Arthur Lee en calfouet' et Johnny Echols en marinière |
Il faut revenir aux années 60, en Californie, et à la lutte entre deux villes : San Francisco, et Los Angeles. A San Francisco, c'est le règne des hippies, et du rock psychédélique de GRATEFUL DEAD, JEFFERSON AIRPLAINE, COUNTRY JOE, QUICK SILVER, BIG BROTHER AND THE HOLDING COMPANY... A Los Angeles, jusqu'au début des années 60, c'est le jazz qui domine, et si on joue encore du Bop dans les clubs, c'est le style West Coast qui déferle. Et puis il y a le folk, et le blues revival avec CANNED HEAT. Souvenez-vous du somptueux hommage au lieu dans "Blues from Laurel Canyon" de John Mayall (inspiré par... mais enregistré à Londres !). Et la surf-music des BEACH BOYS. A Los Angeles, il y a plus d'électricité dans l'air, de tensions, plus de business aussi, d'imprésarios, à cause des studios de cinéma, de télé. Parmi les grandes figures locales, il y a Franck Zappa qui dynamite tous les codes, ou THE BYRDS, qui enchainent tubes sur tubes. THE DOORS n'ont pas encore percé. La ville accueille toutes les stars, les groupes de rock anglais, et le soir venu, sur le Strip, ça chauffe autant sur les scènes des petits clubs, que sur les parking, où on règle les deals de dope à coup de cran d'arrêt. Los Angeles engendrera d'ailleurs dans les années 80 une flopée de groupes de hard peroxydés, aux manières de vilains garçons... C'est pas nos amis chevelus-chemise à fleurs de Haight Ashbury, à Frisco, qui cautionneraient de tels comportements !
Bref, tous ça pour dire que dans ce magma culturel et musical pas encore bien défini, un homme va débouler et poser quelques jalons : Arthur Lee. C'est un voyou, un sale con, un junkie, il donne dans le rythm'n'blues hargneux à la mode, vénère les mauvaises manières de Mike Jagger, mais voilà, il adore aussi THE BYRDS et leurs arrangements folk-country-rock doucement psychédéliques. Arthur Lee est né à Memphis en 1945, mais déménage à Los Angeles dans son enfance, se met au piano, puis à la guitare. Avec un pote d'école, Johnny Echols, il forme son premier groupe, rejoint au début par un autre élève de l'école : Billy Preston, futur claviers des BEATLES et des STONES... Ca en jette sur un CV... La musique que joue Arthur Lee, c'est du rock garage. En 1963, avec Echols, ils sortent un premier single. Arthur Lee est une personnalité singulière, forte, il est métis (comme Echols) et leader d'un groupe de blancs. Les groupes mixtes à l'époque, y'en a pas bézef... Fin 1965, Bryan MacLean (le blond sur les photos) qui est roadie pour le groupe THE BYRDS, se joint aux deux autres. Le groupe s’appellera AMERICAN FOUR, puis GRASS ROOTS, mais comme c'est déjà pris, ils se rebaptisent : LOVE.
Le groupe commence à se tailler une bonne réputation de performer. C'est l’attraction du moment, le truc à voir. Hendrix y va de sa petite jam aussi (disponible sur Internet). Leur morceau de bravoure est justement la reprise du "Hey Joe". Les maisons de disques de New York commençaient à lorgner vers la Californie pour dénicher de nouveaux talents, investir dans la musique de voyous, puisque telle était la musique qui plaisait aux jeunes... C'est ainsi que l'incontournable Jal Holzman signe le groupe LOVE sur le label ELEKTRA. C'est le début de la gloire...
Mai 1966, le premier album éponyme s'écoule à 100 000 copies. Il contient 14 titres très courts, dont leur version de "Hey Joe". Quand on écoute cette version, on retrouve les guitares et le tabourins du folk, mais il y a une urgence inquiétante dans la voix. Toute l'ambivalence du groupe est là.
Janvier 1967, deuxième album, DA CAPO. Atypique. Une face avec 5 chansons pop (j'adore "she comes in color" totalement déjantée, sur un riff de flûte traversière !), mélange d’influences, orchestration roots ou grandiloquente, précieuse, des trompettes, des clavecins, des violons… Et puis une face B avec un boogie-garage de 20 minutes, gros défouloir harassant à la longue, hommage à John Lee Hooker avec qui le groupe avait jammé un soir. On dit que c'est le premier titre de l'Histoire à remplir une face entière de disque. Mais déjà des distensions apparaissent. Certains veulent donner dans le power trio, comme Cream, d’autres rêvent de pop sophistiquée comme les Bee Gees. Si on rajoute là dessus les influences flower power, le groupe LOVE vient de poser les bases de la musique pop de Los Angeles.
Oublié aujourd'hui, Arthur Lee était la grande figure de Los Angeles, en 67, et c'est lui qui attirera l'attention de Jak Holzman sur THE DOORS, qui seront donc signés. Jim Morisson, plus gérable que Lee (c'est vous dire comme le mec devait être un grand malade !) le détrône comme chef de fil de l'écurie ELEKTRA. Vécu comme un coup de pute, cela n'a pas dû arranger l'humeur du monsieur...
C'est donc en novembre
1967 que sort le troisième album du groupe, considéré, à juste titre, comme leur chef d'oeuvre : FOREVER CHANGES. Dès le premier titre "Alone again or" écrit par Bryan MacLean, on est dans l'ambiance de LOVE. Une guitare acoustique folk, des arrangements de violons frissonnants (le Philarmonique de Los Angeles a été convoqué en studio !), la trompette marriachi, et cette urgence dans la voix. Le titre "A house is not a motel" se termine par un duel de guitare électrique bien fuzz, "And more again" est une pop song tout simplement somptueuse (c'est vrai que ça sonne Bee Gees première mode). Le clavecin débarque sur "The red telephone", la voix d'Arthur Lee y est plus douce, et paradoxalement, peu rassurante, notamment sur la fin avec la superposition de deux pistes chant. Il faut dire que le monde intérieur de Lee n'est pas tout rose, plutôt noir ! On l'a dit, notre type est junkie, il vit dans sa bulle de LSD, s'adonne à l'héro, il est volontiers agressif. Ses textes sont des montages de phrases, collages surréalistes, du meilleur effet sur le public lui-même planant à 3000 pieds ! Disons que le public est en phase, prêt à recevoir les élucubrations poético-trash du chanteur. On trouve des rythmes plus latino (le Mexique n'est pas loin) dans "Maybe the People Would Be the Times or Between Clark and Hilldale" (oui oui, c'est le titre) avec un beau chorus voix-trompette.
Mention à "Live and let live" (ne pas confondre avexc "live and let die" des Wings), très pop british, un titre qui me rappelle les tout premiers singles de David Bowie, et toujours ces entrelas de guitares acoustiques, ces syncopes, et paf, une guitare électrique qui surgit. "The Good Humor Man He Sees Everything Like This" et ces pizzicati de violons très classe, quelle chanson ! C'est le Brian Wilson de PET SOUNDS (autre grand allumé qui s'est cramé, et dont l'ombre plane ici) qui devait jaloux de celle-là ! Le dernier titre est plus long (7 mn) "You set the scene" et c'est un p'tit chef d’œuvre, très sixties, sautillant, rupture de tempo, un truc qui n'aurait pas dépareillé sur le SERGENT PEPPER des quatre autres... J'y retrouve aussi des accents du Deep Purple mark I, avec Rod Evans au chant, période psychédélique. La réédition de FOREVER CHANGES (2003) propose quatre ou cinq chansons inédites et prises alternatives.
Seulement voilà, malgré ses talents indéniables de compositeur, Arthur était un petit tyran, son pote Bryan a dû batailler pour imposer ses propres compositions. Lee était totalement ingérable, il était impossible au groupe de partir en tournée, de s’éloigner de Los Angeles, aucun tourneur n'aurait pris le risque de les embarquer sur les routes. Le groupe se sépare. Après un passage à vide, Arthur Lee recrute de nouveaux musiciens, et entre en studio, il est toujours sous contrat avec ELEKTRA. Il en sortira deux albums en 1969. Echec commercial. Il est dégouté et se retire de la circulation. On réentendra parler de lui en 2003 pour célébrer l’album FOREVER CHANGES par une série de concerts. Il meurt en 2006, d’une leucémie.
FOREVER CHANGES illustre à merveille les nuages qui s'amoncellent au dessus des têtes des gentils hippies de la côte ouest... Le cerveau sous acide d'Arthur Lee a accouché de chansons pop apparemment roses bonbons, qui convoquent toutes ses influences musicales, mais sont en réalité un patchwork de petits cauchemars, de questionnements angoissants, de mauvais trip. LOVE c'est le côté obscur de la Force ! Un album qui caracole en tête des "disques cultes" et autres "chefs d'oeuvres maudits"... Faudrait demander l'avis de Philou qui a bien connu cette époque (moi, j'étais même pas né...). Pas forcément évident dès la première écoute, mais assurément une grande oeuvre.
Mention à "Live and let live" (ne pas confondre avexc "live and let die" des Wings), très pop british, un titre qui me rappelle les tout premiers singles de David Bowie, et toujours ces entrelas de guitares acoustiques, ces syncopes, et paf, une guitare électrique qui surgit. "The Good Humor Man He Sees Everything Like This" et ces pizzicati de violons très classe, quelle chanson ! C'est le Brian Wilson de PET SOUNDS (autre grand allumé qui s'est cramé, et dont l'ombre plane ici) qui devait jaloux de celle-là ! Le dernier titre est plus long (7 mn) "You set the scene" et c'est un p'tit chef d’œuvre, très sixties, sautillant, rupture de tempo, un truc qui n'aurait pas dépareillé sur le SERGENT PEPPER des quatre autres... J'y retrouve aussi des accents du Deep Purple mark I, avec Rod Evans au chant, période psychédélique. La réédition de FOREVER CHANGES (2003) propose quatre ou cinq chansons inédites et prises alternatives.
Seulement voilà, malgré ses talents indéniables de compositeur, Arthur était un petit tyran, son pote Bryan a dû batailler pour imposer ses propres compositions. Lee était totalement ingérable, il était impossible au groupe de partir en tournée, de s’éloigner de Los Angeles, aucun tourneur n'aurait pris le risque de les embarquer sur les routes. Le groupe se sépare. Après un passage à vide, Arthur Lee recrute de nouveaux musiciens, et entre en studio, il est toujours sous contrat avec ELEKTRA. Il en sortira deux albums en 1969. Echec commercial. Il est dégouté et se retire de la circulation. On réentendra parler de lui en 2003 pour célébrer l’album FOREVER CHANGES par une série de concerts. Il meurt en 2006, d’une leucémie.
FOREVER CHANGES illustre à merveille les nuages qui s'amoncellent au dessus des têtes des gentils hippies de la côte ouest... Le cerveau sous acide d'Arthur Lee a accouché de chansons pop apparemment roses bonbons, qui convoquent toutes ses influences musicales, mais sont en réalité un patchwork de petits cauchemars, de questionnements angoissants, de mauvais trip. LOVE c'est le côté obscur de la Force ! Un album qui caracole en tête des "disques cultes" et autres "chefs d'oeuvres maudits"... Faudrait demander l'avis de Philou qui a bien connu cette époque (moi, j'étais même pas né...). Pas forcément évident dès la première écoute, mais assurément une grande oeuvre.
On écoute le premier et le dernier titre de l'album, "Alone again or" et "You set the scene", extrait d'une émission anglaise (le Taratata local en mieux) tournée en 2003.
Pour moi le meilleur disque de pop psyché des 60's ...
RépondreSupprimerJac Holzman détestait les Doors, même s'il les avait signés. Ce n'est que quand ils ont commencé à vendre beaucoup de disques qu'il a changé d'avis (c'est aussi un businessman.
Bryan McLean est le demi-frère de Maria McKee ... tiens si quelqu’un a des nouvelles, Lone Justice et ses premiers en solo étaient très bien, même Tarantino s'en était aperçu à l'"poque de pulp fiction ...
Lester, si nous avons ta bénédiction, nous sommes comblés !! à+
RépondreSupprimer"Forever Changes" est une des oeuvres les plus singulières de cette époque bénie. Quand je réécoute ce disque (assez souvent) je le fais suivre par "The Family that plays together" de Spirit, allez savoir pourquoi! Deux groupes atypiques du California Sound.
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