- Coucou M'sieur Claude…… Heuuuu, le mot extase et cette sculpture un peu
coch… disons érotique… heuuu… didites, c'est quoi quoi… cette semaine
?
- Et oui ma petite Sonia, bienvenue chez Scriabine pour qui "l'orgasme"
peut s'évader de sa dimension charnelle et être atteint aussi par la
création artistique…
- Oui c'est vrai, parfois on peut presque "prendre son pied", au sens
figuré, avec de la musique, du classique, un rock, du blues émouvant, peu
importe…
- Oh et puis Scriabine était un drôle de bonhomme, un Jean-Michel Jarre
avant l'heure, rêvant musique + projection d'images + parfum dans la
salle…
- Encore un précurseur surprenant dirait-on… je prends le dossier pour
voir tout cela…
"Chaque concert est une expérience mystique, une extase... c'est une
forme de grâce" (Herbert von Karajan)
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S'il y en a parmi nous qui pensent que les compositeurs "classiques" sont
des gens très sérieux, voire guindés, avec
Alexandre
Scriabine, nous entrons dans l'univers des "allumés"… de génie ! Né le jour de Noël
1871, le jeune
Alexandre
perd très tôt sa mère, et son père privilégie la diplomatie en Turquie à
l'éducation de son fils… Il se voit confié à sa grand-mère et à une tante
qui l'initient au piano.
Anton Rubinstein, pianiste de premier plan en cette fin du XIXème siècle, va le
propulser au rang de virtuose.
Alexandre commence sa carrière
de pianiste, mais comme
Schumann, à force de martyriser ses mains plutôt petites, il perd une partie de sa
virtuosité ! Peu importe, il jouera ses propres œuvres. Et ceux qui se
souviennent de la vidéo
Yuja Wang
dans
Scriabine
(clic), savent déjà que jouer du
Scriabine
n'est pas donné à tout le monde… Waouh !
Allumé ? Oui, et non si on accepte l'originalité et à la modernité, comme
celles des compositeurs comme
Debussy
ou
Bartók
qui désespèrent leurs professeurs en rejetant l'académisme et les règles de
composition imposées dans les cours.
Scriabine
est un curieux mystique passionné de théosophie (courant de pensée mêlant la
philosophie, le divin, la réincarnation, bref un mixte de sciences
occultes). On ne s'étonnera pas que l'une de ses symphonies porte le nom
'Le divin poème", ou qu'une pièce pour piano s'intitule "vers la flamme", une inspiration libre sur une fin du monde pyrotechnique ("2012" un
siècle en avance !).
Même pour l'époque
Scriabine
est un visionnaire. Comme plus tard
Messiaen,
Scriabine
est atteint de synesthèsie musicale. Lorsqu'il entend des sons, il perçoit
des couleurs suivant un spectre de chromatologie qui associe rigoureusement
une note avec une couleur. Cette particularité neurologique va le conduire à
rêver à l'œuvre artistique totale, mêlant des projections kaléidoscopiques
colorées en osmose avec la mélodie, tout en diffusant des parfums stockés
dans des bombonnes disposées dans la salle ! Une expérience aura lieu après
sa mort, aux États-Unis.
Scriabine
avait même imaginé un clavier "à couleurs" pour diriger le spectacle. C'est
"Prométhée, le poème du feu" qui sera le "pilote" de ces projets.
Scriabine
en a rêvé,
Jean-Michel Jarre
l'a fait…
Fantasia
en sera une autre forme…
Il y aurait des milliers de choses à dire sur cet extravagant et imaginatif
compositeur : son accord synthétique à 6 notes qui annonce le dodécaphonisme
et l'écriture modale… etc. Je ne vais pas nous ennuyer avec tout cela, il y
a des sites extra sur ces sujets…
Scriabine
était un humaniste, un homme proche des idées marxistes originelles et dont
la mort prématurée, en 1915,
lui évitera de se désoler du désastre stalinien. Il est certain qu'il aurait
souffert de l'encadrement de son art par les autorités, art très en avance
sur son temps, qui aurait surement été étiqueté "dégénéré". Les dernières
années de sa vie,
Scriabine
écrit pour le piano exclusivement.
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On ne présente plus
Pierre Boulez, le compositeur et chef d'orchestre parmi les plus emblématiques de la vie
musicale française depuis les années 50'. L'homme est adulé ou décrié, c'est
selon. Successeur de
Messiaen
comme professeur de composition au conservatoire de Paris et fondateur de
l'IRCAM (institut de recherche acoustique), il est hélas un peu trop connu
pour ses critiques envers tout ce qui ne dépend pas de son sérail musical :
"Si
Schubert
a composé de la musique, alors moi pas" ou encore "Schoenberg
is dead"… "Le jazz est de la musique pour Night Club" etc. Dans les années 70 j'ai fait partie des 1200 privilégiés pour la
première de l'IRCAM au Théâtre de la Ville à Paris. Une douzaine de
créations de ses confrères et poulains, des pièces brèves et délicieusement
ennuyeuses que l'on a vite perdues de vue. Quant à la "grande œuvre" du
maître, on l'attend encore. Bon je suis sévère, il existe des morceaux de
grand intérêt qui demandent peut-être que notre (ma) perception de la
musique contemporaine murisse encore. Pour l'instant, trop de math-physique,
l'émotion a du mal à surgir… À suivre… On ne peut pas nier que
Boulez
est un magicien des timbres.
À l'opposé,
Pierre Boulez
a les qualités de ses défauts, à savoir une force d'analyse quasi
chirurgicale des partitions. C'est un atout majeur dans la direction
d'orchestre pour délier toutes les phrases et motifs d'un flot musical qui
peut apparaitre parfois touffu, surtout dans l'univers symphonique. Avec le
disque, la clarté est essentielle et on savoure encore ses enregistrements
exemplaires des œuvres de
Ravel,
Debussy,
Stravinsky
(clic),
Bartók,
Mahler
(parfois un peu sec),
Schoenberg
et
Wagner. Sur le tard, le maestro a mis de l'eau dans son vin, et a même enregistré
avec habileté la 8ème symphonie de
Bruckner
à
Vienne. Et puis,
Boulez
a assuré la direction des orchestres les plus brillants :
New-York,
Cleveland,
Chicago… des orchestres américains réputés pour leur transparence.
Dans les masses orchestrales de
Scriabine, si difficiles à transcrire dans de bonnes conditions acoustiques au
disque,
Boulez
était-il l'homme de la situation ? Nous allons voir cela…
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Le
poème de l'extase
est parfois titré
4ème symphonie. Cette œuvre d'une vingtaine de minutes est donc l'une des dernières
écrites par Scriabine pour l'orchestre. Elle est plutôt proche d'un poème
symphonique par sa composition quasi monolithique. Composée entre
1905 et 1908, sa création date de fin 1908. Son titre
n'est en rien un tantinet intrigant et racoleur si l'on sait qu'il devait
initialement être "Poème Orgiaque" !
Scriabine
ne tourne pas autour du pot dans ses intentions et précise même pour les
mesures marquant le point culminant de ce long crescendo sensuel "Avec une volupté de plus en plus extatique" ! La pièce se présente comme une inexorable progression, une échelle vers
la jouissance où chaque barreau serait marqué par un motif à la fois
envoûtant et "jouissif" de la trompette.
L'ouvrage est découpé en 6 parties qui s'enchaînent directement. Seule la
lecture de la partition ou une oreille attentive permet de distinguer les
transitions. Par contre, 8 thèmes sont utilisés. Inutile de préciser que
Scriabine
va faire exploser la tonalité, bref la musique telle qu'on la conçoit encore
au début du XXème siècle. D'ailleurs, commenter la forme d'une
telle œuvre me dépasse et on va laisser cela aux pros. Essayons de nous
intéresser à la fameuse "extase", en se posant une question : sexuelle,
religieuse, ou encore à l'issue d'une phase créative, ou les trois ?
L'extase d'une sainte est-elle proche d'un orgasme spirituel en présence du
divin ? C'est, semble-t-il la question du jour posée par
Scriabine
qui, à travers la Théosophie, cherchait à unifier la recherche des plaisirs
dans un unique concept…
L'orchestration est titanesque surtout dans la progression vers le final
qui fait appel à un orgue !!
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Il est notoire que les modes de composition de
Scriabine
apparaissent aux yeux des spécialistes comme alambiqués… Les 20 premières
mesures de l'introduction comprennent les 8 motifs musicaux. Diable ! On ne
s'en rend pas compte ! (Ces motifs seront réutilisés comme des leitmotive
structurant la partition.) Non, on écoute une mélodie unifiée qui se déploie
de manière lascive et langoureuse, sans rythme marqué, des volutes sonores
qui s'enroulent avec sensualité. D'ailleurs, à en croire les intentions de
Scriabine, c'était bien le but recherché, la sensualité, mais jusqu'où ? Il est
intéressant de comparer ce préliminaire érotisant au
Prélude à l'après-midi
d'un faune
de
Debussy, qui fit scandale par sa provocante volupté lors de sa création
chorégraphique par les Ballets Russes en
1912. La similitude des effets
érotiques suggérés est stupéfiante. Des courtes cellules mélodiques
s'enchaînent de pupitre en pupitre. Cordes, flûte, quelques notes de harpe
nous enveloppent d'un chatoiement de couleurs diaphanes et torrides…
Écoutons les premières minutes de chaque pièce (Scriabine/Debussy)… par
Pierre Monteux, puis
Ernest Ansermet…
L'introduction nocturne et rêveuse (sensuelle ?) est totalement sous
contrôle de
Pierre Boulez
si familiarisé avec les jeux instrumentaux, d'ombres et de lumières, ceux
d'un
Ravel
("Daphnis et Chloé") ou de
Debussy. C'est envoutant, charnelle, presque épicurien grâce à la luxuriance
instrumentale d'un orchestre riche de mille sonorités. [3'40"] Le premier
développement avec la plainte torride de la trompette commence à faire
évoluer le discours. L'orchestre s'élargit, nous enveloppe de ses draperies
sonores. On se laisse entraîner dans cette poursuite lascive entre les pupitres.
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Il est fortement conseillé d'écouter avec un casque ou une chaîne HIFI de
bonne qualité, car l'effet jubilatoire repose sur la superposition de mille
détails orchestraux. Il faudra s'introduire d'un bloc dans cette musique
suave et violente à la fois. Il m'est impossible, et l'exercice serait vain,
de découper en phases précises le flot musical, à la manière d'une symphonie
classique avec ses sujets A, B etc. si bien marqués.
Voilà un disque de grand cru.
L'orchestre de Chicago
est capté avec une précision et un équilibre qui permettent de découvrir
toutes les facettes d'une œuvre que
Scriabine, à l'évidence, destinait au concert et non aux rouleaux de cire qui aurait
effacer toutes les subtilités et écraser la dynamique. Par la finesse du
tissu symphonique, on pense encore à
Debussy
et à son ballet "Jeux".
En progressant, la musique fait de plus en plus songer à l'enlacement des
corps (vers [18']) ou à une prière ardente. Avec
Boulez, la coda se fait paroxystique avec un déferlement de percussions et de
cuivres, mais jamais cataclysmique et barbare, un style brutal où trop de
chefs inexpérimentés s'égarent. (J'ai vécu la chose salle Pleyel avec un
jeune chef de 25 ans qui abordait courageusement ces pages difficiles à
mettre en place, on n'y a gagné que des acouphènes après 20 minutes de
sauvagerie informe.) Jusqu'au point d'orgue,
Pierre Boulez
maintient un aura de sensualité dans sa direction.
Le CD est complété par le
concerto pour piano
avec
Anatol Urgorski
au clavier. Les deux hommes tirent le maximum de poésie de cette œuvre de
jeunesse. Et l'album se termine par
Prométhée ou le poème du feu, le vigoureux et fantasmatique testament symphonique de
Scriabine. La direction est également excellente.
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Impossible de terminer cette chronique sans évoquer celui qui s'était fait
le champion du
Poème de l'Extase,
je veux parler du chef russe
Evgeny Svetlanov
(1928-2002). Un peu excessif, le maestro affirmait péremptoirement que seul
un chef russe pouvait "sentir" ce répertoire. Il a laissé plusieurs
enregistrements du
Poème de l'Extase
dont le dernier, en live, avec
l'orchestre de la Fédération de Russie, gravé à Moscou en 1996.
C'est vrai qu'il plane dans sa direction une étrangeté, un mystère diffus
assez inimitable. C'est très tranché, abrupte et pourtant baigné d'une
torpeur lascive. Les cuivres sont éclatants. La prise de son est excellente
pour un live des pays de l'est. La trompette de
Vladimir Zikov
vous transperce le corps avec son vibrato exubérant. Le chant de la flûte et
des bois semble nous transporter dans les nuits féériques et torrides des
contes orientaux [8'10"]. Vantard le
Svetlanov
? Sans doute, mais la plus-value émotionnelle est indéniable quand on écoute
la précision un peu froide de
Boulez
juste avant
Svetlanov. Les contrastes sonores et magiques du torrent de sensualité obtenu par ce
chef en font, à mon sens, la version de référence (5/6), et j'utilise
rarement cette expression galvaudée. Point de détail important : la coda
décolle vraiment le papier peint, on entend l'orgue (ce qui n'est pas le cas
chez Boulez) et… ce n'est même pas tonitruant. Un vent de folie. Un concert
historique.
Point noir : ce CD est difficile à dénicher. Deux éditions :
Le poème de l'Extase
couplé soit avec la
symphonie N°2
(1 CD), soit avec les
3 symphonies et Prométhée dans un coffret de 3 CDs.
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En premier, la vidéo intégrale
de l'enregistrement de
Pierre Boulez
à
Chicago, suivi d'un concert live, celui de
Svetlanov
avec son
orchestre de la fédération de Russie.
Quel morceau magnifique ! tu fais un parallèle entre "Le poème de l'extase" et "L'après midi d'un faune" de Debussy, il est vrai qu'il y a des similitudes dans l'écriture, mais avec Scriabine, j'entend aussi du Stravinsky époque "Le sacre du printemps". Dommage que le bonhomme soit mort si jeune (43 ans). Je connaissais pas trop le poème de l'extase, j'en suis toujours à la très belle sonate n°3 joué par Horowitz.
RépondreSupprimerEt une tournée de bromure !!!
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