puis les master-classes de
Anner Bijlsma
et du violoniste
Jaap Schroeder. Il devient membre des ensembles "sur instruments anciens" les plus
renommés : 16 ans au sein de
Il Seminario Musicale
avec
Gérard Lesne
et, parallèlement, 15 ans chez
Hesperion XX - XXI de
Jordi Savall.
En 1996, il crée son propre
ensemble "Les basses réunies" avec lequel il enregistre rapidement de très beaux disques de musique de
chambre baroque,
Vivaldi,
Frescobaldi
ou encore
Boccherini. Ce dernier album cité, dont Sonia parlait en introduction, réunit des
concertos et sonates somptueux de clarté. Très investi dans l'acoustique,
Bruno Cocset
impose une prise de son très proche : il nous invite dans son orchestre. On
retrouvera dans tous ses enregistrements pour le label α
la sonorité chaleureuse des instruments anciens, et une forme d'intimité
avec les interprètes.
Bruno Cocset
est également passionné de lutherie ancienne et travaille avec le luthier
Charles Riché à la
reconstitution de violes et violoncelles du siècle des lumières, des copies
des merveilles italiennes de Cremone : de Guarneri à
Stradivari. Ils sont ainsi les parents de neufs instruments. On va en
reparler.
-*-*-*-*-*-*-
Jean-Sébastien Bach
est en poste à Köthen, auprès
d'un prince calviniste, quand il écrit les suites pour violoncelle. Il va y
rester de 1717 à
1723 avant de devenir
Cantor de Leipzig de
1723 à
1750, date de sa mort. L'ultime
période de sa vie lui permettra d'atteindre le statut de compositeur
immortel (passions,
art de la fugue,
le clavier bien tempéré II, etc.). À Köthen,
Bach
va donner libre court à son génie créateur dans le domaine instrumental
alors que pendant les dix années qui ont précédé, à Weimar, les
obligations de sa charge l'ont conduit à composer ses 300 cantates religieuses et de la musique pour orgue. Lors de ces six années
vont naître les
Concertos brandebourgeois, le premier livre du clavier bien tempéré et de nombreuses œuvres pour divers instruments et orchestre.
En ce début du XVIIIème siècle, le violoncelle n'est guère à
l'honneur. Parent proche des violes de gambes possédant un nombre de cordes
fort variable, son rôle se limite souvent à sa participation dans la basse
continue ou continuo. Il faudra attendre encore plus d'un siècle pour que
les romantiques exploitent les richesses de cet instrument qui a enfin
acquis sa forme définitive à quatre cordes (double concerto
de
Brahms
ou
concerto
de
Dvořák...). Il n'est donc pas étonnant que le recueil des suites de
Bach
ne devienne que tardivement un ouvrage phare du répertoire pour violoncelle,
et un incontournable du disque pour les grands solistes.
Pablo Casals
les enregistrera dès les années 30. Dans les années 60-70, le renouveau du
baroque va entraîner pléthore de gravures, soit sur instruments modernes,
soit sur instruments anciens comportant, si nécessaire, la fameuse 5ème
corde de grave. Il est vrai que sur un tel instrument, les graves
apparaissent moins gras, moins puissants. À partir de là, c'est suivant les
goûts !
Six suites avec chacune un prélude et cinq danses. La difficulté technique
augmente de suite en suite. La beauté, elle, est constante. Les durées
varient de 15 à 30 minutes. On peut en écouter 1, 2, plusieurs, l'ensemble,
avec une attention scrupuleuse ou bien en se laissant porter par la
fantaisie. Le flot musical est enchanteur, brillant ou nocturne, jamais
intello. Les pièces échappent à toute analyse métaphysique. Donc, on écoute
juste quatre pièces parmi les suites pour voir ce qu'apporte la version de
Bruno Cocset
:
CD 1 - Playlist-1-1 :
Suite N° 1 : Prélude :
C'est la pièce la plus célèbre du corpus. Certains se rappellent sans doute
d'une Pub' Mercédès, il y a une dizaine d'années, où l'on voyait l'élégante
berline longer un bord de mer au son langoureux du violoncelle. On ressent
souvent une certaine noblesse dans cette introduction, mais attention au
pathos guimauve ! Ici, rien de tout cela, au contraire.
Bruno Cocset
semble vouloir ajouter une sixième danse par un jeu d'une ductilité joyeuse.
Le legato est réduit à l'essentiel, chaque note respire. Enchaînant
subtilement forte et piano, le violoncelliste nous entraîne dans une danse
en 3D. La prise de son, très proche, exacerbe la couleur de l'instrument, le
bruissement de l'archet, la course folle des doigts sur le manche.
Bruno Cocset
nous isole dans un jeu à trois, artiste, violoncelle et auditeur assis face
à lui comme pour un cours (concert) particulier. Il écarte toute lancinance,
fait virevolter son archet et nous conduit à une coda aux accents espiègles
! Ça se présente au mieux ce disque, ma chère Cat.
CD 1 - Playlist-1-10 :
Suite N° 2 : Sarabande :
La sarabande est une danse de cour, galante et souvent lente (la sarabande
de
Haendel
dans Barry Lyndon de
Kubrick).
Bruno
Cocset
élève la mélodie au rang de songe, de méditation. La mélodie se déploie sans
brusquerie, sans effet de virtuosité gratuite. Les notes graves qui
ponctuent ce noble phrasé sont allégées. Quelle sérénité !
CD 1 - Playlist-1--3
:
Suite N° 3 : Prélude :
c'est d'une étonnante vélocité pour un prélude.
Bruno Cocset
se veut ludique, voire humoristique dans les dernières mesures. On imagine
une prise de becs entre un vieux ronchon et un jeune chien fou, impression
donnée par la vivacité et la clarté du jeu sur deux cordes (grave vs
aigu).
CD 2 – Playlist-1-14 & 18 :
Suite n 6 : Allemande et Gigue
: La dernière suite est la plus longue et la plus virtuose.
Bruno Cocset
pour varier les plaisirs a utilisé des violoncelles différents choisis parmi
les copies construites par
Charles Riché. Pour cette
dernière suite, il s'agit d'un violoncelle
piccolo d'après un
Amati de
1600. Le son est ainsi
merveilleusement léger dans l'Allemande. Les graves sont graciles du fait de la petitesse de l'instrument. Là
encore une danse lente, toute en douceur avec des trémolos malins par-ci
par-là. L'équilibre des niveaux sonores est magnifique. La gigue finale est
enlevée mais
Bruno Cocset
prolonge cet intimisme, ce phrasé léger dont il ne s'est jamais départi de
toute cette magnifique interprétation…
Sur deux playlists : Suites 1 à 3 puis suites 4 à 6 :
-*-*-*-*-*-*-
Proposer un palmarès des versions disponibles est un non-sens. Il y en a
pour tous les goûts, et bien au-delà du génie de
Bach, c'est le tempérament d'un interprète que va révéler chaque
interprétation, celui d'un instrument aussi… Quelques idées pour ceux qui
raffolent du son baroque ou inversement, et en fonction des budgets aussi.
Les quatre doubles albums suivants sont à prix doux. L'album de
Bruno Cocset
est d'un prix assez élevé, mais la commande en import avec quelques semaines
de patience permet cette petite folie...
Les enregistrements historiques de
Casals
(EMI) sont toujours
disponibles. C'est évidement sublime si on arrive à échapper au son d'un
autre âge (celui du 78 tours). Les violoncellistes français sont à l'honneur
avec les enregistrements de
Paul Tortelier
(EMI 2 enregistrements, 2
époques : analogique ou numérique), et de
Pierre Fournier
(Archiv) que je trouve un peu
trop grandiose à mon goût. Enfin
Anner Bylsma
(Sony) sur le Stradivarius
Servais est le concurrent unique de
Bruno Cocset. Les tempos plus amples lorgnent vers la spiritualité.
La vidéo du disque "La Nascita del Violoncello" avec
Bruno Cocset
&
Les Basses Réunies
dans un extrait de
Gabrielli. De très belles images des instruments défilent pendant le morceau. Puis,
en concert, l'ensemble joue
Giuseppe Jacchini. À noter la collection de violes et violoncelles posée derrière
Bruno Cocset
et, par ailleurs, on voit nettement le violoncelliste utiliser un archet
ancien en forme d'arc…
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